Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : PK c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 344

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : P. K.
Représentante ou représentant : Anthony Luongo
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Lora MacKay

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 26 septembre 2023
(GE-22-2024)

Membre du Tribunal : Stephen Bergen
Mode d’audience : Par écrit
Personnes présentes à l’audience : Représentant de l’appelante
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 5 avril 2024
Numéro de dossier : AD-23-985

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Décision

[1] Je rejette l’appel.

[2] La division générale a commis une erreur d’équité procédurale en concluant que l’employeur avait congédié la prestataire pour inconduite. J’ai corrigé cette erreur pour rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[3] Tout comme la division générale, je conclus que la prestataire devrait être exclue du bénéfice des prestations. Pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi, l’employeur a congédié la prestataire pour inconduite.

Aperçu

[4] P. K. est l’appelante. Je l’appellerai la prestataire parce qu’elle demande des prestations d’assurance-emploi. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a initialement conclu que la prestataire avait quitté volontairement son emploi sans justification. Elle n’est pas retournée au travail lorsque son employeur l’a exigé.

[5] La prestataire n’était pas d’accord et a demandé à la Commission de réviser sa décision. La Commission n’a pas modifié sa décision; la prestataire a donc porté appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[6] La membre de la division générale a convenu que la prestataire n’avait pas quitté volontairement son emploi. Toutefois, elle a également examiné la question de savoir si la prestataire avait plutôt été congédiée pour inconduite. La division générale a conclu que l’employeur de la prestataire l’avait congédiée pour inconduite et elle a décidé que la prestataire était exclue du bénéfice des prestations.

[7] L’appelante a fait appel auprès de la division générale, mais la division générale a rejeté son appel. La prestataire fait maintenant appel devant la division d’appel.

Question en litige

[8] Peut-on soutenir que les actes de la division générale soulèvent une crainte raisonnable de partialité?

Les parties conviennent que la division générale a commis une erreur

[9] Une conférence de règlement a été tenue le 7 mars 2024. Les parties conviennent que la division générale a commis une erreur d’équité procédurale.

[10] La prestataire voulait que je rende la décision que la division générale aurait dû rendre plutôt que de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen. La Commission a accepté, et j’ai accédé à cette demande. Les deux parties ont compris que je réexaminerais le dossier et que cela comprenait la preuve contenue dans l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale.

[11] Les parties ne se sont pas entendues sur ce que devrait être ma décision modifiée. La prestataire m’a demandé d’accueillir son appel, et la Commission m’a demandé de rejeter l’appel.

J’accepte l’entente des parties

[12] En se fondant sur la manière dont la membre de la division générale a procédé à son interrogatoire, la prestataire pourrait raisonnablement croire que la membre de la division générale était partiale.

[13] Dans ma décision relative à la permission de faire appel, j’ai noté un échange particulier au cours duquel la prestataire semblait avoir répondu à une question de la membre, mais la membre a encouragé la prestataire à répondre différemment à la questionNote de bas de page 1.

[14] Lorsqu’elle a donné raison à l’argument de la prestataire selon lequel la division générale avait déjà déterminé le résultat de l’appel, la Commission a renvoyé à la même partie de l’enregistrement audio que celle que j’ai indiquée dans la décision relative à la permission.

[15] La division générale a commis une erreur d’équité procédurale.

Réparation

[16] Je dois décider quoi faire pour corriger l’erreur de la division générale. Je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, ou je peux renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamenNote de bas de page 2.

[17] L’opinion initiale de la Commission était que je renvoie l’affaire à la division générale pour qu’elle réexamine la décision. Il s’agit là de la réparation habituelle pour une erreur d’équité procédurale parce qu’elle offre aux parties la possibilité d’être entendues et veille à ce que toute leur preuve soit examinée par un décideur impartial.

[18] Après réflexion, le représentant de la prestataire m’a demandé de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Je lui ai rappelé que la division d’appel ne pouvait pas recevoir de nouvelles preuves. Je lui ai suggéré que, s’il croyait que la division générale avait procédé d’une manière qui empêchait la prestataire de présenter sa preuve, il pourrait vouloir présenter cette preuve lors d’une nouvelle audience de la division générale devant une ou un autre membre de la division générale.

