Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : FY c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2023 TSS 2011

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : F. Y.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (613562) datée du 15 septembre 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Elyse Rosen
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 7 novembre 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 9 novembre 2023
Numéro de dossier : GE-23-2823

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] L’appelant n’était pas fondé à quitter volontairement son emploi. C’est donc dire que l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] L’appelant travaillait dans un laboratoire de recherche. Il travaillait sur une base contractuelle.

[4] Il y avait trop de travail à accomplir et il manquait de personnel à cette fin. Cela se traduisait par de nombreuses heures supplémentaires et aucune possibilité de prendre congé sans compromettre la recherche.

[5] De plus, le travail nécessitait beaucoup de précision. Cet élément, jumelé au volume de travail, rendait les conditions de travail de l’appelant très stressantes. Il a commencé à ressentir des symptômes liés au stress.

[6] L’appelant a refusé de renouveler son contrat lorsqu’il a pris fin. Il a demandé des prestations d’assurance‑emploi.

[7] La Commission de l’assurance‑emploi du Canada affirme qu’elle ne peut pas verser des prestations à l’appelant parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification.

[8] L’appelant n’est pas d’accord. Il affirme qu’il n’a pas quitté volontairement son emploi. Son contrat a pris fin et on ne lui avait pas dit qu’il serait renouvelé avant la toute dernière minute. Il a proposé de nouvelles conditions et celles‑ci ont été refusées.

[9] De plus, il affirme qu’il était fondé à quitter son emploi. Il devait faire des heures supplémentaires excessives et les conditions de travail présentaient un danger pour sa santé et sa sécurité. Il affirme qu’il était justifié de ne pas accepter de renouveler le contrat.

Question que je dois examiner en premier

Un nouveau document a été ajouté au dossier

[10] À l’audience, l’appelant a déclaré qu’il avait communiqué avec son employeur avant la fin de son contrat. Il voulait savoir si le contrat serait renouvelé au terme de celui‑ci. Il m’a dit qu’il m’enverrait une copie du courriel qu’il avait fait parvenir à son superviseur pour lui demander si son contrat serait renouvelé. Je lui ai donné du temps pour me transmettre.

[11] L’appelant a envoyé une copie du courriel au Tribunal le lendemain, dans le délai que je lui avais donné. On lui a attribué la mention GD9.

[12] Je n’ai pas donné à la Commission l’occasion de présenter des observations sur la copie du courriel portant la mention GD9. Et ce pour les raisons qui suivent :

  • Le courriel corrobore simplement le témoignage de l’appelant.
  • La Commission n’a pas assisté à l’audience. Si elle y avait assisté, elle aurait pu présenter des observations sur les renseignements contenus dans le courriel.
  • Le courriel ne devrait pas prendre la Commission par surprise, car la page GD3-24 reflète une grande partie de son contenu.
  • Le fait de retarder la présentation des observations à la Commission repousserait ma décision, ce qui serait injuste pour l’appelant.
  • Il n’y a pas d’autres considérations d’équité qui m’obligeraient à le faire.

[13] Le document GD9 comprend également un exposé circonstancié des faits, qui reprend surtout le témoignage de l’appelant à l’audience. Je n’ai pas donné à l’appelant la permission de m’envoyer ce récit, et je ne l’accepte pasNote de bas de page 2. Et je ne crois pas qu’il ajoute quoi que ce soit au dossier. Je m’appuierai sur ce qu’il m’a dit à l’audience et non sur son autre résumé des faits tel qu’il figure dans le document GD9.

[14] Par conséquent, le document GD9 fera partie du dossier, mais seulement le courriel daté du 25 janvier 2023 envoyé par l’appelant à son superviseur.

Questions en litige

[15] L’appelant a-t-il quitté son emploi volontairement?

[16] Dans l’affirmative, était-il fondé à quitter son emploi?

Analyse

L’appelant a-t-il quitté son emploi volontairement?

[17] L’appelant soutient qu’il n’a pas quitté volontairement son emploi.

[18] Le contrat de l’appelant devait prendre fin le 13 février 2023. C’était un lundi. Le contrat stipule qu’il n’est pas sujet à renouvellement.

