Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : OW c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 489

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Parties appelante : O. W.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Julie Duggan

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 3 octobre 2023
(GE 23 2119)

Membre du Tribunal : Elizabeth Usprich
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 23 avril 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 8 mai 2024
Numéro de dossier : AD-23-973

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] Une erreur de fait importante est survenue. La division générale n’a pas regardé si les clauses régissant les mesures disciplinaires progressives dans la convention collective du prestataire entraient en ligne de compte lorsqu’elle vérifiait si ce dernier savait ou aurait dû savoir qu’il pouvait se faire congédier.

[3] J’ai corrigé l’erreur en rendant la décision que la division générale aurait dû rendre. Mais j’arrive au même résultat. Le prestataire ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi, car il a été congédié pour inconduite.

Aperçu

[4] O. W. est le prestataire dans la présente affaire. Il a perdu son emploi. Son employeuse affirme qu’il a été congédié pour violation de sa Politique sur la conduite professionnelle et de sa Politique de prévention du harcèlement et de la violence au travail.

[5] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a refusé de verser des prestations d’assurance-emploi au prestataire. Il a fait appel au Tribunal de la sécurité sociale.

[6] La division générale du Tribunal a décidé que le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite et qu’il n’avait donc pas droit aux prestations d’assurance-emploi. Le prestataire a fait appel de cette décision.

[7] Je conviens que la division générale a fait une erreur. Mais je suis arrivée à la même conclusion qu’elle. Les faits et gestes du prestataire remplissent le critère juridique de l’inconduite pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi. Par conséquent, je rejette l’appel du prestataire.

Question préliminaire : J’écarte les nouveaux éléments de preuve du prestataire

[8] Le prestataire a déposé de nouveaux éléments de preuve avec son appelNote de bas de page 1. Dans le document AD4, il a fourni un nouveau billet médical rédigé par son psychologue le 11 mars 2024. C’était après l’audience de la division générale. Dans le document AD7, il a compilé des renseignements sur les mesures disciplinaires qu’il a subies parce qu’il n’a pas exécuté les tâches qu’on lui avait assignéesNote de bas de page 2.

[9] En général, la division d’appel ne peut pas accepter les nouveaux éléments de preuveNote de bas de page 3. En effet, l’audience de la division d’appel ne sert pas à « recommencer » l’audience de la division générale. Ce n’est pas l’occasion de tenter de combler les lacunes dont une partie s’est peut-être rendu compte après l’audience de la division générale. L’audience de la division d’appel vise à décider si la division générale a fait une erreur pertinente.

[10] Comme la Cour d’appel fédérale l’a expliqué, la division d’appel ne joue pas le rôle de juge des faitsNote de bas de page 4. Il y a tout de même des exceptions à la règle générale. Je peux examiner de nouveaux éléments de preuve seulement s’ils fournissent des renseignements d’ordre général, s’ils mettent en lumière une conclusion que la division générale a tirée en l’absence de preuve ou s’ils démontrent que la division générale a agi de façon injuste.

[11] Je juge qu’aucune de ces exceptions ne s’applique dans cette affaire‑ci. Le prestataire tente d’ajouter des éléments de preuve pour combler ce qu’il considère comme des lacunes dans sa preuve. Par conséquent, je rejette les nouveaux éléments de preuve.

Questions en litige

[12] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :

  1. a) La division générale a‑t-elle commis une erreur de fait importante en concluant que la conduite du prestataire était délibérée même s’il a expliqué qu’elle découlait du déclenchement de ses symptômes d’anxiété?
  2. b) La division générale a‑t-elle commis une erreur de fait importante parce qu’elle n’a pas regardé si les clauses relatives aux mesures disciplinaires progressives dans la convention collective du prestataire entraient en ligne de compte lorsqu’elle a vérifié si le prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il pouvait se faire congédier?
  3. c) En cas d’erreur, quelle correction faut-il apporter?

