Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 394

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. C.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision rendue par la Commission de
l’assurance-emploi du Canada (629736) datée du
27 décembre 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Rena Ramkay
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 22 février 2024
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 4 mars 2024
Numéro de dossier : GE-24-408

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelantNote de bas de page 1.

[2] L’appelant n’a pas démontré qu’il était fondé à quitter son emploi (c’est-à-dire qu’il avait une raison acceptable selon la loi) quand il l’a fait. L’appelant ne l’a pas prouvé parce que d’autres solutions raisonnables s’offraient à lui. Par conséquent, il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] L’appelant, S. C., a quitté son emploi de garnisseur de tablettes le 20 juillet 2023. Il a demandé des prestations d’assurance-emploi le 13 septembre 2023. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a examiné les raisons du départ de l’appelant. Elle a décidé qu’il avait quitté volontairement son emploi (c’est-à-dire qu’il avait choisi de quitter son emploi) sans justification. Par conséquent, elle ne pouvait pas lui verser de prestations.

[4] Je dois décider si l’appelant a prouvé que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.

[5] L’appelant affirme qu’il n’avait d’autre choix que de quitter son emploi parce qu’il ne pouvait plus se rendre au travail à temps pour son quart à 4 h du matin. Il avait perdu son permis de conduire, il ne pouvait pas prendre le transport en commun et les taxis coûtaient trop cher. L’appelant affirme qu’il éprouvait aussi des problèmes de santé en raison du stress causé par la fin de son couple et le fait qu’il devait déménager. Il avait l’impression que sa vie s’écroulait et il faisait des crises d’anxiété. L’appelant affirme avoir cotisé à l’assurance-emploi et avoir payé ses impôts. Il s’attend donc à toucher des prestations d’assurance-emploi lorsqu’il en a besoin.

[6] La Commission affirme que le départ de l’appelant n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Elle dit qu’il aurait pu :

  • demander des conseils médicaux lui permettant de continuer son congé de maladie;
  • obtenir un certificat médical qui l’aurait aidé à quitter son emploi ou à prendre congé;
  • demander à son employeur de passer à un autre quart de travail de façon temporaire ou permanente pour pouvoir utiliser les transports en commun;
  • déménager plus près de son travail pour s’y rendre à vélo ou à pied.

Question en litige

[7] L’appelant est-il exclu du bénéfice des prestations parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification?

[8] Pour répondre, je dois d’abord aborder la question du départ volontaire de l’appelant. Je dois ensuite décider si l’appelant était fondé à quitter son emploi.

Analyse

Les parties conviennent qu’il s’agit d’un départ volontaire

[9] J’admets que l’appelant a quitté volontairement son emploi. L’appelant convient qu’il a démissionné le 20 juillet 2023. Son relevé d’emploi montre qu’il a démissionnéNote de bas de page 2. Aucune preuve ne le contredit.

Les parties ne s’entendent pas pour dire que le départ était justifié

[10] Les parties ne sont pas d’accord pour dire que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi au moment où il l’a fait.

[11] La loi dit qu’une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 3. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver qu’on était fondé à le faire.

[12] La loi explique la signification de l’expression « être fondé à ». Selon la loi, une personne est fondée à quitter son emploi si son départ était la seule solution raisonnable dans son cas. La loi dit qu’il faut tenir compte de toutes les circonstancesNote de bas de page 4.

[13] C’est à l’appelant de prouver qu’il était fondé à quitter volontairement son emploiNote de bas de page 5. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Autrement dit, il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas. Pour décider si l’appelant était fondé à quitter son emploi, je dois examiner toutes les circonstances entourant son départ.

Ce que dit l’appelant

[14] L’appelant affirme avoir quitté son emploi parce qu’il a perdu son permis de conduire et qu’il n’avait aucun moyen de se rendre au travail pour 4 h du matin. En effet, le 18 décembre 2019, il a été accusé de conduite avec facultés affaiblies et son procès a eu lieu seulement le 23 décembre 2022Note de bas de page 6. L’appelant dit avoir perdu son permis de conduire le 23 décembre 2022, et qu’il pouvait le récupérer après avoir payé son amende. Mais, il n’en avait pas les moyens parce qu’il ne travaillait pas. S’il obtenait ses prestations d’assurance-emploi, il pourrait récupérer son permis et trouver du travail parce qu’il pouvait à nouveau conduire.

