[TRADUCTION]
Citation : AR c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 470
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision
Partie appelante : | A. R. |
Partie intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Représentant : | Louis Gravel |
Décision portée en appel : | Décision rendue par la division générale le 26 octobre 2023 (GE-23-2385) |
Membre du Tribunal : | Stephen Bergen |
Mode d’audience : | Téléconférence |
Date de l’audience : | Le 2 avril 2024 |
Personnes présentes à l’audience : | Appelant Représentant de l’intimée |
Date de la décision : | Le 2 mai 2024 |
Numéro de dossier : | AD-23-1092 |
Sur cette page
Décision
[1] J’accueille l’appel. La division générale a commis des erreurs de fait. J’ai donc rendu la décision qu’elle aurait dû rendre. Le prestataire n’est pas exclu du bénéfice des prestations, car il n’a pas été congédié pour inconduite.
Aperçu
[2] A. R. est l’appelant. Je l’appellerai le « prestataire » parce que le présent appel vise sa demande de prestations d’assurance-emploi.
[3] L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a rejeté sa demande de prestations parce qu’elle a conclu qu’il avait été congédié pour inconduite. Le prestataire n’était pas d’accord. Il a donc demandé à la Commission de réviser sa décision. Elle n’a pas voulu modifier sa décision. Il a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Quand la division générale a rejeté son appel, il a fait appel à la division d’appel.
[4] J’accueille l’appel. La division générale a commis des erreurs de fait importantes. J’ai rendu la décision qu’elle aurait dû rendre. Je conclus que le prestataire n’a pas été congédié pour inconduite et qu’il n’aurait donc pas dû être exclu du bénéfice des prestations.
Questions en litige
[5] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :
- a) La division générale a-t-elle commis une erreur de fait importante en tirant une conclusion qui accorde peu de crédibilité au prestataire
- i. et qui contredit la preuve?
- ii. et qui ne tient pas compte de tous les éléments de preuve?
- b) La division générale a-t-elle commis une erreur de fait importante en préférant la preuve de la Commission sans tenir compte des contradictions?
- c) La division générale a-t-elle commis une erreur de fait importante en fondant sur l’opinion de l’employeur sa conclusion voulant que le prestataire ait enfreint la politique de l’employeur?
- d) Si la division générale a fait des erreurs, comment faut-il les corriger?
Analyse
[6] La division d’appel peut se pencher uniquement sur les erreurs qui correspondent à l’un des moyens d’appel suivants :
- a) La procédure de la division générale était inéquitable d’une façon ou d’une autre.
- b) La division générale n’a pas tranché une question alors qu’elle aurait dû le faire ou bien elle a tranché une question sans avoir le pouvoir de le faire (erreur de compétence).
- c) La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.
- d) La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.
Erreur de fait importante
[7] Pour exclure une personne du bénéfice des prestations en raison d’une inconduite, la prétendue inconduite doit être une cause opérante de la conduite et elle doit remplir le critère de l’« inconduite » tel qu’il est défini par la loi.
[8] Pour conclure que la conduite reprochée est une inconduite, la Commission doit prouver ceci :
- 1. La conduite était délibérée ou si insouciante qu’elle était presque délibérée.
- 2. Le prestataire savait ou aurait dû savoir :
- que sa conduite était de nature à entraver l’exécution d’une de ses obligations envers son employeur;
- que la possibilité de se faire congédier à la suite du manquement était bien réelleNote de bas de page 2.
[9] La division générale a bien énoncé le critère juridiqueNote de bas de page 3. Elle a aussi résumé les positions des parties et tiré des conclusions de fait.
[10] Malheureusement, ses motifs auraient pu être plus clairs. La décision ne fait pas le lien entre les conclusions de fait et les éléments essentiels du critère. Je dois donc en déduire qu’elle a examiné et appliqué le critère suivant des conclusions de fait prises isolément.
Conclusion non fondée au sujet de la crédibilité du prestataire
[11] La division générale a conclu que l’employeur avait congédié le prestataire parce qu’il avait enfreint ses politiques et ses protocoles de sécurité. Elle a admis que la violation ayant mené au congédiement du prestataire était celle-ci : il portait une boîte de gants quand il est entré puis sorti d’une chambre où était affiché un avertissement de risque d’infectionNote de bas de page 4 (la « chambre contaminée »).
