[TRADUCTION]
Citation : JL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 2067
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi
Décision
Appelant : | J. L. |
Intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Décision portée en appel : | Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (570418), datée du 6 février 2023 (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | Marisa Victor |
Mode d’audience : | En personne |
Date de l’audience : | 17 avril, 8 septembre et 5 octobre 2023 |
Personne présente à l’audience : | Appelant |
Date de la décision : | Le 31 octobre 2023 |
Numéro de dossier : | GE-23-474 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal est en désaccord avec l’appelant.
[2] La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a prouvé que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploiNote de bas de page 1.
Aperçu
[3] L’appelant a perdu son emploi chez Loblaws. Son employeur a affirmé qu’il a été congédié parce qu’il a fait des commentaires inappropriés et enfreint le code de conduite de l’entreprise en milieu de travail (politique en milieu de travail). Il a ajouté qu’il a fait des commentaires désobligeants à l’endroit de ses collègues et à l’égard de ces derniers au sujet des gens du Québec, des immigrants, des personnes de couleur et des personnes qui s’identifient comme appartenant à la communauté LGBTQ, et qu’il a accusé ses collègues de fraude, de collusion et d’appartenance au crime organisé.
[4] L’appelant conteste certaines de ces allégations. Il affirme que de fausses déclarations ont été faites contre lui parce qu’il a tenté de se défendre contre une agression physique et parce que des collègues à son magasin étaient impliqués dans une fraude et dans le crime organisé. Il ne nie pas nécessairement certaines des choses qu’il a dites, mais il affirme que la preuve qui pèse contre lui a été obtenue de façon irrégulière et qu’elle viole les droits que lui garantit la convention collective de son employeur.
[5] La Commission a accepté le motif du congédiement invoqué par l’employeur. Elle a décidé que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduite. C’est pourquoi elle a décidé que l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.
Questions que je dois examiner en premier
Questions de procédure
[6] La première audience de l’appelant a été fixée au 17 avril 2023. L’appelant a assisté à l’audience en personne dans un Centre Service Canada comme cela était prévu dans l’avis d’audience. Toutefois, l’audience a été convertie en une conférence préparatoire pour diverses raisons, comme je l’expliquerai.
[7] Au début de l’audience convertie en une conférence préparatoire, l’appelant a soutenu que le Tribunal n’avait pas compétence pour entendre l’appel parce que l’audience a été fixée à plus de 45 jours suivant le dépôt de l’appel. L’appelant a déposé son appel le 6 février 2023 et l’audience a été fixée au 17 avril 2023. J’ai offert d’entendre les observations de l’appelant sur la question des normes de service et l’effet de tout retard sur l’appel de l’appelant, mais comme l’audience n’a pas eu lieu ce jour‑là, je n’ai pas entendu ces observations.
[8] Après l’audience convertie en une conférence préparatoire, j’ai écrit à l’appelant et lui ai fourni un lien vers les normes de service du Tribunal sur le site Web. Je l’ai informé que la division générale vise à rendre une décision finale dans les 45 jours suivant le dépôt d’un appel dans 80 % des cas. J’ai également expliqué qu’il y avait un certain nombre d’exceptions aux normes de service. J’ai mentionné aussi qu’aucune loi ni aucun règlement n’obligeait le Tribunal à respecter ses normes de service. J’ai également expliqué que le refus d’entendre l’appel de l’appelant en raison du retard dans l’audition de celui‑ci n’aiderait pas l’appelant, car cela le priverait du droit de porter la décision de révision de la Commission en appel.
[9] À l’audience convertie en une conférence préparatoire, l’appelant a également soutenu qu’on devrait lui offrir un mode alternatif de règlement des différends avant qu’une audience soit tenue. J’ai demandé à l’appelant s’il voulait mettre fin à la séance afin que je puisse demander à la Commission si elle était disposée à tenir une conférence de règlement. L’appelant n’a pas décidé s’il voulait ou non un ajournement. Après la conférence, j’ai écrit à la Commission pour lui demander si elle envisagerait la tenue d’une conférence de règlement. La Commission a refusé. J’en ai fait part à l’appelant et je lui ai dit également que la division générale n’offre aucun autre mode de règlement des différends.
