Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation :c Commission de l’assurance-emploi du Canada et CG, 2024 TSS 379

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : X
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Nikkia Janssen
Partie mise en cause : C. G.
Représentant : Charles Osuji

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 13 octobre 2023
(GE-23-1043)

Membre du Tribunal : Stephen Bergen
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 27 mars 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentante de l’intimée
Mise en cause
Représentant de la mise en cause
Date de la décision : Le 17 avril 2024
Numéro de dossier : AD-23-1020

Sur cette page

Décision

[1] Je rejette l’appel.

Aperçu

[2] C. G. est la mise en cause. Je l’appellerai la « prestataire » parce que le présent appel porte sur sa demande de prestations d’assurance-emploi. Elle était une employée de l’appelante, X. Lorsque je fais référence à l’employeuse dans la présente décision, je fais référence à l’appelante, qui est l’entreprise qui employait la prestataire à l’origine. Lorsque je parle de S. C., je fais référence à la présidente et à l’actionnaire majoritaire de l’employeuse.

[3] Agissant à titre d’employeuse ou au nom de l’employeuse, S. C. a congédié la prestataire en août 2022. Elle a dit à l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, qu’elle avait congédié la prestataire en raison de l’inconduite de celle-ci. La Commission n’était pas d’accord avec S. C. Elle n’était pas convaincue que l’employeuse avait congédié la prestataire pour inconduite. Elle a maintenu cette décision même après que l’employeuse lui a demandé une révision.

[4] L’employeuse a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, mais celle-ci a rejeté son appel. Elle a ensuite porté la décision de la division générale en appel à la division d’appel.

[5] Je rejette l’appel. La division générale a conclu que l’employeuse n’avait pas établi qu’elle avait congédié la prestataire en raison d’une façon d’agir qui, selon elle, était une inconduite. L’employeuse ne m’a pas convaincue que la division générale a commis une erreur en tirant cette conclusion.

Questions en litige

[6] Voici les questions soulevées par l’employeuse dans le cadre de cet appel :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en agissant comme suit :
    1. i. En omettant de reconnaître que la loi exige seulement que l’inconduite de la prestataire soit une cause essentielle de son congédiement?
    2. ii. En n’évaluant pas si la conduite de la prestataire constituait une inconduite pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi?
    3. iii. En se concentrant sur la relation juridique et interpersonnelle complexe entre l’employeuse et la prestataire.
    4. iv. En ignorant la jurisprudence qui défend le principe selon lequel l’inconduite est établie lorsqu’une personne employée agit délibérément d’une façon qui l’empêche d’accomplir les tâches pour lesquelles elle a été embauchée (abusant ainsi de la confiance entre l’employé et l’employeur).
  2. b) La division générale a-t-elle commis une erreur de fait en agissant comme suit :
    1. i. En ne tenant pas compte de la preuve montrant que la prestataire s’est livrée aux activités qui constituent une inconduite présumée?
    2. ii. En préférant la preuve de la prestataire à celle de l’employeuse malgré les contradictions entre le témoignage de la prestataire et les documents qu’elle a présentés?
    3. iii. En préférant la preuve de la prestataire à celle démontrant le contraire que l’employeuse a fournie sans en donner les raisons.
    4. iv. En ne tirant pas les conclusions de fait nécessaires?
  3. c) La division générale a-t-elle outrepassé sa compétence en concluant que la prestataire était une actionnaire et une administratrice de l’employeuse?
  4. d) La division générale a-t-elle commis une erreur d’équité procédurale en examinant les documents de la prestataire sans donner à l’employeuse une occasion adéquate de répondre?

Analyse

[7] La division d’appel peut seulement examiner les erreurs qui correspondent à l’un des moyens d’appel suivants :

  1. a) Le processus d’audience de la division générale n’était pas équitable d’une certaine façon.
  2. b) La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher, ou elle a tranché une question qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancher (erreur de compétence).
  3. c) La division générale a commis une erreur de droit en rendant sa décision.
  4. d) La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[8] L’employeuse affirme que la division générale a commis des erreurs d’équité, de compétence, de droit et de fait.

[9] La division générale a conclu que les diverses interventions qui faisaient partie de l’allégation d’inconduite n’étaient pas la raison pour laquelle l’employeuse a congédié la prestataire. C’est pourquoi la division générale n’a pas examiné individuellement chacun des gestes ou comportements reprochés comme s’il s’agissait d’une inconduite pour en arriver à des conclusions individuelles selon lesquelles chacun répondait ou non au critère relatif à l’inconduite.