Analyse

[13] Je peux modifier l’issue de l’affaire seulement si la division générale a fait une erreur. Et je peux seulement tenir compte de certaines erreursNote de bas de page 5. En bref, ce sont les erreurs qui portent sur la possibilité que la division générale :

  • ait fait quelque chose d’injuste;
  • ait tranché une question alors qu’elle n’aurait pas dû le faire ou n’ait pas tranché une question alors qu’elle aurait dû le faire;
  • ait fait une erreur de droit;
  • ait fondé sa décision sur une erreur importante concernant les faits de l’affaire.

[14] Selon le prestataire, la division générale a commis des erreurs de fait importantesNote de bas de page 6.

La division générale n’a pas commis d’erreur de fait en concluant que la conduite du prestataire était délibérée même s’il a expliqué qu’elle découlait du déclenchement de ses symptômes d’anxiété

[15] La division générale a conclu que la conduite du prestataire était délibérée ou d’une telle insouciance qu’elle est devenue délibéréeNote de bas de page 7. Le prestataire présente son anxiété comme la défense qui explique ses réactions envers ses collègues. Il dit que la division générale devait en tenir compte. Il soutient que l’existence même de son anxiété fait que sa conduite n’est pas délibérée.

[16] J’estime que la division générale a bel et bien pris en compte l’anxiété du prestataire. Elle la mentionne à plusieurs reprisesNote de bas de page 8. De plus, elle a précisément demandé au prestataire comment son anxiété se manifestaitNote de bas de page 9. Il lui a dit qu’il faisait de l’anxiété et que c’est pour cette raison qu’il est allé voir un psychologueNote de bas de page 10.

[17] La division générale a soupesé les éléments de preuve portant sur l’anxiété du prestataire avant de tirer des conclusionsNote de bas de page 11.

[18] Le rôle de la division d’appel ne se résume pas à tenir une nouvelle audience. S’il n’y a aucune erreur, je ne peux pas simplement réévaluer la preuve qui a été portée à la connaissance de la division généraleNote de bas de page 12. Ainsi, même si j’aurais rendu une décision différente, je ne peux pas modifier la décision sauf si je constate qu’il y a une erreur de faitNote de bas de page 13.

[19] La division générale jouit d’une certaine liberté pour tirer des conclusions de fait. Je peux décider d’intervenir si je vois une erreur importante sur laquelle la division générale a fondé sa décision. Par conséquent, si la conclusion va « sciemment […] à l’opposé de la preuve » ou si des éléments de preuve importants ont été ignorés, je peux intervenirNote de bas de page 14.

[20] Il n’est pas nécessaire que la division générale mentionne chacun des éléments de preuveNote de bas de page 15. La loi est claire : je peux modifier la décision seulement si la division générale « a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 16 ».

[21] Le prestataire ne m’a pas convaincue que la division générale a ignoré son anxiété et le rôle que celle‑ci a joué dans la situation. Je ne peux donc pas conclure que la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve qu’on lui a présentée.

La division générale n’a pas regardé si les clauses relatives aux mesures disciplinaires progressives dans la convention collective du prestataire entraient en ligne de compte lorsqu’elle a vérifié si le prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il pouvait se faire congédier

[22] La division générale n’a pas regardé si les clauses relatives aux mesures disciplinaires progressives entraient en ligne de compte lorsqu’elle a vérifié s’il savait ou aurait dû savoir qu’il pouvait se faire congédier.

[23] Le Tribunal n’a pas le pouvoir de tirer des conclusions pour décider si l’employeuse a violé la convention collectiveNote de bas de page 17. Cette question relève d’une autre autorité. C’est cependant au Tribunal d’examiner les arguments du prestataire et d’évaluer leur importance par rapport au critère de l’inconduite.

[24] Dans la présente affaire, le prestataire a soulevé la question devant la division générale. Mais la question n’a pas été analysée. Ainsi, des éléments de preuve pertinents ont été ignorés. La question de savoir si le prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il pouvait se faire congédier est un volet important du critère de l’inconduite. Il y a donc une erreur de fait importante.

[25] Comme j’ai relevé une erreur, je n’ai pas à examiner les arguments des parties sur les autres erreurs possiblement commises par la division générale.

