Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

Le prestataire travaille comme pêcheur depuis longtemps. Il a fait plusieurs demandes de prestations d’assurance-emploi au fil des années lorsqu’il ne pouvait pas travailler hors saison. Le prestataire a dit que la saison de la pêche n’avait pas été bonne et qu’il avait oublié de demander des prestations d’assurance-emploi en mai 2023. Il a attendu au 5 juillet 2023 pour présenter une demande. Il a donc dû demander que sa demande soit antidatée.

La Commission de l’assurance-emploi du Canada a rejeté la demande d’antidatation du prestataire. Le prestataire a fait appel de la décision de la Commission à la division générale. Celle-ci a décidé qu’il existait des circonstances exceptionnelles et elle a approuvé l’antidatation de la demande. La Commission a fait appel de la décision de la division générale à la division d’appel. Elle a soutenu que la division générale avait commis une erreur de droit parce qu’elle n’avait pas appliqué la jurisprudence établie lorsqu’elle a rendu sa décision.

La division d’appel a jugé que la division générale avait commis une erreur de droit lorsqu’elle a décidé que, puisque le prestataire connaissait le système d’assurance-emploi, cela constituait une circonstance exceptionnelle qui justifiait le retard de la présentation de sa demande. La loi précise que quelque chose doit empêcher une personne de faire une demande ou rendre cela exceptionnellement difficile. Une erreur de droit a été commise parce que la jurisprudence établie n’a pas été appliquée aux faits de l’affaire.

La division d’appel a accueilli l’appel de la Commission et a rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. La division d’appel a jugé que le prestataire connaissait ses droits et ses obligations au titre de la Loi sur l’assurance-emploi. Le prestataire en a convenu. Il a dit à maintes reprises qu’il avait oublié de faire une demande. La division d’appel a donc conclu que le prestataire n’avait pas agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans les mêmes circonstances. Malheureusement, oublier de faire une demande ne constitue pas une justification pour faire une demande en retard. Pour cette raison, il a été impossible d’antidater la demande du prestataire.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c DP, 2024 TSS 326

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Daniel McRoberts
Partie intimée : D. M.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 11 décembre 2023
(GE-23-2865)

Membre du Tribunal : Elizabeth Usprich
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 7 mars 2024
Personnes présentes à l’audience : Représentant de l’appelante
Intimé
Date de la décision : Le 2 avril 2024
Numéro de dossier : AD-23-1125

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] La division générale a commis une erreur de droit. J’ai rendu la décision qu’elle aurait dû rendre. Je ne peux pas antidater la demande de prestations d’assurance‑emploi du prestataire.

Aperçu

[3] D. M. est le prestataire. Il est pêcheur depuis longtemps. Il a demandé des prestations d’assurance‑emploi à de nombreuses reprises au fil des ans, lorsqu’il n’a pas pu travailler pendant la saison morte.

[4] Le prestataire affirme que la saison de pêche a été mauvaise et qu’il a oublié de demander des prestations d’assurance‑emploi en mai 2023. Il n’a demandé des prestations que le 5 juillet 2023. Il a donc dû demander que sa demande soit antidatée.

[5] La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a rejeté la demande du prestataire de faire antidater sa demande.

[6] Le prestataire a fait appel devant le Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a décidé qu’il existait des circonstances exceptionnelles et a accueilli la demande d’antidatation. La Commission a porté cette décision en appel.

[7] Elle soutient que la division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas appliqué la jurisprudence établie pour rendre sa décision.

[8] J’accueille l’appel. La connaissance par le prestataire du processus d’assurance‑emploi ne lui confère pas une circonstance exceptionnelle en droit. Malheureusement, le prestataire a oublié de présenter une demande lorsqu’il le pouvait, mais cela ne signifie pas que la demande de prestations peut être antidatée.

Questions en litige

[9] Les questions en litige dans le présent appel sont les suivantes :

  1. a) La division générale a‑t‑elle commis une erreur de droit en omettant de suivre une jurisprudence d’application obligatoire qui définit ce qu’est une circonstance exceptionnelle?
  2. b) Dans l’affirmative, comment l’erreur devrait-elle être corrigée?

Analyse

[10] Je peux seulement intervenir si la division générale a commis une erreur pertinente. Il n’y a que certaines erreurs que je peux prendre en considérationNote de bas de page 1. En bref, je peux intervenir si la division générale a commis au moins une des erreurs suivantes :

  • Elle a agi injustement d’une façon ou d’une autre.
  • Elle a tranché une question qu’elle n’aurait pas dû trancher ou elle n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher.
  • Elle n’a pas suivi la jurisprudence établie.
  • Elle a fondé sa décision sur une erreur importante concernant les faits de l’affaire.