[10] Je vais examiner les questions dans l’ordre où elles se posent logiquement. Je vais commencer par examiner la décision de la division générale, c’est-à-dire si elle pouvait décider que la prestataire n’a pas été congédiée pour les gestes d’inconduite présumée, et ce sans examiner si les gestes en question constituaient une inconduite.

La division générale pouvait-elle limiter son analyse à la question de savoir si la prestataire a été congédiée pour les gestes d’inconduite présumée?

[11] L’employeuse fait valoir que la division générale devait évaluer si la conduite de la prestataire répondait à la définition d’une inconduite. L’employeuse soutient que la division générale ne pouvait pas évaluer la raison du congédiement de la prestataire sans le faire.

[12] Deux conditions doivent être satisfaites avant que la Commission puisse exclure une partie prestataire pour inconduite. Premièrement, l’employeur de la partie prestataire doit la congédier pour la conduite qui est présumée être une inconduite. Deuxièmement, la conduite reprochée doit répondre à la définition de l’inconduite. Si l’une ou l’autre de ces conditions n’est pas établie, la partie prestataire ne peut pas faire l’objet d’une exclusion.

[13] Pour décider si la Commission (ou l’employeuse, dans le cas présent) a établi la première condition, la division générale doit se demander si l’employeuse a congédié la prestataire pour la conduite considérée comme une inconduite ou pour une autre raison, ou si l’employeuse a utilisé cette conduite comme prétexte pour congédier la prestataire. Cela touche la motivation de l’employeur. Cela ne dépend pas de la question de savoir si la conduite doit être qualifiée d’inconduite.

[14] La question de savoir si la façon d’agir présumée constitue une « inconduite » est une question de droit. Pour y répondre, la division générale doit appliquer le « critère » relatif à l’inconduite élaboré dans la jurisprudence. La division générale doit examiner ce que la prestataire savait ou aurait dû savoir au sujet de ses obligations envers l’employeuse, ce qu’elle savait ou aurait dû savoir au sujet de la possibilité d’un congédiement si elle manquait à l’une ou l’autre de ces obligations, et si elle a volontairement manqué à l’une des obligations qui lui incombaient. Pour trancher une telle question, la division générale ne peut pas se fier à la simple assurance de l’employeur que la conduite en question est une inconduite, et que c’était là le motif de la cessation de l’emploiNote de bas de page 2.

[15] Plus loin dans la décision, je vais me demander si la division générale a commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu que la prestataire n’avait pas été congédiée en raison des gestes considérés comme une inconduite. En supposant pour l’instant que la division générale n’a pas commis une telle erreur, elle n’avait pas l’obligation d’analyser si la conduite de la prestataire correspondait à la définition juridique d’une inconduite. Cela signifie également qu’on ne peut pas lui reprocher d’avoir « ignoré » la jurisprudence qui définit l’inconduite.

[16] La division générale n’a commis aucune erreur de droit en refusant de décider si les actes de la prestataire répondaient à la définition de l’inconduite ou en n’appliquant pas la jurisprudence pour rendre cette décision.

La division générale a-t-elle compris à tort qu’une partie prestataire peut être exclue en raison d’une inconduite seulement s’il n’y a pas d’autre raison pour son congédiement?

[17] L’employeuse soutient que la division générale a mal interprété la loi en ne reconnaissant pas que l’inconduite d’une partie prestataire doit être seulement l’une des causes essentielles du congédiement, et non la seule cause. Il s’agit de la raison pour laquelle j’ai accordé la permission de faire appel. J’ai conclu qu’il était possible de soutenir que la division générale n’avait pas indiqué de façon suffisamment claire qu’elle comprenait que l’inconduite n’avait pas à être la seule cause.

[18] L’employeuse n’a pas fait valoir cet argument au-delà d’une simple approbation des modalités de la décision relative à la permission de faire appel. Cependant, la Commission a reconnu que la décision de la division générale n’abordait pas de façon transparente la question de savoir si l’inconduite présumée avait pu être l’une des causes essentielles du congédiement. Selon la Commission, la division générale aurait dû fournir des motifs plus détaillés pour appuyer sa conclusion selon laquelle aucun des comportements considérés comme étant une inconduite n’a joué un rôle dans le congédiement de la prestataire.

