Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SH c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2023 TSS 2016

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Appelant : S. H.
Intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (542302) datée du 26 octobre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Jean-Yves Bastien
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 31 août 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 1er septembre 2023
Numéro de dossier : GE-22-3868

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelant.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’appelant a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui a entraîné sa suspension). C’est donc dire que l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] L’appelant a été suspendu de son emploi. Son employeur affirme qu’il a été suspendu parce qu’il s’est opposé à sa politique de vaccination. L’appelant n’a pas dit (attesté) s’il avait été vacciné. 

[4] Même si l’appelant ne conteste pas que cela s’est produit, il affirme qu’aller à l’encontre de la politique de vaccination de son employeur ne constitue pas une inconduite.

[5] La Commission a accepté le motif de suspension invoqué par l’employeur. Elle a conclu que l’appelant a été suspendu en raison d’une inconduite. Pour cette raison, elle a décidé que l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

Question que je dois examiner en premier

L’appelant a-t-il fait une contestation fondée sur la Charte?

[6] L’appelant ne mentionne pas une contestation visant la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte)dans son avis d’appel au TribunalNote de bas de page 2. Il n’a pas non plus fait de « contestation fondée sur la Charte »Note de bas de page 3. Toutefois, au cours de l’audience, il a simplement dit qu’[traduction] « à son avis », la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur était contraire à la Charte, à la Déclaration des droits et au Code de Nuremburg.

[7] L’appelant n’a fait valoir aucun argument, n’a fourni aucune preuve et n’a cité aucune jurisprudence à l’appui de son avis.  Plus particulièrement, l’appelant n’a fait aucune contestation fondée sur la Charte selon laquelle la Loi sur l’assurance‑emploi (Loi), le Règlement sur l’assurance‑emploi, la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social ou les Règles de procédure du Tribunal de la sécurité sociale violent un droit ou une liberté que garantit la Charte.

[8] Je conclus donc que l’appelant n’a pas fait de contestation fondée sur la Charte lorsqu’il a exprimé son avis. L’audience s’est donc poursuivie.

Question en litige

[9] L’appelant a-t-il été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[10] Selon la loi, la partie prestataire ne peut pas recevoir de prestations d’assurance‑emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique lorsque l’employeur a congédié ou suspendu la partie prestataireNote de bas de page 4.

[11] Pour décider si l’appelant a été suspendu en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois déterminer le motif pour lequel l’appelant a été suspendu. Je dois ensuite décider si la loi considère ce motif comme étant une inconduite.

Pourquoi l’appelant a-t-il été suspendu?

[12] Je conclus que l’appelant a été suspendu parce qu’il s’est opposé à la politique de vaccination de son employeur.

[13] L’appelant conteste le fait qu’il a été suspendu. Il dit avoir été mis en congé obligatoire, sans solde.

[14] La Commission affirme que [traduction] « [d]ans la présente affaire, la preuve démontre que le prestataire n’a pas respecté la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur (pages GD3‑22 à GD3‑34). La décision du prestataire de ne pas se conformer à la Politique de vaccination contre la COVID-19, imposée par le gouvernement du Canada, découlait d’un choix personnel. Par conséquent, l’employeur l’a mis en congé sans solde. [Ainsi] la décision de mettre l’employé en congé sans solde a été déclenchée par l’employeur, de sorte que sa cessation d’emploi est qualifiée de suspension ».Note de bas de page 5

[15] L’appelant a répété à plusieurs reprises qu’il avait consciemment refusé d’attester s’il avait été vacciné contre la COVID-19. Il a expliqué qu’à son avis, il n’était pas nécessaire de fournir à son employeur ses renseignements médicaux privés. L’appelant a donc délibérément contrevenu à la politique de vaccination de son employeur.

Le motif de la suspension de l’appelant est-il une inconduite au sens de la loi?

[16] Le motif de la suspension de l’appelant est une inconduite au sens de la loi.

[17] La Loi ne définit pas l’inconduite. Cependant, la jurisprudence (décisions des tribunaux judiciaires et administratifs) nous montre comment établir si la suspension de l’appelant constitue une inconduite au sens de la Loi. Elle établit le critère juridique lié à l’inconduite, c’est‑à‑dire les questions et les critères à prendre en compte quand on examine la question de l’inconduite.

[18] D’après la jurisprudence, pour constituer une inconduite, la conduite doit être délibérée. C’est donc dire que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 6. L’inconduite doit être une conduite si insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 7. L’appelant n’a pas à avoir une intention coupable (autrement dit, il n’a pas à vouloir faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 8.

[19] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait nuire à l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit suspenduNote de bas de page 9.

[20] La Commission doit prouver que l’appelant a été suspendu en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelant a été suspendu en raison d’une inconduiteNote de bas de page 10.

