Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 714

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : J. P.
Représentant : Philip Cornish
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 22 décembre 2023
(GE-23-1565)

Membre du Tribunal : Solange Losier
Date de la décision : Le 23 juin 2024
Numéro de dossier : AD-24-83

Sur cette page

Décision

[1] L’autorisation (permission) de faire appel est refusée. L’appel du prestataire n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] J. P. est le prestataire dans la présente affaire. Il travaillait comme technicien pour une municipalité. Il a demandé des prestations régulières d’assurance‑emploi lorsqu’il a cessé de travailler.

[3] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’il ne pouvait pas recevoir de prestations régulières d’assurance-emploi parce qu’il avait cessé de travailler en raison de son inconduiteNote de bas de page 1.

[4] La division générale a tiré la même conclusionNote de bas de page 2. Elle a conclu qu’il ne pouvait pas recevoir de prestations d’assurance-emploi parce qu’il avait été suspendu de son emploi et congédié en raison de son inconduiteNote de bas de page 3.

[5] Le prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division généraleNote de bas de page 4. Il dit que la division générale a commis plusieurs erreurs susceptibles de révisionNote de bas de page 5.

[6] Je rejette la demande de permission de faire appel du prestataire parce qu’elle n’a aucune chance raisonnable de succès.

Question en litige

[7] Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur susceptible de révision?

Analyse

[8] Un appel ne peut être instruit que si la division d’appel accorde d’abord la permission de faire appelNote de bas de page 6.

[9] Je dois être convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 7. C’est donc dire qu’il doit y avoir un motif défendable sur le fondement duquel l’appel pourrait être accueilliNote de bas de page 8.

[10] Les moyens d’appel possibles devant la division d’appel sont les suivantsNote de bas de page 9 :

  • la division générale a agi de manière injuste,
  • elle a excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  • elle a commis une erreur de droit;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.

[11] Pour que l’appel du prestataire aille de l’avant, je dois conclure qu’il a une chance raisonnable de succès fondée sur l’un des moyens d’appel mentionnés précédemment.

Je n’accorde pas au prestataire la permission de faire appel

Le prestataire soutient que la division générale a agi injustement

[12] Le prestataire soutient que le membre de la division générale l’a interrogé de façon préjudiciable. Il affirme que la série de questions visait à obtenir des réponses défavorables quant à sa compréhension de la politique de l’employeur et au risque de licenciement.

[13] Le prestataire affirme que cela équivalait à un processus injuste et que, ce faisant, la division générale n’a pas satisfait à la norme de l’arbitre neutre et impartial.

On ne peut soutenir que la division générale a agi injustement

[14] L’équité procédurale concerne l’équité du processus. Le prestataire a le droit d’être entendu et de connaître la preuve à réfuter. Il a également le droit d’avoir la possibilité de répondre et de faire examiner sa preuve pleinement et équitablement par un décideur impartialNote de bas de page 10.

[15] Si la division générale a procédé d’une manière qui était injuste ou n’a pas été impartiale, je peux intervenirNote de bas de page 11.

[16] J’ai écouté l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale. Voici un bref résumé de ce que j’ai entendu.

[17] L’audience s’est déroulée par vidéoconférence et elle a duré environ 1 heure 28 minutes. Seuls le prestataire et son avocat ont assisté à l’audience.

[18] La division générale a expliqué qu’il s’agissait d’une nouvelle audience. Elle a souligné que la Commission avait imposé une inadmissibilité et une exclusion aux prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite et qu’elle devait donc décider si le prestataire avait droit à des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 12.

[19] L’avocat du prestataire a confirmé la réception des documents au dossier et des arguments écrits de la CommissionNote de bas de page 13.

[20] La division générale a demandé comment le prestataire voulait procéder (c.-à-d. si le prestataire témoignerait ou si son avocat passerait directement aux observations, ou une combinaison des deuxNote de bas de page 14).

