Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AK c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 2004

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : A. K.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de
l’assurance emploi du Canada (581421) datée du
23 mars 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Suzanne Graves
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 24 août 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 30 novembre 2023
Numéro de dossier : GE-23-1404

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] L’appelante n’a pas démontré qu’elle avait un motif valable justifiant le retard pendant toute la période de retard de sa demande de prestations, soit du 1er octobre 2017 au 3 novembre 2022. Autrement dit, l’appelante n’a pas fourni une explication que la loi accepte. Par conséquent, sa demande initiale ne peut être traitée comme si elle avait été présentée plus tôtNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] L’appelante a demandé des prestations de maladie de l’assurance‑emploi le 3 novembre 2022. Elle demande que sa demande soit traitée comme si elle avait été présentée plus tôt, soit le 1er octobre 2017. La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a déjà refusé cette demande.

[4] Je dois décider si l’appelante a prouvé qu’elle avait un motif valable de ne pas demander des prestations plus tôt.

[5] La Commission soutient que l’appelante n’avait pas de motif valable parce qu’elle a attendu cinq ans pour présenter une demande de prestations. Elle indique qu’elle n’a pas communiqué avec son employeur ou avec la Commission pour confirmer ses droits et ses obligations.

[6] L’appelante n’est pas d’accord. Elle fait valoir qu’elle a tenté à plusieurs reprises de communiquer avec la Commission au sujet de sa demande de 2017, mais qu’elle n’a pas pu obtenir les renseignements dont elle avait besoin. Elle pensait qu’une demande de prestations sur papier lui serait envoyée par la poste, car c’était le processus qu’elle avait suivi dans une demande de prestations antérieure.

[7] Elle affirme s’être butée à d’importants obstacles à la communication entre elle et la Commission, car elle est sourde. Les processus de la Commission ne lui permettaient pas alors d’avoir recours au langage des signes. Comme l’anglais n’est pas sa langue maternelle, elle ne pouvait pas non plus se rendre dans un bureau de Service Canada et échanger des notes écrites avec une personne sur place pour s’enquérir de sa demande de prestations.

J’accepterai les documents envoyés après l’audience

[8] À l’audience, l’appelante a demandé du temps pour envoyer de nouveaux documents établissant ses tentatives de communiquer avec Service Canada entre 2017 et 2022 au sujet de sa demande. L’appelante a par la suite écrit au Tribunal pour demander un délai supplémentaire en raison des retards de traitement d’une tierce partie, le service de relais vidéo.

[9] J’ai accordé plus de temps à l’appelante pour obtenir les dossiers. Elle a envoyé un document indiquant les dates des communications du service de relais vidéo avec la Commission en 2021 et 2022. J’ai accepté les documents, car ils sont pertinents pour la question dont le Tribunal est saisi. Le Tribunal a transmis les dossiers à la Commission et lui a laissé le temps de répondre.

[10] J’ai également demandé à la Commission de fournir des dossiers de toutes les communications entre l’appelante et la Commission entre 2017 et 2022. La Commission a envoyé ses dossiers. J’ai transmis ces documents à l’appelante et je lui ai laissé le temps de répondre.

Question en litige

[11] La demande initiale de prestations de l’appelante peut‑elle être traitée comme si elle avait été présentée le 1er octobre 2017? C’est ce qu’on appelle antidater la demande initiale.

Analyse

[12] Pour que sa demande initiale de prestations soit antidatée, une personne doit prouver les deux éléments suivantsNote de bas de page 2 :

  1. a) Qu’elle avait un motif valable justifiant son retard durant toute la période écoulée. Autrement dit, qu’elle avait une explication acceptable selon la loi.
  2. b) Qu’à la date antérieure (c’est-à-dire la date à laquelle elle veut que sa demande initiale soit antidatée), elle était admissible aux prestations.

[13] Dans la présente affaire, les arguments principaux portent sur la question de savoir si l’appelante avait un motif valable. Je vais donc commencer par cette question.

[14] Pour démontrer qu’elle avait un motif valable, l’appelante doit prouver qu’elle a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblablesNote de bas de page 3. Autrement dit, elle doit démontrer qu’elle a agi comme une personne raisonnable et réfléchie l’aurait fait dans une situation semblable.

[15] L’appelante doit le prouver pour toute la période du retardNote de bas de page 4. Cette période s’échelonne de la date à laquelle elle veut que sa demande initiale soit antidatée à la date à laquelle elle a effectivement présenté cette demande. Par conséquent, dans le cas de l’appelante, la période du retard s’étend du 1er octobre 2017 au 3 novembre 2022.

[16] L’appelante doit aussi démontrer qu’elle a vérifié assez rapidement si elle avait droit à des prestations et quelles obligations la loi lui imposaitNote de bas de page 5. Cela signifie que l’appelante doit démontrer qu’elle a fait de son mieux pour essayer de s’informer sur ses droits et ses responsabilités dès que possible.