[19] Toutefois, le représentant de la prestataire a déclaré qu’il ne s’attendait pas à présenter une preuve qui n’était pas déjà incluse dans le dossier de la division générale. Je lui ai demandé s’il craignait que la preuve ne soit influencée par la façon dont la division générale a procédé aux interrogatoires, car c’est notamment ce qui a donné lieu à la perception de partialité. J’ai indiqué clairement que je rendrai ma décision en me fondant sur l’ensemble du dossier de la division générale, y compris l’enregistrement audio de l’audience de la division générale. Il a reconnu avoir certaines préoccupations, mais il a néanmoins voulu que je poursuive et que je rende la décision en me fondant sur le dossier.

[20] Compte tenu des observations du représentant et de la volonté de la Commission d’accepter que le dossier soit complet et que je puisse rendre une décision, j’ai accepté de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

Compétence pour examiner une inconduite

[21] La Commission avait initialement exclu la prestataire du bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’elle avait quitté volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 3. La division générale a plutôt décidé qu’elle avait été congédiée pour inconduiteNote de bas de page 4.

[22] La prestataire a noté que la question de l’inconduite avait été soulevée pour la première fois dans l’appel devant la division généraleNote de bas de page 5. Les parties ont convenu que je rendrai ma décision sur le fondement d’une erreur d’équité procédurale, mais son [sic] argument suppose que je devrais examiner la question de savoir si la division générale avait compétence pour examiner la question de l’inconduiteNote de bas de page 6.

[23] Je vais examiner ce point, car ma propre compétence pour examiner une inconduite dépend de l’exercice approprié par la division générale de sa compétence. Je n’ai compétence que pour réexaminer et corriger les décisions de la division généraleNote de bas de page 7.

[24] Je conviens que la Commission avait initialement décidé que la prestataire était exclue du bénéfice des prestations parce qu’elle avait quitté volontairement son emploi sans justification. Sa décision relative à la demande de révision a simplement confirmé la décision initiale de la Commission. Je reconnais également que la compétence de la division générale découle de la décision relative à la demande de révisionNote de bas de page 8.

[25] Néanmoins, je reconnais que la division générale avait compétence pour examiner la question de savoir si la prestataire devait être exclue pour inconduite. Par extension, j’ai également compétence pour évaluer la décision de la division générale.

[26] La Cour d’appel fédérale a confirmé que la question (dans ce type d’affaire) est liée à l’« exclusion »Note de bas de page 9. Le défaut d’un prestataire de retourner au travail comme l’exigeait l’employeur peut être qualifié ou défini comme un congédiement pour inconduite ou un départ volontaire sans justification, selon les faits.

[27] Comme l’a noté la division générale, la question fondamentale dont elle était saisie était de savoir si la prestataire était exclue au titre de l’article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi. Elle a fait référence à l’affaire Desson, une décision de la Cour d’appel fédéraleNote de bas de page 10.

[28] La décision Desson concernait un prestataire qui, comme l’avait conclu la Commission, avait volontairement quitté son emploi parce qu’il s’attendait à ce que l’employeur le congédie. Selon l’historique d’appel dans la décision Desson, le conseil arbitral (le premier niveau d’appel à l’époque) avait conclu que l’affaire aurait dû être analysée comme une affaire d’inconduite. Il avait accueilli l’appel après avoir conclu qu’aucune inconduite n’était reprochée au prestataire. Le juge-arbitre (le niveau d’appel suivant) a considéré que la question concernait un départ volontaire sans justification. Il a conclu que le prestataire n’avait pas quitté volontairement son emploi.

[29] Lorsque l’affaire est finalement arrivée devant la Cour d’appel fédérale, la Cour a déclaré « qu’il importe peu que l’employeur ou l’employé ait pris l’initiative de mettre fin à la relation employeur-employé lorsqu’il a été mis fin à l’emploi par nécessité et qu’un acte répréhensible est la cause réelle de cette cessation d’emploi ». Elle a poursuivi en déclarant que « [l]e raisonnement est simple : vu que la question de droit en cause concerne une exclusion au titre du paragraphe 30(1) de la Loi, une conclusion en ce sens peut reposer sur l’un ou l’autre des deux motifs d’exclusion prévus par cette disposition, dans la mesure où cette conclusion s’appuie sur la preuve ».