[21] Au début de l’audience, l’avocat du prestataire a demandé une courte pause pour parler au prestataire et la division générale l’a autoriséeNote de bas de page 15.

[22] Le prestataire a témoigné et son avocat lui a posé des questions au sujet de son emploi, du syndicat, du grief déposé, de la politique de vaccination de l’employeur, de la décision de l’arbitre en droit du travail et de sa réintégrationNote de bas de page 16. Une fois l’interrogatoire du prestataire terminé, la division générale lui a posé quelques questionsNote de bas de page 17.

[23] La division générale a d’abord posé des questions au prestataire au sujet de la politique de vaccination de l’employeurNote de bas de page 18. Elle lui a demandé s’il avait été avisé de la politique par courriel. Elle a posé des questions sur les délais prévus dans la politique et sur ce que son employeur s’attendait à ce qu’il fasse (c.-à-d. divulguer son statut vaccinal).

[24] Le prestataire a expliqué que la politique de l’employeur n’était [traduction] « pas légale » et [traduction] « ne s’appliquait pas » à luiNote de bas de page 19. Il a dit que tout avait déjà été discuté pendant l’arbitrage, et donc qu’il ne savait pas exactement pourquoi on lui posait ces questions en particulier. Il a renvoyé la division générale à la décision exécutoire rendue par l’arbitre en droit du travail.

[25] L’avocat du prestataire s’est ensuite opposé à l’interrogatoire de la division générale, en soulignant que ses questions laissaient entendre une interprétation étroite de ce qui constitue une inconduiteNote de bas de page 20. Son avocat a affirmé qu’ils ne répondraient pas à ces questions aujourd’hui parce qu’elles ne sont pas pertinentes à la lumière de la décision de l’arbitre en droit du travailNote de bas de page 21.

[26] La division générale a expliqué que ses questions portaient sur l’interprétation par le prestataire de la politique de l’employeur et que, même si elle avait d’autres questions, ils pouvaient plutôt procéder aux observationsNote de bas de page 22.

[27] Dans sa décision écrite, la division générale a également résumé ces événementsNote de bas de page 23.

[28] La question en litige dans cette affaire était de savoir si le prestataire avait droit à des prestations régulières d’assurance-emploi à compter du 7 novembre 2021. La Commission avait imposé une inadmissibilité et une exclusion aux prestations d’assurance-emploi parce qu’elle disait qu’il avait été suspendu et qu’il avait perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 24. Le prestataire interjette appel de cette décision devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[29] Les Règles de procédure du Tribunal de la sécurité sociale permettent aux membres du Tribunal d’utiliser la prise de décision active, ce qui consiste notamment à poser des questions aux partiesNote de bas de page 25.

[30] La division générale a dû tirer des conclusions de fait et en arriver à ses propres conclusions sur les raisons pour lesquelles il a cessé de travailler en novembre 2021 et sur la question de savoir si sa conduite équivalait à une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

[31] Les questions que la division générale a posées étaient des questions pertinentes qui étaient directement liées aux questions juridiques qu’elle devait trancher.

[32] Par exemple, il était pertinent et important de demander au prestataire s’il était au courant des délais de conformité prévus dans la politique de l’employeur. Si le prestataire n’était pas au courant des délais prévus dans la politique, il pourrait s’agir d’un facteur important pour décider s’il y a eu inconduite délibérée. Il est tout aussi important de se demander si le prestataire a été informé de la politique de l’employeur et s’il comprenait ce que l’employeur attendait de lui.

[33] La division générale a posé les questions habituelles qui seraient posées dans des cas semblables où une personne a été suspendue et congédiée en raison d’une inconduite présumée.

[34] L’enregistrement audio montre que la division générale a posé des questions au prestataire de façon impartiale, respectueuse et sur un ton approprié.

