Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : c Commission de l’assurance-emploi du Canada et CG, 2023 TSS 2026

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : X
Représentante ou représentant : J. K.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Partie mise en cause : C. G.
Représentants : Charles Osuji et Lyon Ezeogu

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (573387) datée du 10 mars 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Glenn Betteridge
Mode d’audience : Vidéoconférence
Dates des audiences : Le 1er août 2023 et le 29 septembre 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentant de l’appelante
Mise en cause
Représentants de la mise en cause
Date de la décision : Le 13 octobre 2023
Numéro de dossier : GE-23-1043

Sur cette page

Décision

[1] X est l’appelante dans le présent appel. Je rejette son appel.

[2] L’appelante n’a pas prouvé que la véritable raison pour laquelle la mise en cause (C. G.) a perdu son emploi était son inconduite présuméeNote de bas de page 1. L’appelante a utilisé la conduite présumée de la mise en cause comme excuse pour mettre fin à son emploi pour un motif valable.

[3] Autrement dit, je maintiens la décision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada d’accorder des prestations d’assurance-emploi à la mise en cause. Cela signifie qu’elle peut recevoir des prestations.

Aperçu

[4] L’appelante exploite une entreprise de blanchiment dentaire à plusieurs endroits. En mai 2019, la mise en cause a commencé à travailler pour X. En août 2020, elle a investi 100 000 $ dans X et est devenue actionnaire.

[5] En août 2022, la mise en cause a pris un congé de maladie et a demandé des prestations de maladie de l’assurance-emploi. L’appelante a produit un relevé d’emploi.

[6] En septembre 2022, l’appelante a mis fin à l’emploi de la mise en cause pour un motif valable. L’appelante a déposé un relevé d’emploi qui disait cela.

[7] En décembre 2022, la mise en cause a demandé des prestations régulières de l’assurance-emploi.

[8] La Commission a conclu que l’appelante n’avait pas démontré que la mise en cause avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploi. La Commission a donc accueilli sa demande de prestations régulières de l’assurance-emploi et a informé l’appelante de sa décision.

[9] L’appelante a demandé à la Commission de réviser sa décision. Cette dernière a maintenu sa décision initiale.

[10] La mise en cause nie toute inconduite. Elle affirme que l’appelante l’a congédiée en raison d’un différend au sujet de la propriété et du contrôle de l’entreprise. Le différend qui oppose la mise en cause et l’appelante est actuellement devant les tribunaux.

[11] Je dois décider si la mise en cause a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Questions que j’ai examinées en premier

Aucune preuve présentée après l’audience

[12] La mise en cause a envoyé au Tribunal un document contenant des éléments de preuve après la première audienceNote de bas de page 2. Lors de cette audience, j’avais demandé aux parties de ne pas envoyer de preuve avant que nous traitions des éléments présentés après l’audience, ce qui était prévu à la fin de la deuxième audience.

[13] Vers la fin de la deuxième audience, j’ai donné à l’appelante et à la mise en cause l’occasion de discuter de la question de savoir si elles voulaient déposer des éléments de preuve après l’audience. Elles ont convenu qu’elles ne présenteraient pas de preuve après l’audience.

[14] Ainsi, lorsque j’ai rendu ma décision, je n’ai pas examiné le document que la mise en cause a envoyé après la première audience.

Présidente de X : appelante et témoin

[15] S. C. est la présidente de X, l’appelante. De plus, à titre de présidente, S. C. est dirigeante de X. Comme X est une société, elle intervient et agit par l’entremise des membres de sa direction, y compris sa présidente. S. C. a donc participé à l’audience au nom de X, l’appelante.

[16] S. C. a également été témoin à l’audience. S. C. possède des connaissances directes qui sont pertinentes aux questions de droit dans le présent appel. Elle a acquis ces connaissances en tant que présidente de X.

[17] Quand j’écris « l’appelante », je veux dire X. Lorsque j’écris « S. C », il est question d’elle, de ce qu’elle a dit et de ce qu’elle a fait.