[12] La division générale a conclu que le témoignage de l’appelant au sujet des « politiques et protocoles de l’employeur » n’était pas crédible. Pour tirer cette conclusion, elle s’est appuyée sur le fait que le prestataire avait déjà reçu des avertissements et subi des suspensions dans le passéNote de bas de page 5. Malheureusement, la division générale n’a pas précisé quelle partie du témoignage elle considérait comme peu crédible.
[13] La nature de l’inconduite reprochée est la suivante : le prestataire portait une boîte de gants quand il est entré dans une chambre contaminée et quand il en est ressorti, ce qui enfreint la politique de l’employeur. Par conséquent, je vais supposer que la division générale a jugé peu crédible la partie de la preuve du prestataire qui portait sur cette conduite et sur ce qu’il savait des politiques de l’employeur abordant ce sujet.
[14] Voici l’essentiel de la conclusion de la division générale sur la crédibilité du prestataire : on ne peut pas le croire lorsqu’il dit que l’employeur n’a pas de politique qui porte sur ce qu’il a fait ou quand il affirme qu’il ignorait l’existence d’une telle politique.
[15] Selon le résumé de la preuve produit par la division générale, le prestataire a dit qu’il avait compris que « les avertissements sur le non-respect des politiques et des protocoles de sécurité étaient des rappels », que s’il « désinfectait la surface où il déposait la boîte de gants dans la salle de bain, il respectait les politiques de sécurité » et que « personne ne lui avait dit d’arrêter d’emporter les boîtes de gants dans les chambres de la résidence ».
[16] La division générale a jugé ces éléments de preuve peu crédibles. Ce faisant, elle n’a cependant pas précisé le détail des éléments sur lesquels elle s’est fondée, c’est-à-dire les avertissements et les suspensions dont le prestataire a fait l’objet dans le passé. Elle n’a pas expliqué comment les avertissements ont contribué à sa décision de rejeter ce que le prestataire a dit sur sa connaissance des politiques de l’employeur qui régissaient sa prétendue inconduite. C’est important de le souligner, car les seuls avertissements consignés au dossier étaient les avertissements écrits sur les retards et les absences.
[17] En plus des avertissements écrits, le prestataire a admis que l’employeur l’avait averti de vive voix au sujet des « gantsNote de bas de page 6 ». Mais c’était à la suite d’un incident où il ne portait pas ses gants comme l’exigeait l’employeur, ce qui est différent de la conduite pour laquelle l’employeur l’a congédiéNote de bas de page 7.
[18] Il n’est pas évident de savoir pourquoi le fait que le prestataire s’était déjà fait avertir pour le port des gants a amené la division générale à douter de ce qu’il a dit au sujet de sa connaissance des autres politiques. Le fait qu’il ait reçu des avertissements pour une certaine conduite ne veut pas dire qu’il devait sûrement connaître une autre politique visant une autre conduite. L’avertissement porte seulement à croire que le prestataire était au courant de la politique sur le port des gants. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il connaissait toutes les autres politiques. Ainsi, cela ne veut pas dire qu’il devait savoir qu’il ne pouvait pas emporter un objet dans une chambre contaminée, puis ressortir de la chambre avec l’objet.
[19] La division générale a commis une erreur de fait importante. Sa conclusion sur la crédibilité du prestataire ne découle pas de la preuve. Par ailleurs, la division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle a mal expliqué comment sa conclusion sur la crédibilité découle de la preuve.
[20] Je reconnais que la division générale a donné une deuxième raison pour expliquer pourquoi elle a jugé la preuve du prestataire peu crédible lorsqu’elle cherchait à savoir comment il avait pu croire que sa conduite ne contrevenait pas aux politiques de l’employeur. Elle a dit que la preuve du prestataire « manque de cohérence ».
