Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : MH c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 477

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : M. H.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (634667) datée du 20 décembre 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Stuart O’Connell
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 31 janvier 2024
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 11 mars 2024
Numéro de dossier : GE-24-150

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelant.

[2] L’appelant n’a pas démontré qu’il était fondé (c’est-à-dire qu’il avait une raison acceptable selon la loi) à quitter son emploi quand il l’a fait. Il n’était pas fondé à quitter son emploi parce que d’autres solutions raisonnables s’offraient à lui. Par conséquent, il n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] L’appelant a quitté son emploi et a demandé des prestations d’assurance-emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a examiné les raisons du départ de l’appelant. Elle a décidé qu’il avait quitté volontairement son emploi (c’est-à-dire qu’il avait choisi de quitter son emploi) sans justification. Elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations.

[4] Je dois décider si l’appelant a prouvé que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.

[5] La Commission affirme que l’appelant aurait pu discuter de ses préoccupations avec la haute direction ou trouver un autre emploi avant de démissionner.

[6] L’appelant n’est pas d’accord et affirme qu’il a été promu au poste de chef d’équipe, mais que son employeur ne lui a jamais fourni de contrat de travail ni de description d’emploi malgré le fait qu’il lui a demandé. Il affirme également avoir été victime de discrimination, en soulignant le fait qu’il avait été ignoré lors du processus de promotion. De plus, il soutient qu’il était constamment appelé à travailler seul sur une chaîne de production, même si le travail aurait dû être fait (et le quart de soir était fait) par une équipe de trois personnes.

Question en litige

[7] L’appelant est-il exclu du bénéfice des prestations parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification?

[8] Pour répondre à cette question, je dois d’abord me pencher sur la question du départ volontaire de l’appelant. Je dois ensuite décider si l’appelant était fondé à quitter son emploi.

Analyse

Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelant a quitté volontairement son emploi

[9] Il appartient à la Commission de prouver que l’appelant a quitté volontairement son emploi.

[10] Dans son avis d’appel, l’appelant déclare avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé et ne pas être d’accord avec la décision de la Commission selon laquelle il a quitté volontairement son emploiNote de bas de page 1.

[11] La question de savoir si une personne a le droit de considérer que sa relation d’emploi a pris fin en raison d’un congédiement déguisé selon la common law est une question différente de celle de savoir si une personne a quitté volontairement son emploi au titre de la Loi sur l’assurance-emploi,de sorte qu’elle pourrait ne pas avoir droit aux prestations d’assurance-emploi. Aux termes de l’article 30(1) de la Loi, il est simple de décider si une personne a volontairement quitté son emploi. La question à se poser est la suivante : la personne avait-elle le choix de rester ou de partirNote de bas de page 2?

[12] L’appelant convient qu’il a donné un préavis de deux semaines à son employeur, conformément à son contrat de travail. Son employeur a choisi de ne pas le laisser continuer à travailler et de le payer pour la période de préavis.

[13] L’appelant n’était pas satisfait de ses conditions de travail et a fait un choix personnel de mettre fin à son emploi. Je conclus qu’il a quitté volontairement son emploi.

Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi

[14] Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi au moment où il l’a fait.

[15] La loi prévoit qu’une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 3. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que l’on était fondé à le faire.

[16] La loi explique ce que signifie « être fondé à ». Selon la loi, une personne est fondée à quitter son emploi si son départ était la seule solution raisonnable dans son cas. Elle dit qu’il faut tenir compte de toutes les circonstancesNote de bas de page 4.

[17] C’est à l’appelant de prouver qu’il était fondé à quitter volontairement son emploiNote de bas de page 5. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas. Pour décider si l’appelant était fondé à quitter son emploi, je dois examiner toutes les circonstances entourant son départ.

