Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : RV c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2024 TSS 602

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : R. V.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (578037) datée du 20 avril 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Harkamal Singh
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 6 décembre 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 14 février 2024 
Numéro de dossier : GE-23-1564

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelant.

[2] L’appelant n’a pas démontré qu’il était fondé (c’est-à-dire qu’il avait une raison acceptable selon la loi) à quitter son emploi au moment où il l’a fait. L’appelant n’était pas fondé à quitter son emploi parce qu’il disposait d’autres solutions raisonnables que son départ. Cela signifie qu’il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

Aperçu

[3] L’appelant a quitté son emploi le 26 août 2022 et a demandé des prestations d’assurance‑emploi. La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a examiné les raisons du départ de l’appelant. Elle a décidé qu’il avait volontairement quitté son emploi (ou avait choisi de démissionner) sans justification, de sorte qu’elle n’était pas en mesure de lui verser des prestations.

[4] Je dois décider si l’appelant a démontré que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas.

[5] La Commission affirme qu’au lieu de partir lorsqu’il l’a fait, l’appelant aurait pu aborder ses problèmes de santé avec son employeur, obtenir des documents médicaux, continuer à exercer un rôle différent ou discuter des problèmes de harcèlement au sein de l’organisation à titre d’autres options au lieu de démissionner.

[6] L’appelant soutient qu’il n’a pas quitté son emploi chez X par choix le 26 août 2022, mais parce qu’il estimait devoir le faire. Il parle des problèmes liés à son quart de nuit au service de l’hygiène, comme le fait de ne pas bien dormir et de se blesser en utilisant un boyau d’arrosage très chaud, même s’il n’était censé occuper ce poste que pendant un mois, qui s’est transformé en deux mois. Puis, après seulement deux semaines dans un autre emploi à l’entrepôt, il s’est fait dire qu’il n’était pas un bon candidat sans en connaître la raison. On lui a ensuite dit qu’il devait reprendre le travail au service de l’hygiène qui était problématique pour lui ou quitter le travail avec une petite indemnité de départ. L’appelant croit que tous ces problèmes, en plus des mauvais traitements au travail et des promesses de durée d’emploi non tenues, ne lui ont vraiment pas donné d’autre choix que de partir.

Question en litige

[7] L’appelant est-il exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification?

[8] Pour répondre à cette question, je dois d’abord examiner la question du départ volontaire de l’appelant. Je dois ensuite décider si l’appelant était fondé à quitter son emploi.

Analyse

Les parties conviennent que l’appelant a quitté volontairement son emploi

[9] J’admets que l’appelant a quitté volontairement son emploi. L’appelant convient qu’il a démissionné le 26 août 2022. Rien ne prouve le contraire.

Les parties ne conviennent pas que l’appelant avait une justification

[10] Les parties ne conviennent pas que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi lorsqu’il l’a fait.

[11] Selon la loi, la partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 1. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que la personne était fondée à le faire.

[12] La loi explique ce qu’elle entend par « justification ». Elle prévoit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas. Elle indique qu’il faut tenir compte de toutes les circonstancesNote de bas de page 2.

[13] Il appartient à l’appelant de démontrer qu’il était fondé à quitter son emploi. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. C’est donc dire qu’il doit démontrer qu’il est plus probable que le contraire que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 3.

[14] Pour décider si l’appelant était fondé à quitter son emploi, je dois examiner toutes les circonstances qui existaient lorsqu’il a démissionné. La loi énonce certaines des circonstances que je dois examinerNote de bas de page 4.

[15] Une fois que j’aurai établi les circonstances qui s’appliquent à l’appelant, celui-ci devra démontrer qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi à ce moment-làNote de bas de page 5.

Les circonstances qui existaient lorsque l’appelant a démissionné

[16] L’appelant affirme que trois des circonstances énoncées dans la loi s’appliquent. Plus précisément, il affirme qu’il a été soumis à des conditions de travail qui constituent un danger pour sa sécurité. Il ajoute que des changements importants ont été apportés à ses tâches et finalement qu’il a été victime de harcèlement.

[17] L’appelant a fourni des détails cohérents et précis concernant les conditions de son emploi, les changements dans ses fonctions et le harcèlement auquel il a fait face. Les réponses de l’employeur aux demandes de renseignements de la Commission manquaient de précision. Elles n’ont pas réfuté directement les allégations de l’appelant concernant des préoccupations en matière de sécurité et de harcèlementNote de bas de page 6.

