Assurance-emploi (AE)

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Citation : CC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 630

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : C. C.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (637987) datée du 23 janvier 2024 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Normand Morin
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 28 mars 2024
Personne présente à l’audience : L’appelante
Date de la décision : Le 17 mai 2024
Numéro de dossier : GE-24-518

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] Je conclus que l’appelante ne démontre pas qu’elle était justifiée de quitter volontairement son emploiNote de bas de page 1. Il ne s’agissait pas de la seule solution raisonnable dans son cas. Son exclusion du bénéfice des prestations d’assurance-emploi, à compter du 29 octobre 2023, est donc justifiée.

Aperçu

[3] Du 4 avril 2018 au 27 octobre 2023 inclusivement, l’appelante a travaillé comme cariste et responsable du département de l’inspection pour l’employeur X (l’employeur), et a cessé de travailler pour lui après avoir effectué un départ volontaireNote de bas de page 2.

[4] Le 8 novembre 2023, elle présente une demande de prestations d’assurance-emploi (prestations régulières)Note de bas de page 3. Une période de prestations a été établie à compter du 29 octobre 2023Note de bas de page 4.

[5] Le 30 novembre 2023, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) rend une décision selon laquelle l’appelante n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploi à compter du 29 octobre 2023, car elle a volontairement quitté son emploi, le 27 octobre 2023, sans motif valable au sens de la LoiNote de bas de page 5. Le 7 décembre 2023, la Commission l’avise par écrit de cette décisionNote de bas de page 6.

[6] Le 23 janvier 2024, à la suite d’une demande de révision, la Commission l’informe qu’elle maintient la décision rendue à son endroit, en date du 30 novembre 2023 concernant son départ volontaireNote de bas de page 7.

[7] Le 6 février 2024, l’appelante conteste la décision en révision de la Commission auprès du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (le Tribunal)Note de bas de page 8.

[8] L’appelante fait valoir qu’elle était justifiée de quitter volontairement son emploi. Elle explique l’avoir quitté pour prendre sa retraite, car elle n’avait plus la capacité d’effectuer ses tâches, étant donné sa condition. L’appelante précise qu’à la suite d’un accident de travail survenu en avril 2023, elle ne peut demeurer longtemps en position debout ou assise. Elle explique s’être résignée à prendre sa retraite le 27 octobre 2023. L’appelante fait valoir que si elle n’avait pas quitté son emploi à ce moment, l’employeur l’aurait mise à pied quelques semaines plus tard, en raison d’une réduction des activités de l’entreprise et de la fermeture du département où elle travaillait. Elle soutient avoir le droit de recevoir des prestations.

Questions en litige

[9] Je dois déterminer si l’appelante était justifiée de quitter volontairement son emploiNote de bas de page 9. Je dois répondre aux questions suivantes :

  • Est-ce que la fin d’emploi de l’appelante représente un départ volontaire?
  • Si tel est le cas, est-ce que le départ volontaire de l’appelante représentait la seule solution raisonnable dans son cas?

Analyse

[10] La Loi prévoit qu’un prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il quitte volontairement son emploi sans justification. Il ne suffit pas d’avoir un motif valable, c’est-à-dire une bonne raison de quitter un emploi, pour prouver que le départ était fondé.

[11] Des décisions de la Cour d’appel fédérale (la Cour) indiquent que le critère qui détermine si le prestataire est fondé de quitter son emploi consiste à se demander si en tenant compte de toutes les circonstances, le prestataire n’avait pas d’autre choix raisonnable que de le quitterNote de bas de page 10.

[12] Le prestataire est responsable de prouver que son départ était fondéNote de bas de page 11. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnable. Pour prendre une décision, je dois examiner toutes les circonstances présentes quand un prestataire quitte son emploi.

Question no 1 : Est-ce que la fin d’emploi de l’appelante représente un départ volontaire?

[13] J’estime que dans le cas présent, la fin de l’emploi de l’appelante représente bien un départ volontaire au sens de la Loi.

[14] Je considère que l’appelante a eu le choix de continuer de travailler pour l’employeur, mais qu’elle a décidé de quitter volontairement son emploi, le 27 octobre 2023.