Preuve de l’appelant

[18] La preuve de l’appelant comprenait, sans toutefois s’y limiter, les éléments suivants :

  • Depuis la fin du mois d’août 2022, l’appelant travaille comme opérateur de chaîne de production. 
  • Il y avait deux quarts de travail, un quart de jour et un quart de soir. Il faisait le quart de jour. Habituellement, une équipe de trois travailleurs de la production faisaient le quart de soir.
  • Il était constamment appelé à faire le quart de jour seul.
  • Habituellement, l’employeur donnait une augmentation de salaire aux personnes qui terminaient leur période probatoire.
  • En octobre 2023, l’appelant a communiqué avec le directeur des opérations et lui a parlé de la possibilité d’être promu au poste de superviseur. Il lui a dit qu’il aurait besoin de plus de formation et de perfectionnement. 
  • L’appelant a ensuite dit au directeur des opérations qu’il devait assumer des responsabilités supplémentaires (par exemple, il était souvent le seul à faire son quart de travail) et que son salaire devrait être majoré pour en tenir compte. Le directeur des opérations a informé l’appelant qu’il avait été promu chef d’équipe et qu’il avait reçu une augmentation de salaire. La promotion et l’augmentation de salaire ont eu lieu pendant la période probatoire de l’appelant. 
  • L’appelant a demandé une description d’emploi et un contrat de travail pour le nouveau poste au directeur des Opérations et aux Ressources humaines, mais il n’a rien reçu. Il croyait que le nouveau poste s’accompagnait de responsabilités supplémentaires (telles que la formation d’autres membres du personnel et l’établissement des pauses).
  • L’appelant a fourni un préavis de deux semaines conformément aux exigences de son contrat. Comme son employeur a décidé qu’il n’aurait pas besoin de lui avant la fin de la période de préavis, il a demandé un paiement tenant lieu de préavisNote de bas de page 6.
  • Au moment où il a quitté son emploi, il travaillait également comme rédacteur pigiste pour une entreprise de technologie. Ce travail occasionnel à temps partiel était suffisant pour le soutenir financièrement. C’est la raison pour laquelle il n’a pas essayé de trouver un autre emploi avant de démissionner.

Preuve de la Commission

[19] La Commission a inclus, sans toutefois s’y limiter, les éléments suivants :

  • L’appelant a présenté une lettre de démission le 25 janvier 2023 qui disait que le 4 février 2023 serait son dernier jour.
  • L’employeur a dit à l’appelant que son dernier jour serait le 27 janvier 2023Note de bas de page 7. Il l’a payé pour le reste de la période de préavis.
  • Le service des ressources humaines a dit à la Commission que l’appelant travaillait avec une équipe et non par lui-même.
  • En mai 2023, l’appelant a tenté de présenter une nouvelle demande pour un poste au sein de l’entreprise.

Position de la Commission

[20] Bien que l’appelant ait eu des préoccupations à l’égard de son employeur, il n’a pas fait suffisamment de démarches pour remédier à sa situation, comme déposer une plainte auprès du service des ressources humaines ou discuter de ses préoccupations avec la haute direction. Il aurait été raisonnable de faire cela plutôt que de quitter son emploi. Le fait que l’appelant a tenté de postuler pour un autre poste au sein de l’entreprise en mai 2023, soit quelques mois après avoir démissionné, contredit son attestation selon laquelle son milieu de travail était intolérable ou discriminatoire.

[21] La Commission soutient également que d’autres solutions raisonnables s’offraient à l’appelant. Il aurait pu obtenir un autre emploi à temps plein, demander un éventuel transfert au sein de l’entreprise ou demander un congé temporaire afin de trouver un autre emploi.