[15] L’appelant a expliqué qu’il vivait dans une petite ville voisine de celle de son lieu de travail. Il a déclaré que l’autobus qui relie sa ville à son lieu de travail ne circule pas avant 4 h du matin ni tous les jours ni toutes les heures. Un service de taxi relie les deux endroits, mais l’appelant dit que chaque trajet coûte 60,00 $, ce qui représente presque le salaire qu’il gagne pour un quart de travail. De plus, il est difficile d’obtenir un taxi au départ et à l’arrivée des vols à l’aéroport voisin.

[16] L’appelant affirme que le transport en commun et les taxis n’étaient pas des options raisonnables pour aller travailler. Il a déclaré qu’il avait demandé à un collègue qui vivait plus au nord s’ils pouvaient covoiturer. Ce collègue a accepté de venir chercher l’appelant à environ un kilomètre de son domicile. L’appelant affirme qu’il s’est rendu à pied jusqu’au lieu de rencontre et que son collègue ne s’est pas présenté. Il dit que cela s’est produit à quelques reprises, après quoi il a abandonné le covoiturage.

[17] L’appelant a déclaré qu’il était en congé de maladie juste avant de quitter son emploi. Il dit que son épouse et lui se sont séparés, que les parents de son épouse ont emballé ses affaires, les ont mises dans l’atelier ou le garage et l’ont expulsé de la maison. Il dit qu’il vivait dans un refuge et que la situation lui causait beaucoup de stress et d’anxiété.

[18] L’appelant a mentionné avoir démissionné pour des raisons de santé dans sa demande de prestations. Mais il a soutenu fermement à l’audience qu’il avait dû démissionner parce qu’il ne pouvait plus se rendre au travail après avoir perdu son permis de conduireNote de bas de page 7. L’appelant a dit qu’un billet médical pour lui permettre de continuer son congé de maladie n’aurait pas résolu son problème de ne pas être en mesure de se présenter au travail. Il a dit qu’il avait épuisé ses congés de maladie et qu’il avait besoin d’argent pour payer l’amende et récupérer son permis de conduire. Il ne pouvait pas se permettre de prendre congé sans solde.

[19] Selon l’appelant, un déménagement pour se rapprocher de son lieu de travail n’était pas non plus une option raisonnable, car les loyers en ville étaient trop élevés. Il dit que les logements étaient rares, et que même s’il avait réussi à en trouver un, il n’aurait pas eu les moyens d’y vivre.

[20] Lorsqu’on lui a demandé s’il aurait pu obtenir un horaire de travail différent, l’appelant a répondu qu’il pensait que oui, mais qu’il aurait dû s’informer des horaires d’autobus. Il a répété que les autobus ne circulaient pas régulièrement dans sa ville. De plus, le remplissage des rayons causait trop d’encombrement pour être fait durant les heures d’ouverture. Il aurait donc dû changer de tâches.

Ce que dit la Commission

[21] La Commission affirme que l’appelant n’était pas fondé à quitter son emploi parce que d’autres solutions raisonnables s’offraient à lui à ce moment-là. Plus précisément, elle affirme que l’appelant aurait pu demander un congé à son employeur ou continuer son congé de maladie s’il n’était pas prêt à retourner au travail en raison de ses problèmes de santé. Selon la Commission, l’appelant lui a dit qu’il avait demandé un congé de maladie avant de partir, mais qu’on le lui a refuséNote de bas de page 8. Elle affirme que l’employeur a nié que l’appelant ait demandé un congé ou un congé sans solde avant de partirNote de bas de page 9.

[22] La Commission reconnaît que l’appelant ne pouvait peut-être plus se rendre au travail à 4 h du matin, mais elle affirme qu’il aurait pu demander à changer son quart de travail pour pouvoir prendre l’autobus. Elle dit aussi qu’une autre solution raisonnable aurait été pour l’appelant de se rapprocher de son lieu de travail et s’y rendre à pied ou à vélo. Le vélo et la marche auraient aussi pu être des solutions temporaires en attendant d’avoir une autre solution.

Mes conclusions

[23] Je conclus que l’appelant a démissionné parce qu’il a perdu son permis de conduire et qu’il ne pouvait plus se rendre au travail en voiture. L’appelant a déclaré dans sa demande d’assurance-emploi qu’il était parti pour des raisons de santé, mais il a dit au gérant du magasin que c’était parce qu’il n’avait plus de façon de se rendre au travailNote de bas de page 10. De plus, il a catégoriquement affirmé à l’audience que la perte de son permis de conduire était la seule raison pour laquelle il avait démissionné. Il a dit qu’il aimait son emploi et qu’il n’avait aucun problème au travail.