[19] Parallèlement, la Commission a fait valoir que la division générale aurait dû parvenir au même résultat de toute façon. Selon la Commission, même si la division générale avait poursuivi en analysant si la conduite de la prestataire constituait une inconduite, elle aurait dû conclure que la conduite de la prestataire n’était pas une inconduite.

[20] Comme je l’ai mentionné dans la décision relative à la demande de permission de faire appel, il est facile de démontrer que la division générale peut avoir commis une erreur. Pour que son argument soit accueilli lors de l’instruction de l’affaire sur le fond, une partie doit établir que la division générale a effectivement commis l’erreur qu’elle a commise selon elle.

[21] Le membre de la division générale a signalé aux parties qu’il devait décider si la prestataire avait perdu son emploi en raison de sa conduite et non pour une autre raisonNote de bas de page 3. C’est bien, et cela ne va pas plus loin. Toutefois, le membre a déclaré dans sa décision qu’il devait « évaluer objectivement la preuve concernant "la raison" pour laquelle [la prestataire] a perdu son emploi ». Par la suite, la division générale a conclu que l’employeuse n’avait pas prouvé que « la raison » du congédiement de la prestataire était l’inconduite présumée de celle-ci. Autrement dit, l’argument selon lequel la division générale a mal compris le critère juridique dépend entièrement de son utilisation d’un article défini au lieu d’un article indéfiniNote de bas de page 4.

[22] Néanmoins, ce choix grammatical permet à la division générale de comprendre que l’inconduite doit être la seule raison du congédiement d’un prestataire et non pas seulement une cause opérationnelle. Heureusement, la décision n’exige pas plus de clarté sur ce point juridique particulier en raison des conclusions de la division générale.

[23] La division générale a conclu ce qui suit :

L’appelante n’a pas prouvé qu’il était plus probable qu’improbable que la raison pour laquelle elle a congédié la mise en cause était l’inconduite présumée de celle-ci. Selon moi, il est tout aussi probable que l’appelante ait utilisé le « congédiement motivé » comme excuse pour forcer la résolution de la lutte entre [l’employeuse] et [la prestataire] relativement à la propriété et au contrôle.

[24] La division générale affirme qu’il était tout aussi probable que l’« inconduite présumée » était tout « un prétexte » pour le congédiement de la prestataire (comparativement à la raison). Autrement dit, l’employeuse, qui a le fardeau de la preuve, n’a pas démontré que la conduite présumée était autre chose qu’une excuse. La loi précise que l’inconduite d’une partie prestataire doit avoir été une cause essentielle de son congédiement, mais elle précise aussi qu’elle ne peut pas servir d’excuse ou de prétexteNote de bas de page 5.

[25] Lorsqu’elle est lue attentivement, la décision de la division générale va au-delà de la simple conclusion selon laquelle l’inconduite n’était pas la cause, comme si l’on disait qu’il s’agissait de "la seule cause" du congédiement de la prestataire. La division générale établit que l’employeuse n’a pas démontré que l’inconduite présumée en avait en partie été la cause.

[26] La division générale n’est pas tenue de dire ce qu’elle aurait fait si elle avait conclu autrement : elle n’a pas à dire que la prestataire pouvait être exclue du bénéfice des prestations même si sa conduite n’était qu’une partie de la cause de son congédiement.

[27] La division générale n’a pas commis d’erreur de droit à cet égard. Ses motifs suffisent à expliquer pourquoi elle a conclu que l’employeur n’avait pas prouvé que les raisons qu’il a données pour congédier le prestataire n’étaient pas seulement une excuse.

La prestataire a-t-elle été congédiée pour les gestes considérés comme une inconduite?

[28] À mon avis, il s’agit de la question centrale. Bon nombre des autres arguments de l’employeuse font état d’erreurs qui auraient pu avoir une incidence sur la façon dont la division générale a répondu à cette question.

Examen des relations entre les parties

[29] Selon la division générale, elle a exploré la nature de la relation entre la prestataire et l’employeuse parce que celles-ci entretenaient une relation plus complexe qu’une relation employeuse-employée habituelle. De plus, il y avait des tensions et des différends importants au sein de cette relation.

[30] La division générale a consacré une grande partie de sa décision à l’analyse de la nature de cette relation, comme l’a indiqué l’employeuse dans ses observations. L’employeuse a fait valoir que l’objectif de la division générale était erroné et qu’il s’agissait d’une erreur de droit. L’employeuse a également soutenu que la division générale avait outrepassé sa compétence en tirant des conclusions sur la propriété et le contrôle de son entreprise.

