Assurance-emploi (AE)

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Contenu de la décision

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c JT, 2024 TSS 558

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Jessica Earles
Partie intimée : J. T.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du
28 novembre 2023 (GE-23-2466)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 18 avril 2024
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimé
Date de la décision : Le 17 mai 2024
Numéro de dossier : AD-23-1113

Sur cette page

Décision

[1] L‘appel de la Commission est accueilli. Le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite.

Aperçu

[2] L’intimé (prestataire) a perdu son emploi. Son employeur a affirmé qu’il a été congédié parce qu’il était souvent en retard, a commis une faute grave dans la destruction d’un document, et a contrevenu à la politique en matière de sécurité en altérant un masque N-95 pour faciliter sa respiration.

[3] L’appelante (Commission) a déterminé que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite. Elle l’a exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[4] Le prestataire a soutenu que son employeur l’a congédié principalement à cause d’un conflit de personnalité avec son superviseur immédiat. Après révision, la Commission a maintenu sa décision initiale. Le prestataire a interjeté appel devant la division générale.

[5] La division générale a déterminé que le prestataire n’a pas perdu son emploi en raison d’une inconduite, mais qu’il avait plutôt fait l’objet d’harcèlement de la part de son superviseur. Elle a conclu que la Commission n’avait pas prouvé l’inconduite du prestataire.

[6] La Commission a obtenu la permission d’en appeler de la décision de la division générale. Elle fait valoir que la division générale n’a pas tenu compte des éléments portés à sa connaissance et qu’elle a erré en droit.

[7] Je dois décider si la division générale a rendu sa décision sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, et commis une erreur dans son interprétation de la notion d’inconduite.

[8] J’accueille l’appel de la Commission.

Question en litige

[9] Est-ce que la division générale a rendu sa décision sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, et commis une erreur dans son interprétation de la notion d’inconduite?

Analyse

Mandat de la division d’appel

[10] La Cour d’appel fédérale a déterminé que la division d’appel n’avait d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.Note de bas de page 1

[11] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale et n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure. 

[12] En conséquence, à moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l'appel.

Remarques préliminaires

[13] Il est bien établi que je dois prendre en considération que la preuve qui a été présentée à la division générale. En effet, une audience devant la division d’appel n’est pas une nouvelle opportunité de présenter sa preuve. Les pouvoirs de la division d’appel sont limités par la loi.Note de bas de page 2

Est-ce que la division générale a rendu sa décision sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, et commis une erreur dans son interprétation de la notion d’inconduite?

[14] La Commission soutient que la division générale n’a pas considéré l’ensemble de la preuve et a erré en droit dans son interprétation de la notion d’inconduite.

[15] La Commission soutient que le prestataire a volontairement choisi d’aller à l’encontre des politiques et protocoles de sécurité de l’entreprise en modifiant son équipement de sécurité, et qu’il savait qu’il pouvait être congédié pour cela.

[16] La Commission soutient que la division générale a constaté que le prestataire avait volontairement détruit un document, ce qui contrevenait à la politique claire de l’entreprise, mais a déterminé qu’il ne s’agissait pas d’une inconduite parce qu’il avait demandé conseil à un employé du contrôle de la qualité qui lui avait dit qu’il pouvait le faire. Elle fait valoir que la division générale a substitué son opinion à la politique de l’employeur en déterminant que le prestataire était justifié de jeter un document important. La Commission soutient qu’en utilisant ce raisonnement, la division générale a erré dans son interprétation du concept juridique de l’inconduite.

[17] La Commission soutient que la conclusion de la division générale à l’effet qu’elle n’a pas fait la preuve de l’inconduite du prestataire est tout à fait incompatible avec les faits au dossier.

[18] Le prestataire soutient que la division générale n’a commis aucune erreur de fait ou de droit qui justifierait mon intervention.

[19] La division générale devait décider si le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite.

[20] La notion d’inconduite ne prévoit pas qu’il est nécessaire que le comportement fautif résulte d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour constituer une inconduite, l’acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que la personne a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son employeur.

[21] Le rôle de la division générale n’est pas de juger de la sévérité de la sanction de l’employeur ni de savoir si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en congédiant le prestataire de sorte que son congédiement serait injustifié, mais bien de savoir si le prestataire s’est rendu coupable d’inconduite et si celle-ci a entraîné son congédiement.

[22] La division générale a déterminé que le prestataire a perdu son emploi principalement à cause d’un conflit de personnalité avec son supérieur immédiat, et non en raison d’une transgression grave aux politiques internes de l’industrie suivant un principe de gradation des offenses reprochées.

