[TRADUCTION]
Citation : AM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 804
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision
Parties appelante : | A. M. |
Représentant et représentante : | James S. M. Kitchen (avocat) et Jody Wells (avocate) |
Partie intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Représentante : | Julie Duggan |
Décision portée en appel : | Décision rendue par la division générale le 15 août 2023 (GE-23-1374) |
Membre du Tribunal : | Janet Lew |
Mode d’audience : | Vidéoconférence |
Date de l’audience : | Le 17 avril 2024 |
Personnes présentes à l’audience : | Appelante Représentant et représentante de l’appelante Représentante de l’intimée |
Date de la décision : | Le 12 juillet 2024 |
Numéro de dossier : | AD-23-825 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est accueilli en partie.
[2] La division générale a fait une erreur de droit lorsqu’elle a décidé que l’appelante, A. M. (prestataire), était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi à la suite d’une suspension pour inconduite. Une telle suspension entraîne une inadmissibilité.
[3] La prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi du 13 décembre 2021, date à laquelle son employeur l’a placée en congé sans solde, jusqu’au 7 janvier 2022.
Aperçu
[4] La prestataire fait appel de la décision rendue par la division générale le 15 août 2023.
[5] La division générale a conclu que l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, avait prouvé que la prestataire a été suspendue le 13 décembre 2021 en raison d’une inconduite. Elle a conclu que la prestataire avait fait ou omis de faire quelque chose, ce qui avait entraîné sa suspension. La division générale a conclu que la prestataire n’avait pas respecté la politique de vaccination de son employeur.
[6] La division générale a aussi conclu qu’en raison de l’inconduite, la prestataire était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.
[7] La prestataire dit qu’elle n’a pas été suspendue et qu’il n’y a pas eu d’inconduite de sa part. Elle explique que son employeur l’a placée en congé. Selon elle, la division générale aurait dû accepter les termes utilisés par son employeur pour expliquer la cessation de son emploi. Elle ajoute que, pour qu’il y ait inconduite, il faut une conduite répréhensible. La prestataire soutient que la division générale n’a pas suivi la jurisprudence établie.
[8] La Commission reconnaît que la division générale a fait une erreur de droit, mais elle n’est pas d’accord avec la prestataire sur la nature de cette erreur. Selon la Commission, la division générale a fait une erreur de droit lorsqu’elle a décidé que la prestataire était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi au lieu d’y être inadmissible.
[9] Les deux parties demandent à la division d’appel de rendre la décision que, selon elles, la division générale aurait dû rendre. Cependant, elles ne s’entendent pas sur la nature de la décision.
[10] La prestataire demande à la division d’appel de conclure 1) que son employeur est à l’origine du congé et 2) qu’elle n’a pas été suspendue et qu’il n’y a eu aucune inconduite de sa part. Elle demande à la division d’appel de conclure qu’elle n’était ni exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi ni inadmissible à ce bénéfice. Elle réclame aussi les dépens (frais de justice).
[11] Selon la Commission, sauf pour la décision d’exclure la prestataire du bénéfice des prestations d’assurance-emploi, la division générale n’a fait aucune erreur. La Commission demande à la division d’appel de remplacer l’exclusion par une inadmissibilité. Elle lui demande aussi de refuser d’attribuer les dépens à la prestataire.
Questions en litige
[12] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :
- a) La division générale a‑t-elle fait une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que la prestataire était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi en raison d’une suspension?
- b) La division générale a‑t-elle fait une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que la prestataire avait été suspendue au lieu d’être placée en congé?
- c) La division générale a‑t-elle mal interprété la notion d’inconduite?
- d) La division d’appel a‑t-elle le pouvoir d’accorder les dépens? Si oui, faut‑il les attribuer?
Analyse
[13] La division d’appel peut modifier les décisions de la division générale si celle-ci a fait une erreur de compétence, de procédure, de droit ou certains types d’erreurs de faitNote de bas de page 1.
[14] Pour ce qui est des types d’erreurs de fait, il faut que la division générale ait fondé sa décision sur une telle erreur et qu’elle ait fait l’erreur de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissanceNote de bas de page 2.
La division générale a fait une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que la prestataire était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi en raison d’une suspension
[15] La division générale a fait une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que la prestataire était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi à la suite d’une suspension pour inconduite.