[31] Je ne vois pas le bien-fondé de ces arguments. La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social habilite le Tribunal « à trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur une demande présentée ou un appel interjeté [au titre de la Loi]Note de bas de page 6 ».

[32] L’inconduite reprochée à la prestataire a coïncidé avec une période d’accentuation des différends entre elle et S. C. quant à leurs rôles et à leurs intérêts au sein de l’employeuse. La division générale devait décider si la conduite de la prestataire a entraîné son congédiement ou si l’employeuse a utilisé la conduite de la prestataire comme un prétexte pour se séparer d’elle de façon générale. Pour ce faire, la division générale devait évaluer la relation qu’entretenait la prestataire avec S. C. et avec l’employeuse et examiner l’historique de leurs rapports. Cela était à la fois approprié et nécessaire pour trancher l’appel.

[33] Selon la conclusion finale de la division générale, l’employeuse avait congédié la prestataire parce qu’elle et S. C. ne pouvaient pas résoudre de profondes divergences au sujet de la propriété et du contrôle de l’employeuse. Puisque la division générale devait s’assurer que les raisons fournies par l’employeuse pour mettre fin à l’emploi de la prestataire en sa qualité d’employée ne constituaient pas seulement un prétexte, il était tout à fait approprié qu’elle évalue la preuve qu’elle a évaluée. Cela comprenait la preuve du statut juridique et de la représentation de chacune au sein de l’employeuse à titre de dirigeantes, d’administratrices ou d’actionnaires.

[34] La division générale n’a pas outrepassé sa compétence en concluant sur la preuve que la prestataire était actionnaire et administratrice.

Excuser une inconduite

[35] L’employeuse semble soutenir que la division générale a commis une erreur de droit en justifiant l’inconduite de la prestataire. L’employeuse soutient que la division générale a excusé l’inconduite de la prestataire en raison de la détérioration de ses relations d’affaires et de ses relations interpersonnelles avec S. C. L’employeuse affirme que la jurisprudence ne permet pas à la division générale de justifier une inconduite.

[36] Afin d’illustrer pourquoi elle croit que la division générale a commis une erreur, l’employeuse fait référence à ce qu’elle décrit comme un exemple clair d’inconduite, ce que la division générale a reconnu. L’exemple de l’employeuse porte sur son affirmation selon laquelle la prestataire a accédé au système de paie et a modifié sa propre paie sans le consentement de S. C.Note de bas de page 7

[37] En réponse à un [traduction] « exemple clair d’acte constituant une inconduite [changer les renseignements sur la paie] », S. C. a déclaré qu’elle avait [traduction] « laissé passer ça ». Cela signifie que la division générale n’aurait aucun fondement lui permettant de conclure que cet acte fait partie des raisons pour lesquelles la prestataire a été congédiéeNote de bas de page 8.

[38] Cependant, je ne considère pas que la décision de la division générale [traduction] « excuse » l’inconduite de la prestataire. La division générale na même pas examiné si les gestes de la prestataire constituaient une inconduite; elle a encore moins justifié son « inconduite » par la rupture de la relation qu’elle entretenait avec S. C.

[39] La division générale a plutôt conclu que l’incapacité de la prestataire et de S. C. à résoudre leurs différends au sujet de la propriété et du contrôle de l’entreprise de l’employeuse a forcé la fin de leur relation, qui comportait le congédiement de la prestataire. La division générale a conclu qu’il s’agissait de la meilleure explication pour le congédiement de la prestataire. En raison de cette conclusion, la division générale n’avait pas besoin d’examiner si les gestes posés par la prestataire constituaient une inconduite.

Ignorer la preuve d’inconduite

[40] L’employeuse a fait valoir qu’il y a eu un certain nombre d’erreurs de fait. La plupart découlent de sa notion erronée selon laquelle la division générale a conclu que les gestes de la prestataire [traduction] « n’équivalent pas à une inconduite ». Cela comprend son affirmation selon laquelle la division générale n’a pas tenu compte de la preuve du paragraphe 38 de ses observationsNote de bas de page 9. Cela comprendrait également la preuve présentée à la Commission le 9 mars 2024Note de bas de page 10.

[41] Dans un appel à la division d’appel, il y a une « erreur de fait » lorsque la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait qui néglige ou comprend mal la preuve pertinente, ou lorsque sa conclusion ne découle pas rationnellement de la preuveNote de bas de page 11.