[10] Enfin, à l’audience convertie en une conférence préparatoire, l’appelant n’a pas accepté ma pièce d’identité du Tribunal comme pièce d’identité acceptable. L’appelant a été autorisé à voir ma pièce d’identité, mais il a également pris une photo de celle‑ci sans ma permission. Il a laissé entendre qu’il était possible que je sois un imposteur d’un autre pays et que je n’aie pas le pouvoir de tenir l’audience. J’ai alors mis fin à la conférence préparatoire.
[11] L’appelant a ensuite écrit à plusieurs reprises au Tribunal et a présenté certaines demandes, notamment que je fournisse mon passeport et mon permis de travail pour que l’audience aille de l’avant. J’ai mentionné que la pièce d’identité du Tribunal serait la seule pièce d’identité qu’on lui montrerait et qu’il n’était pas autorisé à prendre une photo de celle‑ci.
[12] L’audience suivante a été fixée au 8 septembre 2023. Le Tribunal n’a pas été en mesure de communiquer avec l’appelant par téléphone dans les semaines précédant l’audience. Plusieurs tentatives ont été faites. Une semaine avant l’audience, le Tribunal a converti l’audience, qui devait se tenir en personne, en une audience par vidéoconférence. L’appelant a été informé de ce changement parce qu’il recevrait un code d’ouverture de session unique qui lui donnerait une certitude supplémentaire que le membre du Tribunal affecté à l’affaire était la personne qui entendait l’affaire. Le jour de l’audience, l’appelant a communiqué avec le Tribunal et a dit qu’il n’avait pas accepté qu’une audience par vidéoconférence soit tenue et qu’il n’y assisterait donc pas. En outre, il a alors allégué que les droits qui lui sont garantis par la Charte avaient été violés et que le déroulement de l’audience sur Zoom violait son droit à la protection de ses renseignements personnels parce que Zoom n’est pas une entreprise canadienne et qu’elle possède des serveurs à l’étranger.
[13] L’appelant n’a pas assisté à l’audience. Le Tribunal a fixé une nouvelle audience pour l’appelant, cette fois en personne. Avant la tenue de cette audience, le Tribunal a demandé à l’appelant s’il voulait présenter un argument fondé sur la Charte. L’appelant avait jusqu’au 21 septembre 2023 pour informer le Tribunal s’il souhaitait donner suite à son argument fondé sur la Charte. Il n’a pas répondu au Tribunal.
[14] L’appelant a également été informé d’un certain nombre de choses avant l’audience. Notamment, du fait que l’audience durerait 90 minutes, que les 30 dernières minutes seraient réservées aux questions du Tribunal, qu’un autre membre du Tribunal observerait l’audience et qu’aucune pièce d’identité autre que celle du Tribunal ne serait présentée, et de diverses autres directives afin que l’audience puisse se dérouler sans problème et efficacement.
L’appelant a demandé un ajournement (c’est-à-dire une suspension) de l’appel
[15] Le 3 mai 2023, après la conversion de l’audience en une conférence préparatoire, l’appelant a écrit au Tribunal et a demandé que sa date d’audience soit reportée au moins au 4 juillet 2023 afin qu’il puisse demander un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale contre la Commission. J’ai demandé une preuve de sa demande.
[16] Le 16 juin 2023, l’appelant a fourni une preuve de sa demande à la Cour fédérale et a demandé un autre report, cette fois-ci d’un an, de son audience devant le Tribunal, soit jusqu’au 16 juin 2024.
[17] J’ai refusé sa demande de report d’un an de son audience.
[18] Le 4 juillet 2023, l’appelant a écrit au Tribunal et a dit qu’il comparaîtrait devant la Cour fédérale en juillet 2023 et qu’il informerait le Tribunal de ses progrès au plus tard le 26 juillet 2023.
[19] Le 26 juillet 2023, l’appelant a informé le Tribunal que sa demande à la Cour fédérale avait été rejetée. Le 4 août 2023, il a de nouveau écrit au Tribunal pour l’informer qu’il contestait le droit du procureur général de rejeter sa demande à la Cour fédérale sans audience.
[20] Le 10 août 2023, étant donné que sa demande à la Cour fédérale avait été rejetée, j’ai fixé la date d’audience suivante de l’appelant au 8 septembre 2023.
[21] L’audience s’est déroulée en personne le 5 octobre 2023.
Question en litige
[22] L’appelant a‑t‑il perdu son emploi en raison de son inconduite?
Analyse
[23] Pour répondre à la question de savoir si l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois trancher deux éléments. Je dois d’abord établir pourquoi l’appelant a perdu son emploi. Je dois ensuite décider si ce motif constitue une inconduite au sens de la loi.