Préoccupations en matière de santé et de sécurité

[18] L’appelant a décrit les conditions de travail rattachées au rôle en matière d’hygiène comme étant physiquement exigeantes, voire peut-être dangereuses. Il a indiqué qu’il fallait porter un équipement de protection en raison de la nature des tâches. La description de la manipulation de l’eau chaude, qui a entraîné de l’inconfort et des brûlures possibles, corrobore l’affirmation selon laquelle ces conditions représentaient un danger pour sa sécurité. L’appelant a également témoigné au sujet de problèmes de santé personnels qu’il éprouvait. Le récit détaillé et cohérent de ces conditions, contrairement à la référence générique de l’employeur aux questions de santé sans aborder directement les préoccupations soulevées en matière de sécurité, confère de la crédibilité aux allégations de l’appelantNote de bas de page 7.

Se faire demander de retourner au service de l’hygiène

[19] L’appelant et l’employeur conviennent tous deux qu’il a commencé à travailler au service de l’hygiène, puis qu’il est passé à un emploi d’entrepôt. L’appelant croyait que ce nouvel emploi dans l’entrepôt durerait plus longtemps et serait meilleur pour lui. Il a témoigné que l’employeur lui a plus tard dit qu’il devait retourner à son ancien emploi au service de l’hygiène ou quitter l’entreprise. Toutefois, l’employeur affirme qu’il ne lui a jamais dit qu’il devait retourner au service de l’hygiène. Après avoir examiné tous les renseignements, je crois que l’on a effectivement dit à l’appelant de reprendre le rôle au service de l’hygiène.

[20] Le témoignage de l’appelant concernant son parcours professionnel — qu’il s’agisse d’être embauché pour des services d’hygiène, de déménager à l’entrepôt, puis de faire face à un ultimatum — a été cohérent. Ses attentes à l’égard de l’emploi en entrepôt comme poste plus stable et convenable étaient fondées sur les communications avec son employeur, qu’il a clairement détaillées.

[21] Bien que l’employeur conteste la prétention selon laquelle l’appelant s’est fait explicitement dire de retourner au service de l’hygiène, il n’a pas fourni de preuve précise pour réfuter le récit de l’appelant. L’absence de contre-preuve ou de documents détaillés de la part de l’employeur fait de l’exposé circonstancié de l’appelant le récit le plus probable.

[22] L’analyse qui précède m’amène à conclure que l’appelant s’est fait dire de retourner au service de l’hygiène.

Harcèlement de la part du chef d’équipe

[23] L’appelant a décrit clairement et à plusieurs reprises comment il a fait l’objet de critiques injustes de son chef d’équipe, L., pour avoir pris les pauses nécessaires afin d’aller aux toilettes et pour avoir effectué des tâches régulières comme changer des sacs à ordures. Ces tâches faisaient partie de son travail. Il a même mentionné des incidents pénibles au cours desquels il a mouillé son pantalon en raison des restrictions d’utilisation des toilettes. La façon directe et cohérente dont il a fait part de ces expériences, sans aucun déni ni explications spécifiques de la part de l’employeur, rend crédible le harcèlement dont il a été victime. Cette absence de réponse détaillée de la part de l’employeur ajoute du poids aux prétentions de l’appelant, indiquant que ses rapports de harcèlement sont crédibles et ont eu un impact négatif important sur sa vie professionnelle.

[24] Par conséquent, compte tenu de l’analyse qui précède, je conclus que les circonstances suivantes existaient lorsque l’appelant a démissionné :

  1. a) Conditions de travail dangereuses pour la santé ou la sécurité : L’appelant a souligné que son travail au service de l’hygiène consistait à manipuler un tuyau d’eau chaude, ce qui a causé des dommages physiques. Il a ajouté qu’il avait de la difficulté à travailler des quarts de nuit, ce qui était nécessaire pour le service de l’hygiène. Ces conditions de travail, combinées à ses propres problèmes de santé comme les troubles du sommeil, les problèmes d’estomac, l’asthme, la bronchopneumopathie chronique obstructive et les douleurs articulaires, ont constitué les principales raisons pour lesquelles il a quitté son emploi. Il estimait que ces conditions au travail étaient préjudiciables à sa santé et à sa sécurité.
  2. b) Modifications importantes des fonctions : D’abord embauché pour un poste au service de l’hygiène d’une durée promise qui a été prolongée sans son consentement, puis déplacé à un poste d’entrepôt seulement pour être jugé inapte, l’appelant a subi des changements importants dans ses tâches.
  3. c) Harcèlement : L’appelant a évoqué du harcèlement de la part de son chef d’équipe L. L. le réprimandait publiquement parce qu’il avait pris les pauses nécessaires, notamment pour aller aux toilettes, et pour avoir accompli des tâches comme changer le sac à ordures, qui faisaient partie de ses fonctions habituelles. Ce comportement a contribué à créer un environnement de travail hostile et a eu une incidence importante sur la décision de l’appelant de quitter son emploi.