[35] On ne peut soutenir que la division générale n’a pas suivi un processus équitable ou n’a pas été impartiale lorsqu’elle a posé des questions au prestataire. Elle avait le droit de poser des questions et elle l’a fait de manière adéquate. Les questions qu’elle a posées étaient pertinentes aux questions juridiques qu’elle devait trancher.

Le prestataire soutient que la division générale a commis des erreurs de droit et de compétence

[36] Une erreur de compétence signifie que la division générale ne s’est pas prononcée sur une question qu’elle devait trancher ou s’est prononcée sur une question qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancherNote de bas de page 26. Une erreur de droit peut se produire lorsque la division générale n’applique pas les bonnes dispositions législatives ou utilise les bonnes dispositions législatives, mais comprend mal ce qu’elles signifient ou la manière de les appliquerNote de bas de page 27.

[37] Le prestataire fait valoir que la division générale a commis les erreurs suivantesNote de bas de page 28 :

  • En concluant que la déclaration selon laquelle les dispositions disciplinaires de la politique de l’employeur étaient illégales n’était pas contraignante ni ne devait être prise en considération en preuve.
  • En se fondant sur la décision Canada (Procureur général) c Perusse.
  • En appliquant mal la décision Canada (Procureur général) c Boulton.
  • En interprétant mal l’applicabilité des décisions suivantes : Mishibinijima c Canada (Procureur général); Paradis c Canada (Procureur général); Canada (Procureur général) c Bellevance; Re: Lumber and Sawmill Workers and KVP.
  • En omettant d’effectuer une analyse de l’application de la décision Re Rizzo and Rizzo Shoes Ltd.
  • En omettant d’examiner la décision Canada (Procureur général) c Lemire.
  • En refusant de rendre une décision sur la pertinence de l’effet de la décision arbitrale selon laquelle la politique disciplinaire de l’employeur était illégale et que cette conclusion devait être examinée rétrospectivement.
  • En ne tenant pas compte du contexte inhérent du travail de ses décisions en matière d’assurance-emploi comme étant assujetties aux lois du Canada sur les principes du travail applicables (qui, selon lui, ont été pris en compte dans l’affaire Lemire).

La division générale a décidé que le prestataire avait été suspendu de son emploi et congédié en raison de son inconduite délibérée

[38] La division générale devait décider si la Commission avait prouvé que le prestataire avait été suspendu et congédié en raison d’une inconduite aux fins des prestations d’assurance-emploi.

[39] Voici les principales conclusions de la division générale au sujet de l’inconduiteNote de bas de page 29 :

  • Le prestataire a été suspendu de son emploi le 8 novembre 2021 et congédié le 3 janvier 2022Note de bas de page 30.
  • Il a été informé de la politique de vaccination de l’employeur et a eu le temps de s’y conformerNote de bas de page 31.
  • Son refus de se conformer à la politique était intentionnel; il a délibérément pris la décision personnelle de ne pas se faire vaccinerNote de bas de page 32.
  • il savait que son refus de fournir une preuve de vaccination en l’absence d’une exemption approuvée pouvait entraîner sa suspension puis son congédiementNote de bas de page 33.
  • Son refus de se conformer à la politique était la cause directe de sa suspension et de son congédiementNote de bas de page 34.
  • Il demeure inadmissible aux prestations d’assurance-emploi du 8 novembre 2021 au 1er janvier 2022 parce que pendant cette période il a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 35.
  • Il demeure exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi du 2 janvier 2022 jusqu’à la date de sa réintégration à son emploi parce que pendant cette période il a été congédié en raison d’une inconduiteNote de bas de page 36.

[40] La division générale a conclu que le refus délibéré du prestataire de fournir une preuve de vaccination contre la COVID-19 conformément à la politique de l’employeur, en l’absence d’une exemption approuvée, constituait une inconduite selon la LoiNote de bas de page 37. C’est pourquoi il n’avait pas droit à des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 38.

