Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : TH c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 2020

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : T. H.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de
l’assurance-emploi du Canada (606913) datée du
6 septembre 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Gary Conrad
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 20 novembre 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 4 décembre 2023
Numéro de dossier : GE-23-2744

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] L’appelante n’a pas démontré qu’elle était fondée (c’est-à-dire qu’elle avait une raison acceptable selon la loi) à quitter son emploi quand elle l’a fait. L’appelante n’était pas fondée à quitter son emploi parce que son départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Par conséquent, elle est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] L’appelante travaillait comme factrice.

[4] Ce type de travail était nouveau pour elle et elle avait de la difficulté à le faire. Elle prenait beaucoup plus de temps que ce que son employeur voulait pour livrer le courrier.

[5] Elle dit avoir été convoquée à une rencontre avec sa superviseure. Elle voulait qu’une personne représentant son syndicat soit présente à la rencontre, mais elle avait été informée de celle-ci dans un délai si court que le syndicat ne pouvait envoyer personne.

[6] L’appelante affirme qu’à la rencontre, une superviseure lui a dit qu’elle devrait démissionner de son poste de factrice parce que son rapport de période probatoire était si mauvais. Elle affirme que sa superviseure lui a dit qu’elle serait congédiée si elle continuait à avoir un si mauvais rendement et qu’il serait difficile pour elle de trouver un emploi si elle était congédiée.

[7] Elle affirme que sa superviseure lui a dit qu’elle démissionnerait simplement de son poste de factrice, ce qui lui permettrait de continuer d’être considérée comme une employée puisqu’elle démissionnerait simplement du poste en question. Cela lui permettrait de postuler pour des postes internes et l’empêcherait d’être congédiée pour avoir eu un mauvais rendement. 

[8] Le lendemain, l’appelante a envoyé sa démission. À la fin de la semaine, elle a reçu un appel téléphonique et on lui a demandé pourquoi elle avait démissionné. L’appelante dit avoir été choquée d’apprendre que sa démission signifiait en fait qu’elle avait quitté son employeur, et pas seulement son poste de factrice.

[9] L’appelante affirme qu’elle a été forcée de démissionner et qu’on ne lui a pas expliqué ce qui se passerait vraiment quand elle le ferait. 

[10] La Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas jugé crédibles les déclarations de l’appelante selon lesquelles on lui avait dit de démissionner. Elle a plutôt décidé que c’était son choix de démissionner et qu’elle l’avait fait parce qu’elle craignait d’être congédiée. 

[11] La Commission a décidé que l’appelante avait d’autres options que celle de démissionner, de sorte qu’elle ne pouvait pas lui verser de prestations.

Question en litige

[12] L’appelante est-elle exclue du bénéfice des prestations parce qu’elle a quitté volontairement son emploi sans justification?

[13] Pour répondre à cette question, je dois d’abord aborder la question du départ volontaire de l’appelante. Je dois ensuite décider si l’appelante était fondée à quitter son emploi.

Analyse

L’appelante a-t-elle quitté volontairement son emploi?

[14] Pour établir si l’appelante a quitté volontairement son emploi, il faut se demander si elle avait le choix de rester ou de partirNote de bas de page 1.

[15] Cette question n’aborde pas les raisons pour lesquelles il est possible que l’appelante ait démissionné. Il est très possible qu’une partie appelante ait des raisons extrêmement convaincantes pour avoir quitté son emploi. Tout ce que je cherche à savoir par rapport à cette question, c’est s’il était possible que l’appelante continue de travailler si elle le souhaitait ou si on lui a enlevé ce choix.

[16] Je conclus que l’appelante a quitté volontairement son emploi, car elle avait le choix de rester ou de partir.

[17] Je comprends les arguments de l’appelante selon lesquels elle a subi des pressions et a été forcée par une superviseure à présenter une démission sous la menace d’être congédiée, mais elle n’a pas été congédiée au moment où elle a présenté sa démission; elle aurait pu continuer à travailler. Elle a également déclaré qu’on lui avait offert, et qu’elle avait accepté, un itinéraire de livraison du courrier. Il s’agit d’une autre preuve qu’il y avait du travail disponible pour elle et qu’elle aurait pu continuer à travailler comme factrice si elle avait décidé de ne pas envoyer sa démission.

