Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : KK c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 406

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de prolongation
de délai et de permission de faire appel

Partie demanderesse : K. K.
Représentante ou représentant : Ian Perry
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 23 janvier 2023
(GE-22-1805)

Membre du Tribunal : Solange Losier
Date de la décision : Le 22 avril 2024
Numéro de dossier : AD-24-84

Sur cette page

Décision

[1] Une prolongation du délai pour présenter une demande à la division d’appel est accordée. La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] K. K. est la prestataire dans la présente affaire. Lorsqu’elle a cessé de travailler, elle a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[3] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle ne pouvait pas recevoir de prestations régulières d’assurance-emploi parce qu’elle avait été suspendue et congédiée en raison de sa propre inconduiteNote de bas de page 1.

[4] La division générale est arrivée à la même conclusionNote de bas de page 2. Elle a décidé que la prestataire avait été mise en congé sans solde (suspendue), puis congédiée en raison d’une inconduite parce qu’elle ne s’était pas conformée à la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 de son employeur.

[5] La prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale à la division d’appelNote de bas de page 3. Elle soutient que la division générale a commis une erreur de droit et une erreur de fait importante lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite.

[6] Je rejette la demande de permission de faire appel parce qu’elle n’a aucune chance raisonnable de succès.

Questions en litige

[7] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :

  1. a) La demande à la division d’appel était-elle en retard?
  2. b) Si oui, dois-je prolonger le délai de présentation de la demande?
  3. c) Est-il possible de soutenir que la division générale a commis une erreur de droit ou une erreur de fait importante?

Analyse

La demande à la division d’appel était en retard

[8] La division générale a rendu sa décision le 22 janvier 2023.

[9] La prestataire a écrit que la décision de la division générale lui avait été communiquée le 26 janvier 2023Note de bas de page 4.

[10] Le délai pour déposer une demande à la division d’appel selon les modalités prévues par règlement est de 30 jours suivant la date à laquelle la décision de la division générale a été communiquée par écrit à la prestataireNote de bas de page 5.

[11] Comme la prestataire affirme que la décision de la division générale lui a été communiquée le 26 janvier 2023, les 30 jours commencent à être comptés à partir du lendemain, soit le 27 janvier 2023.

[12] Par conséquent, la date limite de 30 jours pour présenter sa demande à la division d’appel était le 26 février 2023. La date limite d’un an était le 27 janvier 2024.

[13] La prestataire a déposé sa demande à la division d’appel le 22 janvier 2024Note de bas de page 6.

[14] Je juge que la prestataire a présenté sa demande à la division d’appel le 22 janvier 2024. Sa demande était en retard parce que cela faisait plus de 30 jours que la division générale lui avait communiqué sa décision, mais moins d’un an.

Je prolonge le délai pour le dépôt de la demande

[15] Je peux accorder plus de temps pour faire appel si la prestataire fournit une explication raisonnable pour son retardNote de bas de page 7.

[16] Faire une demande à la division d’appel permet à une partie d’expliquer les raisons pour lesquelles elle a déposé son appel en retard. Voici les raisons fournies par la prestataireNote de bas de page 8 :

  • La prestataire a retenu les services d’un avocat le 26 janvier 2023.
  • Son avocat était à l’étranger à ce moment-là alors le dossier a été délégué à un autre membre du cabinet d’avocats pour qu’il remplisse la demande à la division d’appel.
  • Toutefois, la demande n’a pas été déposée et elle a été découverte seulement en janvier 2024, lors de l’examen annuel des questions en suspens de l’entreprise.
  • La demande a ensuite été déposée rapidement au Tribunal.
  • Elle a été déposée dans le délai d’un an et il n’y aura aucun préjudice pour l’une ou l’autre des parties si une prolongation du délai est accordée.
  • Cette question porte sur la sécurité financière de la prestataire.

[17] J’estime que la prestataire a fourni une explication raisonnable pour justifier son retard. Je lui accorde donc une prolongation du délai pour déposer son appel. Elle a fourni des motifs détaillés et, sans qu’elle en soit responsable, sa demande n’a pas été déposée à temps. De plus, j’ai tenu compte du fait que la demande a été déposée dans le délai d’un an à compter de la date où la décision lui a été communiquéeNote de bas de page 9.

Analyse

[18] Un appel peut seulement aller de l’avant si la division d’appel donne la permission de faire appel Note de bas de page 10.

[19] Je dois être convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès Note de bas de page 11. Cela signifie qu’il doit exister un moyen défendable qui permettrait à l’appel d’être accueilli Note de bas de page 12.

[20] Je peux examiner seulement certains types d’erreurs. Je dois surtout vérifier si la division générale aurait pu commettre une ou plusieurs des erreurs pertinentes (que l’on appelle les « moyens d’appel ») Note de bas de page 13.

[21] Les moyens d’appel possibles à la division d’appel sont que la division générale a fait l’une des choses suivantes Note de bas de page 14 :

  • elle a agi de façon injuste;
  • elle a outrepassé ses pouvoirs ou a refusé de les exercer;
  • elle a commis une erreur de droit;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.