[42] La division générale a conclu que la prestataire n’était pas exclue, ayant établi qu’elle n’avait pas été congédiée pour la conduite qui était présumée être une inconduite. Cette analyse était fondée sur son examen des relations personnelles, commerciales et juridiques de la prestataire, de S. C., et de l’employeuse, de même que sur la nature et l’évolution des différends survenus entre la prestataire et S. C. au sujet de leurs rôles respectifs au sein de l’employeuse.

[43] La division générale disposait d’éléments de preuve montrant que la relation entre la prestataire et l’employeuse avait évolué depuis son embauche comme technicienne. Depuis, la prestataire avait investi 100 000 $ dans l’entreprise, détenait environ 25 % des actions de l’employeuse, on la considérait (ou elle se considérait) comme une [traduction] « partenaire » et elle était administratrice. S. C. (qui représente l’employeuse dans le présent appel) était la présidente et détenait le reste des actions. Cet élément de preuve provenait de témoignages et de documents obtenus à la fois auprès de la prestataire et de l’employeuse. Il y avait aussi des éléments de preuve montrant que la prestataire était une dirigeante (vice-présidente), mais la division générale n’a pas accepté cette affirmation.

[44] La division générale a déclaré que la prestataire et S. C. se sont versé un salaire égal sur les revenus de l’employeuse à la suite de l’investissement de la prestataire dans l’employeuse. La division générale a également souligné que toutes deux participaient à la gestion et à l’exploitation quotidiennes de l’employeuse. Elles avaient toutes deux le pouvoir de représenter l’employeuse et de signer des contrats au nom de l’entreprise, et toutes deux ont pris différentes initiatives stratégiques pour promouvoir les intérêts de l’employeuse.

[45] De plus, il y avait des éléments de preuve montrant que les parties en sont venues à être en désaccord sur leurs rôles et fonctions respectifs et sur la façon dont elles devaient faire des dépenses ou être payées. La prestataire a tenu à obtenir une description à jour de son poste et de ses fonctions, mais cela n’avait pas été officialisé au moment de son congédiement. À ce moment-là, S. C. et la prestataire consultaient des avocats et cherchaient à se dégager de leurs diverses associations.

[46] Dans ses observations, l’employeuse conteste la pertinence ou l’importance de ces faits, mais pas les faits eux-mêmes. L’employeuse n’a pas soulevé d’éléments de preuve que la division générale a ignorés ou mal interprétés et qui pourraient remettre en question sa compréhension de ces faits.

[47] Dans sa décision, la division générale n’a pas commis d’erreur en omettant d’examiner des éléments de preuve pertinents pour décider si les gestes posés par la prestataire constituaient ou non une inconduite. La division générale n’avait pas à vérifier si la preuve montrait que la conduite de la prestataire constituait une inconduite. Elle a mentionné cela explicitementNote de bas de page 12.

[48] Je reconnais que la division générale a brièvement examiné la jurisprudence qui indique que des circonstances comme « des conflits entre employeur et personne employée, un comportement non coopératif et une incompatibilité mutuelle » ne constituent pas une inconduite.

[49] Cependant, cela ne se voulait pas une analyse visant à décider si ces circonstances permettaient d’excuser la prestataire de toute inconduite relativement aux autres gestes qui lui sont reprochés par l’employeuse. Après avoir conclu que l’employeuse avait effectivement congédié la prestataire en raison de différends et de ruptures de leur relation, la division générale a écarté la possibilité que de telles choses puissent elles-mêmes constituer une inconduite.

Préférer la preuve de la prestataire à celle de l’employeuse sans explication adéquate

[50] L’employeuse affirme également que la division générale a commis une erreur de fait (ou possiblement une erreur de droit) en acceptant la preuve de la prestataire et en la préférant à celle de l’employeuse sans donner d’explications adéquatesNote de bas de page 13.

[51] La décision de la division générale ne fait cependant pas état d’une préférence pour la preuve de la prestataire par rapport à celle de S. C. ou de l’employeuse, à quelque endroit que ce soit. Elle ne donne pas non plus à penser que la preuve de la prestataire ou de S. C. n’est pas crédible.