[16] Une suspension pour inconduite entraîne une inadmissibilité, et non une exclusion du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 3. Le résultat peut sembler le même, car les prestataires ne reçoivent aucune prestation dans les deux cas. Mais il y a une différence entre les deux. L’exclusion entraîne parfois des conséquences plus sévères.
[17] Ainsi, la division générale s’est trompée quand elle a conclu que la prestataire était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi après avoir jugé qu’elle avait été suspendue en raison d’une inconduite.
[18] Après avoir tiré la conclusion de suspension pour inconduite, la division générale aurait dû conclure que la prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations.
[19] La prestataire dit qu’il n’y a pas eu d’inconduite de sa part, peu importe si elle entraîne une inadmissibilité ou une exclusion. Par conséquent, il faut voir s’il y a prépondérance des arguments de la prestataire sur la question de savoir si la division générale a fait une erreur lorsqu’elle a décidé que l’appelante avait été suspendue pour inconduite.
La division générale n’a fait aucune erreur de droit lorsqu’elle a conclu que le congé de la prestataire équivalait à une suspension
[20] La division générale n’a pas fait d’erreur de droit quand elle a conclu qu’il fallait traiter le congé de la prestataire comme une suspension pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi.
[21] La prestataire avance que son employeur n’a jamais laissé entendre qu’il la suspendait. Il lui a écrit au début de décembre 2021 pour lui dire que, si elle ne se faisait pas pleinement immuniser, il la mettrait en congé sans solde généralNote de bas de page 4. L’employeur a aussi souligné que le congé n’était pas disciplinaireNote de bas de page 5. Le relevé d’emploi indiquait qu’un « congé » expliquait la cessation d’emploi de la prestataire. Son employeur aurait pu choisir de qualifier la cessation d’emploi de congédiement ou de suspensionNote de bas de page 6, mais il ne l’a pas fait.
[22] La prestataire fait valoir que la division générale a aussi tiré une conclusion de fait abusive et arbitraire quand elle a utilisé le terme « suspension » au lieu du terme « congé », que l’employeur a toujours utilisé. La prestataire soutient qu’en faisant cela, la division générale excédait son pouvoir.
[23] Selon la Commission, le fait que l’employeur de la prestataire ait décrit la cessation d’emploi comme un « congé » au lieu d’une suspension dans les documents, y compris dans le relevé d’emploi, importait peu. La Commission soutient qu’il faut tenir compte de toutes les circonstances entourant l’arrêt de travail de la prestataire.
[24] Autrement dit, même si la prestataire et son employeur étaient d’accord pour dire qu’elle avait été placée en congé, ce ne sera pas nécessairement considéré comme tel pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi.
[25] La Commission fait valoir que, par exemple, si la prestataire avait vraiment été placée en congé au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, il aurait fallu qu’elle remplisse les conditions établies à l’article 32 pour que la cessation d’emploi soit considérée comme un congé.
[26] Voici le texte de l’article 32 de la Loi sur l’assurance-emploi :
Inadmissibilité : période de congé sans justification
32(1) Le prestataire qui prend volontairement une période de congé sans justification n’est pas admissible au bénéfice des prestations si, avant ou après le début de cette période :
- a) d’une part, cette période a été autorisée par l’employeur;
- b) d’autre part, l’employeur et lui ont convenu d’une date de reprise d’emploi.
[27] La Commission fait valoir que si la prestataire avait pris un congé, il aurait fallu que ce soit de façon volontaire, que son employeur ait autorisé le congé et que les deux aient convenu d’une date où elle reprendrait son emploi. Comme rien de tout cela ne s’est réalisé, la Commission soutient que la prestataire ne pouvait pas être en congé pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi.
[28] La Commission soutient donc qu’aux fins de l’assurance-emploi, le congé sans solde dans la présente affaire équivaut à une suspension. Elle explique qu’en effet, la conduite de la prestataire a poussé l’employeur à la placer en congé sans solde.
[29] Le même argument a été soulevé dans l’affaire DavidsonNote de bas de page 7. Il était question d’un prestataire qui avait été mis en congé sans solde pour avoir refusé de divulguer son statut vaccinal. M. Davidson a fait valoir que son congé sans solde n’aurait pas dû être traité comme une suspension. Il s’appuyait sur le relevé d’emploi, où figurait le code « N » désignant un congé.
[30] La division d’appel a alors conclu que la preuve montrait qu’il s’agissait de fait d’une suspension pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi parce que M. Davidson avait refusé de suivre la politique de son employeur, et ce, même s’il avait été informé de la politique et qu’il avait eu le temps de s’y conformer.