On ne peut soutenir que la division générale a commis des erreurs de droit ou de compétence

[41] Bon nombre des arguments allégués par le prestataire concernant ces motifs sont que la division générale a mal interprété et mal appliqué la jurisprudence. Il soutient également que la division générale a refusé de rendre une décision sur la pertinence de l’effet de la décision d’arbitrage du travail.

[42] Il ne peut être soutenu que la division générale a commis des erreurs de droit ou de compétence. Voici mes motifs.

[43] Selon la Loi, le prestataire qui est suspendu en raison de son inconduite n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 39. Il en va de même si le prestataire est congédié en raison d’une inconduiteNote de bas de page 40.

[44] L’inconduite n’est pas définie dans la Loi, mais dans la décision Mishibinijima la Cour d’appel fédérale définit l’« inconduite » comme une conduite délibérée, ce qui signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 41.

[45] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que la conduite pouvait entraver l’exécution de ses obligations envers l’employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédiéNote de bas de page 42. Autrement dit, l’inconduite est tout acte intentionnel susceptible d’entraîner la suspension ou la perte d’emploi.

[46] La division générale a résumé correctement les articles pertinents de la Loi et s’est bien fondée sur ceux-ciNote de bas de page 43.

[47] La division générale a correctement énoncé et invoqué la décision Mishibinijima, qui définit l’« inconduite » comme une conduite délibérée qui signifie que la conduite était « consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 44 ». Les faits de la présente affaire pourraient être différents de ceux de l’affaire Mishibinijima, mais cela ne signifie pas que la définition d’inconduite ne s’applique pas au cas du prestataire.

[48] Dans la décision Bellavance, la Cour d’appel fédérale a statué qu’une violation délibérée de la politique d’un employeur est considérée comme une inconduiteNote de bas de page 45. La division générale a correctement résumé et appliqué cette affaireNote de bas de page 46.

[49] Dans la décision Paradis, la Cour fédérale a décidé que la question de savoir si la politique ou la règle d’un employeur a entraîné une violation des droits de la personne d’un employé n’est pas pertinente à la question de savoir si la conduite d’un employé constitue une inconduite et qu’il existe d’autres moyens de faire valoir de tels arguments. La division générale a correctement interprété cette affaire et s’est correctement fondée sur celle-ciNote de bas de page 47.

[50] La division générale a souligné l’argument du prestataire au sujet de la décision KVPNote de bas de page 48. Dans KVP, un employeur ne peut imposer une politique ou une règle à moins qu’elle soit raisonnable et conforme à la convention collective. Le syndicat doit également accepter la politique ou la règle.

[51] La décision KVP est une affaire plus ancienne qui ne s’applique pas ici parce qu’elle concerne le droit de l’emploi et du travailNote de bas de page 49. La division générale a affirmé à juste titre qu’elle devait tenir compte du critère juridique établi par les décisions qui ont porté sur l’inconduite aux fins des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 50.

[52] L’affaire Lemire concernait un employé qui travaillait comme livreur auprès d’un restaurantNote de bas de page 51. Vêtu de son uniforme de travail, il a vendu des cigarettes de contrebande à un collègue dans le stationnement de l’employeur. Il s’agissait d’une violation de la politique de l’employeur qui interdisait la vente de cigarettes de contrebande sur les lieux de travail. Il a été congédié pour inconduite.

[53] Au para 14 de la décision Lemire, la Cour s’exprime en ces termes :

Pour déterminer si l’inconduite pourrait mener à un congédiement, il doit exister un lien de causalité entre l’inconduite reprochée au prestataire et son emploi; l’inconduite doit donc constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail […]

[54] Dans la décision Lemire, la Cour affirme qu’il ne s’agit pas de décider si le congédiement était justifié ou non au sens des principes du droit du travail. Le Tribunal doit plutôt déterminer si l’inconduite était telle que la personne pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible d’entraîner son congédiementNote de bas de page 52.