[52] Au contraire, elle fait remarquer que S. C. et la prestataire s’entendent sur la « prépondérance » de ces faits (la seule exception est son refus d’accepter que la prestataire était la vice-présidente de l’entreprise). La division générale affirme avoir fondé ces constatations de fait, dans sa section intitulée « Le contexte », sur des « éléments de preuve crédibles et fiablesNote de bas de page 14 ».

[53] Dans sa contestation de la façon dont la division générale a traité la preuve, l’employeuse a donné un exemple précis d’agissement de la part de la prestataire qui, de l’avis de l’employeuse, aurait dû amener la division générale à conclure qu’il s’agissait d’une inconduite. L’employeuse a soutenu que la division générale n’avait pas expliqué pourquoi elle avait préféré le témoignage de la prestataire (à savoir qu’elle n’avait pas communiqué pas de renseignements confidentiels) à un document qui semblait indiquer que la prestataire avait partagé des renseignementsNote de bas de page 15.

[54] Soit dit en passant, je doute qu’il s’agisse d’une inconduite de façon aussi « évidente » que ne l’affirme l’employeuse. La prestataire a affirmé qu’elle avait la capacité et l’autorité d’agir comme elle l’a fait. Cela était fondé sur son investissement et sur ses avoirs, sur son rôle de dirigeante, notamment la capacité de contraindre l’entreprise par la loi, et sur les ententes informelles qu’elle avait avec S. C. La portée de ses pouvoirs a été contestée par l’employeuse; il aurait donc fallu que cette question soit résolue pour décider si elle avait manqué à une obligation et si elle savait qu’il était possible qu’elle soit congédiée pour cette raison.

[55] L’employeuse a raison de dire que la division générale n’a pas cherché à savoir si le témoignage de la prestataire concernant la communication de renseignements confidentiels entrait en conflit avec un document accepté en preuve. Toutefois, la division générale n’avait pas l’obligation d’évaluer si la prestataire a fait ce qui lui a été reproché ou s’il s’agissait d’une inconduite. La division générale n’avait pas à résoudre ce que l’employeuse estime être un conflit dans son témoignage sur le partage de l’information. Encore une fois, la division générale avait déjà conclu que les gestes reprochés par l’employeuse n’avaient pas mené celle-ci à mettre fin à son emploi.

[56] La division générale a tiré une seule conclusion précise qui était défavorable à l’employeuse. (Elle ne faisait pas partie de celles que l’employeuses a soulevées.) La division générale a rejeté l’affirmation de S. C. selon laquelle elle avait appris qu’il y avait eu inconduite présumée à la mi-août, ce qui l’a amenée à faire enquête et à congédier la prestataire. La division générale a déclaré que des messages textes et des courriels montraient que les différends et la détérioration de la relation qu’entretenaient la prestataire et S. C. avaient commencé avant l’enquête de S. C.

[57] Je remarque que S. C. a déclaré avoir pris la décision de mettre fin à l’emploi de la prestataire alors que celle-ci était en congé de maladie (c’est-à-dire à partir du 15 août). Elle a dit que la façon dont la prestataire continuait de se conduire nuisait à l’employeuse; elle a déclaré qu’il s’agissait de [traduction] « beaucoup de choses bizarres » qui [traduction] « se produisaient encore ». Toutefois, S. C. n’a pas précisé de quelle conduite elle parlait. Lorsqu’elle a été interrogée par le représentant de la prestataire, elle a refusé de divulguer ce qu’elle avait découvert à la mi-août et qui l’avait poussée à mettre fin à l’emploi de celle-ciNote de bas de page 16.

[58] Peu importe ce que l’employeuse a découvert après que la prestataire a pris congé, la division générale n’aurait pas pu conclure que la prestataire a été congédiée en raison d’une conduite qui n’a pas été définie ou divulguée.

[59] La division générale n’a pas été convaincue par l’affirmation de S. C. selon laquelle elle a mis fin à l’emploi de la prestataire pour l’un de ses autres gestes présumés selon l’employeuse. La division générale a plutôt attribué la cessation d’emploi aux profonds différends au sujet de la propriété et du contrôle de l’entreprise de l’employeuse, qui ont commencé avant que la prestataire ne prenne un congé de maladie. La division générale s’est appuyée sur des éléments de preuve provenant à la fois de la prestataire et de S. C., ainsi que sur des conclusions tirées de l’ensemble de ces élémentsNote de bas de page 17. Sa décision n’était pas fondée sur une préférence pour la preuve de la prestataire par rapport à celle de l’employeuse.