[19] Quelques semaines avant la date de fin du contrat, l’appelant a communiqué avec son employeur pour lui indiquer qu’il serait prêt à renouveler le contratNote de bas de page 3. Toutefois, il voulait que le renouvellement se fasse selon des modalités différentes. Son employeur n’a pas répondu à sa proposition.

[20] Le vendredi précédant la fin prévue de son contrat, l’appelant a écrit à son superviseur pour confirmer qu’il comprenait que le contrat était terminé. Il a dit à son superviseur qu’il avait l’intention de prendre congé le lundi, son dernier jour, à titre de jour personnel.

[21] Plus tard ce vendredi soir, son superviseur lui a envoyé un renouvellement de contrat. Le lundi 13 février 2023, l’appelant a écrit à son superviseur qu’il n’était pas prêt à accepter le nouveau contrat. Il a réitéré qu’il souhaitait que certains problèmes soient réglés et qu’une augmentation de salaire lui soit accordée avant qu’il accepte un renouvellement de contrat. Son employeur n’était pas prêt à accepter ces conditions, de sorte que le contrat de l’appelant n’a pas été renouvelé.

[22] L’appelant affirme qu’il ne travaille plus parce que son contrat a pris fin, que l’offre de renouvellement est arrivée à la dernière minute et que son employeur n’était pas prêt à accepter ses nouvelles conditions. Il dit qu’il serait resté si son employeur avait répondu à ses préoccupations concernant ses conditions de travail et son salaire. Il soutient qu’il n’a pas quitté volontairement son emploi.

[23] Il est clair que la relation d’emploi entre l’appelant et son employeur a pris fin parce que le contrat de l’appelant s’est terminé et n’a pas été renouvelé. Il ne l’a pas été parce que les parties n’arrivaient pas à s’entendre au sujet des modalités. Donc, on ne peut vraiment dire que l’une ou l’autre des parties a amorcé le licenciement de l’appelant. La loi considère néanmoins que l’appelant a quitté volontairement son emploi. En effet, la définition de départ volontaire dans la loi comprend le refus d’une offre d’emploi qui vous permettrait de continuer à travaillerNote de bas de page 4.

[24] L’appelant convient qu’il a reçu une offre de renouvellement du contrat et qu’il l’a refusée. Je conclus donc que l’appelant a quitté volontairement son emploi.

L’appelant était-il fondé à quitter volontairement son emploi?

[25] Je conclus que l’appelant n’était pas fondé à refuser de renouveler son contrat.

[26] Selon la loi, la partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 5. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que la personne était fondée à poser ce geste.

[27] La loi prévoit qu’une personne a une justification si son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas.

[28] Je dois tenir compte de toutes les circonstances au moment où l’appelant a quitté son emploi lorsque je décide s’il avait une solution de rechange raisonnable à son départNote de bas de page 6. La loi énonce certaines des circonstances que je dois examinerNote de bas de page 7.

[29] Il appartient à l’appelant de prouver qu’il avait une justification. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. C’est donc dire qu’il doit démontrer qu’il est plus probable que le contraire que son refus de renouveler le contrat constituait la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 8.

Les circonstances dans lesquelles l’appelant se trouvait

[30] La loi fournit une liste des circonstances que je devrais prendre en considération lorsque je décide si une partie prestataire est fondée à quitter son emploi. Elles comprennent les conditions de travail dangereuses pour la santé et la sécurité et un excès d’heures supplémentaires et la non-rémunération de celles‑ci.

i. Les conditions de travail dangereuses pour la santé et la sécurité

[31] Je ne crois pas que les conditions de travail de l’appelant étaient dangereuses pour sa santé et sa sécurité.

[32] L’appelant a déclaré que le travail qu’il effectuait exigeait beaucoup de précision. Selon lui, la précision requise, jumelée au volume de travail, se révélait extrêmement stressante.

[33] Je ne doute pas que ce fut le cas. Toutefois, je ne suis pas en mesure de conclure que le travail était exigeant au point d’être dangereux pour sa santé et sa sécurité. Et ce pour les raisons qui suivent :

  • il n’y a aucune preuve que l’appelant a éprouvé de graves problèmes de santé en raison de son travailNote de bas de page 9
  • l’appelant n’a fourni aucune preuve médicale concernant les répercussions de son travail sur sa santé
  • l’appelant n’a pas communiqué avec la Commission des normes du travail pour déclarer que ses conditions de travail étaient dangereuses pour la santé et la sécuritéNote de bas de page 10
  • l’appelant était disposé à demeurer en poste si son employeur lui accordait une augmentationNote de bas de page 11

ii. Heures supplémentaires excessives et non rémunérées

[34] L’appelant affirme que son superviseur avait des demandes irréalistes concernant la quantité de travail requise des chercheurs. Et le nombre de chercheurs qui travaillaient au projet était insuffisant. Il a donc dû effectuer de très longues heures de travail, qui ne lui ont pas été rémunérées.