[21] Contrairement aux avertissements et aux suspensions dont le prestataire avait déjà fait l’objet, je ne peux pas décortiquer le poids que la division générale a donné au manque de cohérence dans l’évaluation de la crédibilité. J’ai conclu que la division générale s’est trompée dans au moins une partie de sa justification, et cela est suffisant.
[22] Cela dit, je remarque qu’il est encore une fois difficile de savoir comment le manque de cohérence en question pouvait amener la division générale à ne pas croire la preuve du prestataire. Elle n’a pas conclu que sa preuve était en général peu fiable ou peu crédible. Elle a relevé une seule incohérence : celle liée au fait que le prestataire a corrigé la date où il disait avoir reçu un avertissement verbal pour la façon dont il utilisait les gants.
[23] Le prestataire n’était peut-être pas certain du moment où il a reçu l’avertissement sur le port des gants ou sa version des faits sur ce point était peut-être vague. Mais la division générale n’explique pas en quoi cela affaiblit son témoignage sur ce qu’il savait au sujet des autres politiques de contrôle des infections.
[24] Le prestataire a affirmé qu’il ne savait pas que l’employeur s’opposerait à la façon dont il a manipulé la boîte de gants dans la chambre de la résidence. L’avertissement qu’il a reçu sur quand et comment il portait ses gants ne mène pas à la conclusion qu’on ne peut pas le croire lorsqu’il dit qu’il ne savait pas qu’il violait la politique quand il a emporté la boîte dans la chambre avant d’en ressortir avec la boîte.
Défaut de prendre en compte les contradictions dans les éléments de preuve sur les suspensions
[25] On peut supposer que la division générale ne faisait pas référence uniquement à l’avertissement verbal sur le port des gants lorsqu’elle a mentionné les avertissements et les suspensions dont le prestataire avait déjà fait l’objet.
[26] L’employeur a reconnu avoir suspendu le prestataire le 9 septembre 2022 pour ses absences et ses retards. Il a aussi expliqué que la suspension du 9 septembre découlait de la violation des règles de prévention et de contrôle des infections et du non-respect des protocoles d’hygiène des mains. Il a expliqué que la suspension du 22 septembre 2022 était non seulement due à un retard, mais aussi à la « conduite » du prestataire. L’employeur a dit à la Commission que les suspensions du prestataire étaient [traduction] « toutes liées aux raisons de son congédiement, qui allaient de problèmes de sécurité entourant le contrôle et la prévention des infections et les bonnes pratiques d’hygiène jusqu’à l’abus de confiance et à la violation du Code de conduite et de la Charte des droits des résidentes et résidentsNote de bas de page 8 ».
[27] La division générale a commis une erreur de fait importante. Elle a choisi d’accepter la preuve « de la Commission » et de s’appuyer sur elle. Dans la présente affaire, la preuve de la Commission provient des documents et des déclarations de l’employeur. Cela comprend ce que l’employeur a dit sur la nature des suspensions passées. Mais en décidant qu’elle préférait la preuve de la Commission, la division générale n’a pas tenu compte du fait que certaines des déclarations de l’employeur ne concordent pas avec d’autres éléments de preuve au dossier.
[28] Les déclarations de l’employeur contredisent les rapports de suspension en tant que tels. Les deux rapports indiquent que la raison de la suspension est un retard ou une absence. Ni l’un ni l’autre ne mentionne que le prestataire a enfreint une règle ou une politique de sécurité ou d’hygièneNote de bas de page 9. Il semble que le témoignage de l’employeur sur le lien entre les suspensions du prestataire et la sécurité, le contrôle des infections ou l’hygiène soit inexact. De toute évidence, les rapports de suspension ne contiennent rien qui laisserait croire que le prestataire a été averti ou sanctionné pour de tels problèmes, ni pour une conduite semblable à l’incident de la « chambre contaminée » pour lequel l’employeur l’a congédié.
Conclusion fondée sur l’opinion de l’employeur
[29] L’employeur a dit à la Commission que la conduite du prestataire contrevenait au Code de conduite et à la Charte des droits des résidentes et résidentsNote de bas de page 10. La Commission a demandé à l’employeur de lui fournir ces documents. Elle a déposé un document intitulé [traduction] « Code de conduite professionnelle et d’éthique relatives à la Charte des droits des résidentes et résidents » ainsi qu’un autre document intitulé [traduction] « Charte des droits des résidentes et résidents ».