[18] X avait également un représentant juridique. S. C. était en mesure de donner des directives au représentant juridique de X.

Question en litige

[19] La mise en cause a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

Interprétation stricte de l’inconduite et fardeau de preuve

[20] Une personne qui perd son emploi en raison d’une inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploi ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 3.

[21] Pour décider si la mise en cause a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois examiner deux choses :

  • La raison pour laquelle elle a perdu son emploi.
  • La question de savoir si cette raison est une inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploi.

[22] L’appelante doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable que la mise en cause a perdu son emploi pour inconduite. Sur le plan juridique, l’appelante est responsable d’en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités.

[23] Selon la mise en cause, je devrais lui accorder le bénéfice du doute si les éléments de preuve présentés de part et d’autre sont équivalentsNote de bas de page 4. Je ne suis pas d’accord, comme je l’ai dit à l’audience, pour deux raisons. Premièrement, le bénéfice du doute s’applique au niveau de la Commission, et non à celui du Tribunal. La Cour d’appel fédérale est d’accordNote de bas de page 5. Deuxièmement, l’article portant sur le bénéfice du doute n’est pas cohérent avec l’obligation de l’appelante de prouver sa cause selon la prépondérance des probabilités. En langage clair, on dit souvent [traduction] « 50 % plus 1 » ou [traduction] « plus probable qu’improbable » lorsqu’il est question de la prépondérance des probabilités. Si je conclus que la preuve est également partagée, cela signifie que l’appelante n’a pas prouvé ses prétentions et que je ne peux pas trancher en sa faveur. Je ne peux donc pas invoquer l’article relatif à la prépondérance des probabilités de la Loi sur l’assurance-emploi. Appliquer le mauvais fardeau de preuve est une erreur de droit.

[24] Les tribunaux ont affirmé que je dois appliquer l’article relatif à l’inconduite de la Loi sur l’assurance-emploi de façon stricte parce que cela peut mener à une sorte de [traduction] « punition », à savoir l’exclusion du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 6. Il s’agit d’une exception à la règle générale selon laquelle les personnes peuvent recevoir des prestations lorsqu’elles ne provoquent pas leur chômage. Le fardeau de la preuve pour établir l’inconduite est lourd pour la partie qui l’allègueNote de bas de page 7.

La raison pour laquelle la mise en cause a perdu son emploi

[25] Je conclus que l’appelante n’a pas prouvé que la véritable raison pour laquelle la mise en cause a perdu son emploi était son inconduite présumée. L’appelante a utilisé la conduite présumée de la mise en cause comme excuse pour mettre fin à son emploi pour un motif valable. Voici les motifs de ma conclusion.

La conduite de la mise en cause doit être la cause du congédiement, et non un prétexte

[26] Le Tribunal doit être convaincu que l’inconduite présumée de la personne employée était la cause du congédiement et non un prétexteNote de bas de page 8.

[27] Le Tribunal n’est pas lié par l’évaluation ou la caractérisation subjective des faits par une partie ou par la conduite de la personne employéeNote de bas de page 9. Je dois examiner les faits objectivement et décider de la raison pour laquelle la mise en cause a perdu son emploiNote de bas de page 10.

Le contexte : une relation compliquée qui fait actuellement l’objet d’un litige

[28] Dans le présent appel, la preuve (y compris le témoignage à l’audience) montre que l’appelante, sa présidente et la mise en cause avaient une relation juridique et interpersonnelle compliquée. Les droits et les responsabilités découlant de la relation juridique font l’objet de litige devant un tribunal civil comme poursuite pour congédiement injustifié et violation d’un contrat de placementNote de bas de page 11. La relation entre l’appelante, sa présidente et la mise en cause est très pertinente à la raison pour laquelle l’appelante a congédié la mise en cause.

[29] S. C. est la présidente de X.

[30] La mise en cause a commencé à travailler à X comme technicienne en clinique en mai 2019Note de bas de page 12. S. C. était directrice de clinique. La mise en cause était subalterne de S. C.