Pourquoi l’appelant a-t-il perdu son emploi?
[24] Je conclus que l’appelant a perdu son emploi parce que son employeur l’a congédié après de multiples violations de sa politique en milieu de travail. L’employeur affirme qu’il ne tolère absolument pas les mauvais traitements ou les insultes et que l’appelant utilisait un langage désobligeant et manquait de respect envers autrui au travail.
[25] La Commission souscrit aux arguments de l’employeur. Elle a dit que la preuve démontre que l’employeur a licencié l’appelant en raison d’une inconduite au travail. La preuve inclut des dossiers de réprimandes pour commentaires inappropriés et des déclarations de témoins selon lesquelles l’appelant a verbalement accosté des collègues, utilisé un langage désobligeant à l’égard de chauffeurs et proféré des insultes. La Commission a noté que, même si le relevé d’emploi (RE) mentionne que l’appelant a démissionné, tous les éléments de preuve, y compris les déclarations de l’appelant et de l’employeur, indiquent que l’appelant a été congédié.
[26] L’appelant ne conteste pas qu’il a été congédié. Il a signalé que son RE indiquait qu’il avait démissionné, mais il a admis qu’il avait été congédié. L’appelant est fortement en désaccord avec la preuve de la Commission. Il affirme que toute la preuve recueillie par la Commission contrevient aux droits que lui garantit la convention collective de son employeur. Il admet néanmoins qu’il a été congédié le 10 décembre 2022 par son employeur pour avoir enfreint la politique en milieu de travail.
[27] Je conclus que l’appelant a été congédié par son employeur parce qu’il a enfreint la politique de ce dernier en milieu de travail. Les parties sont d’accord. C’est le cas pour les raisons qui suivent :
- a) L’appelant, la Commission et l’employeur affirment que l’appelant a été congédié parce que l’employeur affirme qu’il a enfreint la politique en milieu de travail après avoir utilisé un langage inapproprié en milieu de travail.
- b) Il est écrit dans le RE que l’appelant a quitté son emploi, mais il n’y a aucune preuve à l’appui d’un départ volontaire. La preuve démontre que l’appelant a été congédié le 10 décembre 2022 parce qu’il a continué d’utiliser un langage inapproprié au travail.
Le motif du congédiement de l’appelant est‑il une inconduite au sens de la loi?
[28] Le motif du congédiement de l’appelant est une inconduite au sens de la loi.
[29] Pour constituer une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie qu’elle est consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 2. L’inconduite doit être une conduite si insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 3. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que l’appelant ait eu une intention coupable (c’est‑à‑dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal)Note de bas de page 4.
[30] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédiéNote de bas de page 5.
[31] La Commission doit prouver que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 6.
[32] J’ai le pouvoir de trancher seulement les questions qui sont prévues dans la Loi sur l’assurance‑emploi (Loi). Mon rôle n’est pas de décider si des lois offrent d’autres options à l’appelant. Je n’ai pas à me prononcer sur la question de savoir si l’appelant a été congédié à tort en violation d’une convention collectiveNote de bas de page 7. Je ne peux examiner qu’une chose : la question de savoir si ce que l’appelant a fait ou a omis de faire est une inconduite au sens de la Loi.
[33] La Cour d’appel fédérale (CAF) s’est prononcée dans l’affaire Canada (Procureur général) c McNamaraNote de bas de page 8. M. McNamara a été congédié en application de la politique de dépistage de drogues de son employeur. Il a soutenu qu’il n’aurait pas dû être congédié parce que le test de dépistage de drogues n’était pas justifié dans les circonstances, c’est‑à‑dire qu’il n’existait aucun motif raisonnable de penser qu’il n’était pas en mesure de travailler en toute sécurité en raison de sa consommation de drogue et qu’il aurait dû être couvert par le test précédent auquel il s’était soumis. Essentiellement, M. McNamara a fait valoir qu’il devait toucher des prestations d’assurance‑emploi parce que les mesures prises par son employeur concernant son congédiement étaient inacceptables.