[30] Voici la section pertinente du Code de conduite : [traduction] « Les membres de l’équipe ont la responsabilité de maintenir un milieu de travail sécuritaire en respectant les règles et les pratiques de santé et de sécurité [...]. » Voici ce que dit la Charte des droits des résidentes et résidents : [traduction] « Chaque personne qui réside dans l’établissement avait [sic] le droit de vivre dans un milieu propre et sécuritaire. » Aucun de ces documents ne révèle la nature des « règles » et des « pratiques de santé et de sécurité » ou l’endroit où l’on pourrait les trouver. Aucun de ces documents n’aborde la conduite précisément reprochée au prestataire. Ni l’un ni l’autre ne prouve que la conduite du prestataire a violé ses dispositions.
[31] La lettre de congédiement du prestataire mentionnait aussi qu’il avait enfreint la règle de « prévention et contrôle des infections – XXII-G-10.40 ». Cette référence est obscure et dénuée de sens. J’imagine qu’elle veut dire quelque chose, mais ni la Commission ni l’employeur n’ont expliqué ce que c’était. La Commission n’a pas fourni la source de la référence, et rien n’indique comment la localiser.
[32] Autrement dit, les dires de l’employeur forment le seul et unique élément de preuve qui montre que le prestataire a enfreint une règle ou une politique de l’employeur quand il a emporté une boîte de gants dans une chambre contaminée, puis qu’il est sorti de la chambre avec la boîte.
[33] Selon la Commission, la division générale devrait pouvoir se fier à une déclaration de l’employeur voulant que le prestataire ait enfreint sa politique. Elle cite la décision GD, rendue par le Tribunal, ainsi que les décisions Morris et Norman, rendues par la Cour d’appel fédéraleNote de bas de page 11.
[34] Je ne sais pas pourquoi la Commission a invoqué la décision Norman. Je ne vois pas en quoi cette affaire est pertinenteNote de bas de page 12.
[35] Dans l’affaire DG, jugée par le Tribunal, la prestataire a été congédiée pour avoir refusé de se faire vacciner. Elle a fait valoir qu’elle n’était pas au courant de la politique et a affirmé que l’employeur n’en avait fourni aucune copie. La politique en question exigeait que les membres du personnel se fassent vacciner.
[36] La Commission cite la décision GD pour appuyer son argument voulant qu’il ne soit pas nécessaire de déposer la politique de l’employeur en preuve. Je suis d’accord avec la Commission. Dans certaines circonstances, il n’est pas nécessaire que la politique soit présentée comme élément de preuve. Je ne suis toutefois pas d’accord avec elle sur un point : cela ne veut pas dire qu’il suffit d’avoir l’opinion de l’employeuse ou de l’employeur voulant que la personne ait enfreint sa politique.
[37] Dans l’affaire DG, la politique de vaccination laissait peu de place à l’interprétation. En ne se faisant pas vacciner, la prestataire n’a pas respecté la politique. Tout le personnel était au courant de la politique. Elle était de notoriété publique.
[38] Dans la présente affaire, on ne sait pas trop s’il existe même une politique spécifique, que le prestataire reconnaîtrait comme s’appliquant à sa conduite particulière. On a demandé à l’employeur de fournir ses politiques. Il a déposé des documents énonçant des politiques générales qui obligent le personnel à agir de façon « sécuritaire ». La division générale a tiré la conclusion de fait que le prestataire croyait protéger les personnes qui résidaient dans l’établissement par la façon dont il utilisait les désinfectants et les produits nettoyants.
[39] S’il existait une politique ou un protocole qui traitait spécifiquement du contrôle des infections et qui interdisait d’emporter des objets dans une chambre contaminée et de les en sortir, la croyance du prestataire selon laquelle il respectait la politique ou le protocole n’aurait peut-être pas été raisonnable. Mais la réponse à cette question dépendrait nécessairement du texte de la politique.