[31] La mise en cause affirme qu’au moment où elle a été licenciée, elle était actionnaire (propriétaire), vice-présidente et directrice de X. La mise en cause affirme qu’elle était actionnaire parce qu’en août 2020, elle a investi 100 000 $ dans X, car S. C. lui avait promis qu’elle détiendrait 25 % de l’entrepriseNote de bas de page 13. Dans la lettre de licenciement, l’appelante fait référence à la mise en cause comme à une administratrice et une actionnaireNote de bas de page 14. De plus, la mise en cause et S. C. sont inscrites comme étant les deux actionnaires de X dans un formulaire de renseignements sur les actionnaires (annexe 50 de l’Agence du Revenu du Canada)Note de bas de page 15.

[32] Au moyen d’un accord, S. C. et la mise en cause ont commencé à se payer un salaire égal à un moment donné après que la mise en cause est devenue actionnaire. Elles exerçaient des responsabilités de supervision et d’autres responsabilités à peu près équivalentes de la gestion et de l’exploitation quotidiennes de X. S. C. et la mise en cause ont conclu individuellement des contrats qui prévoient qu’elles ont le pouvoir de contraindre X par la loi. Elles prenaient ensemble les décisions concernant le personnel, y compris le salaire, la question de savoir s’il fallait payer le personnel en espèces et comment aider les personnes employées à obtenir des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 16. De plus, chacune a entrepris des projets et des initiatives d’envergure; par exemple, S. C. a pris les devants lors de l’ouverture de la clinique d’Edmonton, tandis que la mise en cause a travaillé avec l’entrepreneur Zanoti pour mettre au point un logiciel de base de données.

[33] À la mi-juillet 2022, S. C. a envoyé un courriel à son avocat pour l’informer que la mise en cause était devenue une partenaire de X et lui demander de consigner leur accord initial dans un document juridique. L’accord initial dont il est question dans le courriel montre que S. C. possède 100 actions et que G. C. possède 33 actions de X. C’étaient toutes les actions. Il n’y avait pas d’autre actionnaire.

[34] La relation d’affaires et la relation interpersonnelle qu’entretenaient S. C. et la mise en cause se sont détériorées au cours du reste de l’été 2022. La mise en cause a embauché un avocat qui la conseillait personnellement. L’appelante et la mise en cause n’ont jamais signé de convention d’actionnaires. En juillet et en août 2022, elles ont poursuivi des négociations en vue d’ouvrir une nouvelle cliniqueNote de bas de page 17.

[35] En juillet et en août 2022, S. C. et la mise en cause ont eu des différends concernant le salaire qu’elles allaient toucher. S. C. a demandé à la comptable de réduire leurs deux salaires. La mise en cause n’était pas d’accord. Elle a donc modifié son salaire. Elles ont également eu des différends au sujet de prêts aux actionnaires, de la responsabilité des factures de carte de crédit et de l’accès aux comptes bancaires.

[36] S. C. et la mise en cause ont échangé des courriels au sujet de l’élaboration d’une description des fonctions ou du poste de la mise en cause. Elle n’en avait pas un qui correspondait à son nouveau rôle et à ses nouvelles responsabilités. Elles n’ont pas élaboré de description d’emploi et ne se sont pas entendues à ce sujet avant que l’appelante mette fin à l’emploi de la mise en cause.

[37] L’appelante et la mise en cause ont toutes deux envoyé des courriels et des messages textes échangés entre elles à la Commission et au Tribunal. Une chaîne de texte datée du 12 août 2022 illustre leur relation de travail à ce moment-là. En voici une partieNote de bas de page 18 :

SC : Ne m’envoyez pas de visages souriants et de clins d’œil dans les courriels ou les messages. Je ne tolérerai aucun type d’insubordination de votre part. Vous devriez vous renseigner sur votre position au sein de l’entreprise. J’ai toujours été et reste votre patronne. Vous passez par moi, et ce sera fait avec respect, sinon vous ne continuerez pas à jouer ce rôle.