[22] Pour que l’appel passe à l’étape suivante, je dois conclure qu’il a une chance raisonnable de succès grâce à l’un des moyens d’appel.

La prestataire soutient que la division générale a commis une erreur de droit et une erreur de fait importante

[23] La prestataire affirme que la division générale a commis une erreur de droit en omettant d’appliquer le critère approprié pour évaluer l’inconduite tel qu’il est énoncé dans une décision appelée LemireNote de bas de page 15.

[24] La prestataire affirme également que la division générale a commis une erreur de fait en omettant de tenir compte des modalités expresses de son contrat de travail, même si la division générale était saisie de cet élément de preuve.

Il est impossible de soutenir que la division générale a commis une erreur de droit

[25] Une erreur de droit peut survenir lorsque la division générale n’applique pas la bonne loi ou lorsqu’elle utilise la bonne loi, mais qu’elle l’interprète ou l’applique incorrectementNote de bas de page 16.

[26] L’inconduite n’est pas définie dans la Loi sur l’assurance-emploi, mais les tribunaux en ont fourni une définition.

[27] La Cour d’appel fédérale définit l’« inconduite » comme étant une conduite délibérée, ce qui signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 17. L’inconduite comprend également une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 18.

[28] La Cour a également affirmé qu’il y a une inconduite si la partie prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers l’employeur et qu’il y avait une possibilité réelle qu’elle soit congédiéeNote de bas de page 19.

[29] La division générale devait décider si la Commission avait prouvé que la prestataire avait été suspendue et congédiée par la suite pour inconduiteNote de bas de page 20.

[30] La division générale a décidé que la prestataire avait été mise en congé sans solde (suspendue), puis congédiée le 1er novembre 2021 parce qu’elle ne s’était pas conformée à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeurNote de bas de page 21. Cette question n’a pas été contestée par les parties.

[31] La division générale a décidé que la prestataire avait été suspendue et congédiée en raison d’une inconduite pour les raisons suivantesNote de bas de page 22. Elle a dit que la prestataire avait été informée de la politique de vaccination de l’employeur et de l’obligation de se faire vacciner contre la COVID-19 dans un délai précis. Elle a demandé une exemption religieuse de la politique, mais l’employeur a refusé. La division générale a conclu que la prestataire avait agi délibérément et qu’elle savait que le non-respect de la politique mènerait à son congédiement.

[32] La division générale a également souligné que la prestataire n’avait pas contesté le caractère délibéré de ses actions ni le fait qu’elle connaissait ou aurait dû connaître les conséquences de ses actesNote de bas de page 23.

[33] La prestataire soutient que la division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas appliqué le critère énoncé dans la décision Lemire.Note de bas de page 24 Cependant, il est impossible de soutenir que la division générale a commis une erreur de droit pour les raisons suivantes.

[34] La division générale a cerné la bonne loi et s’est appuyée sur la définition d’inconduite de la Cour dans sa décisionNote de bas de page 25. Elle a appliqué le critère juridique d’inconduite susmentionné en se fondant sur la Loi sur l’assurance-emploi et la jurisprudence pertinente.

[35] La prestataire a fait référence au paragraphe 14 de la décision Lemire dans son appel, mais elle en a omis une partieNote de bas de page 26.

[36] Le paragraphe 14 de la décision Lemire dit ce qui suit :

« Pour déterminer si l’inconduite pourrait mener à un congédiement, il doit exister un lien de causalité entre l’inconduite reprochée au prestataire et son emploi; l’inconduite doit donc constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail ». [C’est moi qui souligne.]

[37] La Cour affirme qu’une condition d’emploi expresse ou implicite peut être une exigence concrète ou plus abstraiteNote de bas de page 27. Dans Nelson et Kuk, la Cour a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’inclure la politique écrite d’un employeur dans le contrat initial d’un employé pour fonder une conclusion d’inconduiteNote de bas de page 28.

[38] Dans la présente affaire, l’employeur de la prestataire était un hôpital et il a mis en place une politique de vaccination pour réduire le risque d’infection et de transmission de la COVID-19. Il exigeait que la prestataire soit vaccinée contre la COVID-19 pour pouvoir travailler. Ainsi, le respect de la politique était clairement une obligation essentielle de l’emploi de la prestataire, peu importe si cela était mentionné dans son contrat de travail. 

[39] De même, la Cour a conclu à une inconduite dans l’affaire Cecchetto, où un autre demandeur qui travaillait également dans un hôpital a été congédié pour inconduiteNote de bas de page 29. Il a également refusé de se faire vacciner contre la COVID-19, ce qui allait à l’encontre de la politique de vaccination de son employeur. Il n’avait pas d’exemption approuvée. Il a volontairement décidé de ne pas se conformer à la politique de vaccination de l’employeur, donc cela a été considéré comme une inconduite et il n’a pas eu droit aux prestations d’assurance-emploi.