L’appelante était-elle fondée à quitter volontairement son emploi?

[18] La loi prévoit que l’appelante est exclue du bénéfice des prestations si elle a quitté volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 2. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que l’on était fondé à le faire.

[19] La loi explique ce que signifie « être fondé à ». Elle dit qu’une partie appelante est fondée à quitter son emploi si, au moment où elle l’a fait, son départ était la seule solution raisonnable dans son cas.

[20] C’est à l’appelante de prouver qu’elle était fondée à quitter volontairement son emploiNote de bas de page 3. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnable. Pour décider si l’appelante était fondée à quitter son emploi, je dois examiner toutes les circonstances entourant son départ.

Ce que dit l’appelante

[21] L’appelante affirme qu’elle avait de la difficulté à faire le travail de factrice. Elle n’avait jamais fait ce genre de travail et elle n’avait pas eu la même expérience de formation que tous les autres. Alors que le reste de sa classe était formé par un formateur sur un itinéraire spécifique, ce qui leur permettait d’apprendre l’itinéraire et de s’améliorer, elle passait d’un formateur à l’autre et d’un itinéraire à l’autre.

[22] Elle dit que cela a fait en sorte qu’il était très difficile pour elle d’améliorer ses délais de livraison du courrier parce que chaque fois qu’elle avait un nouvel itinéraire, elle devait tout apprendre à partir de zéro. C’est la connaissance de l’itinéraire qui permet d’être de plus en plus efficace dans la livraison du courrier. 

[23] L’appelante affirme qu’à la fin de son quart de travail un vendredi, on lui a dit qu’il y aurait une rencontre avec une superviseure le lundi après-midi. Elle dit qu’elle voulait qu’une personne de son syndicat soit présente à cette rencontre, mais comme elle avait eu peu de préavis pour la rencontre, elle n’a pas pu joindre le syndicat pour s’assurer d’être représentée.

[24] Lorsqu’elle s’est rendue à la rencontre, il y avait une autre personne avec la superviseure que l’appelante ne connaissait pas. Elle s’est inquiétée quand elle a vu une personne qu’elle ne connaissait pas à la rencontre.

[25] L’appelante affirme que la superviseure lui a dit qu’ils allaient discuter de son rapport de période probatoire et qu’il était mauvais. Elle ne répondait pas aux normes de l’employeur. L’appelante prétend que ce rapport était rempli de renseignements erronés pour la faire mal paraître.

[26] L’appelante affirme que sa superviseure lui a dit que si elle continuait comme elle le faisait, elle serait congédiée. Elle dit qu’on lui a dit que si elle était congédiée, elle aurait de la difficulté à trouver un autre emploi et qu’elle ne serait plus admissible à travailler pour l’employeur à un autre titre.

[27] Par la suite, la superviseure a recommandé à l’appelante de démissionner, plus précisément de son poste de factrice. L’appelante affirme que la superviseure lui a dit que le fait de démissionner seulement de son poste de factrice signifierait qu’elle serait toujours considérée comme une employée, que cela l’empêcherait d’être congédiée et qu’elle pourrait ensuite postuler pour d’autres postes internes.

[28] L’appelante affirme avoir dit à la superviseure qu’elle n’était pas certaine de la façon de rédiger une telle lettre de démission, mais l’autre dame présente lui a assuré que la superviseure l’aiderait avec la lettre.

[29] L’appelante précise également avoir demandé à parler à un monsieur, L. (un employé qui suivait la même formation qu’elle et qui l’avait aidée à postuler pour un poste permanent) parce qu’elle trouvait la situation inhabituelle.

[30] Elle dit que sa superviseure lui a dit de ne pas se donner la peine de parler à L., et qu’ils le feraient pour elle.

[31] L’appelante est ensuite rentrée chez elle. Le lendemain, elle a reçu un appel téléphonique de l’autre dame qui était à la rencontre et celle-ci lui a demandé pourquoi elle n’avait pas encore envoyé sa démission.

[32] L’appelante a dit à l’autre dame que la superviseure ne lui avait pas expliqué comment rédiger la lettre de démission, même si elle lui avait envoyé un courriel.