[11] Dans la présente affaire, la Commission soutient que la division générale n’a pas suivi la jurisprudence établie et qu’elle a donc commis une erreur de droit.

La division générale a commis une erreur de droit au motif qu’elle n’a pas suivi une jurisprudence d’application obligatoire qui définit ce qu’est une circonstance exceptionnelle

[12] Une partie prestataire qui ne prend pas de mesures raisonnablement rapides pour comprendre son admissibilité à des prestations d’assurance‑emploi doit démontrer que des circonstances exceptionnelles expliquent pourquoi elle n’a pas fait de demande.

[13] Dans la présente affaire, ni l’une ni l’autre partie ne conteste le fait que le prestataire connaissait très bien le processus de demande de prestations d’assurance‑emploi. Il a dit à la division générale qu’il pêchait seul depuis 37 ans et qu’il a demandé des prestations d’assurance‑emploi pendant la majeure partie de cette périodeNote de bas de page 2. Cela signifie que la question de savoir si le prestataire connaissait ses droits et responsabilités ne se pose vraiment pas ici. Il les connaissait bien.

[14] Mais même si le prestataire connaissait ses droits et obligations, il a demandé des prestations d’assurance‑emploi en retard. Il devait donc tout de même démontrer qu’il avait un motif valable et qu’il a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable et prudente dans la même situation. La division générale a conclu que le prestataire avait agi comme l’aurait fait une personne raisonnable et prudente dans des circonstances semblablesNote de bas de page 3.

[15] La division générale a également jugé que le prestataire n’avait pas pris rapidement des mesures pour en apprendre davantage sur ses droits et obligationsNote de bas de page 4. Elle a toutefois estimé qu’il y avait des circonstances exceptionnelles dans le cas du prestataire du seul fait qu’il a, pendant 40 ans, demandé des prestations d’assurance‑emploi dans les délais sans connaître l’existence de la période de quatre semainesNote de bas de page 5. Lorsqu’elle a conclu que le prestataire avait démontré qu’il y avait des circonstances exceptionnelles, la division générale n’a pas tenu compte de la jurisprudence d’application obligatoire de la Cour d’appel fédérale qui décrit ce que sont des circonstances exceptionnellesNote de bas de page 6. Elle a donc commis une erreur de droit.

[16] Une partie prestataire qui connaît ses droits et responsabilités sous le régime de la Loi sur l’assurance‑emploi doit, pour faire la preuve d’un motif valable, démontrer que des circonstances exceptionnelles l’ont empêchée de faire une demande. Dans la présente affaire, le prestataire a répété à plusieurs reprises au cours de son audience qu’il ne savait pas ce qui s’était passé. Il a simplement oublié de faire une demandeNote de bas de page 7.

[17] La division générale a décidé que le prestataire connaissait le processus d’assurance‑emploi, de sorte qu’il était logique qu’il ne communique pas avec Service Canada pour obtenir des renseignementsNote de bas de page 8. Le prestataire mentionne à plusieurs reprises à la division générale qu’il connaissait le processusNote de bas de page 9.

[18] La division générale dit ensuite ce qui suit :

Mais il n’y a rien de mal à cela, car des circonstances exceptionnelles expliquent son retard. Il demande des prestations de pêcheur de l’assurance‑emploi dans les délais depuis plus de 40 ans, même s’il n’était pas au courant de la règle de la période de quatre semaines. Compte tenu de cette expérience de plusieurs décennies, il aurait été extraordinaire pour lui de penser qu’il avait besoin de plus d’informations.Note de bas de page 10

[19] La division générale semble affirmer que l’expérience du prestataire constitue à l’égard de ce dernier une circonstance exceptionnelle. Avec égards, il s’agit d’une erreur de droit.

[20] La Cour d’appel fédérale n’a pas donné de définition précise de ce que sont des circonstances exceptionnelles. Cela est logique, car la loi devrait être appliquée à chaque cas individuel. La Cour d’appel fédérale a toutefois fourni des indications. Ainsi, elle a conclu que la maladie d’une personne pouvait créer une circonstance exceptionnelleNote de bas de page 11. Elle a également dit ceci en ce qui concerne l’omission d’un prestataire de demander des prestations :

[Traduction]
Il ne semble y avoir eu aucune circonstance qui l’a empêché de le faire ou qui a rendu exceptionnellement difficile la présentation d’une demande dès le départ plutôt que plus tard.Note de bas de page 12

[21] La Cour d’appel fédérale a par la suite dit que, « sauf circonstances exceptionnelles », on attend d’une partie prestataire qu’elle vérifie les obligations que lui impose la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 13.