[40] Dans la décision Morris, il est écrit que le Tribunal a le pouvoir d’évaluer et de soupeser la preuve, y compris le ouï-dire, et que faire une telle chose n’est pas une injusticeNote de bas de page 13. Je suis aussi d’accord avec la Commission sur ce point. La division générale peut accepter la preuve par ouï-dire, même si elle ne peut pas lui accorder la même importance qu’un élément de preuve qui ne repose pas sur le ouï-dire.
[41] Toutefois, dans ce cas-ci, il ne s’agit pas de savoir si la preuve de l’employeur est du ouï-dire. Le problème, c’est qu’elle n’est pas utile. Si l’employeur avait nommé la politique et cité son texte, ou s’il l’avait assez bien expliquée, même en la paraphrasant, la preuve de l’employeur serait toujours du ouï-dire, mais elle aurait une certaine valeur.
[42] À ce jour, rien de tout cela n’est arrivé. Le dossier contient seulement l’opinion de l’employeur, qui affirme que les faits et gestes du prestataire ont enfreint sa politique, et une référence énigmatique à quelque chose (une norme ou peut-être un protocole) que le prestataire a possiblement enfreint. En revanche, le prestataire pensait que sa conduite ne contrevenait à aucune des politiques de l’employeur dont il avait connaissance.
[43] La division générale devait décider si le prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il contrevenait à la politique. Il s’agit d’un critère objectif. Autrement dit, le fait que l’employeur croie que sa politique régissait la conduite du prestataire n’est pas pertinent. Le fait que l’employeur croie que le prestataire avait compris (ou aurait dû comprendre) qu’il violait la politique et qu’il pouvait se faire congédier pour cette raison n’est pas non plus pertinent (du moins pas sans preuve matérielle permettant à la division générale d’évaluer le fondement de cette croyance).
[44] Le rôle de la division générale était de voir si une personne raisonnable dans la même situation que le prestataire aurait pensé qu’elle violait la politique. La division générale ne pouvait pas trancher cette question sans une preuve raisonnablement fiable de ce que dit effectivement la politique.
[45] La Cour d’appel fédérale a confirmé que la division générale ne peut pas se fier à l’opinion de l’employeur pour savoir si la conduite du prestataire était une inconduiteNote de bas de page 14. Si elle s’appuie sur l’opinion de l’employeur, qui dit que la conduite du prestataire violait sa politique, sans expliquer la politique en question, c’est exactement ce qu’elle fait.
[46] La division générale a commis une erreur de fait, car sa conclusion voulant que la conduite du prestataire contrevienne à la politique de l’employeur reposait sur l’opinion de l’employeur.
Résumé
[47] J’ai conclu que la division générale avait commis des erreurs de fait importantes. Par conséquent, je dois décider quoi faire pour les corriger.
Réparation
[48] J’ai le pouvoir de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen. J’ai aussi le pouvoir de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Si je choisis la deuxième option, je peux trancher toute question de droit ou de fait qui me permet de rendre une décisionNote de bas de page 15.
[49] Le prestataire et la Commission m’ont fait la même suggestion : si je concluais qu’il y avait une erreur, je pouvais rendre la décision que la division générale aurait pu rendre. Selon la Commission, je devrais renvoyer l’affaire à la division générale si jamais je concluais que l’absence de la politique posait un problème d’équité procédurale.
[50] La présente décision ne découle pas d’une erreur d’équité procédurale. J’ai plutôt constaté des erreurs de fait.
[51] Peu importe ce qui se cache derrière l’allégation de l’employeur selon laquelle le prestataire a enfreint la règle de « prévention et contrôle des infections – XXII-G-10.40 », la Commission n’a pas démontré le bien-fondé de l’allégation. Elle n’a pas non plus produit le texte d’une quelconque politique qui interdirait la conduite particulière du prestataire, soit à elle seule, soit par citation d’une autre norme ou d’un autre protocole aussi introduit en preuve. J’aurais préféré voir de tels éléments de preuve.
[52] Cependant, je suis d’accord avec les parties : je dois rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Le fait qu’il n’y ait aucun élément de preuve qui démontre l’existence de la politique (que le prestataire a prétendument violée) ne veut pas dire que le dossier est incomplet. Cela veut seulement dire que la Commission aura de la difficulté à s’acquitter de sa responsabilité, c’est-à-dire d’en faire la preuve.