[33] L’appelante affirme qu’elle a fini par envoyer sa démission ce jour-là. Plus tard dans la semaine, elle a été appelée par L., qui voulait savoir pourquoi elle avait démissionné. L’appelante affirme avoir dit à L. qu’elle quittait son poste de factrice, mais que L. lui a dit que sa démission signifiait qu’elle avait démissionné de l’entreprise, et pas seulement de son poste.

[34] L’appelante dit avoir été choquée lorsqu’elle a entendu cela, car elle ne voulait pas quitter l’entreprise.

[35] L’appelante dit avoir eu l’impression de s’être fait piéger par sa superviseure. Elle affirme que le fait que de faux renseignements aient été inscrits dans son rapport de période probatoire pour la faire mal paraître l’a poussée à démissionner, et que sa superviseure lui a donné de l’information erronée lorsqu’il lui a dit qu’elle pouvait démissionner de son poste sans quitter l’entreprise.

Ce que dit la Commission

[36] La Commission affirme qu’elle ne trouve pas crédible la déclaration de l’appelante selon laquelle on lui a dit de quitter son emploi. Elle dit que les déclarations de l’employeur, selon lesquelles il a averti l’appelante que le congédiement pourrait nuire à sa capacité d’obtenir d’autres emplois, mais sans lui dire de démissionner, sont plus crédibles. Elle dit que l’employeur est plus crédible parce que le rapport de période probatoire précise la volonté de l’employeur d’aider l’appelante.

[37] La Commission soutient qu’il est plus raisonnable de conclure que l’appelante a déduit de la rencontre avec l’employeur qu’il serait préférable de démissionner plutôt que d’être finalement congédiée si elle n’était pas en mesure de répondre aux attentes de l’employeur. Selon la Commission, l’appelante n’a subi aucune pression indue pour quitter son emploi.

Mes conclusions sur la justification

Pression ou coercition indue pour démissionner

[38] J’estime qu’il n’y a pas eu de pression ou de coercition indue sur l’appelante pour qu’elle démissionne.

[39] Je juge que le témoignage de l’appelante n’est pas crédible, car il n’est pas plausible qu’on lui ait dit de donner sa démission lors de la rencontre avec sa superviseure.

[40] Je juge que ce n’est pas plausible parce que cela n’a aucun sens. Créer un faux rapport de période probatoire et mentir à l’appelante en lui disant qu’elle pouvait seulement quitter son poste pour tenter de la forcer à démissionner n’entraînerait qu’une seule chose, la fin du statut d’employée de l’appelante. Celle-ci n’a jamais mentionné qu’il y avait des problèmes ou de l’animosité entre elle et la superviseure, ni une raison plausible pour laquelle la superviseure voudrait essayer de la faire démissionner en lui mentant. J’estime qu’il n’est pas plausible que la superviseure ait falsifié un rapport de période probatoire, puis qu’elle ait tenté de convaincre l’appelante de démissionner pour aucune raison particulière.

[41] J’admets qu’au cours de la rencontre, la superviseure a informé l’appelante que son rendement était médiocre et que si elle continuait ainsi elle serait congédiée. J’accepte cela, car la superviseure a confirmé que la question avait été abordée lors de la rencontreNote de bas de page 4 et que le rapport de période probatoire montre que l’appelante avait un mauvais rendementNote de bas de page 5.

[42] Toutefois, je juge que le fait qu’une superviseure explique à une employée que son rendement ne répond pas à ses attentes et qui lui dit quelles seront les conséquences si elle continue ainsi ne constitue pas de la pression ou de la coercition indue. Ce n’est pas seulement quelque chose qu’un superviseur devrait faire dans sa position, mais c’est quelque chose qu’il est obligé de faire. Si un membre du personnel ne sait pas ce qu’il doit améliorer, il ne peut pas changer la façon dont il fait les choses. De plus, faire comprendre à une employée qu’il est important de répondre aux attentes en expliquant ce qui peut arriver si elle ne le fait pas est également un aspect légitime du travail d’un superviseur.

[43] L’appelante a bel et bien envoyé un courriel à son superviseur pour lui demander de l’aide à rédiger une lettre de démission et à postuler pour un autre poste, mais je juge que ce courriel n’est pas la preuve définitive qu’on lui a dit de démissionner.