Mise en cause : Je n’ai communiqué qu’avec des émoticônes; ma façon de communiquer n’a jamais changé. Il suffit de regarder plus haut, dans les messages précédents pour savoir de quelle façon nous communiquons depuis 3 ans. Je ne comprends pas très bien ce que vous voulez dire. Une autre menace? Veuillez me rappeler mon rôle et mes obligations actuelles envers l’entreprise.

SC : Pas une menace. C’est une politique. Votre rôle sera ajouté à l’ordre du jour de la réunion de direction du 16 octobre prochain.

Mise en cause : Pouce levé, d’accord? Est-ce que ce serait considéré comme irrespectueux? Veuillez me dire où se situent les limites de la communication respectueuse.

SC : Il faut grandir.

[38] La mise en cause voulait que l’assemblée des actionnaires soit reportée à août 2022, ce que S. C. a refusé.

[39] En août 2022, avant de prendre un congé de maladie, la mise en cause a consulté son avocat. Elle a reçu des conseils sur les possibilités, y compris de prendre un congé de maladie, et sur le congédiement déguisé.

[40] La mise en cause a pris un congé de maladie aux environs du 12 août 2022.

[41] L’appelante a mis fin à l’emploi de la mise en cause pendant qu’elle était en congé de maladie. La lettre de licenciement (datée du 13 septembre 2022) compte trois pages, elle est très détaillée et écrite à simple interligne. On y a beaucoup recours à des termes juridiques et à un style de ce genre. Une copie conforme de la lettre est transmise à l’avocat de l’appelante. Elle porte, sans donner de détails précis, sur les motifs de congédiement motivé sur lesquels l’appelante se fonde.

[42] La lettre de licenciement comprend un paragraphe dans lequel on reconnaît que la mise en cause est une administratrice. La lettre rappelle à celle-ci ses fonctions d’administratrice. De plus, la lettre indique que X et son conseil d’administration prendront des mesures aux termes du droit des sociétés de l’Alberta pour révoquer le statut d’administratrice de la mise en cause.

[43] La lettre de licenciement aborde également le [traduction] « statut d’actionnaire » de la mise en cause chez X. La lettre dit que cette question sera évaluée séparément. De plus, on demande dans la lettre le nom et les coordonnées de l’avocat de la mise en cause pour communiquer directement avec lui.

La position de l’appelante

[44] L’appelante affirme avoir mis fin à l’emploi de la mise en cause pour un motif valableNote de bas de page 19. Elle affirme que la mise en cause se livrait clandestinement à des activités concernant les affaires de X du 15 août 2022 au 13 septembre 2022. De plus, ces activités ont eu des effets négatifs et dommageables sur l’exploitation de l’entreprise et sur la réputation de X et de sa présidente (S. C.).

[45] Selon la lettre de licenciement, d’autres documents et les observations de l’appelante, la conduite de la mise en cause (avant sa maladie grave et pendant cette période) qui est décrite ci-dessous constitue le motif de congédiement, et il s’agit d’inconduiteNote de bas de page 20 :

  • La mise en cause n’a pas préservé et assuré la sécurité de renseignements confidentiels.
  • Elle a faussement présenté à S. C. ses activités d’emploi (y compris les communications avec la clientèle et les clients éventuels, avec le personnel et les employés éventuels, et avec ses partenaires commerciaux et ses partenaires commerciaux éventuels).
  • Elle a sciemment fait de fausses affirmations de X.
  • Elle a ignoré les directives spécifiques de S. C.
  • Elle a activement nui à la capacité de X de mener et d’exploiter ses activités.
  • Elle a demandé à une personne employée de prendre des photos de renseignements confidentiels de X et de les lui envoyer.
  • Elle a intimidé et manipulé du personnel de X.
  • Elle a changé les mots de passe donnant accès au système de sécurité, elle a causé la suppression des vidéos de la caméra de sécurité et a refusé de donner de nouveaux codes à S. C.
  • Elle a changé les codes d’accès en ligne et les mots de passe des comptes d’entreprise de X (y compris les médias sociaux).
  • Elle a accédé au système de paie de l’entreprise et elle a modifié sa paie, sans le consentement de S. C.