Position de l’appelant

[22] L’appelant affirme avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé et avoir démissionné en dernier recours après avoir tenté de remédier à la situation pendant des mois. Ses préoccupations étaient notamment les suivantes : 

  • Il a été ignoré lors du processus de promotion à un poste de superviseur. Cela constituait une discrimination.
  • Il estimait qu’à titre de chef d’équipe, il faisait le travail d’un superviseur, mais qu’il n’était pas rémunéré ni formé pour ce travail. Il affirme qu’il n’y a aucune preuve que son augmentation de salaire était liée à sa promotion au poste de chef d’équipe.
  • Il devait toujours faire le quart de jour seul, alors qu’une équipe de trois personnes était chargée de faire le même travail durant le quart de soir. Il s’agissait d’une répartition inéquitable du travail.
  • L’employeur a refusé de lui fournir une description d’emploi et un contrat de travail pour le poste de chef d’équipe auquel il avait été promu.

[23] L’appelant affirme qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de partir à ce moment-là, car son employeur laissait effectivement se perpétuer cette situation inacceptable. Il accorde une importance particulière au fait qu’il était souvent tenu de travailler seul et que son employeur ne lui avait pas fourni de description d’emploi ni de contrat de travail après sa promotion au poste de chef d’équipe.

[24] Il n’a pas cherché un autre emploi à temps plein avant de quitter son poste, car il avait un emploi occasionnel à temps partiel comme rédacteur qui lui permettait de subvenir à ses besoins.

L’employeur a répondu à la demande d’information de l’appelant en temps opportun

[25] Le 19 janvier 2023, l’appelant a demandé par courriel une copie de la description d’emploi de chef d’équipeNote de bas de page 8. Dans ce courriel, il reconnaît avoir reçu la description d’emploi lors d’une rencontre, mais l’avoir égarée.

[26] Le 25 janvier 2023, l’appelant a envoyé une demande par courriel au directeur des Opérations pour obtenir la description d’emploi et le contrat de chef d’équipe. Le lendemain, le directeur des Opérations a avisé l’appelant que l’équipe des Ressources humaines allait lui parler dans la semaine au sujet de l’information qu’il souhaitait obtenirNote de bas de page 9. L’appelant a déposé son préavis le 25 janvier 2023Note de bas de page 10.

[27] Il aurait été raisonnable que l’appelant attende encore un peu pour que son employeur lui fournisse les documents qu’il avait demandés. Mais il a choisi de donner sa démission le jour même où il a communiqué avec le directeur des Opérations et seulement six jours après avoir demandé la description d’emploi à deux employés subalternes.

L’appelant n’a pas été victime de discrimination

[28] L’allégation de discrimination de l’appelant, si je comprends bien, est une allégation selon laquelle il a été ignoré lors du processus de promotion alors que d’autres personnes avec moins d’expérience ont été promues. L’appelant n’a pas allégué que l’employeur avait décidé à qui offrir une promotion en se fondant sur des motifs illicites de discrimination, comme la race ou la religion. L’appelant n’était peut-être pas d’accord avec les décisions de l’employeur concernant les personnes à qui offrir une promotion, mais il était de la prérogative de l’employeur de prendre ces décisions pourvu qu’il le fasse en toute légalité.

La division inéquitable du travail

[29] Lors de l’audience, l’appelant a déclaré qu’il était « généralement la seule personne qui travaillait » comme ouvrier à la chaîne de production pendant le quart de jour sur ce qui aurait dû être une équipe de trois personnes. Cela est difficile à concilier avec sa déclaration selon laquelle on lui demandait aussi d’exécuter les tâches d’un superviseur. L’appelant a nuancé sa déclaration et a dit au Tribunal qu’il était toujours tenu de travailler seul le dimanche et les jours où il n’y avait pas assez de gens pour le quart de jour en raison d’un manque de personnel et d’autres facteurs.

[30] Un horaire de travail de sept jours fourni par l’appelant et couvrant une semaine à la fin de janvier 2023 indique qu’habituellement deux (et non trois) opérateurs de chaîne travaillaient le quart de soir. Cependant, le 29 janvier 2023, un seul opérateur de chaîne travaillait le quart de soirNote de bas de page 11. Il montre également que l’appelant travaillait habituellement seul, mais qu’il y avait un jour où il travaillait avec un autre opérateur de chaîne.