[17] Si l’appelante n’a pas pris de telles mesures, elle doit démontrer que des circonstances exceptionnelles l’en ont empêchéeNote de bas de page 6.

[18] L’appelante doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle avait un motif valable justifiant le retard.

Les arguments de la Commission

[19] La Commission affirme que l’appelante n’a pas démontré qu’elle avait un motif valable justifiant son retard. Elle soutient qu’elle n’a pas agi comme l’aurait fait une « personne raisonnable » pour vérifier ses droits et obligations en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi (Loi). Elle indique que l’appelante n’a communiqué avec son employeur ou la Commission au sujet de sa demande que cinq ans après avoir quitté son emploi.

Les arguments de l’appelante

[20] L’appelante soutient qu’elle avait un motif valable justifiant le retard. Elle a dit avoir parlé à son employeur et avoir fait plusieurs efforts pour tenter de discuter de sa demande d’assurance‑emploi avec la Commission entre 2017 et 2022.

[21] L’appelante a déclaré qu’elle est sourde. Elle ne parle ni ne lit l’anglais. Pour qu’elle comprenne un document écrit, il doit être traduit de l’anglais écrit en langue des signes américaine.

[22] L’appelante a expliqué qu’elle n’avait déjà présenté une demande d’assurance‑emploi qu’une seule fois plusieurs années plus tôt, soit en 2007. Elle avait soumis sa demande sur un formulaire en version papier. À ce moment‑là, elle n’avait rien à produire en ligne.

[23] Ainsi, lorsqu’elle a reçu son relevé d’emploi en 2017, elle croyait qu’il serait envoyé directement à la Commission et qu’elle obtiendrait un formulaire de demande d’assurance‑emploi papier à remplir. Le service des ressources humaines de son employeur lui a dit qu’il avait envoyé l’information à la Commission, de sorte qu’elle a attendu de façon raisonnable que son formulaire de demande d’assurance‑emploi lui parvienne par la poste.

[24] L’appelante a également consulté sa conseillère des services de l’ouïe en 2017. Elle l’a informée que l’Assurance‑emploi est souvent très occupée et qu’elle devrait attendre des nouvelles de ce service. Cependant, elle n’a jamais reçu de formulaire de demande à remplir.

[25] D’après ce que dit l’appelante, la Commission a rendu presque impossible pour l’appelante de communiquer avec les agents de la Commission. Elle affirme que jusqu’en 2021, le gouvernement n’autorisait pas les prestataires à utiliser le service de relais vidéo, car il estimait qu’il n’était pas confidentiel. Elle devait donc utiliser le système de téléscripteur.

[26] De plus, Service Canada ne fournissait pas d’interprète gestuel dans ses bureaux, mais disait qu’elle pouvait communiquer des notes écrites. Comme l’appelante ne parle pas ni n’écrit l’anglais, ni le système de téléscripteur ni la communication de notes dans un bureau de Service Canada ne constituaient des options pour elle. Par conséquent, elle affirme qu’elle n’avait pas accès aux renseignements dont les autres prestataires disposent en général.

[27] Pendant une partie de la période de retard, l’appelante affirme également que sa conseillère régulière des services de l’ouïe était absente et qu’un conseiller temporaire lui a été affecté. Elle n’avait donc pas non plus accès à un soutien adéquat en tout temps.

[28] L’appelante a déclaré qu’au bout du compte, elle a pu interagir avec Service Canada au sujet d’une nouvelle demande de prestations de maladie en 2021. À ce moment‑là, elle a compris que les demandes d’assurance‑emploi sont maintenant présentées en ligne. Elle a produit une demande différente en juillet 2021 et a reçu un code pour demander des prestations. Cependant, elle n’a jamais obtenu de code pour réclamer des prestations pour sa période de congé en 2017.

[29] En 2021, l’appelante dit qu’à son avis, il n’était plus possible de présenter sa demande de prestations pour 2017. Cependant, son comptable l’a encouragée à produire une demande. En effet, il disait qu’elle se trouvait dans la période limite de sept ans. Ainsi, à compter de juillet 2021, elle a communiqué avec Service Canada au sujet de sa demande de prestations de 2017.

[30] L’appelante soutient toutefois que la Commission ne lui a pas donné assez de directives pour qu’elle sache comment présenter la demande de 2017. Elle a déclaré que chaque fois qu’elle appelait Service Canada, les agents lui prodiguaient des conseils différents. Un agent lui a conseillé d’essayer d’utiliser le même code d’accès qu’elle avait reçu en 2021. Toutefois, cela n’a pas fonctionné.

[31] L’appelante soutient également que le compte rendu ultérieur de leur conversation établi par la Commission rapporte faussement qu’elle a dit à un agent qu’elle n’avait pas communiqué avec Service Canada Note de bas de page 7. Elle a déclaré que les interprètes en langue des signes américaine travaillent par rotation. Il arrive donc parfois qu’un interprète soit remplacé au milieu de sa conversation sur le service de relais vidéo. Cette situation a parfois entraîné des problèmes de communication entre elle et la Commission. Sa conseillère en services de l’ouïe a également communiqué avec la Commission, mais personne n’a rappelé.