[24] Je reconnais que l’appelant a vécu des bouleversements et un stress considérable avant et au moment de sa démission. Cependant, j’accepte sa déclaration selon laquelle la principale raison de son départ était la perte de son permis de conduire. Dans son témoignage livré sous serment, il a été ferme et constant au sujet de son départ causé par son impossibilité de conduire.

[25] L’appelant a déclaré avoir perdu son permis de conduire le 23 décembre 2022 et devoir seulement payer une amende pour le récupérer. Il dit que s’il recevait des prestations d’assurance-emploi, il pourrait payer l’amende.

[26] La preuve démontre que l’appelant a quitté son emploi en juillet 2023. Il a donc travaillé pendant plusieurs mois après avoir perdu son permis de conduire et, avant de prendre un congé de maladie, il gagnait de l’argent. J’estime qu’une solution raisonnable pour l’appelant était de payer son amende pendant qu’il travaillait, pour lui permettre de conserver son permis de conduire et de se rendre au travail en auto.

[27] Comme l’appelant a démissionné en juillet 2023, il aurait été sans permis de conduire pendant environ six mois. Il a déclaré qu’il a fait du covoiturage pour une courte période et il a dit à la Commission que son épouse le conduisait au travailNote de bas de page 11. J’admets que son épouse ne pouvait plus le reconduire après leur séparation.

[28] Je suis convaincu que dans sa petite ville, les transports en commun ne permettaient pas à l’appelant de se rendre à son lieu de travail avant 4 h du matin. J’admets également que les taxis étaient trop chers et pas toujours fiables comme moyen de transport.

[29] Cependant, lors de l’audience, l’appelant a dit qu’il supposait qu’il aurait pu demander à son employeur de lui assigner des quarts de travail qui commençaient plus tard. Les transports en commun auraient ainsi été une option acceptable. J’estime qu’il aurait été raisonnable pour l’appelant de demander à son employeur de changer ses quarts de travail et de s’arranger pour prendre l’autobus.

[30] Étant donné que l’appelant a déclaré dans sa demande d’assurance-emploi du 2 mars 2023 que son état de santé avait commencé à nuire à sa capacité de travailler, je peux accepter qu’il avait des difficultés conjugales à cette date. Il a affirmé qu’il ne savait pas à quelle date il avait quitté la maison qu’il partageait avec son épouse ou qu’il en avait été expulsé. Il s’est retrouvé dans un refuge pour hommes.

[31] L’appelant avait affirmé qu’il n’avait pas les moyens de vivre dans la ville où il travaillait, mais il y habite maintenant. Même si son logement est peut-être temporaire, ce fait prouve qu’il avait la possibilité de déménager là. À mon avis, cela soulève des doutes sur l’idée que l’appelant n’avait pas l’option raisonnable de se rapprocher de son lieu de travail. Cependant, il n’y a pas assez d’éléments de preuve pour que je décide que c’était bel et bien une solution raisonnable.

[32] Je conclus que l’appelant n’a pas prouvé qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi. La preuve m’indique que démissionner n’était pas la seule solution raisonnable de l’appelant. D’autres solutions raisonnables auraient été de payer l’amende pour récupérer son permis de conduire pendant qu’il travaillait et avait un revenu, ou demander à son employeur de changer son horaire de travail, de façon temporaire ou permanente, pour lui permettre de prendre le transport en commun.

[33] L’appelant a dit qu’il était frustré de ne pas avoir reçu de prestations d’assurance-emploi. Il a dit qu’il était Canadien, qu’il payait ses impôts et qu’il voulait savoir où était passé l’argent qu’il a versé au régime d’assurance-emploi s’il ne peut pas l’obtenir.

[34] Les prestataires n’ont pas automatiquement droit à l’assurance-emploi. Les prestations sont offertes seulement aux personnes qui remplissent les conditions prévues par la loi. L’assurance-emploi n’est pas un programme d’aide sociale où les prestations sont calculées en fonction des besoins des prestataires. Il existe plutôt des règles précises pour déterminer l’admissibilité, le montant des prestations versées et la durée pendant laquelle les personnes reçoivent des prestations. Le programme n’est pas non plus un compte d’épargne. Ce n’est pas parce qu’une personne cotise au programme d’assurance-emploi qu’elle a droit aux prestations. Les gens qui travaillent payent des cotisations sur toute leur rémunération assurable, jusqu’à l’atteinte d’un maximum annuel, même s’ils n’ont pas l’intention de recevoir des prestations.

Conclusion

[35] Je conclus que l’appelant est exclu du bénéfice des prestations parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification.

[36] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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