[15] La Cour nous informe que dans le cas d’un départ volontaire, il faut d’abord déterminer si la personne avait le choix de conserver son emploiNote de bas de page 12.

[16] Dans le présent dossier, le témoignage et les déclarations de l’appelante indiquent qu’elle a pris la décision de quitter son emploiNote de bas de page 13.

[17] L’appelante ne conteste pas le fait qu’elle a quitté volontairement son emploi. Je n’ai aucune preuve du contraire.

[18] Je dois maintenant déterminer si elle était justifiée de quitter volontairement son emploi et s’il s’agissait de la seule solution raisonnable dans son cas.

Question no 2 : Est-ce que le départ volontaire de l’appelante représentait la seule solution raisonnable dans son cas?

[19] Dans le cas présent, je considère que l’appelante ne démontre pas qu’elle était justifiée de quitter son emploi au moment où elle l’a fait. Elle n’avait pas de raisons acceptables selon la Loi.

[20] Je considère que le départ volontaire de l’appelante ne représentait pas la seule solution raisonnable dans son cas.

[21] Les déclarations recueillies par la Commission auprès de l’employeur indiquent les éléments suivants :

  1. a) Au cours de l’été 2023, l’appelante a avisé l’employeur qu’elle allait prendre sa retraite en septembre 2023Note de bas de page 14 ;
  2. b) À la demande de l’employeur, l’appelante a accepté de continuer de travailler en septembre 2023, étant donné les besoins de l’entrepriseNote de bas de page 15 ;
  3. c) Elle a pris sa retraite le 27 octobre 2023Note de bas de page 16 ;
  4. d) Il y a eu un manque de travail dans l’entreprise (inspection et assemblage), du 28 octobre 2023 au 11 novembre 2023Note de bas de page 17.

[22] Le témoignage et les déclarations de l’appelante indiquent les éléments suivants :