[21] J’ai le pouvoir de trancher les seules questions qui sont prévues dans la Loi.  Je ne peux rendre aucune décision quant à savoir si l’appelant a d’autres options au titre d’autres lois ou de sa convention collective. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur les questions de savoir si l’appelant a été suspendu à tort ou si l’employeur aurait dû mettre en place des mesures raisonnables (mesures d’adaptation) à l’égard de l’appelantNote de bas de page 11. Je ne peux examiner qu’une chose : la question de savoir si ce que l’appelant a fait ou a omis de faire est une inconduite au sens de la Loi.

[22] La Cour d’appel fédérale (CAF) s’est prononcée dans l’affaire Canada (Procureur général) c McNamaraNote de bas de page 12. M. McNamara a été congédié en application de la politique de dépistage de drogues de son employeur. Il a soutenu qu’il n’aurait pas dû être congédié parce que le test de dépistage de drogues n’était pas justifié dans les circonstances, c’est‑à‑dire qu’il n’existait aucun motif raisonnable de penser qu’il n’était pas en mesure de travailler en toute sécurité en raison de sa consommation de drogue et qu’il aurait dû être couvert par le test précédent auquel il s’était soumis. Pour l’essentiel, M. McNamara a fait valoir qu’il devait toucher des prestations d’assurance‑emploi parce que les mesures prises par son employeur concernant son congédiement étaient inacceptables.  

[23] En réponse aux arguments de M. McNamara, la CAF a affirmé que, selon la jurisprudence constante de la Cour, dans les cas d’inconduite, la question « [n’est pas] de dire si le congédiement d’un employé était ou non injustifié [mais] plutôt […] de dire si l’acte ou l’omission reproché à l’employé était effectivement constitutif d’une inconduite au sens de la Loi ». La Cour a poursuivi en soulignant que, dans l’interprétation et l’application de la Loi, « ce qu’il convient à l’évidence de retenir ce n’est pas le comportement de l’employeur, mais bien celui de l’employé ». Elle a mentionné que l’employé qui fait l’objet d’un congédiement injustifié « a, pour sanctionner le comportement de l’employeur, d’autres recours qui permettent d’éviter que par le truchement des prestations d’assurance‑emploi les contribuables canadiens fassent les frais du comportement incriminé ».

[24] La décision plus récente Paradis c Canada (Procureur général) suit l’affaire McNamaraNote de bas de page 13. Comme M. McNamara, M. Paradis a été congédié après avoir eu un résultat positif à un test de dépistage de drogues. M. Paradis a fait valoir qu’il avait été congédié à tort, que les résultats des tests montraient qu’il n’avait pas les facultés affaiblies au travail et que l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation conformément à ses propres politiques et à la législation provinciale sur les droits de la personne. La Cour fédérale s’est fondée sur la décision McNamara et a déclaré que la conduite de l’employeur n’est pas un facteur pertinent pour trancher la question de l’inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 14.

[25] Une autre décision semblable a été rendue par la CAF dans l’affaire Mishibinijima c Canada (Procureur général)Note de bas de page 15. M. Mishibinijima a perdu son emploi pour des raisons liées à une dépendance à l’alcool. Il a soutenu que, comme la dépendance à l’alcool a été reconnue comme une déficience, son employeur était tenu de lui offrir des mesures d’adaptation. La Cour a encore affirmé que l’accent est mis sur ce que l’employé a fait ou non, et que l’absence de mesures de l’employeur pour aider son employé n’est pas une question pertinenteNote de bas de page 16.

[26] Ces affaires ne portent pas sur des politiques de vaccination contre la COVID-19. Cependant, les principes qui y sont établis demeurent pertinents. Il ne m’appartient pas d’examiner la conduite ou les politiques de l’employeur et de décider s’il a eu raison de congédier l’appelant. Je dois plutôt me concentrer sur ce que l’appelant a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir s’il s’agit d’une inconduite au sens de la Loi. 

[27] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les motifs suivants :

  • L’employeur avait une politique de vaccination.
  • L’employeur a informé l’appelant en des termes clairs de ses attentes concernant l’obligation de lui dire qu’il s’était fait vacciner.
  • L’employeur a envoyé des lettres et a également communiqué par courriel et diffusé des messages sur les scanneurs de colis des employés pour informer l’appelant à plusieurs reprises de ses attentes. 
  • L’appelant savait ou aurait dû savoir ce qui se passerait s’il ne respectait pas la politique.
  • Malgré tout ce qui précède, l’appelant a volontairement contrevenu à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur.

[28] L’appelant soutient qu’il n’y a pas eu inconduite pour les motifs suivants :

  • Le relevé d’emploi (RE) fourni par l’employeur n’aurait jamais dû indiquer « inconduite ». Il soutient qu’il n’a jamais rien fait de nuisible aux intérêts de son employeur ou à sa clientèle. L’appelant soutient que l’employeur a simplement inscrit « inconduite » à la case 16 du RE parce que c’est ce que Service Canada lui a dit de faire.
  • À « son avis », la politique de vaccination de l’employeur était contraire à sa convention collective, à la Charte, à la Déclaration des droits et au Code de Nuremburg.
  • L’appelant a mentionné à plusieurs reprises sa convention collective.
  • L’appelant ne pensait pas qu’il pouvait perdre son emploi s’il ne se faisait pas vacciner.