Pourquoi le prestataire a-t-il été congédié?
[53] La division générale a conclu que l’employeur avait congédié le prestataire parce qu’il avait emporté une boîte de gants dans une chambre contaminée, puis qu’il était sorti de la chambre avec la boîte. Je suis d’accord.
[54] Je reconnais que d’autres éléments de preuve montrent également que le prestataire avait aussi des gants dans sa poche (ce qui était peut-être contraire à une politique quelconque). Mais le problème est le même : il a été congédié pour avoir emporté des objets dans une chambre contaminée et en être sorti avec les objets.
[55] Lorsque la Commission a demandé à l’employeur ce qui avait mené au congédiement du prestataire, elle a répondu qu’il ne fallait pas porter de gants quand on était dans le couloir ou qu’on allait d’une chambre à l’autre. Elle a ajouté qu’il y avait des protocoles pour le lavage des mains. Enfin, elle a dit que le prestataire avait apporté une boîte de gants dans une chambre contaminée, puis qu’il l’avait emportée dans une chambre non contaminéeNote de bas de page 16.
[56] L’employeur a parlé du dernier incident. Il a mentionné la vidéo montrant que le prestataire est entré dans une chambre contaminée avec la boîte de gants. Elle a ajouté que personne ne sait ce qu’il a fait à l’intérieur, ni s’il s’est lavé les mains. L’employeur a affirmé que le prestataire a admis s’être lavé les mains avec ses gants, ce qui contrevenait à la politiqueNote de bas de page 17.
[57] Le prestataire croyait aussi que l’hygiène des mains était l’une des raisons de son congédiementNote de bas de page 18. Des éléments de preuve montraient qu’il avait envoyé un message texte à son voisin pour lui dire que son employeur l’avait congédié parce qu’il ne s’était pas lavé les mains correctementNote de bas de page 19. Mais on ne sait pas vraiment si le prestataire faisait référence à son comportement durant le dernier incident. Peut-être parlait-il de l’incident où il a admis que c’est ce qu’il avait fait, mais il aurait tout aussi bien pu décrire des incidents qui se sont produits plus tôt ou bien faire référence aux avertissements qu’il a reçus. J’admets qu’il croyait que ces autres problèmes avaient contribué à la décision de l’employeur de le congédier.
[58] La Commission a toutefois compris, d’une part, que l’employeur avait congédié le prestataire parce qu’il était entré dans la chambre contaminée avec la boîte de gants et qu’il en était ressorti avec la boîte et, d’autre part, que le prestataire était d’accord avec cette description des chosesNote de bas de page 20.
[59] Je conclus qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que l’employeur n’aurait pas congédié le prestataire à ce moment-là si ce dernier n’avait pas emporté la boîte de gants dans la chambre contaminée avant d’en ressortir avec la boîte. J’admets que l’employeur a congédié le prestataire parce qu’il a emporté une boîte de gants dans une chambre contaminée, puis qu’il en est ressorti avec les gants. L’employeur aurait raison de s’inquiéter que les gestes du prestataire contribuent à la propagation de la maladie.
[60] De toute évidence, l’employeur s’inquiétait aussi de l’hygiène des mains du prestataire et de son assiduité au travail. L’employeur avait réagi à ces situations en lui donnant un avertissement ou en lui imposant une suspension. Toutefois, ces avertissements et suspensions n’avaient aucun lien avec le dernier incident, celui à l’origine du congédiement. Il n’y a pas assez d’éléments de preuve pour démontrer que le prestataire a répété l’un des comportements pour lesquels il avait été averti — ou que cela avait un lien avec le dernier incident.
[61] Ainsi, la Commission doit démontrer que les gestes posés par le prestataire, c’est-à-dire emporter une boîte de gants dans une chambre contaminée et en ressortir avec la boîte, constituaient une inconduite. La Commission a le fardeau de la preuve (la responsabilité d’en faire la preuve).
La conduite du prestataire était-elle une « inconduite »?