[34] En réponse aux arguments de M. McNamara, la CAF a affirmé que, selon la jurisprudence constante de la Cour, dans les cas d’inconduite, « il n’appartient pas [au conseil ou au juge‑arbitre] de dire si le congédiement d’un employé était ou non injustifié; plutôt [il leur appartient] de dire si l’acte ou l’omission reproché à l’employé était effectivement constitutif d’une inconduite au sens de la Loi ». La Cour a poursuivi en soulignant que, dans l’interprétation et l’application de la Loi, « ce qu’il convient à l’évidence de retenir ce n’est pas le comportement de l’employeur, mais bien celui de l’employé ». Elle a indiqué que l’employé qui fait l’objet d’un congédiement injustifié « a, pour sanctionner le comportement de l’employeur, d’autres recours qui permettent d’éviter que par le truchement des prestations d’assurance‑emploi les contribuables canadiens fassent les frais du comportement incriminé ».
[35] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :
- a) L’employeur a fourni la preuve que l’appelant était au courant de sa politique et avait été averti que son comportement était inapproprié, et que l’appelant a maintenu son comportement bien qu’il en connaisse les conséquences :
- i) L’employeur a confirmé que l’appelant était au courant de la politique et avait vérifié qu’il avait lu la politique en milieu de travail lors de la séance d’orientation offerte en ligne.
- ii) L’employeur a réprimandé l’appelant pour son comportement. Il a reçu des avertissements les 25 août, 27 août, 1er septembre, 3 septembre, 7 novembre et 24 novembre 2022. Il a ensuite été suspendu pendant cinq jours. Il a été congédié le 10 décembre 2022.
- iii) Tous les avertissements faisaient suite à des altercations verbales ou à des propos discriminatoires tenus par l’appelant au sujet d’autres employés.
- iv) Tous les avertissements incluaient un avertissement que tout autre comportement de ce genre entraînerait des mesures disciplinaires, y compris un licenciement.
- v) L’appelant a lu la politique en milieu de travail et en a reçu un exemplaire après le premier incident.
- vi) L’employeur affirme que la politique en milieu de travail prévoit que les comportements ou les commentaires inappropriés sont interdits et qu’ils justifient un licenciement.
- b) L’employeur a fourni des déclarations écrites de cinq employés et une chronologie établie par la gérante, décrivant les divers incidents qui montrent que l’appelant a fait ce qui suit :
- i) Le 27 août, a été impliqué dans des altercations verbales avec un chauffeur de camion de livraison et a demandé au chauffeur noir s’il était Eddie Murphy.
- ii) Le 1er septembre, a qualifié un nouvel employé d’étrange et de bizarre. Le nouvel employé, qui s’identifiait comme membre de la communauté LGBTQ, a démissionné parce qu’il ne se sentait pas en sécurité en présence de l’appelant.
- iii) Le 3 septembre, l’employeur et la déléguée syndicale se sont entretenus avec l’appelant pendant plus d’une heure pour revoir la question du respect en milieu de travail. L’appelant a dit qu’il y avait un complot des gens opposés au port du masque, un complot syndical et un complot mafieux contre lui. Il a dit qu’il y avait une fraude massive au magasin. Selon lui, il devrait avoir un emploi à temps plein parce qu’il est originaire d’Ottawa et qu’il est un citoyen canadien. L’appelant a été informé que l’employeur ne tolérait aucun langage inapproprié. La réunion a été consignée en tant qu’avertissement verbal.
- iv) Le 21 septembre, la représentante syndicale a touché l’appelant à l’épaule en lui disant bonjour. L’appelant lui a fait des reproches et lui a crié après parce qu’elle l’avait touché. Il l’a aussi insultée en raison de ses origines québécoises. Il a dit détester les gens du Québec et la culture québécoise. La représentante syndicale s’est excusée et est partie en larmes. L’employeur a servi un avertissement à l’appelant au sujet de l’utilisation d’un tel langage ou des propos négatifs concernant les origines d’une personne. Le service d’aide aux employés lui a été offert.
- v) Le 7 novembre, l’appelant criait après un chauffeur de camion de livraison et se comportait de façon agressive. Le chauffeur de camion a dit qu’il appellerait la police si l’appelant ne se calmait pas. L’appelant a dit à l’employeur qu’il était très calme.
- vi) Le 21 novembre, la gérante en service a été appelée par l’appelant à l’arrière‑magasin parce que ce dernier a dit qu’un chauffeur de camion de livraison l’avait touché. Le chauffeur a dit qu’il avait touché le dos de l’appelant en passant près de lui dans un endroit restreint. Deux employés ont dit que l’appelant avait traité le chauffeur de « pédé » à plusieurs reprises tout en pointant le doigt vers lui et en hurlant. Ils ont expliqué qu’il était alors dans un état de rage absolue. L’appelant a dit à l’employeur qu’il était calme.