[46] À l’audience, le représentant de l’appelante a fait valoir qu’entre août 2020 et août 2022, S. C. et la mise en cause avaient une relation habituelle. S. C. était sa patronne. Au printemps et à l’été 2022, elles ont travaillé avec des avocats à divers accords. Ensuite, au lieu de suivre ce processus avec son avocat, la mise en cause a porté atteinte à la relation de confiance avec S. C. et avec d’autres personnes employées de trois cliniques.

[47] Le représentant de l’appelante a fait valoir que celle-ci a amorcé l’enquête qui a mené à un congédiement à la mi-août 2022. Il a dit que la preuve de S. C. montrait qu’en juillet et en août 2022, S. C. était à Edmonton pendant de longues périodes pour l’ouverture d’une nouvelle clinique. Lorsque la mise en cause a pris un congé de maladie à la mi-août, S. C. est retournée à Calgary. S. C. a découvert que la mise en cause avait pris des mesures extrêmement troublantes à l’encontre des intérêts de X. C’est donc à ce moment-là que S. C. a recueilli des éléments de preuve à l’appui du congédiement motivé du 13 septembre 2022.

Position de la mise en cause

[48] À l’audience, les représentants de la mise en cause ont fait valoir que, comme l’appelante l’a congédiée alors qu’elle était en congé de maladie, cela montre clairement qu’il n’y a pas inconduite dans les circonstances. L’appelante a congédié la mise en cause alors qu’elle était la plus vulnérable. Le représentant a qualifié cela d’[traduction] « attaque ».

[49] Les représentants de la mise en cause ont souligné qu’au moment où elle a perdu son emploi, elle était copropriétaire et détenait 25 % des parts de X. La relation n’en était donc pas une d’employeuse-employée; elle dépassait la portée de l’inconduite.

[50] Les représentants de la mise en cause ont également fait valoir que, selon la jurisprudence, pour que l’on considère qu’il s’agit d’une inconduite, l’employeur doit démontrer que des mesures disciplinaires progressives ont été prises. La preuve n’a pas démontré l’existence d’un élément déclencheur, d’un avertissement préalable ou d’une mesure disciplinaire antérieure.

[51] Les représentants de la mise en cause ont fait valoir que l’appelante n’avait pas mis fin à l’emploi de la mise en cause pour un motif valable. Il s’agissait d’un conflit d’actionnaires que l’on a fait passer pour un congédiement motivé. Ce conflit entre actionnaires fait actuellement l’objet d’un litige, comme il se doit. Les représentants de la mise en cause ont souligné les passages de la lettre de licenciement qui la reconnaissent comme administratrice et actionnaire.

[52] Enfin, la mise en cause a fait valoir qu’il était difficile de dire que son comportement constituait une inconduite compte tenu de son investissement dans X et de sa contribution à la réussite de l’entreprise.

La position de la Commission

[53] La Commission affirme avoir conclu que la mise en cause n’avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite. Elle affirme que l’employeuse n’a pas été en mesure de fournir une preuve directe des allégations qu’elle a faites contre la mise en cause. Cependant, la Commission admet qu’elle n’a pas examiné correctement les renseignements fournis par l’appelante le 9 mars 2023. La Commission admet aussi qu’elle n’a pas donné aux parties l’occasion de répondre à ces renseignements.

Mes conclusions sur la preuve

[54] À cette étape-ci, je dois évaluer objectivement la preuve concernant la raison pour laquelle la mise en cause a perdu son emploi. Il y a une quantité inhabituellement importante d’éléments de preuve dans le présent appel, soit plus de 800 pages. J’ai examiné tout cela. Tous les éléments ne sont pas pertinents à la raison du congédiement. Je n’ai pas à mentionner chaque élément de preuve (qu’il s’agisse d’un document ou d’un témoignage) dans la présente décision.