[29] L’employeur a rempli le RE de l’appelant compte tenu des meilleurs conseils qu’il avait à l’époque. Il a inscrit à la « case 16 » – MOTIF DE LA DÉLIVRANCE DU RELEVÉ D’EMPLOI » « Congédiement ou suspension » avec la lettre « M » en majuscules dans une caseNote de bas de page 17. L’appelant a peut‑être mal interprété ce « M » comme signifiant « inconduite », mais ce n’est pas le cas. La lettre « M » dans la case 16 est simplement un code qui signifie « Congédiement ou suspension ». Les divers codes qui peuvent être utilisés pour préciser la raison de la délivrance d’un RE se trouvent et sont expliqués au verso du RENote de bas de page 18. 

[30] Au cours de l’audience, l’appelant a simplement dit qu’[traduction] « à son avis », la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur était contraire à la Charte. Comme nous l’avons vu au paragraphe [24], Paradis c Canada (Procureur général) affirme que la conduite de l’employeur n’est pas un facteur pertinent lorsqu’il s’agit de se prononcer sur une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 19.

[31] Comme il a été mentionné précédemment, le Tribunal ne peut pas décider si l’appelant a des options sous le régime d’autres lois ou de sa convention collective. J’ai le pouvoir de trancher les seules questions qui sont prévues dans la Loi. La jurisprudence nous dit qu’il « appartient à une autre instance » de se prononcer sur les autres questions. L’appelant affirme qu’il conteste la politique de vaccination de l’employeur contre la COVID-19 par l’entremise de son syndicat. C’est exactement ce que les tribunaux ont à l’esprit lorsqu’ils disent qu’il « appartient à une autre instance » de se prononcer sur les autres questions.

[32] La politique de vaccination de l’employeur a évolué au fil du temps à mesure que la politique et les dates limites ont été rajustées. La politique de vaccination de l’employeur contre la COVID-19 s’intitule [traduction] « Politique sur la sécurité des lieux de travail liée à la COVID-19 ». La Commission a présenté deux versions de la politique complète ainsi qu’une mise à jour de la politique datée du 7 décembre 2021Note de bas de page 20.

[33] L’appelant savait ce qu’il devait faire aux termes de la politique de vaccination et ce qui se passerait s’il ne s’y conformait pas. Même si l’appelant soutient qu’il croyait que l’employeur ne faisait que « bluffer » avec ses [traduction] « menaces » de [traduction] « congé sans solde » (suspension) et qu’il ne s’agissait que d’un exemple de coercition de l’employeur, il n’en demeure pas moins que l’appelant était au courant de ce que prévoyait la politique et des conséquences qu’une non‑conformité entraînerait pour les employés. Malgré cela, il a volontairement choisi de ne pas attester de son statut vaccinal et a donc contrevenu à la politique de l’employeur sur la COVID-19.

[34] Aux dates suivantes, l’employeur a officiellement informé l’appelant des exigences et des conséquences d’un non‑respect de celles‑ci :

  • Le 15 septembre 2021
  • Le 13 octobre 2021
  • Le 7 décembre 2021

[35] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeur avait une politique de vaccination complète, dont la version définitive disaitNote de bas de page 21 :

    Prochaines étapes pour les employés qui n’ont pas attesté être entièrement vaccinés au 10 janvier 2022. Après le 10 janvier 2022, toute personne qui n’est pas entièrement vaccinée et qui n’a pas obtenu d’exemption approuvée pour des motifs médicaux ou religieux contrevient à la politique sur la sécurité au travail liée à la COVID-19 et sera mise en congé sans solde.
  • L’employeur a clairement dit à l’appelant ce qu’il attendait des membres de son personnel pour ce qui est de lui dire s’ils avaient été vaccinés.
  • L’employeur a envoyé des lettres à l’appelant et lui a parlé à plusieurs reprises pour lui faire part de ses attentes. Il a même envoyé des messages et des rappels à ses employés par l’entremise des scanneurs de colis qu’ils utilisaient.
  • L’appelant connaissait ou aurait dû connaître les conséquences du non‑respect de la politique de vaccination de l’employeur.
  • L’appelant a volontairement choisi de ne pas se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur.

Donc, l’appelant a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[36] Selon les conclusions que j’ai tirées précédemment, je conclus que l’appelant a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite.

[37] Cela s’explique par le fait que les actes de l’appelant ont mené à sa suspension. Il savait ou aurait dû savoir que le refus de se faire vacciner ou de dire s’il l’avait été allait probablement mener à son congédiement. Malgré tout, il a volontairement contrevenu à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur.

Conclusion

[38] La Commission a prouvé que l’appelant a été suspendu en raison d’une inconduite. Pour cette raison, l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

[39] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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