Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : WG c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 468

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : W. G.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la
Commission de l’assurance-emploi du Canada
(633286) datée du 9 décembre 2023
(communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Laura Hartslief
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 8 mars 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelant
D. G., témoin
Date de la décision : Le 8 mars 2024
Numéro de dossier : GE-24-8

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal de la sécurité sociale n’est pas d’accord avec l’appelant.

[2] Sa demande de prestations parentales de l’assurance-emploi montre qu’il a choisi l’option des prestations prolongées.

[3] L’appelant affirme avoir choisi cette option en se fondant sur des renseignements incorrects et incomplets de son employeur et de la Commission de l’assurance-emploi du Canada.

[4] Malgré tout, pour les raisons que je vais expliquer, la loi ne permet tout simplement pas à l’appelant de modifier son choix pour obtenir des prestations parentales standards.

Aperçu

[5] Toute personne qui remplit une demande de prestations parentales de l’assurance-emploi doit choisir entre deux options : l’« option standard » et l’« option prolongée »Note de bas de page 1.

[6] L’option standard permet de recevoir un maximum de 35 semaines de prestations au taux normal. L’option prolongée permet de recevoir la même somme totale, mais à un taux moins élevé et pendant un maximum de 61 semaines. La somme à recevoir est donc la même. Elle est simplement répartie sur un nombre de semaines différent. Une fois que les paiements commencent, les personnes ne peuvent plus changer d’optionNote de bas de page 2.

[7] Dans sa demande, l’appelant a choisi les prestations parentales prolongées. Il a commencé à recevoir des prestations au taux moins élevé pendant la semaine du 9 février 2023Note de bas de page 3. Il a tenté de modifier son choix le 17 novembre 2023Note de bas de page 4.

[8] L’appelant dit qu’avant de présenter sa demande de prestations, il a communiqué avec son employeur et la Commission pour savoir s’il pouvait prendre deux périodes distinctes de congé parental : une première période de 10 semaines peu après la naissance de son enfant et une deuxième de 24 semaines quand son enfant viendrait d’avoir un an. L’appelant affirme que son employeur et la Commission lui ont dit qu’il n’y aurait aucun problème et qu’il était libre de prendre son congé parental en un seul bloc ou en périodes séparées comme il le souhaitait.

[9] L’appelant ne savait pas que cette information était erronée avant de communiquer de nouveau avec son employeur à l’approche de sa deuxième période de congé parental. À ce moment-là, son employeur lui a expliqué que la Loi de 2000 sur les normes d’emploi de l’Ontario l’empêche de diviser son congé parental en deux périodes distinctes. Comme l’employeur de l’appelant est en Ontario et que cette loi s’applique, il était impossible de permettre à l’appelant de diviser son congé parental comme il le souhaitait.

[10] Par conséquent, l’appelant et son épouse veulent modifier leur choix pour recevoir des prestations parentales standards plutôt que prolongées.

[11] La Commission affirme que l’appelant a fait son choix et qu’il est trop tard pour le modifier parce qu’il a déjà commencé à recevoir des prestations parentales.

Question que je dois examiner en premier

[12] L’appel de l’appelant (numéro du Tribunal GE-24-8) est directement lié à l’appel de son épouse, qui porte le numéro du Tribunal GE-24-9. Comme ces deux affaires sont liées et comme les deux parties appelantes avaient l’intention d’agir à titre de témoin dans l’appel de l’autre personne, j’ai tenu les deux audiences l’une après l’autre le même jour.

[13] L’appelant dans le dossier GE-24-8 a livré un témoignage direct et j’ai donné à son épouse l’occasion de fournir son témoignage à titre de témoin à cet appel. J’ai ensuite traité l’affaire dans le dossier GE-24-9. L’appelante a alors livré un témoignage direct et j’ai donné à son époux l’occasion de fournir son témoignage à titre de témoin à cet appel.

[14] Comme ces deux appels sont directement liés et que ma décision est la même pour les deux, mon analyse et la jurisprudence applicable sont semblables.

Question en litige

[15] L’appelant peut-il modifier son choix pour passer des prestations parentales prolongées aux prestations parentales standards?

Analyse

[16] Toute personne qui demande des prestations parentales de l’assurance-emploi doit choisir entre l’option standard et l’option prolongéeNote de bas de page 5. La loi prévoit qu’on ne peut pas changer d’option une fois que la Commission commence à verser des prestations parentalesNote de bas de page 6.