Réparation

[26] Maintenant que j’ai trouvé une erreur, je peux la corriger principalement de deux façons. Je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Je peux aussi lui renvoyer l’affaire si je juge que l’audience n’a pas été équitable ou s’il me manque des renseignements pour rendre une décisionNote de bas de page 18.

[27] Les parties étaient d’accord sur un point : si je relevais une erreur, je devais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Aucune des parties n’a laissé entendre qu’elle n’avait pas présenté tous ses éléments de preuve à la division générale.

[28] Je conclus donc que je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Je dois entre autres décider si le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite.

Il y a inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi

[29] Je juge que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite. Par conséquent, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi. Je m’explique dans les paragraphes suivants. Je vais passer en revue chaque élément du critère de l’inconduite.

La conduite qui a mené au congédiement du prestataire est survenue durant l’incident du 20 mars 2023

[30] La division générale a conclu que la raison pour laquelle l’employeuse a congédié le prestataire était l’incident qui a eu lieu le 20 mars 2023Note de bas de page 19. Le prestataire affirme que son employeuse a pris sa conduite hors contexteNote de bas de page 20. Même s’il n’est pas d’accord avec les mesures disciplinaires prises par son employeuse, il n’a pas contesté le fait qu’elles découlaient de l’incident du 20 mars 2023Note de bas de page 21.

La conduite du prestataire était délibérée ou d’une telle insouciance qu’on peut la considérer comme délibérée

[31] Le prestataire a convenu que la division générale avait bien décrit le critère juridique de l’inconduiteNote de bas de page 22. Personne ne conteste la façon dont la division générale a énoncé la loi, alors j’adopte ses explications. Cela comprend le fait qu’une conduite insouciante peut être considérée comme délibérée.

[32] Comme je l’ai mentionné plus haut, il n’y a rien à redire sur la façon dont la division générale a tenu compte de l’anxiété du prestataireNote de bas de page 23. J’adopte aussi les conclusions de la division générale à ce sujet. En conséquence, l’anxiété du prestataire ne le dégage pas de la responsabilité de ses actes. Il a dit à la division générale que son anxiété [traduction] « n’est pas quelque chose qui paraît de l’extérieurNote de bas de page 24 ».

[33] Par ailleurs, je remarque que le prestataire a dit à plusieurs reprises à la division générale qu’il aurait dû prendre une [traduction] « pause » au moment de l’incidentNote de bas de page 25. La division générale a conclu que la conduite du prestataire était si insouciante qu’elle était délibéréeNote de bas de page 26. Je juge que la division générale ne s’est pas trompée en tirant ces conclusions. En conséquence, j’adopte ses conclusions et je ne modifierai pas sa décision sur la conduite délibérée.

Le prestataire savait ou aurait dû savoir que la possibilité qu’il soit congédié était bien réelle

[34] Le rôle du Tribunal n’est pas d’interpréter la convention collective. Ce n’est pas au Tribunal de décider si l’employeuse a enfreint ou non une clause de la convention collective. D’autres autorités s’occupent de ces questionsNote de bas de page 27. Je dois cependant vérifier si le prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il pouvait se faire congédier. Je juge qu’il le savait ou aurait dû le savoir pour les raisons suivantes.

[35] Le prestataire soutient que sa convention collective prévoit des mesures disciplinaires progressivesNote de bas de page 28. Elle mentionne, entre autres, des avertissements oraux, des avertissements écrits, une suspension, puis un congédiement.

[36] Par contre, la même disposition de la convention collective prévoit aussi ceci : [traduction] « La sévérité des mesures disciplinaires peut changer selon les circonstances. L’imposition de toute mesure disciplinaire est assujettie à la procédure de règlement des griefsNote de bas de page 29. »

[37] La convention collective doit également être considérée à la lumière de la politique de l’employeuse sur la prévention du harcèlement et de la violence au travailNote de bas de page 30. Le prestataire a reconnu qu’il connaissait la politique et que son employeuse avait une « tolérance zéro » pour tout comportement irrespectueux en milieu de travailNote de bas de page 31.