[40] La Cour a également souligné la compétence limitée du Tribunal dans la décision Cecchetto, au paragraphe 32 :

Bien que le demandeur soit manifestement frustré du fait qu’aucun des décideurs n’a examiné ce qu’il considère comme étant les questions fondamentales de droit ou de fait qu’il a soulevées – notamment quant à l’intégrité physique, au consentement à des tests médicaux, ainsi qu’à l’efficacité et à l’innocuité des vaccins contre la COVID-19 ou des tests antigéniques – cela ne rend pas pour autant la décision de la division d’appel déraisonnable. Le principal problème avec cet argument du demandeur vient du fait qu’il reproche aux décideurs de ne pas avoir examiné une série de questions qu’ils ne sont pas légalement autorisés à examiner.

[41] Dans l’affaire Butu, la Cour explique que le critère énoncé dans la décision Lemire pour l’inconduite est différent selon la Loi sur l’assurance-emploi par rapport à un contexte de droit du travail. Se référant à la décision Lemire, la Cour a précisé que la question de savoir si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail est plutôt de savoir, selon une appréciation objective de la preuve, si l’inconduite était telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible d’entraîner son congédiementNote de bas de page 30.

[42] Plus précisément, la Cour soutient que la division générale n’avait pas besoin d’établir si elle était incapable d’accomplir les tâches propres à son emploi sans être vaccinée. Elle devait plutôt évaluer si la prestataire était incapable de remplir son obligation envers son employeur de pouvoir se présenter au travail, ce qui exigeait que tous les membres du personnel se conforment à la politiqueNote de bas de page 31.

[43] La prestataire a également fait référence à une autre décision de la division générale contenant des faits semblablesNote de bas de page 32. Cependant, la division générale a déclaré à juste titre qu’elle n’a pas à suivre les autres décisions du Tribunal et elle a expliqué pourquoi dans sa décisionNote de bas de page 33.

[44] Enfin, la division générale a concentré à juste titre son analyse sur la conduite de la prestataire et non sur celle de l’employeur. C’est ce que la jurisprudence dit de faire et la division générale doit suivre les décisions de la Cour.

[45] Il est impossible de soutenir que la division générale a commis une erreur de droitNote de bas de page 34. Elle a bien cerné la loi et l’a appliquée en se fondant sur la jurisprudence pertinente. De plus, il y a une jurisprudence récente qui s’applique.

Il est impossible de soutenir que la division générale a commis une erreur de fait importante

[46] Il y a une erreur de fait lorsque la division générale a [traduction] « fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance »Note de bas de page 35.

[47] Par conséquent, je peux intervenir si la division générale a fondé sa décision sur une erreur importante concernant les faits de l’affaire. Cela implique d’examiner certaines des questions suivantesNote de bas de page 36 :

  1. a) La preuve contredit-elle carrément l’une des principales conclusions de la division générale?
  2. b) Y a-t-il des éléments de preuve qui pourraient appuyer rationnellement l’une des principales conclusions de la division générale?
  3. c) La division générale a-t-elle ignoré des éléments de preuve essentiels qui contredisent l’une de ses principales conclusions?

[48] La prestataire affirme que la division générale n’a pas tenu compte des conditions expresses de son contrat de travail, même si elle disposait de cette preuve.

[49] La division générale n’a pas ignoré le fait que la prestataire avait un contrat de travail et qu’il n’incluait pas une disposition expresse exigeant la vaccination contre la COVID-19. Elle n’était tout simplement pas d’accord avec elleNote de bas de page 37. Elle a plutôt conclu que la vaccination contre la COVID-19 était une condition essentielle au maintien de son emploiNote de bas de page 38.

[50] Comme je l’ai mentionné plus haut, une condition d’emploi explicite ou implicite peut être une exigence concrète ou plus abstraiteNote de bas de page 39. Il n’est pas nécessaire d’inclure la politique écrite de l’employeur dans le contrat initial de l’employé pour fonder une conclusion d’inconduite.

[51] La division générale a jugé que la prestataire avait été informée de la politique de vaccination de l’employeur. Elle a eu le temps de s’y conformer, mais elle ne l’a pas fait avant la date limite. Elle a également été informée des conséquences du non-respect de la politiqueNote de bas de page 40. La division générale a conclu que la prestataire a agi délibérément et qu’elle a choisi de ne pas se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur, ce qui a mené à son congédiementNote de bas de page 41.

[52] Un appel à la division d’appel n’est pas une nouvelle audience. Je ne peux pas réévaluer la preuve pour en arriver à une conclusion différente qui est plus favorable pour la prestataireNote de bas de page 42.

[53] Il est impossible de soutenir que la division générale a commis une erreur de fait importanteNote de bas de page 43. Elle n’a pas ignoré ou négligé le contrat de travail. Elle a conclu que la vaccination contre la COVID-19 était une condition de son maintien au travail.

Il n’y a aucune autre raison de donner à la prestataire la permission de faire appel

[54] Il est impossible de soutenir que la division générale a commis une autre erreur révisableNote de bas de page 44. J’ai examiné le dossier et la décision de la division généraleNote de bas de page 45. Je n’ai trouvé aucun élément de preuve pertinent que la division générale aurait pu ignorer ou mal interpréter.

Conclusion

[55] Une prolongation de délai est accordée. La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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