[22] Donc, comme le prestataire connaissait bien le processus, il doit démontrer qu’une circonstance exceptionnelle l’a empêché de faire une demande. La division générale a conclu que le prestataire avait démontré qu’il avait une circonstance exceptionnelle uniquement en raison de son expérience antérieure à l’égard du régime d’assurance‑emploi. Elle a décidé que ces circonstances expliquaient pourquoi le prestataire n’avait pas demandé plus de renseignements sur son admissibilité à l’assurance‑emploiNote de bas de page 14. Elle a dit que, compte tenu de son [traduction] « expérience de plusieurs décennies, il aurait été extraordinaire pour lui de penser qu’il avait besoin de plus de renseignementsNote de bas de page 15 ».

[23] La division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a décidé que l’expérience du prestataire à l’égard du régime d’assurance‑emploi constituait une circonstance exceptionnelle qu’il pouvait invoquer pour excuser sa demande en retard.

[24] Il est bien établi en droit qu’il doit y avoir quelque chose qui empêche une partie prestataire de faire une demande ou qui a rendu exceptionnellement difficile la présentation d’une demande. Il y a une erreur de droit dans la présente affaire parce que le droit établi n’a pas été appliqué aux faits de l’affaire.

Réparation

[25] J’ai conclu à l’existence d’une erreur. Il y a donc deux façons principales de corriger celle‑ci. Je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Je peux également renvoyer l’affaire à la division générale si j’estime que l’audience n’a pas été équitableNote de bas de page 16.

[26] Les parties ont convenu que la division générale avait à sa disposition tous les éléments de preuve. Cela signifie que je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Je peux notamment décider si la demande de prestations d’assurance‑emploi doit être antidatéeNote de bas de page 17.

Le prestataire n’avait pas de motif valable justifiant le retard et il ne peut invoquer aucune circonstance exceptionnelle, de sorte que la demande ne peut pas être antidatée

Le prestataire doit démontrer qu’il avait un motif valable pour toute la durée du retard

[27] Le prestataire demande que sa demande de prestations d’assurance‑emploi soit antidatée. Pour faire antidater une demande, il faut prouver qu’un motif valable justifie le retardNote de bas de page 18.

[28] Pour prouver qu’il avait un motif valable, le prestataire doit démontrer qu’il a agi comme l’aurait fait toute personne raisonnable et prudente dans des circonstances semblables pendant toute la période du retardNote de bas de page 19. Habituellement, cela signifie qu’une partie prestataire doit également démontrer qu’elle a rapidement pris des mesures pour comprendre son admissibilité aux prestations et les obligations que lui impose la loiNote de bas de page 20.

[29] Dans la présente affaire, le prestataire demande des prestations depuis environ 37 ans. Pour cette raison, il ne s’est pas demandé quels étaient les échéanciers précis. Il a dit à la division générale qu’il savait qu’il devait présenter une demande de prestations de pêcheur pour une période de pêche hivernale avant certaines datesNote de bas de page 21. Donc, une personne raisonnable et prudente aurait, dans des circonstances semblables, pris des mesures pour connaître la date limite pour présenter une demande et l’aurait fait avant cette date.

[30] Le prestataire savait qu’il y avait des règles concernant la date à laquelle il devait demander des prestations d’assurance‑emploiNote de bas de page 22. Il a dit qu’il comprenait ses droits et obligationsNote de bas de page 23. S’il n’était pas certain de la date limite, il devait demander des renseignements sur cette date. Si le prestataire savait quelle était la date limite pour présenter une demande, il aurait quand même dû s’assurer de faire sa demande avant la date limite.

[31] De plus, la Cour d’appel fédérale a affirmé que la durée du retard est un facteur pertinent, même si la raison du retard est le facteur le plus importantNote de bas de page 24.

[32] Une partie prestataire qui ne prend pas les mesures qu’elle doit prendre est tenue de démontrer que des circonstances exceptionnelles expliquent pourquoiNote de bas de page 25.