[30] Dans la décision Borden, la Cour d’appel fédérale a adopté cette approche en utilisant des termes presque identiques : « […] il importe peu que l’employeur ou l’employé ait pris l’initiative de mettre fin à la relation employeur-employé. Il a été mis fin à l’emploi par nécessité, et si un acte répréhensible doit être identifié à titre de cause réelle de cette situation soudaine, c’est l’inconduite, indépendamment d’une justification, et ce, selon l’un ou l’autre volet du paragraphe 28(1) [maintenant l’article 30(1) de la version actuelle de la Loi sur l’assurance-emploi]Note de bas de page 11 ».

[31] Quelle que soit la justification initiale de l’exclusion, le Tribunal a compétence pour examiner la question de savoir si une partie prestataire a quitté volontairement son emploi sans justification ou si elle a été congédiée pour inconduite.

La prestataire a-t-elle été congédiée?

[32] La division générale a conclu que l’employeur avait congédié la prestataire parce qu’elle n’était pas retournée au travail lorsqu’elle était censée le faire. La prestataire convient avec la division générale qu’elle n’avait pas quitté volontairement son emploi, mais elle n’est pas d’accord avec le fait qu’elle ait été congédiée.

[33] La prestataire soutient que la preuve portée à la connaissance de la division générale a démontré qu’elle avait en fait [traduction] « démissionné ». Elle renvoie à la lettre qu’elle a signée le 23 février 2023 (lettre de prolongation du délai), notant que la lettre n’indique pas qu’elle serait congédiée pour inconduite. La lettre indique plutôt que [traduction] « l’employeur considérerait que [la prestataire] a démissionné de [son] poste et que son emploi prendra fin » si elle ne retournait pas au travail à la date indiquée.

[34] La prestataire affirme que la division générale a ignoré des preuves selon lesquelles la prestataire avait quitté volontairement son emploi. En même temps, elle affirme que la conclusion de la division générale selon laquelle elle n’avait pas quitté volontairement son emploi n’est [traduction] « pas contestéeNote de bas de page 12 ».

[35] La division générale a conclu que la prestataire ne devait pas être exclue pour avoir quitté son emploi sans justification en raison de sa conclusion selon laquelle la prestataire n’avait pas quitté volontairement son emploi. Si j’acceptais le fait que la division générale a ignoré la preuve pour en arriver à cette conclusion, je devrais corriger l’erreur de la division générale. Cela voudrait dire que je devrais aussi réexaminer la question de savoir si la prestataire avait une justification pour son départ.

[36] Toutefois, la division générale n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a décidé que la prestataire n’avait pas quitté volontairement son emploi, de sorte que je ne réexaminerai pas les conclusions de la division générale.

[37] La prestataire a beaucoup insisté sur le fait que la lettre du 23 février de l’employeur indiquait que celui-ci considérerait que la prestataire avait [traduction] « démissionné » si elle ne retournait pas au travailNote de bas de page 13. La prestataire déclare qu’elle a [traduction] « férocement tenté de réfuter sa “démission” en exprimant son intérêt à demeurer au service de l’employeur et son désir de le faireNote de bas de page 14 ». Peut-être que c’était bien le cas, mais elle n’a pas réussi à le faire. L’employeur ne lui a pas permis de reprendre son travail.

[38] Aux fins de l’assurance-emploi, on peut seulement conclure qu’une partie prestataire a quitté volontairement son emploi si elle avait le choix de rester ou de quitter. L’employeur de la prestataire ne lui a pas donné le choix de rester, après qu’elle ne soit pas retournée au travail le 13 mars. Il est très évident que la prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi.

[39] De plus, la question de savoir si la prestataire a [traduction] « démissionné » ou si elle a été congédiée n’est pas pertinente. S’il est établi que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite, il importe peu de savoir qui de la prestataire ou de l’employeur a pris l’initiative de mettre fin à la relation de travailNote de bas de page 15.

[40] Il peut y avoir une distinction juridique en droit du travail entre un employé qui n’a pas le choix parce qu’il est congédié d’emblée et un employé qui n’a pas le choix parce que l’employeur a considéré qu’il a abandonné son emploi. Toutefois, cette distinction ne s’applique pas dans le contexte de l’assurance-emploi.