L’appelant avait d’autres solutions raisonnables

[25] Je dois maintenant décider si l’appelant n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.

[26] L’appelant affirme qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable parce qu’on ne lui a présenté que deux options : soit retourner au service de l’hygiène, soit accepter une indemnité de départ. Selon l’appelant, le harcèlement continu au travail et le défaut de l’employeur de respecter ses engagements concernant la durée de ses fonctions ont exacerbé cette situation difficile. L’appelant soutient que ces conditions défavorables, combinées à l’absence de solutions de rechange significatives, ont constitué une justification de son départ, qui a étayé sa décision de partir. En effet, il s’agissait d’une mesure forcée et nécessaire plutôt que d’un choix volontaire.

[27] La Commission n’est pas d’accord. Elle affirme que l’appelant aurait pu dialoguer avec l’employeur pour régler ses problèmes de santé, obtenir des documents médicaux à l’appui de ses allégations, demeurer en poste à un titre différent ou utiliser des mécanismes internes pour signaler et discuter des problèmes de harcèlement auxquels il a été confronté. La Commission soutient que ces options auraient fourni à l’appelant des moyens de régler ses griefs sans recourir à la démission, ce qui remet en question l’affirmation selon laquelle quitter son emploi était la seule mesure raisonnable.

[28] Je conclus que l’appelant avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi.

[29] Lorsqu’on a demandé à l’appelant de retourner travailler dans le domaine de l’hygiène, il n’a pas tenté de parler de ses préoccupations ni d’examiner d’autres possibilités d’emploi dans l’entreprise. Il a démissionné parce qu’il estimait qu’il n’avait pas d’autre choix, mais il n’a pas pris la simple mesure de parler à son patron des raisons pour lesquelles il ne voulait pas retourner au service de l’hygiène. S’il avait posé des questions sur d’autres emplois qui correspondent à ce qu’il pouvait faire ou s’il avait demandé des changements pour que le travail soit adapté à lui, cela aurait pu l’aider à trouver une solution qui fonctionnait à la fois pour lui et pour l’entreprise.

[30] L’appelant a déclaré qu’il avait choisi de ne pas signaler le harcèlement de la part de son chef d’équipe, L., parce qu’il pensait qu’il passerait à l’emploi d’entrepôt de façon permanente, ce qui signifierait qu’il n’aurait plus à travailler sous les ordres de L. Toutefois, le fait d’espérer ce changement ne signifie pas qu’il n’aurait pas pu ou dû demander de l’aide au service des ressources humaines ou à une personne se trouvant à un échelon supérieur de l’entreprise. En ne prenant pas cette mesure, l’appelant a raté une occasion de résoudre éventuellement le problème de harcèlement sans avoir à démissionner.

[31] Les problèmes médicaux de l’appelant, y compris les problèmes d’estomac, l’asthme, la bronchopneumopathie chronique obstructive et les problèmes articulaires, sont des facteurs importants qui influent sur sa capacité d’exercer certains rôles, notamment ceux dont les conditions environnementales sont présentes au service de l’hygiène. Malgré ces problèmes de santé valables, l’appelant n’a pas, pour l’essentiel, demandé un congé pour raisons médicales ou n’a pas présenté de documents médicaux à son employeur comme preuve de ses problèmes de santé. Cette démarche aurait pu déclencher une discussion sur les mesures d’adaptation raisonnables ou sur d’autres tâches. Cette absence d’action omet une étape cruciale dans l’exploration de toutes les solutions de rechange raisonnables à la démission, en particulier lorsque les problèmes de santé constituent une préoccupation de premier ordre.

[32] En examinant toutes les raisons pour lesquelles l’appelant a démissionné, il est clair qu’il n’a pas exploré toutes les options qu’il avait pour régler ses problèmes au travail. Espérer passer au travail d’entrepôt pour de bon n’aurait pas dû l’empêcher d’essayer de régler ses problèmes actuels selon les méthodes habituelles au travail. De plus, le fait de ne pas parler de ses problèmes de santé ou de ne pas demander de congé pour raisons médicales signifie qu’il a omis des étapes qui auraient pu lui donner d’autres choix que de démissionner.

[33] Compte tenu des circonstances qui existaient lorsque l’appelant a démissionné, ce dernier avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait, pour les motifs susmentionnés.

[34] Cela signifie que l’appelant n’était pas fondé à quitter son emploi.

Conclusion

[35] Je conclus que l’appelant est exclu du bénéfice des prestations.

[36] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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