[35] Au cours de son témoignage, l’appelant a expliqué qu’en raison de la nature de la recherche scientifique, une fois qu’une tâche est commencée, elle ne peut être laissée avant d’être terminée. Le fait de laisser une tâche inachevée pourrait entraîner la perte de tout le travail effectué à ce jour. Il affirme que pour cette raison, on s’attend à ce que les chercheurs fassent des heures supplémentaires. Vous ne quittez pas le poste tant que la tâche que vous avez commencée n’est pas terminée. Et vous ne prenez pas de journée de congé tant que vous n’avez pas terminé un travail qui, s’il était incomplet, compromettrait la recherche.

[36] Ses collègues et lui se sont plaints à maintes reprises au superviseur du volume de travail et des longues heures qu’ils avaient à faire, mais leurs plaintes sont restées lettre morte. Le superviseur de l’appelant lui a dit que s’il trouvait le travail trop exigeant, il pouvait prendre congé lorsqu’il en ressentait le besoin.

[37] La situation s’est aggravée lorsqu’une de ses collègues a démissionné. Il affirme qu’elle était extrêmement mécontente de leurs conditions de travail. Une autre collègue est partie peu après en congé de maternité. L’appelant, qui était déjà surtaxé, s’est donc retrouvé à devoir accomplir le travail de trois personnes.

[38] L’appelant affirme qu’il n’a jamais été en mesure de prendre de congé et qu’il a travaillé de très longues heures chaque jour — de huit à neuf heures en poste, puis des heures supplémentaires de paperasse une fois rentré à la maison.

[39] L’appelant affirme qu’il n’était pas payé pour les heures supplémentaires.

[40] Bien que l’appelant reconnaisse qu’il n’était peut-être pas tenu par contrat d’effectuer autant d’heures supplémentairesNote de bas de page 12, devant les demandes déraisonnables de son employeur, son intégrité professionnelle l’a contraint à effectuer ces heures. Il n’était pas prêt à perdre le temps et les efforts que lui et ses collègues avaient consacrés au projet en refusant de terminer les dossiers en cours qui nécessitaient son attention soutenue.

[41] J’admire l’intégrité professionnelle de l’appelant et sa volonté de faire ce qu’il faut pour accomplir le travail. C’est cependant une exigence qu’il s’imposait lui-même. Il ne s’agit pas d’une exigence imposée par son employeur.

[42] Pour être visée par cet article de la loi, une partie prestataire doit être contrainte par son employeur de faire des heures supplémentaires. Cela ne s’applique pas lorsque la partie prestataire le fait par choix.

[43] Cela dit, j’admets que les conditions de travail de l’appelant étaient très difficiles.

[44] Je dois maintenant décider si l’appelant n’avait pas d’autre solution raisonnable que de refuser le renouvellement proposé de son contrat compte tenu des circonstances dans lesquelles il se trouvait.

L’appelant avait d’autres solutions raisonnables

[45] Je conclus que l’appelant avait d’autres solutions raisonnables que de refuser de renouveler son contrat.

[46] La Commission affirme que l’appelant n’a pas épuisé toutes les solutions de rechange raisonnables lorsqu’il a refusé de renouveler son contrat. Elle soutient qu’il n’a soulevé les problèmes qu’il avait relativement à ses conditions de travail qu’après avoir pris la décision de ne pas renouveler son contrat.

[47] Cependant, la preuve n’appuie pas la thèse de la Commission.

[48] L’appelant a déclaré que ses collègues et lui avaient parlé à de nombreuses reprises avec son superviseur, au cours de 2022, des attentes déraisonnables de leur superviseur et de la charge de travail excessive. Son témoignage était sincère, convaincant et crédible. Il était très animé lors de son témoignage, visiblement bouleversé d’avoir été placé dans les conditions impossibles dans lesquelles il travaillait.