La prestataire a-t-elle été congédiée en raison d’une présumée inconduite?

[41] Il revenait à la Commission (ou à la partie qui soulève une allégation d’inconduite) de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les actes de la prestataire correspondent à la définition d’une « inconduite » établie par les tribunaux (voir le paragraphe 39 ci-dessus). Toutefois, elle doit également démontrer que l’employeur a congédié la prestataire en raison de cette inconduiteNote de bas de page 16.

[42] Dans la présente affaire, la présumée inconduite est le fait que la prestataire n’était pas retourné au travail lorsqu’on le lui avait ordonné. L’employeur a informé la prestataire qu’elle devait retourner au travail à une date donnée. Il lui a indiqué qu’elle serait congédiée si elle ne retournait pas au travail à cette date.

[43] Après que la prestataire ne soit pas retournée au travail à la date prévue, elle a discuté avec son employeur. Son employeur a refusé de la reprendre parce qu’elle n’était pas retournée au travail comme on le lui avait ordonné. La prestataire n’a pas suggéré que l’employeur avait d’autres raisons de mettre fin à son emploi.

[44] Je conclus que l’employeur a congédié la prestataire en raison de sa présumée inconduite. Elle n’est pas retournée au travail à la date à laquelle on lui avait ordonné de le faire. Il s’agissait d’une des raisons principales pour lesquelles l’employeur avait mis fin à sa relation d’emploi avec la prestataire, voire la seule raison.

La prestataire a-t-elle commis une « inconduite » selon la Loi sur l’assurance-emploi?

[45] La prestataire n’est pas d’accord avec le fait que son refus de retourner au travail lorsqu’on le lui a demandé constituait une « inconduite ».

[46] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’« inconduite ». Toutefois, les tribunaux ont défini l’inconduite comme suit :

  • La partie prestataire doit avoir commis l’acte ou l’omission qui est considéré comme le fondement de son inconduite.
  • La conduite de la partie prestataire doit être délibérée. La conduite délibérée peut être intentionnelle, consciente ou même imprudenteNote de bas de page 17.
  • La conduite de la partie prestataire était telle qu’elle savait ou aurait dû savoir que :

[47] La prestataire soutient que sa conduite ne peut pas constituer une inconduite parce que ni elle ni l’employeur n’ont considéré sa conduite comme telleNote de bas de page 20.

[48] Toutefois, il importe peu que la prestataire ait considéré ses actes comme une « inconduite ». Il n’est pas non plus important que l’employeur n’ait pas indiqué qu’il la congédiait pour inconduite. La conduite est une « inconduite » si elle correspond à la définition d’« inconduite ». Il s’agit d’une question d’interprétation législative, et non d’un avis personnel.

[49] La Cour d’appel fédérale a conclu que la conduite ne peut être considérée comme une inconduite que s’il s’agit d’une inconduite objectiveNote de bas de page 21. Dans une décision, la Cour a déclaré que l’inconduite doit être établie en fonction de la preuve, « indépendamment de l’opinion de l’employeur ». On ne peut pas conclure à une inconduite en se fondant sur des « conjectures et hypothèsesNote de bas de page 22 ». Dans une autre décision, la Cour a rejeté le raisonnement du juge-arbitre selon lequel l’employeur doit seulement être convaincu « que l’inconduite reprochée justifiait le congédiement […]Note de bas de page 23 ». La Cour a conclu que « le simple fait pour un employeur d’être convaincu que la conduite en question est une inconduite » ne permet pas de s’acquitter du fardeau de la preuveNote de bas de page 24.

[50] En d’autres termes, un employeur ne peut pas considérer les actes ou le comportement d’une partie prestataire comme une « inconduite » simplement en déclarant qu’il s’agit d’une inconduite. Cela signifie qu’une partie prestataire ne peut pas établir que ses actes ne constituent pas une inconduite en affirmant que l’employeur ne les a pas décrits comme une inconduite.

Manquement à une obligation envers l’employeur et connaissance objective de la possibilité de congédiement

[51] Je conviens avec la division générale que la prestataire avait l’obligation envers son employeur de retourner au travail à la fin de son congé approuvé. Que son défaut de retourner au travail soit considéré comme de l’absentéisme ou que son refus de retourner au travail soit considéré comme de l’insubordination, elle a manqué à une obligation envers son employeur lorsqu’elle ne s’est pas présentée au travail alors qu’elle savait qu’elle y était attendue.