Témoignage de l’appelant

[17] L’appelant affirme que son épouse et lui ont pris 18 mois de congé parental prolongé avec leurs deux premiers enfants et qu’ils avaient l’intention de faire la même chose pour leur troisième enfant né le 30 décembre 2022Note de bas de page 7. La seule différence dans le cas du troisième enfant est que l’appelant voulait diviser ses 34 semaines de congé parental prolongé en deux périodes. Il voulait prendre les 10 premières semaines peu après la naissance du bébé de janvier 2023 jusqu’au 6 mars 2023 environ. Et il voulait prendre les 24 semaines restantes à peu près un an plus tard, de janvier à juin 2024.

[18] L’appelant indique que ce plan permettait à son épouse de retourner au travail après un an, car elle gagne un revenu important dont la famille a besoin. De plus, les garderies de la région accueillent seulement les enfants qui savent marcher, alors le congé prolongé allait donner le temps à l’enfant d’apprendre à marcher en toute confiance avant d’entrer à la garderie.

[19] L’appelant affirme avoir longuement discuté de ce plan avec son employeur et le personnel de la Commission. Tous ont garanti, à l’appelant et à son épouse, que leur plan était raisonnable. Ni l’employeur ni le personnel de la Commission ne lui ont suggéré de faire plus de recherches pour confirmer que son plan était réalisable.

[20] Vers la fin de 2023, avant que l’appelant ne commence sa deuxième période de congé parental, son équipe de travail a changé d’emplacement et de gestionnaire. Lorsque l’appelant a consulté son nouveau gestionnaire à propos de sa deuxième période de congé parental à venir, ce dernier l’a informé, après avoir consulté les ressources humaines, que la loi ontarienne sur les normes d’emploi empêchait l’appelant de diviser son congé parental comme il le souhaitait. Son gestionnaire a précisé que, comme il avait déjà pris un congé parental de 10 semaines et qu’il était retourné au travail, il ne pouvait pas prendre une deuxième période de congé parental. L’appelant et son épouse ont alors communiqué avec la Commission et ont tenté de modifier leur choix pour recevoir des prestations parentales standards.

[21] L’appelant affirme que ce changement de plan a eu des conséquences négatives pour lui et sa famille. Premièrement, son enfant a dû aller à la garderie plus tôt. C’était compliqué, car son enfant commençait tout juste à marcher et a pu avoir droit à une place en garderie seulement avant l’audience. Par conséquent, l’appelant et son épouse ont dû jouer constamment avec leurs horaires de travail (changer leurs jours de vacances, écourter leurs semaines de travail et avoir d’autres mesures d’adaptation) pour s’occuper de leur enfant jusqu’à ce qu’il puisse aller à la garderie. Deuxièmement, l’appelant a sacrifié deux semaines de prestations complémentaires de son employeur, car il en a seulement demandé 10 semaines, alors qu’il aurait pu être admissible à 12 semaines. Troisièmement, l’appelant et son épouse ont reçu des prestations parentales prolongées au taux moins élevé de 33 %, tandis qu’ils auraient pu les recevoir au taux normal de 55 %. Autrement dit, ils ont eu un revenu mensuel inférieur, et l’appelant a dû travailler en 2024, ce qui a laissé 24 semaines de prestations prolongées non réclamées. Cet écart financier a été stressant et a entraîné plusieurs difficultés. Enfin, l’appelant et son épouse avaient prévu qu’un parent s’occupe de leur enfant pendant 18 mois. L’appelant affirme que lorsqu’ils ont dû changer leur plan, ils ont raté de précieux moments avec leur jeune enfant qu’ils ne récupéreront jamais.

[22] L’appelant a présenté son témoignage de façon détaillée et cohérente, et je le trouve crédible. Je le crois quand il dit s’être informé en discutant avec son employeur et le personnel de la Commission avant de partir en congé. Je le crois quand il affirme que ni son gestionnaire ni la Commission ne l’ont jamais avisé de consulter la loi provinciale sur l’emploi pour voir si son plan respectait le cadre juridique applicable. Je le crois quand il dit s’être rendu compte que son plan n’était pas réalisable seulement en novembre 2023, lorsque son nouveau gestionnaire l’a informé que ce plan n’était pas conforme à la loi ontarienne sur les normes d’emploi.

[23] Je suis sensible aux difficultés de l’appelant et de son épouse. Ce sont des gens instruits qui valorisent le temps passé en famille. Ils ont tous deux volontairement pris 18 mois de congé pour s’occuper de leurs deux enfants plus âgés et, pour des raisons indépendantes de leur volonté, ils n’ont pas pu faire la même chose pour leur troisième enfant. Cette situation a eu des répercussions financières et a entraîné des conséquences émotives et du stress mental pour l’appelant et sa famille.

[24] Toutefois, malgré la crédibilité de l’appelant et toute la compassion que je peux éprouver pour lui, la jurisprudence applicable est claire : il est impossible de modifier un choix de prestations parentales une fois que ce choix a été fait.