[31] Dans cette affaire, la Cour fédérale a conclu que la décision de la division d’appel était raisonnable. La Cour a conclu que la division générale n’était pas tenue de décider si M. Davidson avait rempli les exigences prévues par la loi pour obtenir les prestations d’assurance-emploi parce que le code sur son relevé d’emploi indiquait un congé.
[32] La Cour a conclu que la « [division générale] devait plutôt [décider] si M. Davidson avait été suspendu en raison de sa propre inconduite et s’il n’avait donc pas droit aux prestations [d’assurance-emploi] aux termes de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 8 ».
[33] La Cour fédérale a adopté la même approche dans l’affaire BoskovicNote de bas de page 9. M. Boskovic disait que son employeuse ne l’avait pas suspendu. Cette dernière avait inscrit le code « N » sur son relevé d’emploi, ce qui désigne un congé. Il a affirmé que la politique de son employeuse n’était pas de nature disciplinaire et qu’elle ne prévoyait pas l’imposition d’une suspension.
[34] La Cour fédérale a rejeté les arguments de M. Boskovic, qui soutenait que le relevé d’emploi et les termes utilisés par son employeur étaient déterminants. La Cour a confirmé que le relevé d’emploi n’était pas la justification à retenir pour déterminer l’admissibilité aux prestations d’assurance-emploi. Elle a affirmé que la division générale devait plutôt vérifier si la suspension de M. Boskovic découlait d’une inconduite.
[35] Les circonstances entourant l’affaire de la prestataire rappellent celles des affaires Davidson et Boskovic. La prestataire avait été informée de la politique de son employeur et on lui avait donné le temps de s’y conformer. Elle ne l’a pas respectée. Par la suite, son employeur l’a placée en congé sans solde pour non-respect de la politique. Par conséquent, tout comme dans les deux précédents mentionnés, le congé est considéré comme une suspension pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi. La division générale n’a pas fait d’erreur en traitant le congé comme une suspension.
La division générale a bien interprété la notion d’inconduite
[36] La prestataire ne peut pas soutenir que la division générale a mal interprété la notion d’inconduite pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi.
L’inconduite ne nécessite pas un acte ou une conduite répréhensible
[37] Selon la prestataire, la division générale a mal interprété la notion d’inconduite, car elle n’a pas retenu un acte répréhensible comme critère. Elle soutient que l’inconduite implique une conduite ou un comportement répréhensible, moralement répugnant ou indésirable.
[38] La prestataire invoque plusieurs décisions de la Cour fédérale dans lesquelles la conduite de la personne qui demande des prestations a été jugée répréhensible et constituait donc une inconduite. Dans les affaires citées, il était notamment question d’absentéisme sur une base régulière, d’absentéisme dû à l’alcool, de manquements professionnels, de consommation de substances illicites au travail, de vente de produits de contrebande au travail en contravention de la politique établie par l’entreprise, d’une manifestation de colère avant un départ sans autorisation, de la modification manuelle des feuilles de présence en contravention de la politique établie par l’entreprise, de fraudes non déclarées et d’agissements en situation de conflit d’intérêtsNote de bas de page 10.
[39] La prestataire dit qu’elle n’a pas agi ainsi et qu’elle n’a rien fait de mal ou d’inapproprié. Elle n’a pas respecté la politique de vaccination de son employeur, mais selon elle, cela n’a pas la portée d’un acte répréhensible. Elle affirme que le refus de se faire vacciner n’a rien d’une faute grave ou d’un geste inapproprié. Elle exerçait simplement son droit à l’intégrité physique. Voilà pourquoi elle dit qu’il n’y a eu aucune inconduite de sa part.
[40] Par ailleurs, la prestataire souligne aussi que son employeur n’a jamais laissé entendre qu’il y avait eu inconduite de sa part. La correspondance envoyée par son employeur précisait qu’il la placerait en congé sans solde généralNote de bas de page 11 et que ce n’était pas une mesure disciplinaireNote de bas de page 12. Le relevé d’emploi indiquait qu’un « congé » expliquait la cessation d’emploi de la prestataire. Aucune mesure de redressement n’a visé la prestataire et son employeur l’a rappelée au travail le mois suivant. Elle a repris le travail le 7 janvier 2022.