[52] Elle savait cela ou aurait dû le savoir. Je conviens également qu’elle savait ou aurait dû savoir que le congédiement était une réelle possibilité si elle ne retournait pas au travail le 13 mars 2023.

[53] La prestataire savait que son employeur s’attendait à ce qu’elle retourne au travail le 7 mars 2023, après avoir prolongé ses vacances d’une semaine. Elle savait que l’employeur avait refusé de lui accorder une prolongation jusqu’au 17 mars 2023 et que celui-ci mettrait fin à son emploi si elle ne retournait pas au travail le 7 mars 2023. L’employeur a communiqué cela de façon expliciteNote de bas de page 25.

[54] Lorsque sa mère est décédée, la prestataire a demandé une autre prolongation, soit du 7 au 15 mars 2023. Cependant, l’employeur lui a seulement accordé une prolongation jusqu’au 13 mars 2023Note de bas de page 26. L’employeur a répondu à trois autres demandes de prolongation du congé de la prestataire en confirmant son opinion précédente, soulignant qu’il s’attendait à ce que la prestataire retourne au travail au plus tard le 13 mars 2023Note de bas de page 27. Il n’a fourni aucune indication que cela était négociable.

[55] La prestataire n’est pas retournée au travail le 13 mars 2023, comme l’avait exigé l’employeur. L’employeur a répondu le jour même en mettant fin immédiatement à son emploiNote de bas de page 28.

[56] La prestataire a reconnu qu’elle savait qu’elle serait congédiée si elle ne retournait pas au travail d’ici le 7 mars, selon la lettre du 23 février 2023 (qu’elle a signée).

[57] Toutefois, l’employeur avait reporté la date limite initiale au 13 mars 2023. La prestataire a témoigné qu’après cette prolongation de son congé, elle ne pensait plus qu’elle serait congédiée si elle ne retournait pas au travail à la date prévue.

[58] Lorsque l’employeur a accepté de reporter la date de retour au travail au 7 mars 2023, il a déclaré que ce changement était assujettie aux [traduction] « mêmes conditions que celles énoncées dans la lettre [du 23 février] ». Dans chacune de ses réponses subséquentes à la prestataire, l’employeur a répété qu’il s’attendait à ce qu’elle retourne au travail selon les [traduction] « mêmes conditions » que celles énoncées dans la lettre du 23 février.

[59] La prestataire a témoigné qu’elle croyait que l’employeur voulait dire qu’elle avait seulement besoin d’envoyer un itinéraire de vol à jourNote de bas de page 29.

[60] La lettre du 23 février lui demandait de fournir son itinéraire de vol initial, y compris son départ initial de Toronto (le vol qu’elle avait initialement réservé lorsqu’elle prévoyait revenir le 28 février). La lettre indiquait également que son emploi prendrait fin si elle ne retournait pas au travail à la date de retour prévue, le 7 mars 2023.

[61] La lettre ne demandait pas à la prestataire de fournir un itinéraire à jour indiquant ses nouveaux plans de voyage. Elle demandait une preuve de ses vols initiaux et du moment où elle les a réservés, ce qui laisse entendre que l’employeur voulait probablement confirmer que la demande de modification de congé de la prestataire était véritablement liée à une circonstance imprévue.

[62] Il n’est pas clair pour quelle raison la prestataire aurait compris que l’insistance de l’employeur sur son retour le 13 mars, selon les mêmes conditions que la prolongation de son congé jusqu’au 7 mars, était une demande pour qu’elle envoie à l’employeur un itinéraire révisé, pour son retour au plus tard le 13 mars ou pour son retour à une date ultérieure.

[63] À mon avis, il est improbable que la prestataire ne savait pas que les [traduction] « conditions » comprenaient l’exigence selon laquelle elle devait retourner travailler d’ici la date prévue sans quoi elle serait congédiée. Même si la prestataire avait compris que les communications qui ont suivi la lettre du 23 février lui demandaient seulement de fournir un itinéraire à jour, l’employeur n’a jamais laissé entendre qu’il allait être moins strict quant à sa nouvelle date limite qu’il ne l’avait été pour sa date limite antérieure. Dans ses nombreuses communications, l’employeur a affirmé qu’il n’accorderait aucune autre prolongation de son congé.