[38] Voici ce que dit la politique : [traduction] « La Société prendra, à sa discrétion, les mesures disciplinaires qu’elle jugera appropriées, ce qui peut aller jusqu’à la cessation d’emploi, contre la ou le membre du personnel qui fait subir du harcèlement ou de la violence au travail à toute autre personne (collègue, visiteuse, visiteur, bénévole, cliente, client, fournisseuse, fournisseur, entrepreneuse ou entrepreneurNote de bas de page 32). »

[39] Le prestataire a d’ailleurs dit qu’il savait que cette politique comprend des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiementNote de bas de page 33. Il a confirmé qu’il y avait eu des [traduction] « réunions des ressources humaines » à ce sujet, alors il était au courant.

[40] Je juge que la convention collective prévoit des mesures disciplinaires progressives, mais que leur sévérité peut varier. L’employeuse a écrit au prestataire pour lui dire qu’elle avait décidé de mettre fin à son emploi parce qu’elle avait le devoir de prévenir le harcèlement et la violence au travailNote de bas de page 34. Comme le prestataire admet qu’il connaissait la politique, je conclus qu’il savait aussi, ou qu’il aurait dû savoir, que la violation de la politique pouvait entraîner la cessation de son emploi.

[41] Je conclus donc que la Commission a prouvé selon la prépondérance des probabilités qu’il y a eu inconduite parce que l’appelant savait qu’il y avait une politique, mais il ne l’a pas suivie. L’appelant savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique risquait d’entraîner des mesures disciplinaires, y compris son congédiement. Autrement dit, il n’a pas rempli ses obligations envers son employeuse.

[42] Ainsi, la Commission a prouvé la présence des quatre composantes de l’inconduite, celles qu’il faut prendre en considération au titre de la Loi sur l’assurance-emploi et de la jurisprudence pertinente.

Les allégations du prestataire voulant qu’il ait été victime de harcèlement et de discrimination ne seront pas examinées par la présente autorité

[43] Le prestataire prétend que c’est lui qui a été harcelé et que son employeuse n’a pas enquêté quand il s’est plaint. Il ajoute qu’il a une incapacité et que son employeuse avait l’obligation de mettre en place des mesures répondant à ses besoins.

[44] La loi ne m’oblige pas à tenir compte du comportement de l’employeuseNote de bas de page 35. Je dois plutôt me pencher sur ce que l’appelant a fait ou n’a pas fait, puis voir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 36.

[45] Je ne peux pas décider si d’autres lois donnent d’autres options à l’appelant. Et ce n’est pas à moi de décider si son employeuse l’a congédié de façon injuste ou si elle aurait dû prendre des mesures d’adaptation raisonnables pour luiNote de bas de page 37.

[46] Je ne peux pas me pencher sur ces questions. La Cour d’appel fédérale a confirmé que, de toute évidence, pour l’interprétation et l’application de la Loi sur l’assurance-emploi, ce qu’il convient de retenir n’est pas le comportement de l’employeuse, mais bien celui de l’employéNote de bas de page 38. En conséquence, le prestataire devra soumettre ses questions à une autre autorité.

[47] La Cour fédérale a aussi précisé qu’en cas d’insatisfaction envers le régime d’assurance-emploi, « il existe des moyens par lesquels [les prestataires] peu[ven]t adéquatement faire valoir [leurs] revendications à l’intérieur du système judiciaireNote de bas de page 39 ».

Conclusion

[48] L’appel est rejeté.

[49] La division générale a commis une erreur de fait importante parce qu’elle n’a pas regardé si les clauses régissant les mesures disciplinaires progressives dans la convention collective du prestataire entraient en ligne de compte quand elle a vérifié s’il savait ou aurait dû savoir qu’il pouvait se faire congédier.

[50] J’ai corrigé l’erreur en rendant la décision que la division générale aurait dû rendre. Mais j’arrive au même résultat. Le prestataire ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi parce qu’il a été congédié pour inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

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