[44] Ce courriel ne prouve pas de façon concluante si l’appelante a envoyé ce courriel parce que la superviseure lui avait promis de l’aider à démissionner seulement de son poste, comme l’appelante le fait valoir, ou si elle a conclu qu’elle essayerait de démissionner de son poste pour éviter d’avoir un mauvais rapport de période probatoire ou d’être congédiée et qu’elle voulait obtenir l’aide de son superviseur pour le faire.

[45] En examinant le courriel dans le contexte de tous les autres éléments de preuve, et ma conclusion selon laquelle le témoignage de l’appelante et de sa superviseure, qui lui a dit de démissionner, n’est pas crédible, je juge que ce courriel est simplement le résultat du désir de l’appelante d’essayer d’éviter d’être congédiée en tentant de quitter seulement son poste de factrice et en espérant que sa superviseure puisse l’aider à cet égard.

Solutions raisonnables

[46] J’estime que l’appelante aurait pu continuer à travailler pour son employeur tout en essayant de s’améliorer dans les domaines qu’il avait cernés.

[47] Il aurait s’agit d’une solution raisonnable, car il y avait encore du travail pour l’appelante (elle a déclaré qu’on lui avait offert un itinéraire de livraison et qu’elle l’avait accepté). Même si elle craignait peut-être d’être congédiée, elle ne l’était pas au moment où elle a démissionné. Elle avait toujours un emploi et elle aurait pu continuer à y travailler.

[48] Toutefois, même si j’avais eu tort de conclure que la superviseure de l’appelante n’avait pas exercé de pression sur elle pour qu’elle démissionne, et qu’il lui avait dit d’envoyer une lettre de démission pour éviter d’être congédiée, une autre solution raisonnable s’offrait quand même à l’appelante lorsqu’elle a démissionné.

[49] D’abord, elle aurait pu communiquer avec le syndicat pour discuter de ce qu’elle prétend qu’on lui a dit lors de la rencontre avec sa superviseure. Bien qu’une personne du syndicat n’ait pas pu être présente à la rencontre, rien n’empêchait l’appelante de communiquer avec le syndicat une fois la rencontre terminée. Elle était toujours employée, car elle n’avait pas quitté son emploi le jour de la rencontre ni même au début de la journée suivante, alors elle pouvait encore communiquer avec le syndicat.

[50] L’appelante aurait aussi pu communiquer avec L. après la rencontre. Elle affirme qu’elle voulait lui parler, mais qu’elle hésitait parce qu’elle s’inquiétait de ce qui se passerait si elle passait par-dessus la tête de sa superviseure puisqu’elle lui avait dit qu’elle le ferait.

[51] Toutefois, le témoignage de l’appelante à ce sujet ne correspond pas à ses gestes, et ce n’est pas logique dans le contexte de son propre témoignage.

[52] Premièrement, ce n’est pas logique dans le contexte du témoignage de l’appelante parce que ce qu’elle craignait en parlant à L. était de déranger sa superviseure. Cependant, selon le témoignage de l’appelante, sa superviseure était déjà fâchée contre elle parce qu’elle essayait de la convaincre de démissionner et qu’elle avait fait de fausses allégations dans son rapport de période probatoire. Par conséquent, ne pas parler à L. pour essayer d’éviter quelque chose qui, selon l’appelante, s’était déjà produit n’est pas logique.

[53] Elle a également déclaré que L. lui avait téléphoné à la fin de la semaine et lui avait dit qu’elle avait en fait démissionné de l’entreprise et pas seulement de son poste. Je juge que le fait que l’appelante n’ait pas eu peur de parler à L. plus tard dans la semaine démontre qu’il était raisonnable de lui parler tout de suite après la rencontre de ce qu’elle prétend que sa superviseure lui a conseillé de faire.

[54] Par conséquent, comme j’ai conclu que l’appelante avait d’autres solutions raisonnables, peu importe si elle a subi ou non de la pression pour démissionner (et j’ai conclu qu’elle n’en avait pas subi), elle n’était pas fondée à quitter volontairement son emploi. Par conséquent, elle ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi.

Conclusion

[55] L’appel est rejeté.

[56] Je conclus que l’appelante n’a pas subi de pression indue pour démissionner et qu’elle n’a pas non plus été forcée de démissionner.

[57] Toutefois, même si je me trompais, l’appelante aurait quand même eu d’autres solutions raisonnables que de démissionner, alors elle n’était pas fondée à quitter volontairement son emploi.

[58] Par conséquent, elle ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi.

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