[62] Essentiellement, il n’y a rien de « mal » à emporter une boîte de gants dans une chambre contaminée, puis à en ressortir avec la boîte. En fait, je veux dire que je ne peux pas présumer (en l’absence d’une politique ou d’un protocole) que le prestataire aurait dû savoir que ce qu’il a fait violait son devoir de respect des normes de sécurité.
[63] Le prestataire a déclaré qu’il pensait agir de façon sécuritaire quand il nettoyait et désinfectait les surfaces. La division générale a accepté ce fait. Pour autant que je sache, ce qu’il faisait était une façon efficace et adéquate de réduire le risque de contagion. Toutefois, le dossier ne contient aucun élément de preuve sur lequel je pourrais me fonder pour savoir si le prestataire pouvait raisonnablement croire que ce qu’il faisait était sécuritaire ou dangereux.
[64] Par conséquent, la seule chose qui me permettrait de conclure que la conduite du prestataire constituait une « inconduite » était le fait qu’elle ait un lien avec la violation d’une politique, d’une règle ou d’une instruction de l’employeur. Il faudrait que je conclue qu’il savait ou aurait dû savoir que sa conduite était contraire à une telle politique, règle ou instruction.
[65] La violation d’une politique de l’employeur peut être une inconduite à elle seule, si la Commission peut prouver qu’elle était délibéréeNote de bas de page 21. La Commission doit aussi prouver que le prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il risquait d’être congédié à la suite de la violationNote de bas de page 22.
[66] Le prestataire a déclaré qu’il croyait que ce qu’il a fait dans la chambre contaminée respectait les politiques de l’employeur. L’employeur a dit à la Commission que la conduite du prestataire allait à l’encontre de sa politique. Il a expliqué que le prestataire avait eu [traduction] « une séance d’orientation et de la formation ». L’employeur a ajouté qu’il avait déjà averti le prestataire. Selon lui, le prestataire « savait » qu’il contrevenait à la politique.
[67] Les avertissements et la formation que le prestataire a eus dans le passé pourraient permettre de savoir s’il a violé la politique de l’employeur de façon intentionnelle ou délibérée.
Avertissements donnés avant l’incident
[68] J’admets que l’employeur a averti le prestataire au moins une fois qu’il devait porter des gants. J’admets aussi qu’il l’a averti pour ses retards et ses absences.
[69] Pour ce qui est des avertissements, l’employeur a affirmé que le prestataire avait fait l’objet de mesures disciplinaires pour [traduction] « les mêmes raisons ». Si cela veut dire qu’il avait déjà emporté une boîte de gants dans la chambre d’une résidente ou d’un résident avant de ressortir avec la boîte, on pourrait croire qu’il savait sûrement qu’il ne pouvait plus refaire une telle chose.
[70] Je juge toutefois qu’il s’agissait fort probablement d’une référence à l’avertissement qu’il avait déjà reçu au sujet de l’hygiène des mains. Je dis cela parce qu’un peu plus tard dans la même conversation, l’employeur a donné plus de détails. Il faisait plus précisément référence à l’hygiène des mains ainsi qu’à la désinfection et au lavage des mains, mais pas aux protocoles de sécurité pour les chambres contaminéesNote de bas de page 23. Je remarque aussi que certains des éléments de preuve de l’employeur ne concordent pas avec les documents au dossier. L’employeur a déclaré que toutes les suspensions du prestataire portaient sur des problèmes de sécurité concernant les contrôles de sûreté et les risques d’infection. Il a mentionné les dates de deux suspensions. Les rapports de suspension sont bien au dossier, mais ni l’un ni l’autre ne mentionnent la sécurité ou la prévention des infections. Le prestataire a été suspendu pour des problèmes de présence au travail : ses retards et ses absences.
[71] Le prestataire a reçu des avertissements, mais je refuse d’admettre qu’ils portaient sur la conduite pour laquelle il a été congédié. D’après ce que je vois, les avertissements qu’il a reçus auparavant ne lui demandaient pas d’arrêter d’emporter une boîte de gants dans les chambres contaminées et d’en ressortir avec la boîte. Ils ne laissaient pas entendre et ne portaient pas à croire que c’était interdit. Les avertissements n’aident pas la Commission à prouver que le prestataire aurait dû savoir que sa conduite violait une politique de l’employeur.