  1. a) Elle a quitté son emploi pour prendre sa retraite. Elle précise que sa retraite était volontaireNote de bas de page 18 ;
  2. b) En août 2023, l’appelante a annoncé à l’employeur qu’elle allait prendre sa retraite. Elle devait la prendre le 2 septembre 2023, mais l’a prise le 27 octobre 2023, car elle a accepté, à la demande de l’employeur, de continuer de travailler jusqu’à ce moment. Elle ne souhaitait pas conserver son emploi ni continuer de travaillerNote de bas de page 19 ;
  3. c) Le travail qu’elle effectuait exige d’avoir une très bonne condition physique (ex. : conduire un chariot élévateur pour sortir des « palettes », soulever de lourdes boîtes et faire l’inspection de leur contenu). Elle se sentait fatiguée et avait moins de capacité pour effectuer son travail, mais ne voulait pas prendre de congé. Elle explique s’être résignée à prendre sa retraite, étant donné que sa condition ne lui permettait plus d’accomplir ses tâchesNote de bas de page 20 ;
  4. d) L’appelante ressent des douleurs au dos et aux hanches. Elle explique que les symptômes qu’elle ressent sont consécutifs à un accident de travail survenu en avril 2023 (chute). Elle explique ne pouvoir demeurer longtemps en position debout ou assise, étant donné la douleur et les symptômes qu’elle ressent (ex. : engourdissement dans les jambes). L’employeur était au courant de sa situation, mais n’avait pas d’autres tâches à lui offrirNote de bas de page 21 ;
  5. e) À la suite de son accident de travail d’avril 2023, elle n’a pas vu de médecin. Elle ne pensait pas avoir besoin d’en consulter un. Elle a rempli un rapport d’incident chez l’employeur, mais n’a pas fait d’autres démarches relativement à cet événement (ex. : signalement auprès de la Commission de normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail – CNESST). Elle a continué de travailler ;
  6. f) Le 30 mai 2023, elle a consulté un chiropraticien. Ce dernier a conclu qu’elle avait subi une dislocation de la hanche et que le nerf sciatique était « coincé », mais qu’elle pouvait continuer de travailler. Des exercices lui ont été prescrits. L’appelante a de nouveau consulté son chiropraticien les 6 juin 2023 et 10 novembre 2023. Le 10 novembre 2023, le chiropraticien lui a dit qu’il ne pouvait rien faire de plus pour elleNote de bas de page 22 ;
  7. g) Durant la période où elle a consulté son chiropraticien, elle n’a pas vu de médecin. Elle ne sentait pas le besoin de le faire, étant donné qu’elle voyait un chiropraticien ;
  8. h) Après avoir vu son chiropraticien, le 10 novembre 2023, elle a tenté de prendre rendez-vous avec son médecin de famille, mais a seulement été en mesure de le voir le 20 février 2024. Il lui a prescrit des examens (ex. : tomographie axiale commandée par ordinateur – TACO) et lui a recommandé de ne pas faire de mouvements brusques. Il ne lui a pas fourni d’attestation médicale indiquant qu’elle était dans l’incapacité de travailler ou qu’elle avait dû quitter son emploi pour des raisons de santé, ou précisant qu’elle avait des limitations fonctionnelles (ex. : limite de charges qu’elle peut soulever)Note de bas de page 23 ;
  9. i) Dans sa demande de prestations, l’appelante a répondu « non » à la question lui demandant si des problèmes de santé avaient influencé sa décision de prendre sa retraiteNote de bas de page 24 ;
  10. j) Avant de quitter son emploi, l’appelante n’a pas demandé de transfert ni de congé à l’employeurNote de bas de page 25 ;
  11. k) Elle fait valoir que si elle n’avait pas quitté son emploi, le 27 octobre 2023, elle aurait été mise à pied après le 11 novembre 2023 ou à compter de la fin de novembre 2023, en raison d’un manque de travail. Elle souligne que la période du 28 octobre 2023 au 11 novembre 2023 a été la dernière période durant laquelle il y a eu de l’inspection au département où elle travaillait. Elle indique avoir appris que trois semaines après son départ volontaire, les employés de ce département avaient été mis à pied. L’employeur ne lui a pas parlé de la possibilité d’une mise à pied lorsqu’elle lui a annoncé qu’elle allait prendre sa retraite ou avant qu’elle ne quitte son emploi, le 27 octobre 2023. Elle explique que si elle l’avait su, elle aurait attendu d’être mise à pied. Elle souligne que si cela avait été le cas, elle aurait ainsi pu recevoir des prestationsNote de bas de page 26 ;
  12. l) L’appelante dit trouver injuste de ne pas avoir le droit de recevoir des prestations après avoir cessé de travailler pour l’employeur. Elle souligne avoir travaillé depuis l’âge de 16 ans, avoir payé des cotisations d’assurance-emploi et ne jamais avoir abusé du systèmeNote de bas de page 27 ;
  13. m) Elle déclare chercher un emploi respectant sa condition médicale (ex. : secrétaire, réceptionniste)Note de bas de page 28 ;
  14. n) Dans sa demande de prestations, l’appelante indique ne pas avoir cherché un autre emploi avant de démissionnerNote de bas de page 29.

[23] J’estime que les motifs de l’appelante d’avoir quitté volontairement son emploi ne démontrent pas qu’elle était justifiée de le faire, au sens de la Loi.

[24] Je considère que la décision de l’appelante de quitter son emploi pour sa retraite relève avant tout d’un choix personnel.

[25] Bien que l’appelante fasse valoir que sa condition physique ou médicale ne lui permettait plus d’accomplir ses tâches, elle ne démontre pas que son départ volontaire était justifié par des raisons de santé.

[26] Elle ne démontre pas non plus qu’elle avait des limitations fonctionnelles pouvant l’empêcher d’accomplir ses tâches.

[27] Malgré son accident de travail subi en avril 2023, elle a continué de travailler et n’a pas consulté de médecin. L’appelante déclare ne pas avoir pas senti le besoin de le faire. Elle a consulté un chiropraticien. Celui-ci a indiqué qu’elle pouvait continuer de travailler malgré le diagnostic qu’il avait posé.

[28] Je souligne que dans sa demande de prestations, l’appelante indique aussi que sa décision de prendre sa retraite n’a pas été influencée par des problèmes de santéNote de bas de page 30.