[55] J’accepte que la preuve établisse les faits que j’ai énoncés à la section intitulée « Le contexte » ci-dessus, à une exception près. À part ce que la mise en cause a dit, rien ne prouve qu’elle était vice-présidente de X. J’ai tiré les faits du témoignage de S. C. ou de la mise en cause (ou des deux), de documents originaux ou officiels, de textos ou de courriels; ces sources corroborent aussi les faits. Je n’ai aucune raison de douter de l’authenticité de ces éléments de preuve, et rien ne va à l’encontre de celaNote de bas de page 21. De plus, S. C. et la mise en cause s’entendent sur la prépondérance des faits que j’ai énoncés à la section sur le contexte.

[56] Je conclus que l’appelante et la mise en cause n’entretenaient pas une relation employeuse-employée habituelle et que S.C. et la mise en cause n’avaient pas une relation superviseure-subalterne habituelle. Elles étaient copropriétaires de X et partageaient la responsabilité globale des opérations quotidiennes, de la supervision financière et des projets spéciaux de X.

[57] Les éléments de preuve que j’ai acceptés montrent que les relations d’affaires et interpersonnelles entre S. C. et la mise en cause ont commencé à se détériorer en juillet 2022. De plus, ces relations étaient irréparables à la fin du mois d’août 2022. Cela montre aussi qu’elles ont toutes deux contribué à la rupture de leur relation et que personne d’autre n’a joué un rôle important dans cette situation. Autrement dit, elles étaient toutes deux responsables de la rupture de leur relation d’affaires et de leur relation interpersonnelle. Elles ne se faisaient plus confiance. De plus, toutes deux ont dit qu’elles en étaient à un point où les différends qui les opposaient les empêchaient d’effectuer leur travail. Toutes deux ont mentionné cela dans des courriels et des messages textes qu’elles s’envoyaient l’une à l’autre.

[58] J’estime que l’origine de ces différends était une divergence d’opinions au sujet de l’orientation future de l’entreprise, de la situation financière de l’entreprise et des conditions de propriété et de contrôle de l’entreprise. Ces trois éléments avaient de grandes incidences sur la somme d’argent qu’elles retireraient de l’entreprise comme salaire comparativement à celle qu’elles y réinvestiraient.

[59] J’estime que le fait que S. C. et la mise en cause n’avaient pas officialisé par écrit la propriété de X et leurs responsabilités respectives a contribué de façon importante à la rupture de la relation. Chacune des parties avait un rôle à jouer pour y arriver. Cependant, après avoir examiné la preuve, je suis d’avis que la mise en cause a tenté à plusieurs reprises de faire en sorte que cela se produise. S. C. a résisté à ces efforts en reportant ces tâches. J’estime qu’il est très important qu’elle ait refusé la demande de la mise en cause visant à déplacer la prochaine réunion du conseil d’administration prévue d’octobre à août. Cela montre que la mise en cause faisait pression sur S. C. pour que celle-ci règle les causes profondes de leurs différends.

[60] Je ne tire aucune conclusion quant aux raisons pour lesquelles la mise en cause a exercé des pressions sur S. C. ou quant aux raisons pour lesquelles S. C. n’a pas donné suite à ses demandes. Leurs motivations ne sont pas importantes pour mon évaluation objective de la raison pour laquelle la mise en cause a perdu son emploi. S. C. et la mise en cause ont déclaré avoir agi dans l’intérêt de X. J’accepte cette preuve. Je n’ai aucune raison de douter de ce qu’elles ont dit. Et cela est logique dans les circonstances : chacune détenait des intérêts de propriété importants dans X et serait perdante si l’entreprise subissait un préjudice. Cependant, S. C. et la mise en cause avaient des idées foncièrement différentes de la vision de la promotion et de la protection des intérêts et de la valeur de X.