[60] De toute évidence, les parties ne sont pas d’accord sur la raison du congédiement de la prestataire. Cependant, ce n’était pas la principale tension entre la preuve de la prestataire et celle de l’employeuse. Une bonne partie de la divergence entre la preuve de la prestataire et celle de l’employeuse portait sur la question de savoir si la prestataire avait adopté une certaine conduite et sur la façon de décrire la conduite. En d’autres mots, leur preuve différait quant à savoir si les gestes de la prestataire présentaient les éléments caractéristiques de l’inconduite.

[61] À l’exception de la seule conclusion défavorable dont il a été question plus haut, la conclusion de la division générale (selon laquelle l’employeuse n’avait pas démontré que la conduite présumée l’avait menée à congédier la prestataire) n’était fondée sur aucun élément de preuve dans lequel les parties présentaient une image sensiblement différente des circonstances.

Utilisation sélective de la preuve

[62] Enfin, l’employeuse a soutenu que la division générale avait commis une erreur de fait en citant des éléments de preuve et en s’appuyant sur eux de façon sélective. L’employeuse a mentionné que la division générale n’avait utilisé qu’un extrait de message texte (au paragraphe 37 de la décision de la division générale). Elle a aussi souligné que la division générale avait mentionné « les message texte et les courriels » dans deux passages de sa décision.

[63] Cependant, l’employeuse n’a pas expliqué pourquoi il s’agit d’une erreur de fait. Lorsque la division générale a conclu que l’employeuse utilisait la conduite de la prestataire comme excuse pour mettre fin à son emploi, elle s’est fondée sur l’extrait, mais aussi sur « bon nombre des messages textes et de chaînes de courriels », sur la lettre de licenciement et sur le « déroulement des événements de l’été 2002Note de bas de page 18 ».

[64] Même s’il est vrai que la division générale n’a pas cité la chaîne de texte en entier, cela ne veut pas dire qu’elle ne l’a pas prise en considérationNote de bas de page 19. On présume que la division générale a examiné l’ensemble de la preuve. Elle n’est pas tenue de mentionner chacun des éléments de preuveNote de bas de page 20.

[65] De plus, il n’est pas évident pour moi que la partie non citée de la chaîne de texte aurait changé la compréhension de l’extrait qu’avait la division générale ou sa conclusion. Si l’employeuse croit que la division générale a mal compris ou ignoré la preuve parce qu’elle a cité un extrait de la chaîne de texte, elle doit expliquer pourquoi. L’employeuse est responsable de démontrer que la prestataire a été congédiée pour inconduite. En tant qu’appelante, elle a également le fardeau de démontrer que la division générale a commis une erreur.

[66] La division générale est la principale juge des faits. Elle doit apprécier la preuve et tirer une conclusion. L’employeuse peut être en désaccord avec la façon dont la division générale a soupesé la preuve, mais il n’appartient pas à la division d’appel de soupeser à nouveau ou de réévaluer la preuveNote de bas de page 21.

La division générale a-t-elle empêché l’employeuse de savoir ce qu’elle doit prouver et d’être entendue?

[67] L’employeuse a affirmé que la division générale avait commis une erreur d’équité procédurale parce qu’elle avait procédé à l’audience malgré le fait que la prestataire avait déposé un assez grand nombre de documents peu de temps avant l’audience.

[68] Au début de l’audience, la division générale a reconnu que la prestataire avait déposé des documents en retard; elle a demandé à l’employeuse si elle était prête à aller de l’avant. L’employeuse a indiqué qu’elle était prête à le faireNote de bas de page 22.

[69] De plus, l’audience s’est déroulée en deux parties à près de deux mois d’intervalle. La prestataire a déposé des documents immédiatement avant la première des deux audiences. Si l’employeuse n’avait pas eu le temps de les traiter avant la première audience, elle a pu le faire avant la deuxième, le 29 septembre 2023, quand elle a eu l’occasion de réfuter la preuve de la prestataire. Elle n’a pas demandé de temps supplémentaire pour contre-interroger la prestataire au sujet de ces documents ni pour présenter des observations plus approfondies.

[70] La prestataire a envoyé des documents supplémentaires avant la deuxième audience, mais la division générale n’a pas accepté de les examiner.

[71] La division générale n’a commis aucune erreur d’équité procédurale.

Conclusion

[72] Je rejette l’appel. L’employeuse ne m’a pas convaincu que la division générale a commis une erreur de droit, de fait, de compétence ou d’équité procédurale.

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