[72] Les avertissements reçus avant l’incident n’appuient pas la conclusion voulant que le prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il contrevenait à la politique de l’employeur.
Formation suivie
[73] J’admets que le prestataire a eu une séance d’orientation et reçu de la formation à un moment donné. Il n’y a aucune preuve du contenu de la séance d’orientation ou de la formation en question, mais compte tenu du poste occupé par le prestataire, j’admets qu’il s’agissait probablement de protocoles de sécurité.
[74] Toutefois, rien ne prouve que la formation du prestataire mentionnait la conduite pour laquelle il a été congédié. L’affirmation selon laquelle le prestataire avait suivi une formation sur la « sécurité » ne veut pas dire qu’elle détaillait les protocoles visant à prévenir la propagation des maladies infectieuses. Cela ne veut pas non plus dire qu’une conduite comme celle du prestataire contreviendrait à de tels protocoles. Cela n’aide pas à démontrer qu’il aurait dû savoir que ce qu’il faisait était dangereux.
[75] Le simple fait que le prestataire ait reçu une formation ne permet pas de conclure qu’il savait ou aurait dû savoir que ses gestes contrevenaient à la politique de l’employeur.
La politique même
[76] J’admets que le prestataire est entré de façon délibérée dans la chambre contaminée avec une boîte de gants et qu’il en est ressorti de façon délibérée avec la même boîte. On prétend que cette conduite est une inconduite parce qu’elle violerait la politique de l’employeur. Ce qui importe dans la présente affaire, c’est de savoir si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite violait la politique de l’employeur et s’il savait ou aurait dû savoir que l’employeur pouvait le congédier pour cette conduite.
[77] La Commission n’a pas obtenu une copie de la politique, de la règle ou du protocole que le prestataire est censé avoir enfreint. Elle n’a pas non plus demandé à l’employeur d’expliquer l’essentiel de la politique, de la règle ou du protocole qui interdisait la conduite du prestataire. Rien au dossier n’explique la politique en quelques termes que ce soit. Ces faits sont différents de ceux décrits dans la décision GDNote de bas de page 24. Dans la présente affaire, rien ne montre comment la politique était généralement comprise dans le milieu de travail. En effet, son application aux faits et gestes du prestataire pourrait bien laisser place à l’interprétation.
[78] Les textes du Code de conduite et de la Charte des droits des résidentes et résidents montrent clairement que l’employeur exige que son personnel se soucie de la sécurité. Je n’ai cependant aucune preuve de ce que cela est censé vouloir dire. Le dossier ne contient aucune expertise qui précise quelles sont les normes de sécurité acceptées pour une personne qui serait dans la même situation que le prestataire ou qui conclut que la conduite du prestataire était dangereuse.
[79] En fait, il n’y a aucune preuve que les faits et gestes du prestataire étaient contraires à la politique, à part l’opinion de l’employeur qui n’est appuyée par aucune preuve. Comme je l’ai souligné lorsque j’ai conclu que la division générale avait commis des erreurs de fait, je ne peux pas conclure que le prestataire a bel et bien enfreint la politique de l’employeur uniquement d’après les dires de l’employeur. Aucun autre élément de preuve ne me permettrait de conclure que ce que le prestataire a fait viole la politique de l’employeur.
[80] La Commission n’a pas prouvé que l’employeur avait une politique interdisant la conduite pour laquelle le prestataire a été congédié. Elle n’a pas démontré que la conduite du prestataire est une infraction délibérée à la politique de l’employeur. Elle n’a pas non plus prouvé qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il serait congédié pour ce qu’il a fait. Bref, la Commission n’a pas démontré que l’employeur a congédié le prestataire pour une conduite qui répond à la définition d’inconduite.
Conclusion
[81] J’accueille l’appel. La division générale a commis des erreurs de fait. J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. Le prestataire n’est pas exclu du bénéfice des prestations parce qu’il n’a pas été congédié en raison d’une inconduite.