[55] La division générale n’a pas expressément fait référence à la décision Lemire, mais elle n’avait pas besoin de le faire. Elle a conclu que l’employeur avait le droit d’établir des politiques sur la sécurité au travailNote de bas de page 53. Elle a établi un lien de causalité, c’est-à-dire que le non-respect de la politique de vaccination par le prestataire était la conduite qui lui a fait perdre son emploiNote de bas de page 54. Et elle a conclu que les conséquences de la non-conformité (suspension et congédiement) étaient prévisiblesNote de bas de page 55.

La division générale n’était pas liée par la décision de l’arbitre du travail

[56] La division générale a décidé qu’elle n’était pas liée par la décision de l’arbitre du travailNote de bas de page 56. Elle a souligné à juste titre qu’elle devait appliquer le critère juridique énoncé dans les affaires qui concernaient une inconduite aux fins des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 57. Et elle n’avait pas compétence pour décider si l’employeur avait enfreint la convention collective ou s’il avait été suspendu et congédié à tortNote de bas de page 58.

[57] La division générale s’est fondée à juste titre sur la décision Perusse en concluant qu’elle liait le TribunalNote de bas de page 59. Elle a conclu que l’issue du grief n’avait aucune incidence sur la question de savoir si un prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite. Dans l’affaire Perusse, la Cour a également dit qu’il appartient au Tribunal d’analyser la preuve et de tirer une conclusionNote de bas de page 60.

[58] La division générale a décidé qu’elle devait examiner la période pendant laquelle le prestataire a cessé de travailler (et pour laquelle il demande des prestations d’assurance-emploi) et décider si sa conduite constituait une inconduite aux fins des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 61.

[59] La division générale a correctement interprété la décision Boulton en expliquant que même si le prestataire a réintégré son emploi, cela ne change pas la nature de l’inconduite qui a initialement mené à sa suspension puis à son congédiementNote de bas de page 62.

[60] Dans l’affaire Boulton, la Cour confirme qu’il appartient au conseil arbitral d’examiner la preuve et de rendre une décisionNote de bas de page 63. Encore une fois, il n’est pas lié par la manière dont les motifs de renvoi peuvent être qualifiés par l’employeur et l’employé ou un tiers.

[61] C’est exactement ce que la division générale a fait; elle a évalué la preuve et a décidé que le prestataire avait été suspendu et congédié pour inconduite parce qu’il ne s’était pas conformé à la politique de vaccination de l’employeur. Le fait que le prestataire (avec l’aide de son syndicat) ait réintégré son emploi et que son dossier disciplinaire ait été retiré par l’employeur n’est pas déterminant quant à la question de savoir s’il a été suspendu et congédié pour inconduite aux fins des prestations d’assurance-emploi.

La division générale n’avait pas besoin d’examiner toutes les affaires citées par le prestataire

[62] Le prestataire affirme que la division générale a commis une erreur parce qu’elle n’a pas effectué d’analyse sur l’application de la décision Re Rizzo and Rizzo Shoes LtdNote de bas de page 64.

[63] Si la division générale n’a pas fourni de motifs suffisants qui peuvent constituer une erreur de droitNote de bas de page 65.

[64] La division générale a fait référence à l’argument du prestataire concernant la décision Rizzo dans sa décisionNote de bas de page 66. Il a fait valoir que les lois qui confèrent des prestations (comme la Loi sur l’assurance-emploi) doivent être interprétées de la manière la plus large et la plus favorable possible. Pour cette raison, il a soutenu que l’inconduite doit être interprétée de la façon la plus large et la plus favorable possible pour le prestataire.

[65] La question à trancher dans la décision Rizzo était de savoir si les employés qui ont perdu leur emploi en raison de la faillite de leur employeur pouvaient demander une indemnité de licenciement et une indemnité de cessation d’emploi conformément à la Loi sur les normes d’emploi. La Cour suprême du Canada a examiné ce que signifiaient les termes « l’employeur licencie ».