[41] Selon la prestataire, si elle avait fait quelque chose de mal ou s’était comportée de façon répréhensible, elle aurait dû subir des mesures disciplinaires et son employeur ne l’aurait sans doute pas rappelée au travail un mois plus tard. Elle avance que son employeur l’a mise à pied temporairement dans le cadre d’une restructuration administrative.
[42] La prestataire soutient que la division générale n’a pas suivi la décisionNote de bas de page 13 Procureur général c MacDonald, Laurie J. Elle avance que la Cour d’appel fédérale [traduction] « précise clairementNote de bas de page 14 que “pour constituer une inconduite, un acte ou une omission répréhensible doit avoir été commis” ».
[43] Malheureusement, cette décision ne m’aide pas beaucoup à trancher les questions qui me sont soumises. La décision de la Cour a été rendue de vive voix et comporte un seul paragraphe, que voici :
Nous sommes tous d’avis que le juge-arbitre a eu raison de conclure que le Conseil d’arbitrage avait commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de la question de savoir si l’inconduite à laquelle il a conclu était la véritable cause du congédiement de la plaignante. On peut interpréter les propos du juge-arbitre concernant les faits comme faisant ressortir certaines questions pertinentes à l’égard desquelles un nouveau Conseil pourrait être tenu de tirer des conclusions lorsque la présente affaire lui sera renvoyéeNote de bas de page 15.
[44] La décision dit seulement que l’inconduite doit être la vraie cause du congédiement. Elle ne dit rien sur la nature de la conduite en question.
[45] Dans la présente affaire, personne ne conteste le fait que la conduite de la prestataire a mené à la suspension. Il reste à savoir s’il faut que quelque chose de mal ou de répréhensible se soit produit pour que l’on considère que c’est une inconduite.
[46] Les cours ont défini la notion d’inconduite pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi. Elles n’exigent aucune part de méfait ou de faute. Dans l’affaire TuckerNote de bas de page 16, la Cour d’appel fédérale a examiné l’inconduite au sens de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage.
[47] Voici ce que la Cour d’appel fédérale a écrit : « Il y a un dernier élément, qui est peut-être le plus important, c’est la raison d’être de l’ensemble de la disposition qui consiste à imposer une exclusion à titre de “pénalité” pour un comportement indésirable qui n’équivaut pas exactement au véritable chômage auquel la Loi entend remédierNote de bas de page 17. » Mais contrairement à ce que la prestataire avance, la Cour d’appel fédérale n’a pas affirmé que la conduite devait être répréhensible. Tout au plus, la majorité de la Cour a décidé qu’un élément psychologique devait être relevé, que ce soit un caractère délibéré ou une conduite à ce point insouciante qu’elle frôle le caractère délibéré.
[48] Dans l’affaire SpearsNote de bas de page 18, la demanderesse a soulevé le même argument, c’est‑à-dire que l’inconduite correspond uniquement à une conduite répréhensible. Elle a dit qu’il n’y avait pas eu d’inconduite de sa part quand elle avait refusé d’attester de son statut vaccinal. Elle a fait valoir que cela n’avait rien d’une conduite répréhensible. L’argument de Mme Spears n’a pas convaincu la Cour fédérale. Cette dernière a conclu que la division d’appel avait agi de façon raisonnable lorsqu’elle avait précisé qu’au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, il y a inconduite lorsqu’on viole de façon « consciente, voulue ou intentionnelle » la politique de l’employeurNote de bas de page 19.
[49] Et plus récemment, dans la décision Hazaparu, la Cour fédérale a souligné que l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi [traduction] « a un sens plus large que celui du langage courant ou des dictionnaires. L’inconduite comprend toute violation consciente d’une politique établie par l’employeur. Elle ne nécessite aucun degré de réprimande moraleNote de bas de page 20. » (C’est moi qui souligne.)
[50] Voici comment la division générale a défini l’inconduiteNote de bas de page 21 :
Selon la jurisprudence, pour être considérée comme une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle [citation omise]. L’inconduite comprend également une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée [citation omise]. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que l’appelante ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal [citation omise]).
Il y a inconduite si l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il y avait une réelle possibilité qu’elle soit suspendue pour cette raison [citation omise].
[51] La division générale a adopté la définition de l’inconduite qui figure dans plusieurs décisions de la Cour d’appel fédérale. La façon dont la division générale interprète l’inconduite pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi est conforme aux décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale.