[31] Dans la mesure où l’on peut extrapoler à partir de cet aperçu d’une semaine, il semble que l’on ait demandé à l’appelant de faire plus que ce qu’on exigeait des autres personnes dans son poste.

[32] Au début du mois d’octobre, l’appelant a demandé au directeur des Opérations une augmentation de salaire pour refléter le fait qu’il assumait des responsabilités supplémentaires. On lui a dit qu’on lui avait accordé une augmentation de salaire et une promotion. J’estime que cette promotion reflète, du moins en partie, une reconnaissance de la part de l’employeur et une réponse au fait que l’appelant devait assumer des responsabilités supplémentaires. 

[33] Je ne retiens pas la position de l’appelant selon laquelle il n’y a aucune preuve que son augmentation de salaire était liée à sa promotion. La pratique habituelle de l’employeur était d’accorder aux membres du personnel une augmentation de salaire une fois qu’ils terminaient leur période probatoire avec succès. Selon l’appelant, il se trouvait dans sa période probatoire lorsqu’il a reçu son augmentation de salaire. J’en conclus que l’augmentation de salaire était liée à sa promotion.

[34] La promotion de l’appelant au poste de chef d’équipe a été faite de bonne foi et ne visait pas à faire assumer à l’appelant le rôle de superviseur à un taux de rémunération moins élevé et sans formation. Le poste de chef d’équipe exigeait parfois que l’appelant assume un rôle de leadership, mais ce n’est pas nécessairement l’équivalent de placer l’appelant dans le rôle de superviseur, ce qui comprend le suivi des progrès. L’employeur a dit clairement que l’appelant avait besoin de plus de perfectionnement et de formation avant de passer au poste de superviseur. Cela n’est pas surprenant étant donné que l’appelant travaillait pour lui seulement depuis la fin du mois d’août de cette année-làNote de bas de page 12.

[35] Selon l’appelant, il a dit au directeur des opérations qu’il voulait travailler à temps partiel jusqu’à ce qu’ils embauchent d’autres personnes pour le soutenir. Il a travaillé à temps partiel pendant deux semaines en décembre, jusqu’à ce qu’un autre employé de la chaîne de production soit embauché pour le quart de jourNote de bas de page 13. Il semble donc que l’employeur ait effectivement tenté de régler la question en embauchant une autre personne en décembre. Toutefois, l’attrition, la promotion ou le transfert des employés ont peut-être annulé cet effort.

[36] L’appelant ne travaillait pas toujours seul, mais il le faisait parfois. Les personnes qui travaillaient pendant le quart de soir travaillaient parfois seules. Un tableau présenté par l’appelant démontre qu’il était plus productif lorsqu’il travaillait seulNote de bas de page 14. Néanmoins, il y avait une certaine iniquité dans la répartition du travail entre le quart de jour et le quart de soir. Si le partage du travail était toujours un problème pour l’appelant après décembre, une solution de rechange raisonnable à la démission aurait été de continuer à presser son employeur, en particulier la haute direction, de régler le problème. Le service des ressources humaines n’était même pas au courant du problème et croyait que l’appelant travaillait son quart en équipeNote de bas de page 15.

[37] Je suis également d’accord avec la Commission pour dire que dans les circonstances, une solution raisonnable aurait été que l’appelant continue à travailler jusqu’à ce qu’il obtienne un autre emploi à temps plein.

[38] La question n’est pas de savoir s’il était raisonnable que l’appelant quitte son emploi, mais plutôt si son départ était la seule solution raisonnable qui s’offrait à lui, compte tenu de toutes les circonstancesNote de bas de page 16. Je juge que non.

Conclusion

[39] Je conclus que l’appelant est exclu du bénéfice des prestations.

[40] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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