[66] La division générale n’a pas à faire référence à toutes les affaires citées par le prestataireNote de bas de page 67. Dans ce cas particulier, la division générale n’avait pas besoin de faire une analyse de la décision Rizzo dans ses motifs. La décision Rizzo ne traite pas directement des prestations d’assurance-emploi et de l’inconduite.

[67] L’important est de savoir si, dans ses motifs, la division générale a expliqué au prestataire pourquoi elle a rendu sa décision et pourquoi elle a décidé que la Commission avait prouvé qu’il avait été suspendu et congédié en raison d’une inconduite.

[68] La division générale a expliqué en détail les raisons pour lesquelles elle a conclu que le prestataire avait été suspendu et congédié de son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 68. Elle a conclu qu’il avait été informé de la politique de vaccination de l’employeur et qu’il avait délibérément pris la décision personnelle de ne pas s’y conformer. Il savait que le défaut de fournir une preuve de vaccination (en l’absence d’une exemption approuvée) pouvait entraîner sa suspension et la perte de son emploi.

[69] Je suis convaincue que la division générale était au courant des questions et des arguments clés que le prestataire présentait et qu’elle a fait référence à la majorité de ses arguments dans ses motifs. Ses motifs étaient adéquats. Il n’y a pas de cause défendable ici.

Décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale dans des affaires similaires

[70] La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont rendu des décisions récentes dans des affaires similaires concernant l’inconduite, les politiques de vaccination et les prestations d’assurance-emploi.

[71] En voici quelques-unes : décisions Cecchetto, Kuk et Hazaparu.

[72] M. Cecchetto travaillait dans un hôpital; il a été suspendu et congédié pour inconduite parce qu’il ne s’était pas conformé à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur (directive no 6Note de bas de page 69). La division générale a rejeté son appel, et donc il n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 70. La division d’appel lui a refusé la permission de faire appel et M. Cecchetto a fait appel devant la Cour fédérale.

[73] Au para 48 de la décision Cecchetto, la Cour fédérale a affirmé ce qui suit :

Malgré les arguments du demandeur, il n’y a pas de fondement pour annuler la décision de la division d’appel parce qu’elle n’aurait pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ni de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (Canada (Procureur général) c Caul, 2006 CAF 251 au para 6; Canada (Procureur général) c Lee, 2007 CAF 406 au para 5).

[74] M. Cecchetto a fait appel de cette décision devant la Cour d’appel fédérale qui a rejeté sa demande de contrôle judiciaire. Elle a souscrit à la décision de la Cour fédérale qui a conclu que la décision de la division d’appel était raisonnable et a souligné qu’elle était conforme à d’autres décisions de la Cour dans des circonstances semblablesNote de bas de page 71.

[75] Dans une autre affaire similaire, M. Kuk travaillait comme analyste en technologie de l’information pour un réseau hospitalier. Il a été congédié pour non-respect de la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur. Il a demandé des prestations d’assurance‑emploi. Il a également soutenu qu’il n’avait aucune obligation de se conformer à la politique de vaccination et que son défaut de se conformer n’était donc pas une inconduite.

[76] La division générale a rejeté l’appel de M. Kuk parce qu’elle a conclu qu’il avait délibérément choisi de ne pas se conformer à la politique et que son inconduite avait entraîné son congédiement. La division d’appel a également refusé la permission de faire appel.

[77] Dans la décision Kuk, la Cour fédérale a affirmé que le Tribunal n’était pas tenu de se concentrer sur le libellé du contrat ou de décider si le prestataire a été congédié à juste titre selon les principes du droit du travail lorsqu’il examine la question de l’inconduite dans le cadre de la LoiNote de bas de page 72. Elle a répété que le critère de l’inconduite vise plutôt à établir si le prestataire a intentionnellement commis un acte (ou a omis de commettre un acte) qui est contraire à ses obligations professionnelles.