[49] Son témoignage concorde avec l’explication écrite qu’il a fournie à la Commission au moment de sa demande de révision. Dans cette explication écrite, il confirme avoir communiqué ses préoccupations au sujet de ses conditions de travail à son employeur bien avant l’expiration de son contratNote de bas de page 13.

[50] Les notes tirées d’une conversation entre l’appelant et la Commission tenue le 14 septembre 2023 laissent entendre que l’appelant aurait dit qu’il avait informé son employeur de ses préoccupations au sujet de ses conditions de travail seulement après avoir décidé de ne pas accepter l’offre de renouvellementNote de bas de page 14. La Commission s’en remet à ces notes pour soutenir qu’il aurait dû parler à son employeur plus tôt.

[51] L’appelant insiste pour affirmer qu’il n’a jamais dit qu’il n’a parlé à son employeur qu’après avoir pris la décision de ne pas renouveler son contrat. Je le crois.

[52] L’appelant affirme que la Commission a fabriqué les notes de la conversation du 14 septembre 2023 et qu’elle était manifestement partiale à son égard. Je ne crois pas que ce soit le cas.

[53] L’appelant parle anglais, mais ce n’est pas sa langue maternelle. J’ai constaté qu’il ne s’exprimait pas toujours aussi clairement qu’une personne dont la langue maternelle est l’anglais. Je crois que la Commission l’a tout simplement mal compris. Je crois qu’elle a confondu l’employeur de l’appelant avec le service des ressources humaines de l’appelantNote de bas de page 15.

[54] Il ressort clairement de la preuve dont je suis saisie que l’appelant a parlé à son superviseur de ses conditions de travail difficiles à plusieurs reprises avant de décider de ne pas renouveler son contrat. Il l’a fait pour que son superviseur réponde à ses préoccupations au sujet de la charge de travail.

[55] L’appelant a effectué une nouvelle tentative pour régler ces problèmes lorsqu’il a reçu le projet de renouvellement du contratNote de bas de page 16. Il a rappelé à son superviseur qu’il tentait depuis un certain temps de les réglerNote de bas de page 17.

[56] Donc, contrairement à ce que la Commission affirme, j’admets que l’appelant a bel et bien abordé ses problèmes sur le plan des conditions de travail avant de décider de ne pas renouveler son contrat. J’admets en outre qu’il l’avait fait à plusieurs reprises pendant une période prolongée. Cependant, cela ne signifie pas qu’il a épuisé toutes les solutions raisonnables.

[57] Il ressort clairement de la preuve que, même si les conditions de travail de l’appelant étaient très difficiles, il était prêt à renouveler son contrat et à donner plus de temps à son employeur pour régler les problèmes qu’il avait soulevés. Il voulait cependant obtenir une augmentation de salaireNote de bas de page 18.

[58] Le fait que l’appelant n’ait pas obtenu l’augmentation de salaire demandée ne signifie pas qu’il n’avait d’autre choix que de refuser de renouveler son contrat. Il aurait pu continuer à travailler au même salaire pendant qu’il cherchait un autre emploi comportant de meilleures conditions de travail et un meilleur salaire. Il aurait pu prendre plus de jours de congé, comme son superviseur l’avait suggéré. Ou il aurait pu cesser de faire les heures supplémentaires auxquelles il n’était pas tenu par contrat, même si cela pouvait compromettre la recherche. S’il l’avait fait, son employeur aurait peut-être embauché plus de chercheurs et de chercheuses pour l’aider, et ses conditions de travail auraient pu s’améliorer. Refuser de renouveler son contrat n’était pas la seule option qui s’offrait à lui.

[59] L’appelant ne peut pas s’attendre à ce que le régime d’assurance‑emploi lui verse des prestations alors qu’il aurait pu continuer à travailler, même si le taux horaire était inférieur à ce qu’il estimait justeNote de bas de page 19.

[60] Je conclus que l’appelant avait d’autres solutions raisonnables que de refuser de renouveler son contrat. Il n’est donc pas fondé à ne pas le faire.

Conclusion

[61] L’appel est rejeté.

[62] Je conclus que l’appelant n’était pas fondé à ne pas renouveler son contrat. Pour cette raison, l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

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