[33] Je conclus que le prestataire savait quels étaient ses droits et ses obligations au titre de la Loi sur l’assurance-emploi. Il a admis qu’il le savait. Il a répété à maintes reprises qu’il avait oublié de présenter une demandeNote de bas de page 26. Je conclus donc qu’il n’a pas agi comme l’aurait fait une personne raisonnable et prudente dans les mêmes circonstances. Malheureusement, l’oubli ne donne pas à une partie prestataire un motif valable pour son retard.

Un court délai, en soi, ne donne pas lieu à un motif valable

[34] Le prestataire a demandé des prestations le 5 juillet 2023Note de bas de page 27. Il a demandé que sa demande soit antidatée au 28 mai 2023Note de bas de page 28. Cela signifie qu’il était en retard d’environ cinq semaines et demie.

[35] Le prestataire ne savait pas que la Commission a une politique administrative de quatre semaines pour les personnes qui présentent leur demande en retardNote de bas de page 29. Cette question a été abordée à son audienceNote de bas de page 30. La politique permet l’antidatation automatique des demandes présentées dans les quatre semaines suivant un arrêt de rémunération.

[36] Cette politique n’est pas une loi. Les demandes qui sont faites dans la période de quatre semaines prévue par la politique administrative de la Commission sont tout de même en retard. Mais la politique permet qu’elles soient automatiquement antidatées.

[37] De plus, l’article 26 du Règlement sur l’assurance‑emploi prescrit qu’une demande de prestations doit être faite par une partie prestataire trois semaines après la semaine pour laquelle des prestations sont demandéesNote de bas de page 31. Dans la présente affaire, le retard du prestataire à présenter sa demande n’est pas contesté au titre de la loi ou de la politique non contraignante. Le prestataire admet qu’il a fait sa demande en retard.

[38] Même s’il y a antidatation automatique au cours des quatre premières semaines, les demandes sont tout de même en retard. Donc, c’est quand même un échéancier qu’il faut prendre en compte. Cela signifie que toute la période doit être considérée comme faisant partie du retard. Donc, dans la présente affaire, le prestataire avait cinq semaines et demie de retard.

[39] La Cour d’appel fédérale a été claire à cet égard. Elle dit ceci : « L’obligation de présenter avec célérité sa demande de prestations est considérée comme étant très exigeante et très stricte. C’est la raison pour laquelle l’exception relative au « motif valable justifiant le retard » est appliquée parcimonieusementNote de bas de page 32. Le Règlement sur l’assurance‑emploi et la politique administrative de la période de quatre semaines de la Commission donnent une marge de manœuvre aux personnes qui présentent une demande en retard. Toutefois, l’antidatation d’une demande n’est pas automatique au‑delà de la période de quatre semaines.

[40] Il doit y avoir une bonne explication pour le retard. S’il n’y avait eu qu’un léger retard, celui‑ci serait tombé dans la période de quatre semaines prévue par la politique administrative. Mais ce n’est pas le cas. J’ai considéré la durée du retard comme étant un facteur. J’ai également examiné le motif du retard du prestataire, qui est le facteur le plus importantNote de bas de page 33.

Absence de circonstances exceptionnelles

[41] La division générale a expressément demandé au prestataire si d’autres circonstances expliquaient pourquoi il a présenté sa demande en retard. Il a dit qu’il n’y en avait aucuneNote de bas de page 34.

[42] Le prestataire a mentionné que la saison de pêche avait été mauvaise et que son bateau avait subi des réparations coûteuses. Il ne s’agit pas à mon avis de circonstances exceptionnelles. Rien n’empêchait le prestataire de demander des prestations d’assurance‑emploi ni ne rendait la présentation d’une demande exceptionnellement difficile. Il a tout simplement oublié.

[43] Il n’y a aucune circonstance exceptionnelle. Cela signifie que le prestataire n’a pas démontré qu’il avait un motif valable pour toute la durée du retard.

[44] Je compatis avec le prestataire. Je comprends que c’était la première fois qu’il oubliait de faire une demande. Je réalise que les coûts sont élevés et que les prestations d’assurance‑emploi seraient utiles. Mais il n’y a à mon avis aucune circonstance exceptionnelle qui me permette de lui accorder des prestations d’assurance‑emploi.

Conclusion

[45] L’appel est accueilli.

[46] La division générale a commis une erreur de droit en omettant d’appliquer le droit établi aux faits de l’affaire.

[47] J’ai corrigé l’erreur en rendant la décision qu’elle aurait dû rendre. Je ne peux pas antidater la demande de prestations du prestataire.

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