L’appelante n’a pas prouvé que la mise en cause a perdu son emploi en raison d’une inconduite présumée

[61] Compte tenu de la preuve que j’ai acceptée et de la loi, je conclus que l’appelante n’a pas prouvé qu’il était plus probable qu’improbable que la raison pour laquelle elle a congédié la mise en cause était l’inconduite présumée de celle-ci. Selon moi, il est tout aussi probable que l’appelante ait utilisé le « congédiement motivé » comme excuse pour forcer la résolution de la lutte entre S. C. et la mise en cause relativement à la propriété et au contrôle.

[62] La relation juridique entre l’appelante, S. C., et la mise en cause était complexe; il ne s’agissait pas d’une relation habituelle employée-employeuse. Au cours des deux derniers mois, elle a été marquée par de profonds différends concernant la propriété et le contrôle de X. Une façon logique de régler leurs différends était de précipiter la fin de leur relation. Elles pouvaient également demander à leurs avocats de jouer un rôle central dans la clarification des enjeux de propriété et des enjeux financiers de X, et de mettre fin à leur lien de copropriété de X. Objectivement, c’est ce que l’appelante a fait en mettant fin à l’emploi de la mise en cause. La lettre de licenciement fait état de cet objectif.

[63] L’échange de messages textes que j’ai reproduits plus haut et la lettre de licenciement appuient ma conclusion selon laquelle la raison fournie par l’appelante n’était pas la cause du congédiement, mais un prétexte. Il en va de même pour bon nombre des messages textes et des chaînes de courriels échangés par l’appelante et la mise en cause, qu’elles ont déposés en preuve.

[64] Le déroulement des événements de l’été 2022 appuie également ma conclusion. Par exemple, le fait que les deux parties s’étaient [traduction] « entourées d’avocats » à la fin de juillet 2022 est un indice solide de leurs profonds différends et de leur manque de confiance mutuelle. La méfiance mutuelle et le conflit se sont aggravés à partir de la mi-août 2022, au moment où la mise en cause a pris un congé de maladie.

[65] Je ne retiens pas l’argument de l’appelante selon lequel S. C. a été mise au courant de l’inconduite présumée de la mise en cause à la mi-août, ce qui l’a amenée à enquêter et à mettre fin à l’emploi de la mise en cause pour un motif valable. Ces événements ont précédé le congédiement, mais n’en étaient pas la cause. Les messages textes et les courriels (dont je n’ai aucune raison de douter de l’authenticité) montrent que les différends entre S. C. et la mise en cause et la détérioration de leur relation ont commencé à la fin de juillet 2022.

Décisions qui appuient ma décision

[66] Comme j’ai conclu que l’appelante n’a pas prouvé que la mise en cause a perdu son emploi en raison de son inconduite présumée, je n’ai pas à vérifier si cette façon d’agir constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[67] Malgré cela, je signale que des décisions du Tribunal appuient ma décision selon laquelle l’appelante n’a pas prouvé qu’il y avait eu inconduite. Selon ces décisions, les situations suivantes ne seront pas nécessairement considérées comme une inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploi :

  • Incompatibilité de caractère ou conflits entre l’employeur et l’employéNote de bas de page 22;
  • Comportement non coopératifNote de bas de page 23;
  • Perte d’emploi en raison d’une incompatibilité mutuelle entre la façon de travailler de l’employeur et celle de la personne employée, où les deux parties voulaient mettre fin à la relation d’emploiNote de bas de page 24.

[68] Cette dernière décision est particulièrement pertinente dans le cadre du présent appel. À la mi-août 2022, la relation entre S. C. et la mise en cause était dysfonctionnelle. S. C. et la mise en cause ont toutes deux joué un rôle à cet égard. De plus, leur mépris l’une pour l’autre et leur incapacité à collaborer de façon productive étaient mutuels. Chacune consultait un avocat. Toutes deux examinaient également divers moyens de mettre fin à leurs relations juridiques (y compris à la relation d’emploi).

Conclusion

[69] L’appelante n’a pas prouvé que la mise en cause a perdu son emploi pour une raison que la Loi sur l’assurance-emploi considère comme une inconduite.

[70] Je rejette donc l’appel.

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