[23] La division générale a déterminé que le prestataire n’était pas en retard au travail. Elle a déterminé que l’employeur lui reprochait plutôt de ne pas s’habiller avant le début de son quart de travail. Elle a retenu que le superviseur lui donnait des avertissements inutilement pour des retards car il lui reprochait de prendre trop de temps pour se préparer en arrivant au travail, d’où l’utilisation du nom ‘J. R.’

[24] La division générale a déterminé que le prestataire n’a pas agi délibérément en détruisant un document important puisqu’il avait vérifié au préalable avec un employé responsable du contrôle de la qualité.

[25] La division générale a déterminé que le prestataire avait effectivement modifié son masque N-95 contrevenant aux directives et politique en matière de sécurité mais que ce seul manquement n’aurait pas mené au congédiement du prestataire considérant le principe de gradation des mesures disciplinaires.

[26] Dans un premier temps, il est bien établi que la procédure disciplinaire d'un employeur n'est pas pertinente pour déterminer une inconduite en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi (Loi sur l’AE).Note de bas de page 3

[27] La division générale devait évaluer les actions du prestataire pour déterminer ce qui suit :

  • s’il était au courant de la politique de son employeur ;
  • s’il a délibérément ignoré la politique de son employeur ;
  • s’il savait ou aurait dû savoir les conséquences de l'ignorance de la politique de son employeur.

[28] La politique de l’employeur SOP-007 « Directives sur les bonnes pratiques de documentation pour les entrées manuscrites » stipule, entre autres, ce qui suit :

Section 4.1.5; Il n’est pas acceptable de jeter des documents BPF pour quelque motif que ce soit, sauf dans le cas où la période de conservation a pris fin.

[29] La preuve démontre que le prestataire a détruit un document le 14 avril 2023. Il avait reçu une formation complète sur les directives BPF au mois de décembre et février 2023. Il connaissait la politique claire de l’employeur qui interdit de jeter des documents pour quelque motif que ce soit.

[30] Le prestataire a fait preuve d’une insouciance ou de négligence frôlant le caractère délibéré lorsqu’il s’en est remis au conseil d’un autre employé pour justifier la destruction d’un document alors que la politique de l’employeur est claire.

[31] Le conflit avec le superviseur peut expliquer que le prestataire n’était pas réellement en retard au travail, mais ne change pas le fait qu’il y a eu violation de la politique de l’employeur concernant la destruction de documents.

[32] L’avertissement écrit de l’employeur du 19 avril 2023 indique que si un avertissement additionnel est donné au prestataire, il y aura d’autres mesures disciplinaires, y compris la possibilité de cessation d’emploi.

[33] En date du 1er juin 2023, seulement six semaines après le dernier avis, le prestataire a modifié son masque N-95 contrevenant ainsi aux directives et politique en matière de sécurité de l’employeur. Encore une fois, le conflit avec le superviseur ne change pas ce fait. À la suite de cette violation, le prestataire a perdu son emploi.

[34] La preuve démontre que le prestataire était au courant de la politique en matière de sécurité de l’employeur. Il a décidé de modifier son masque N-95, plutôt que d’utiliser d’autres recours disponibles. L’acte reproché était volontaire ou résultait d’une telle insouciance ou négligence qu’il frôlait le caractère délibéré. Le prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique en matière de sécurité pourrait entraîner son congédiement à la suite de l’avis du 19 avril 2023, et il a effectivement perdu son emploi à la suite de ce manquement à la politique de l’employeur.

[35] Il est bien établi que le non-respect délibéré de la politique d’un employeur est considéré comme une inconduite au sens de la Loi sur l’AE.Note de bas de page 4

[36] Pour ces motifs, je suis d’avis que la division générale n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée et qu’elle a erré dans son interprétation de la notion d’inconduite. Je suis donc justifié d’intervenir.

Remède

[37] Considérant que les parties ont eu l'opportunité de présenter leur cause devant la division générale, je rendrai la décision qui aurait dû être rendue par la division générale.

[38] La preuve démontre que le prestataire était au courant de la politique en matière de sécurité de l’employeur. Le 1er juin 2023, il a décidé de modifier son masque N-95, plutôt que d’utiliser d’autres recours disponibles. L’acte reproché était volontaire ou résultait d’une telle insouciance ou négligence qu’il frôlait le caractère délibéré.

[39] Le prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique de l’employeur en matière de sécurité pourrait entraîner son congédiement à la suite de l’avis du 19 avril 2023. Il a effectivement perdu son emploi à la suite de ce manquement à la politique en matière de sécurité de l’employeur.

[40] Il est bien établi que le non-respect délibéré de la politique d’un employeur est considéré comme une inconduite au sens de la Loi sur l’AE.

[41] Pour ces raisons, je suis d’avis que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite.

Conclusion

[42] L’appel de la Commission est accueilli. Le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite.

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