[32] L’appelante soutient qu’elle a agi raisonnablement pendant le retard. Elle prétend que sa situation était exceptionnelle : elle ne pouvait pas communiquer correctement avec la Commission, et sa conseillère permanente des services de l’ouïe n’était pas toujours disponible.

[33] L’appelante affirme aussi que sa situation financière est difficile. Elle a tenté d’obtenir des prêts d’urgence pour mieux subvenir à ses besoins financiers, en vain. Elle a aussi un certain nombre de problèmes médicaux qui ont compliqué la recherche d’emploi.

Alors, l’appelante a‑t‑elle un motif valable justifiant son retard à présenter sa demande?

[34] J’ai examiné la preuve et les documents fournis par l’appelante, y compris son témoignage franc et les dossiers du service de relais vidéo montrant ses contacts avec la Commission au sujet de sa demande de 2017.

[35] J’accepte le témoignage de l’appelante selon lequel elle ignorait qu’elle devait présenter une demande en ligne en 2017. J’accepte aussi son témoignage selon lequel il a été très difficile de communiquer avec la Commission en raison d’obstacles importants attribuables au manque d’accès au relais vidéo ou à l’interprétation en langue des signes américaine dans les bureaux de Service Canada jusqu’en 2021.

[36] Je conclus que la Commission n’a pas donné à l’appelante l’accès à des méthodes de communication appropriées avec ses agents avant qu’elle puisse utiliser le relais vidéo en 2021.

[37] Je n’ai accordé aucun poids aux notes de la Commission sur ses communications ultérieures avec ses agents. J’accepte le témoignage de l’appelante, étayé par les documents de communication qu’elle a déposés, selon lequel elle a effectué plusieurs tentatives de suivi de sa demande de 2017 en 2021, dès qu’elle avait un moyen de communiquer par l’entremise du service de relais vidéo.

[38] Je souscris à l’argument de la Commission selon lequel l’ignorance de la loi n’excuse pas un retard. Je conclus cependant que dans la situation de l’appelante, elle a agi de façon raisonnable pendant la première partie du retard jusqu’au 13 décembre 2021, compte tenu des obstacles à la communication entre elle et la Commission.

[39] Toutefois, la partie prestataire doit démontrer qu’elle avait un motif valable pour toute la période du retard. L’appelante a déclaré qu’elle était au courant du processus de demande d’assurance‑emploi en ligne au milieu de 2021 et qu’elle était en mesure de présenter une demande d’assurance‑emploi différente à ce moment‑là.

[40] Le relevé d’appel du service de relais vidéo envoyé par l’appelante montre qu’elle a communiqué avec la Commission à 6 reprises entre le 3 novembre 2021 et le 13 décembre 2021 par l’entremise de ce service pour discuter de sa demande de prestations de 2017Note de bas de page 8. Cependant, elle a ensuite attendu 10 mois de plus avant de communiquer avec sa conseillère des services de l’ouïe le 19 octobre 2022 pour effectuer le suivi de sa demandeNote de bas de page 9. Elle a ensuite communiqué de nouveau avec la Commission le 31 octobre 2022, soit 3 jours avant de présenter sa demande en ligne le 3 novembre 2022.

[41] Je conclus que l’appelante n’a malheureusement pas démontré qu’elle avait un motif valable justifiant la dernière partie du retard du 13 décembre 2021 au 31 octobre 2022. Au cours de cette période de dix mois, elle a eu accès à des méthodes de communication avec la Commission et elle était au courant du processus de demande d’assurance‑emploi en ligne.

[42] Je conclus donc que l’appelante n’a hélas pas démontré qu’elle avait un motif valable justifiant toute la période du retard dans la présentation de sa demande de prestations. Elle n’a pas non plus fourni de preuve de circonstances exceptionnelles qui l’auraient empêchée de présenter la demande pendant la dernière partie du retard entre le 13 décembre 2021 et le 31 octobre 2022.

[43] Je n’ai pas à me demander si l’appelante était admissible à des prestations à une date antérieure. Si l’appelante n’a aucun motif valable, sa demande ne peut être traitée comme si elle avait été présentée plus tôt.

[44] Je compatis avec l’appelante dont la situation personnelle est difficile. Cependant, je suis tenue de respecter les règles énoncées dans la Loi et je n’ai pas la capacité de faire des exceptions pour les cas de difficultés financières, même par souci de compassionNote de bas de page 10.

Conclusion

[45] L’appelante n’a pas démontré qu’elle avait un motif valable justifiant le retard dans la présentation de sa demande de prestations pendant toute la période du retard.

[46] La loi m’oblige à rejeter l’appel.

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