[78] Dans la décision Kuk, la Cour fédérale a affirmé ce qui suit, au para 32 :

Comme dans l’affaire Cecchetto, le demandeur dans la présente affaire était au courant des conséquences du non-respect de la politique compte tenu des nombreuses communications de l’UHN en expliquant les conséquences. Le demandeur a également eu l’occasion de remédier à la situation à plusieurs reprises. Le demandeur savait que sa demande d’exemption avait été refusée. Sa décision volontaire de ne pas se conformer à la politique constituait une inconduite volontaire dans ce contexte.

[79] En fin de compte, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel de M. Kuk et a conclu que la décision de la division d’appel était raisonnableNote de bas de page 73. Elle a souligné que M. Kuk ne les avait pas convaincus que son affaire se distinguait d’autres décisions récentes portant sur des circonstances semblablesNote de bas de page 74.

[80] Dans la décision Hazaparu, la Cour fédérale a réitéré que [traduction] « la Cour d’appel fédérale a statué qu’il n’appartient pas au Tribunal de la sécurité sociale d’examiner la politique de l’employeur lorsqu’il statue sur la demande de prestations d’assurance-emploi d’un employé congédiéNote de bas de page 75 ».

[81] Toutes ces récentes décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale confirment que le Tribunal a un rôle étroit et précis à jouer. La seule question pertinente dont la division générale était saisie était de savoir si le prestataire savait que sa décision volontaire de ne pas se conformer à la politique de vaccination de l’employeur pouvait entraîner sa suspension et son congédiement. Le Tribunal n’est pas tenu de se concentrer sur le libellé du contrat ou de décider si le prestataire a été congédié à juste titre selon les principes du droit du travail.

[82] Le Tribunal doit suivre les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale. La présente affaire ne peut être distinguée de ces dernières parce que le prestataire présente les mêmes arguments que d’autres prestataires qui étaient dans des situations semblables.

[83] En résumé, il n’est pas possible de soutenir que la division générale a commis des erreurs de droit ou de compétenceNote de bas de page 76. La division générale a correctement énoncé la loi et a interprété et appliqué la jurisprudence pertinente aux fins des prestations d’assurance-emploi. Elle n’était pas tenue de faire référence à toutes les affaires citées par le prestataire. Elle n’était pas liée par la décision de l’arbitre en droit du travail. La division générale n’avait pas compétence pour évaluer la politique de l’employeur ou la gravité de la sanction selon les principes du droit du travail. Le prestataire a d’autres moyens juridiques pour présenter ces arguments.

On ne peut soutenir que la division générale a commis une erreur de fait

[84] Il y a erreur de fait lorsque la division générale a « fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 77 ».

[85] Le prestataire soutient que la division générale a commis une erreur de fait importante parce qu’elle a mal interprété le témoignage du prestataire. Toutefois, il n’a pas expressément mentionné les réponses que la division générale a mal interprétées.

[86] J’ai écouté l’enregistrement audio et lorsque j’ai examiné la décision de la division générale, elle est conforme au témoignage du prestataire à l’audience de la division générale. La division générale a bien résumé les réponses du prestataire dans sa décisionNote de bas de page 78.

[87] Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a commis une erreur de fait en interprétant mal les réponses du prestataire à l’audience.

Il n’y a pas d’autres raisons d’accorder au prestataire la permission de faire appel

[88] J’ai examiné le dossier, écouté l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale et examiné la décision de la division généraleNote de bas de page 79. Je n’ai trouvé aucun élément de preuve pertinent que la division générale pourrait avoir négligé ou mal interprété. De plus, la division générale a appliqué l’article pertinent de la loi et la jurisprudence. Elle a également suivi un processus équitable et a été impartiale.

Conclusion

[89] L’appel du prestataire n’ira pas de l’avant. La permission de faire appel est refusée.

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