[64] La prestataire a témoigné que son processus d’embauche avait été long et qu’elle ne pensait pas que l’employeur la congédierait à cause de deux jours, mais qu’il s’agissait simplement d’un vœu pieuxNote de bas de page 30. Toutefois, une personne raisonnable se trouvant dans la situation de la prestataire n’aurait pas présumé que l’avertissement qu’a donné l’employeur dans la lettre du 23 février 2023 au sujet d’un congédiement ne s’appliquerait pas non plus à la prolongation du congé jusqu’au 13 mars. Une personne raisonnable aurait reconnu qu’il y avait une réelle possibilité qu’elle soit congédiée si elle ne retournait pas au travail comme on le lui avait demandé.

Caractère délibéré

[65] Je conclus que le fait que la prestataire ne soit pas retournée au travail était également un geste délibéré. Elle était au courant de la date à laquelle l’employeur exigeait qu’elle retourne au travail. Elle a cherché à plusieurs reprises à négocier un retour ultérieur, ce que l’employeur lui a refusé à plusieurs reprises. Elle a témoigné qu’elle aurait pu envoyer une autre [traduction] « dizaine de courriels », mais qu’elle était presque certaine qu’elle obtiendrait la même réponseNote de bas de page 31. Elle n’est donc pas retournée au travail comme on le lui avait demandé.

[66] Rien ne prouve que le fait que la prestataire ne soit pas retournée au travail était un geste inconscient ou accidentel. Au contraire, elle a délibérément choisi de rester dans son pays d’origine pour aider sa famille à traverser une période difficile et pour remplir ses obligations religieuses. Elle avait peut-être de bonnes raisons d’ignorer la directive de l’employeur, mais elle l’a tout de même délibérément ignorée.

[67] L’élément relatif au caractère « délibéré » exige de la partie prestataire qu’elle se livre délibérément à la conduite présumée être une inconduite. Le critère relatif à l’inconduite n’exige pas qu’une partie prestataire croie ou comprenne que ses actes constituent une inconduite. Il n’exige pas non plus que la partie prestataire agisse avec de mauvaises intentions ou qu’elle ait l’intention de perdre son emploi en conséquence.

Application de la décision Astolfi

[68] La prestataire a également soutenu que je devrais appliquer les principes de la décision Astolfi de la Cour fédérale et ainsi tenir compte de la conduite de l’employeurNote de bas de page 32. Dans la décision Astolfi, la Cour a déclaré que la division d’appel aurait dû tenir compte de la conduite de l’employeur avant l’« inconduite » afin d’évaluer correctement « si la conduite de l’employé était intentionnelle ou nonNote de bas de page 33 ».

[69] Les faits dans l’affaire Astolfi étaient différents des faits dans le présent appel. Dans l’affaire Astolfi, l’employeur a harcelé le prestataire. Lorsque le prestataire a répondu à ce harcèlement en travaillant de la maison, l’employeur a exigé qu’il retourne travailler au bureau. Le prestataire a refusé parce que son employeur l’avait harcelé.

[70] La Cour a conclu que le harcèlement de l’employeur qui a mené au refus du prestataire de retourner au bureau était potentiellement pertinent pour savoir si ce refus avait été délibéré. Elle n’a pas indiqué que l’employeur avait agi de façon déraisonnable en obligeant le prestataire à travailler au bureau.

[71] L’employeur n’a pas le droit de harceler son personnel. Dans la décision Astolfi, il est possible que la Cour ait estimé que le harcèlement antérieur de l’employeur avait entravé la capacité du prestataire à ignorer intentionnellement la directive de retourner au bureau. Après tout, l’employeur demandait effectivement au prestataire de se mettre en danger.

[72] Il n’y a rien de fondamentalement déraisonnable dans le fait que l’employeur demande à la prestataire de retourner au travail au plus tard à une date donnée, surtout après lui avoir accordé un temps de congé supplémentaire, puis une autre prolongation. L’employeur a le pouvoir d’accorder des congés ou d’organiser le travail de son personnel afin de gérer ses affaires comme il l’entend.

