Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c SD, 2024 TSS 591

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Parties appelante : Commission de l’assurance emploi du Canada
Représentant : Kevin Goodwin
Partie intimée : S. D.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 27 février 2024
(GE-24-264)

Membre du Tribunal : Elizabeth Usprich
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 15 mai 2024
Personnes présentes à l’audience : Représentant de l’appelante
Intimé
Date de la décision : Le 24 mai 2024
Numéro de dossier : AD-24-192

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] La division générale a commis une erreur de droit. J’ai corrigé l’erreur en rendant la décision que la division générale aurait dû rendre. Je ne peux antidater la demande de prestations d’assurance‑emploi du prestataire.

Aperçu

[3] S. D. est le prestataire. Il a demandé des prestations d’assurance‑emploi le 11 octobre 2023 et a demandé que sa demande soit antidatée au 21 mai 2023.

[4] La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a rejeté la demande du prestataire de faire antidater sa demande.

[5] Le prestataire a fait appel devant le Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a décidé qu’il existait des circonstances exceptionnelles et a accueilli la demande d’antidatation. La Commission a fait appel à la division d’appel du Tribunal.

[6] La Commission fait valoir que la division générale a commis une erreur de droit.

[7] J’accueille l’appel. La division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas appliqué la jurisprudence établie lorsqu’elle a rendu sa décision. J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. La demande ne peut pas être antidatée.

Questions en litige

[8] Les questions en litige dans le présent appel sont les suivantes :

  1. a) La division générale a‑t‑elle commis une erreur de droit en omettant de suivre de la jurisprudence d’application obligatoire qui définit ce qu’est une circonstance exceptionnelle?
  2. b) Dans l’affirmative, comment l’erreur devrait-elle être corrigée? (Supprimer si cette question n’est pas tranchée.)

Analyse

[9] Je ne peux intervenir que si la division générale a commis une erreur pertinente. Il n’y a que certaines erreurs que je peux prendre en compteNote de bas de page 1. En bref, je peux intervenir si la division générale a commis au moins une des erreurs suivantes :

  • Elle a agi injustement d’une façon ou d’une autre.
  • Elle a tranché une question qu’elle n’aurait pas dû trancher ou elle n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher.
  • Elle n’a pas suivi la jurisprudence établie.
  • Elle a fondé sa décision sur une erreur importante concernant les faits de l’affaire.

[10] Dans la présente affaire, la Commission soutient que la division générale n’a pas suivi la jurisprudence établie et qu’elle a donc commis une erreur de droit.

La division générale a commis une erreur de droit en omettant d’appliquer de la jurisprudence d’application obligatoire qui définit ce qu’est une circonstance exceptionnelle

[11] Si une personne veut recevoir des prestations d’assurance‑emploi, elle doit prendre des mesures raisonnablement rapides pour comprendre son droit aux prestations. Si ce n’est pas le cas, elle doit démontrer que des circonstances exceptionnelles expliquent pourquoi elle n’a pas présenté de demande plus tôt.

[12] Les faits de la présente affaire ne sont pas contestés. Le prestataire a dit à la division générale qu’il est le fils aîné d’une famille indienne stricte, ce qui a une incidence culturelle sur sa perte d’emploi. Il a dit qu’il était paralysé par l’anxiété et qu’il se concentrait sur l’obtention d’un nouvel emploi dès que possibleNote de bas de page 2.

[13] La Commission a maintenu que le prestataire n’a pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant le retard. Elle dit que les facteurs invoqués par le prestataire n’ont pas nui à sa capacité de chercher un emploi et de se présenter à des entrevues. Il aurait donc été raisonnable pour le prestataire de communiquer avec la CommissionNote de bas de page 3.

[14] La division générale a bien établi le critère juridiqueNote de bas de page 4. La division générale a conclu que les circonstances qui existaient dans la vie du prestataire étaient exceptionnelles, mais qu’elles ne s’appliquaient pas à la jurisprudence exécutoire de la Cour d’appel fédérale. Il ne suffit pas de dire qu’une situation est exceptionnelle. La division générale doit expliquer et donner des motifs suffisants, notamment en appliquant la jurisprudence d’application obligatoire aux faits de l’affaire.

[15] La Cour d’appel fédérale n’a pas défini précisément ce que sont les « circonstances exceptionnelles ». Dans sa décision rendue dans l’affaire Caron, le tribunal affirme : « mais j’estime que les circonstances devraient être très exceptionnelles et, de toute façon, je ne crois pas qu’une telle inaction puisse demeurer compréhensible lorsqu’elle a duré plus de quatorze mois, comme en l’espèce »Note de bas de page 5. Cette affaire mentionne également que « l’ignorance de la loi n’est pas une excuse suffisante pour qu’une demande soit rétroactive »Note de bas de page 6.