[52] La division générale a bien interprété la notion d’inconduite. Elle a admis que la conduite de la personne qui travaille doit être délibérée. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait eu un acte répréhensible ni que la personne ait fait l’objet de mesures disciplinaires pour sa conduite.
Il peut y avoir une inconduite même si l’employeuse ou l’employeur adopte une nouvelle politique qui ne fait pas partie du contrat de travail ou de la convention collective d’origine
[53] La prestataire dit qu’il n’y a pas eu d’inconduite de sa part. Elle dit qu’elle n’aurait pas pu manquer aux obligations prévues par la politique de vaccination de son employeur puisque, selon elle, la politique a été imposée de façon non valable.
[54] De ces propos, je comprends que la prestataire soutient essentiellement qu’elle n’avait pas à se conformer à la politique de vaccination de son employeur, car la politique ne faisait pas partie de sa convention collective et elle n’avait pas consenti à la modification de ses conditions d’emploi.
[55] Cependant, il est maintenant bien établi que les politiques et les exigences d’une employeuse ou d’un employeur n’ont pas à faire partie du contrat de travail ou de la convention collective pour qu’il y ait inconduite.
[56] La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont rendu plusieurs décisions concernant des membres du personnel qui n’ont pas respecté les politiques de vaccination de leur employeur respectif. La vaccination obligatoire contre la COVID-19 n’était prévue dans aucun des contrats de travail et aucune des conventions collectives en place. Pourtant, les cours étaient prêtes à admettre qu’il y avait eu inconduite quand ces personnes ne respectaient pas les politiques de vaccination de leur employeur.
[57] Par exemple, dans l’affaire MattiNote de bas de page 22, la Cour fédérale a décidé qu’il n’était pas nécessaire que la politique de vaccination de l’employeur figure dans l’entente initiale, car « l’inconduite peut être évaluée par rapport à des politiques qui voient le jour après le début de la relation de travail ».
[58] Dans l’affaire KukNote de bas de page 23, M. Kuk a choisi de ne pas se conformer à la politique de vaccination de son employeur. La politique ne faisait pas partie de son contrat de travail. Malgré cela, la Cour fédérale a jugé qu’il y avait quand même eu inconduite parce que M. Kuk, en toute connaissance de cause, n’avait pas respecté la politique de vaccination de son employeur même s’il connaissait les conséquences du non-respect de la politique.
[59] Dans les affaires CecchettoNote de bas de page 24, MilovacNote de bas de page 25 et BoskovicNote de bas de page 26, la vaccination ne faisait pas non plus partie de la convention collective ni du contrat de travail. La Cour fédérale a établi que la jurisprudence montre que la politique ne doit pas nécessairement faire partie du contrat de travail initial pour justifier l’existence d’une inconduiteNote de bas de page 27. Il y avait eu inconduite de la part des parties appelantes qui n’avaient pas respecté les politiques de vaccination de leur employeur.
[60] Il y a aussi de nombreuses affaires qui ne portent pas sur les politiques de vaccination et qui montrent qu’il n’est pas nécessaire que les politiques de l’employeur figurent au contrat de travail d’une personne ou dans sa convention collective pour qu’il y ait inconduiteNote de bas de page 28.
[61] La division générale n’a pas fait d’erreur de droit lorsqu’elle a décidé qu’il pouvait y avoir inconduite en cas de manquement à une politique qui ne figurait pas dans la convention collective ou le contrat initial.
Dépens
[62] La prestataire réclame des dépens de 5 000 $. Elle avait gagné son appel de la décision rendue par la division générale le 9 novembre 2022 (numéro de dossier GE‑22‑2684), qui portait sur le même sujet. La division générale avait rejeté son appel de façon sommaire. Le 4 mai 2023, la division d’appel a annulé le rejet sommaire (numéro de dossier 80-23-225) et a renvoyé l’affaire à la division générale pour réexamen.
[63] La division d’appel n’a toutefois pas la compétence nécessaire pour mettre les dépens à la charge d’une partie ou pour accorder des dommages-intérêtsNote de bas de page 29.
Conclusion
[64] L’appel est accueilli en partie.
[65] La division générale a fait une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que la prestataire était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi à la suite d’une suspension pour inconduite. Une telle suspension entraîne plutôt une inadmissibilité.
[66] La preuve démontre que, pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi, la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite. Elle est donc inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi du 13 décembre 2021, date à laquelle son employeur l’a placée en congé sans solde, au 7 janvier 2022, date de son retour au travail.