[73] Plus important encore, rien dans cette affaire ne suggère que la conduite de l’employeur a eu une incidence, ou aurait pu avoir une incidence, sur le caractère délibéré du refus de la prestataire. Par conséquent, l’affaire Astolfi se distingue de la présente affaire.

[74] Je reconnais que la prestataire demandait une nouvelle prolongation de sa période de congé en raison des exigences funéraires liées à sa foi. Elle a soutenu que la conduite de l’employeur était déraisonnable parce que l’employeur avait l’obligation légale de fournir des mesures d’adaptation à la demande de la prestataire, même si cela imposait une contrainte excessive.

[75] Toutefois, le fait que l’employeur n’ait pas respecté d’autres obligations légales ne rend pas le refus de la prestataire moins délibéré. Cela ne veut pas dire que le refus de la prestataire de retourner au travail comme on le lui avait demandé était dû à la conduite de l’employeur.

[76] Si l’employeur ne s’est pas conformé à ses obligations légales, il peut avoir à répondre à la prestataire devant un autre forum. En effet, l’employeur semble avoir réglé ses autres questions concernant la prestataireNote de bas de page 34. Toutefois, cela ne veut pas dire que la prestataire n’est pas exclue du bénéfice des prestations au titre du régime de l’assurance-emploiNote de bas de page 35.

[77] Dans la décision Sullivan de 2024, la Cour a confirmé une décision de la division d’appel selon laquelle [traduction] « le critère relatif à l’inconduite met l’accent sur les connaissances et les actes de l’employée ou de l’employé, et non sur le comportement de l’employeur ou sur le caractère raisonnable de ses politiques au travailNote de bas de page 36 ».

Bénéfice du doute

[78] La prestataire a soutenu que la membre de la division générale n’avait pas tenu compte de l’article 49(2) de la Loi sur l’assurance-emploi, qui exige que la Commission accorde le bénéfice du doute aux prestataires.

[79] Il s’agit d’un appel d’une décision de la division générale où je substitue ma décision à celle de la division générale en guise de réparation pour l’erreur convenue, qui constituait un manquement à l’équité procédurale. Je n’examinerai pas la question de savoir si la division générale a commis une autre erreur.

[80] Je présume que la prestataire soutient que je devrais également lui accorder le bénéfice du doute.

[81] L’article 49(2) exige que la Commission accorde le bénéfice du doute. Cet article ne s’applique ni à la division générale ni à la division d’appelNote de bas de page 37. La division générale a un processus « de novo » dans le cadre duquel la division générale réexamine la preuve de façon indépendante. La division générale réexamine la preuve selon la norme de la prépondérance des probabilités. Lorsque j’évalue la preuve pour substituer ma décision à celle de la division générale, j’applique la même norme.

[82] Quoi qu’il en soit, l’article 49(2) ne s’applique que lorsque les éléments de preuve présentés de part et d’autre sont équivalents. Rien ne suggère que la Commission ou la division générale ait considéré les éléments de preuve présentés de part et d’autre comme équivalents. Je ne conclus pas non plus que les éléments de preuve présentés de part et d’autre sont équivalents.

Fardeau de la preuve

[83] La prestataire a noté que la Commission avait le [traduction] « fardeau » de prouver l’inconduite, mais qu’elle n’avait fourni que des observations limitées sur cette question à la division générale.

[84] Je ne suis pas certain de ce que veut dire la prestataire. Il est vrai que la Commission doit prouver l’inconduite, mais cela concerne le fardeau de la preuve. La Commission n’a pas le [traduction] « fardeau » de présenter des arguments suffisants ou convaincants à la division générale. Le dossier peut parler de lui-même même s’il n’y avait aucune observation.

[85] La division générale doit rendre sa décision en appréciant la preuve et en appliquant la loi, et non en évaluant la qualité ou le caractère suffisant des observations. De même, j’apprécie la preuve et applique la loi, puisque je substitue ma décision à celle de la division générale.

Conclusion

[86] Je rejette l’appel.

[87] La division générale a commis une erreur d’équité procédurale dans la façon dont elle est parvenue à sa décision. Elle a agi d’une manière qui a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité. La prestataire et la Commission sont d’accord.

[88] Toutefois, j’ai pris la même décision que la division générale. Je suis convaincu que l’employeur a congédié la prestataire pour inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La prestataire est donc exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

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