[29] La Cour nous indique qu’un prestataire qui prétend avoir quitté son emploi pour des raisons de santé doit fournir une preuve médicale objective, qui non seulement atteste le problème de santé, mais démontre aussi que le prestataire a été forcé de quitter son emploi pour cette raisonNote de bas de page 31. La Cour précise qu’il doit démontrer qu’il a tenté d’en arriver à une entente avec l’employeur pour répondre à ses besoins de santé particuliers et prouver qu’il a cherché un autre emploi avant de quitter celui qu’il occupaitNote de bas de page 32.

[30] L’appelante ne démontre pas que son départ volontaire était justifié par l’existence de « conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité »Note de bas de page 33.

[31] Je ne retiens pas l’argument de l’appelante selon lequel elle aurait été mise à pied après le 11 novembre 2023 ou vers la fin de novembre 2023, en raison d’un manque de travail, si elle n’avait pas pris sa retraite le 27 octobre 2023. Il demeure qu’elle a annoncé, en août 2023, qu’elle allait la prendre le 2 septembre 2023Note de bas de page 34.

[32] Ses déclarations indiquent qu’elle a ensuite accepté de travailler jusqu’au 27 octobre 2023, à la demande de l’employeur, étant donné les besoins de l’entrepriseNote de bas de page 35.

[33] Dans ce contexte, j’estime qu’au moment où l’appelante a annoncé sa retraite, son licenciement n’était pas prévisible dans les semaines qui allaient suivre cette annonce. Elle a continué de travailler plusieurs semaines après le 2 septembre 2023, soit la date initialement prévue pour sa retraiteNote de bas de page 36

[34] Je souligne que le relevé d’emploi émis par l’employeur, en date du 31 octobre 2023, indique que l’appelante a cessé de travailler le 27 octobre 2023 et qu’il s’agit d’un départ volontaire pour sa retraiteNote de bas de page 37. Ce document n’indique pas que son emploi a pris fin en raison d’un manque de travail ou d’une fin de contrat.

[35] Je considère que la situation de l’appelante ne correspond pas à une perte d’emploi anticipée, au sens de la LoiNote de bas de page 38. La preuve au dossier ne permet pas de tirer une telle conclusion.

[36] Bien que l’appelante fasse valoir qu’elle a travaillé depuis l’âge de 16 ans et qu’elle a versé des cotisations à l’assurance-emploi, cette situation ne représente pas une justification à son départ volontaire.

[37] Le fait d’avoir cotisé au fonds de l’assurance-emploi ne confère pas automatiquement le droit à un prestataire de recevoir des prestations. Il doit satisfaire toutes les exigences de la Loi afin de pouvoir y être admissibleNote de bas de page 39.

[38] L’appelante ne démontre pas que ses conditions étaient devenues telles qu’elles justifiaient qu’elle quitte son emploi au moment où elle l’a fait.

[39] En résumé, je considère qu’en quittant volontairement son emploi pour prendre sa retraite, l’appelante a créé sa propre situation de chômage.

[40] J’estime que l’appelante avait d’autres choix que celui de quitter son emploi si elle ne voulait pas le faire.

[41] Une solution raisonnable, au sens de la Loi, aurait été, par exemple, que l’appelante continue de travailler pour l’employeur en attendant de trouver un emploi répondant mieux à ses attentes.

[42] Puisque l’appelante évoque aussi des aspects liés à sa condition physique ou à son état de santé, une autre solution raisonnable aurait été qu’elle demande une période de congé à l’employeur pour consulter un médecin afin d’obtenir une preuve médicale indiquant qu’elle devait quitter son emploi pour des raisons de santé ou précisant qu’elle avait des limitations fonctionnelles pour accomplir ses tâches.

[43] J’estime que l’appelante ne démontre pas qu’il n’existait aucune autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi.

Conclusion

[44] Je conclus, compte tenu de toutes les circonstances, que l’appelante n’était pas justifiée de quitter volontairement son emploi. Il ne s’agissait pas de la seule solution raisonnable dans son cas.

[45] L’exclusion de l’appelante du bénéfice des prestations d’assurance-emploi à compter du 29 octobre 2023 est donc justifiée.

[46] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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