Décision Variola

[25] La Cour fédérale a rendu la décision Canada (Procureur général) c Variola, 2022 CF 1402, qui porte sur une situation semblable. Dans l’affaire Variola, l’appelant s’est informé auprès de son employeur avant de présenter une demande de prestations et a fait son choix en fonction de l’information reçue. Comme dans la présente affaire, l’employeur a donné à M. Variola des renseignements incorrects, ce qui l’a amené en partie à faire un choix de prestations qui lui a causé des difficultés financières.

[26] Dans l’affaire Variola, même si la Cour a reconnu que l’appelant a reçu des renseignements incorrects de son employeur, elle a conclu que « la Commission ne peut être tenue responsable des renseignements fournis par un employeur à ses employésNote de bas de page 8 ». La Cour se réfère à une autre affaire importante et affirme que « le choix entre les deux options de prestations parentales fait par le demandeur de prestations sur le formulaire de demande est le choix du demandeur de prestations (paragraphe 23(1.1) [de la Loi sur l’assurance-emploi]) et […]il est irrévocable une fois que les paiements commencent (paragraphe 23(1.2)) : arrêt Hull, aux para 46 à 49Note de bas de page 9 ». [C’est moi qui souligne.]

[27] Cette affaire nous montre que même si une personne reçoit des renseignements incorrects ou incomplets de son employeur, elle ne peut pas modifier son choix de prestations parentales une fois que les paiements ont commencé. Je n’ai pas le pouvoir discrétionnaire de modifier la loi même si la situation peut sembler convaincante.

Décision Hull

[28] Une autre affaire importante à ce sujet est la décision Canada (Procureur général) c Hull, 2022 CAF 82. L’affaire Hull, ainsi que le reste de la jurisprudence applicable dans ce domaine, est claire : une personne ne peut pas modifier son choix une fois que des prestations parentales ont été versées.

[29] Dans l’affaire Hull, la Cour d’appel fédérale a analysé la loi de façon détaillée. La prestataire avait choisi accidentellement l’option des prestations parentales prolongées. Même si les faits dans l’affaire Hull diffèrent un peu de ceux dans la présente affaire, l’analyse juridique et les conclusions s’appliquent. La Cour a établi que le versement des prestations parentales rend le choix irrévocableNote de bas de page 10.

[30] Comme cette décision émane de la Cour d’appel fédérale, je suis tenue de suivre ses conclusions et je n’ai pas le pouvoir discrétionnaire de les modifier, même si je crois le témoignage de l’appelant et que je suis sensible à sa situation. Je ne suis pas autorisée à faire une exception.

Décision Pettinger

[31] Enfin, plus récemment, dans l’affaire Canada (Procureur général) c Pettinger, 2023 CAF 51, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur une situation où une personne n’avait pas toute l’information requise pour faire son choix et, en raison de ce manque de clarté, a fait le mauvais choix dans son formulaire de demande. L’affaire Pettinger est semblable à la présente affaire, puisque l’appelant a aussi fait une erreur dans sa demande en se fondant sur des renseignements incomplets reçus de son employeur et de la Commission.

[32] Dans l’affaire Pettinger, la Cour a réitéré les conclusions tirées dans la décision Hull :

Notre Cour a affirmé que les paragraphes 23(1.1) et 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploi ne permettent qu’une seule interprétation. Le « mot ‟choisit” s’entend du choix que la prestataire indique dans le formulaire de demande »; aussitôt que « les prestations commencent à être versées, il est impossible pour la prestataire, la Commission, la division générale ou la division d’appel de révoquer, de modifier ou de changer ce choix » : Canada (Procureur général) c Hull, 2022 CAF 82 aux para 62 à 64Note de bas de page 11. [C’est moi qui souligne.]

[33] Ces décisions de la Cour d’appel fédérale appuient la proposition suivante : peu importe les renseignements incorrects ou incomplets que l’appelant a pu recevoir, il est lié par le choix inscrit sur son formulaire de demande, et ce choix est irrévocable dès que le versement des prestations parentales a commencé.

[34] Même si je suis sensible à la situation de l’appelant et que je comprends les difficultés financières et pratiques que cette situation a causées à toute sa famille, je suis liée par les décisions de la Cour d’appel fédérale et je n’ai pas le droit de modifier la loi. Je n’ai pas le pouvoir discrétionnaire de faire des exceptions même si la situation de l’appelant est malheureuse. Pour ces motifs, je conclus que l’appelant n’est pas autorisé à modifier son choix de prestations parentales prolongées pour passer aux prestations standards.

Conclusion

[35] L’appelant ne peut pas modifier son choix pour obtenir des prestations standards.

[36] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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