[16] Dans l’affaire Smith, postérieure, la Cour d’appel fédérale affirme ce qui suit : « En l’espèce, M. Smith n’a jamais tenté, au cours de la période de six mois, de formuler une demande, et il ne semble exister aucune circonstance l’ayant empêché de le faire ou lui rendant la tâche extrêmement difficile dès le début plutôt que par la suite. Certes, l’intimé a consciemment choisi de chercher un nouvel emploi, plutôt que s’en remettre au régime d’assurance-chômage, ce qu’il avait parfaitement le droit de faire »Note de bas de page 7. Il est mentionné plus loin : « De tels motifs, aussi purs soient-ils, ne permettent pas, dans l’état actuel du droit, d’antidater sa demande du fait qu’il avait un “motif justifiant” son retard » (Non souligné dans l’original)Note de bas de page 8.

[17] Dans l’affaire Somwaru, la Cour d’appel fédérale affirme que « Il est donc établi en droit que, sauf circonstances exceptionnelles, on attend d’une personne dans la situation du défendeur, qui demande des prestations, qu’elle “vérifie assez rapidement” les obligations que lui impose la Loi »Note de bas de page 9. Cela signifie donc qu’il est établi en droit qu’un prestataire doit « vérifier assez rapidement » s’il a droit à des prestations et que l’ignorance de la loi n’est pas une excuse.

[18] La Cour d’appel fédérale a statué que « [c]ette obligation implique un devoir de prudence sévère et strict »Note de bas de page 10. La Cour d’appel fédérale a également indiqué que « [c]est la raison pour laquelle l’exception relative au “motif valable justifiant le retard” est appliquée parcimonieusementNote de bas de page 11. »

[19] Enfin, la Cour d’appel fédérale a souligné l’importance d’un motif valable tout au long de la période de retard. Dans l’affaire Howard, la Cour a conclu que le demandeur n’avait pas démontré un motif valable pour toute la période du retard. Pendant une partie du temps, le demandeur avait démontré qu’il s’occupait de son épouse et de son enfant blessés et qu’il était partie à un litige concernant la succession de sa mèreNote de bas de page 12. Le demandeur, lorsque son indemnité de départ a pris fin, ne voulait [traduction] « demander aucune aide du gouvernement »Note de bas de page 13.

[20] La division générale n’a pas tenu compte de ce droit établi et contraignant et l’a appliqué aux faits de l’affaire. La division générale a énoncé ses conclusions, a décidé que le prestataire était crédible, honnête et direct dans son témoignage et a tiré une conclusion sans analyser le droitNote de bas de page 14.

[21] Cela signifie que la division générale a commis une erreur de droit. Elle n’expliquait pas en quoi la situation du prestataire et son défaut de présenter une demande d’assurance‑emploi étaient exceptionnels selon la jurisprudence d’application obligatoire.

Réparation

[22] J’ai trouvé une erreur. Il y a donc deux façons principales de corriger celle‑ci. Je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Je peux également renvoyer l’affaire à la division générale si j’estime que l’audience n’a pas été équitableNote de bas de page 15.

[23] Les parties ont convenu que la division générale avait à sa disposition tous les éléments de preuve. Cela signifie que je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Je peux notamment décider si la demande de prestations d’assurance‑emploi doit être antidatéeNote de bas de page 16.

Le prestataire n’avait pas de motif valable pendant toute la durée de son retard parce que sa situation n’était pas exceptionnelle, de sorte que la demande ne peut pas être antidatée

Le prestataire doit démontrer qu’il avait un motif valable pour toute la durée du retard

[24] Le prestataire demande que sa demande de prestations d’assurance‑emploi soit antidatée. Pour faire antidater une demande, il faut prouver qu’un motif valable justifie le retardNote de bas de page 17.

[25] Pour prouver qu’il avait un motif valable, le prestataire doit démontrer qu’il a agi comme l’aurait fait toute personne raisonnable et prudente dans des circonstances semblables pendant toute la période du retardNote de bas de page 18. Habituellement, cela signifie qu’une partie prestataire doit également démontrer qu’elle a rapidement pris des mesures pour comprendre son admissibilité aux prestations et les obligations que lui impose la loiNote de bas de page 19.

[26] La partie prestataire qui ne prend pas les mesures qu’elle doit prendre est tenue de démontrer que des circonstances exceptionnelles expliquent pourquoiNote de bas de page 20.

[27] J’adopte les conclusions de la division générale au sujet des circonstances qui existaient pour le prestataireNote de bas de page 21. Le prestataire n’a pas soutenu qu’il s’est penché rapidement sur ses droits et obligations. Ces faits ne sont pas contestés. Dans cette affaire, la question consiste à savoir si, en vertu de la loi, les circonstances vécues par le prestataire sont exceptionnelles.

Aucune circonstance exceptionnelle ne s’applique à la présente affaire

[28] Le prestataire a présenté une demande de prestations le 11 octobre 2023 et la demande a pris effet le 8 octobre 2023Note de bas de page 22.

[29] Le prestataire a dit à la division générale que le retard dans la présentation de sa demande était attribuable à l’anxiétéNote de bas de page 23. Il a dit qu’il avait perdu son emploi, sans motif, et qu’il n’avait jamais reçu de prestations d’assurance‑emploiNote de bas de page 24.

[30] Il a dit qu’il se cachait et qu’il avait honte d’avoir perdu son emploi et que cela avait à voir avec sa cultureNote de bas de page 25. Il a dit qu’il estime que sa santé mentale constituait le problème et que ce qu’il a fait était ce qu’une personne raisonnable aurait faitNote de bas de page 26. Il a dit qu’une semaine ne suffit pas après avoir perdu son emploi.

[31] Cependant, le prestataire n’a pas perdu son emploi une semaine avant de présenter sa demande. Le dernier jour de travail du prestataire était le 13 février 2023. Le prestataire a reçu une indemnité de départ de son employeur, c’est pourquoi il ne cherchait pas à ce que la demande commence avant le 21 mai 2023. Il a dit à la Commission qu’il n’avait pas présenté immédiatement de demande d’assurance-emploi parce qu’il recevait des prestations et qu’il ne savait pas quoi faire. Il a dit qu’il cherchait aussi du travailNote de bas de page 27.

[32] Après le refus de prestations par la Commission, le prestataire a demandé une révision. Il a écrit qu’après avoir perdu son emploi, il éprouvait une profonde détresse émotionnelle et psychologique. Il a également dit qu’en juillet 2023, il s’occupait de sa grand-mère, qui est malheureusement décédéeNote de bas de page 28.

[33] Le prestataire a également souligné qu’il pouvait fournir des documents démontrant ses démarches de recherche d’emploi, y compris la correspondance avec les agences de recrutement et les demandes soumisesNote de bas de page 29.

[34] Ce sont toutes des circonstances certainement atténuantes. Mais je n’estime pas que ce sont des circonstances exceptionnelles.

[35] Il a fallu exceptionnellement longtemps au prestataire pour examiner ses droits et ses responsabilités. Entre le moment où il a perdu son emploi et le jour où il a présenté sa demande, il s’est écoulé 7 mois et 27 jours. Je sais que le prestataire ne demande pas de prestations qui remonteraient à février 2023. Il s’agissait néanmoins d’une période que le prestataire aurait pu utiliser pour prendre connaissance de ses droits et responsabilités.

[36] Du 21 mai 2023 au 11 octobre 2023, il restait encore 4 mois et 20 jours. La Cour d’appel fédérale affirme que la raison du retard est le facteur le plus important, mais que la durée du retard peut quand même constituer un facteur pertinentNote de bas de page 30. Dans la présente affaire, il s’agit d’un retard important.

[37] Le prestataire a soutenu que l’anxiété le paralysait. Pourtant, il a également dit qu’il se concentrait sur la recherche d’emplois et la présentation de demandes d’emploi. J’estime que cela signifie qu’il n’était pas complètement paralysé et qu’il n’était pas dans une situation où quelque chose l’empêchait de présenter une demande.

[38] Je comprends et j’accepte qu’un aspect culturel et de la honte étaient rattachés à ce qui s’est passé. Je comprends aussi que pendant une partie de la période, la maladie et le décès de sa grand-mère ont été difficilesNote de bas de page 31 Je compatis, car ce sont toutes des circonstances malheureuses. Cependant, elles ne sont pas exceptionnelles et ne l’ont pas empêché de chercher des renseignements au sujet de ses droits et obligations.

[39] J’estime que cette affaire est semblable à l’affaire HowardNote de bas de page 32. Comme il a été mentionné auparavant, le demandeur dans cette affaire se concentrait sur l’obtention d’un nouvel emploi, ne voulait pas obtenir d’aide gouvernementale et s’occupait de son épouse et de son fils blessés pendant qu’il était partie au litige concernant la succession de sa mère. Tout comme dans le cas présent, il y a beaucoup de facteurs convaincants de choses malheureuses qui se produisaient. Je conclus cependant que compte tenu de la jurisprudence établie, les circonstances exceptionnelles doivent vraiment être exceptionnelles. Par exemple, il peut s’agir de quelque chose qui empêchait un demandeur de chercher des renseignements comme une hospitalisation.

[40] Ce n’est pas le cas dans la présente affaire. Le prestataire vivait beaucoup de choses. Toutefois, il était toujours capable de fonctionner, de chercher et de postuler plusieurs emplois. Je conclus que cela signifie que le prestataire aurait pu obtenir des renseignements au sujet de ses droits et obligations en vertu de la Loi.

[41] Donc, bien que je sois sensible à ce que vit le prestataire, je ne crois pas qu’il existe des circonstances exceptionnelles qui me permettraient d’accorder des prestations d’assurance‑emploi.

Conclusion

[42] L’appel est accueilli.

[43] La division générale a commis une erreur de droit en omettant d’appliquer le droit établi aux faits de l’affaire.

[44] J’ai corrigé l’erreur en rendant la décision que la division générale aurait dû rendre. Je ne peux pas antidater la demande de prestations du prestataire.

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