- vii) Le 24 novembre, la gérante adjointe et la déléguée syndicale ont rencontré l’appelant pour l’informer qu’il était suspendu en attendant l’issue d’une enquête sur l’incident qui s’était produit avec le chauffeur de camion le 21 novembre. L’appelant a sorti son passeport et l’a montré en disant qu’il était né au Canada. Il était furieux et a été escorté hors du magasin.
- viii) Le 29 novembre, l’employeur et une représentante syndicale ont rencontré l’appelant pour l’informer qu’il serait suspendu pendant cinq jours. On lui a dit de nouveau que les insultes étaient inacceptables et qu’elles pouvaient entraîner un licenciement. On lui a dit qu’il ne s’occuperait plus de la réception dans le cadre de ses fonctions. On lui a de nouveau offert le service d’aide aux employés. L’appelant a dit qu’il déposerait un grief. Il a dit à la représentante syndicale qu’il avait un problème avec elle parce qu’elle n’était pas née au Canada.
- ix) Le 5 décembre, l’appelant a informé sa gérante qu’il avait un problème avec la représentante syndicale parce qu’elle n’était pas née au Canada. Il a dit que c’est lui qui devrait occuper un emploi à temps plein plutôt que des immigrants qui, selon lui, travaillaient probablement sans visa. Le même jour, l’appelant a dit à un autre employé que la représentante syndicale entretenait une relation sexuelle avec sa gérante. L’appelant a parlé à un autre collègue du fait qu’il croyait qu’il y avait une telle relation sexuelle et a tempêté au sujet d’un complot et de la mafia. Il s’est approché d’un troisième employé et a exprimé des opinions défavorables sur les gens du Québec. Il a aussi parlé de la mafia et de complots. Il a dit à un quatrième employé qu’un chauffeur de camion faisait partie de la mafia et qu’il allait appeler la police. Les employés ont chacun dit que l’appelant semblait instable et désorienté. Ils ont affirmé que l’appelant les rendait mal à l’aise et craintifs. L’employeur a rencontré l’appelant et lui a demandé de partir. Il a continué à dire des choses inappropriées sur les lesbiennes ayant des relations sexuelles entre elles, sur l’orientation sexuelle de ses collègues et sur le fait qu’il n’aimait pas les gens qui étaient des Français ou des Québécois. Il a également dit qu’il voulait appeler les autorités de l’immigration au sujet du service d’entretien ménager tiers dont l’employeur avait retenu les services parce qu’il embauchait des immigrants illégaux. Il a aussi affirmé qu’un collègue avait été embauché par la mafia pour voler toutes ses heures.
- x) Le 10 décembre, l’appelant a été licencié parce qu’il continuait de faire preuve d’agressivité et de formuler des commentaires discriminatoires et désobligeants à l’égard de collègues et de membres du personnel bien que l’employeur ait passé ses attentes en revue et parce qu’il connaissait la politique en milieu de travail.
[36] L’appelant soutient qu’il n’y a pas eu d’inconduite. Il affirme ce qui suit :
- a) Il y avait collusion entre ses collègues parce qu’ils étaient peut‑être impliqués dans le crime organisé ou la mafia. Ils n’aimaient pas l’appelant parce qu’il s’assurait que les employés respectent les règles, ce qui rendait la fraude plus difficile. Plus particulièrement, le jour où il a été licencié, il consignait des infractions commises par les camions de livraison et il signalait des actes de falsification. On lui a dit de ne pas faire ça, dit-il. Il soupçonne qu’il y ait eu fraude systématique au magasin et que ce soit la raison des allégations formulées contre lui.
- b) Il a été licencié après un deuxième incident grave. Il affirme avoir été victime d’une agression physique lorsqu’un chauffeur de camion de livraison lui a touché le dos. Il a dit que sa réaction à l’agression physique était justifiée parce qu’il s’agissait d’une légitime défense. Il a dit s’être assuré de sa sécurité physique, puis il y a eu beaucoup de cris. Avant cela, le chauffeur de camion a pris sa photo sans son autorisation. À son avis, il s’agissait d’une tentative de publier ses renseignements personnels par vengeance (« dox »). Il craignait que des criminels organisés planifient une agression contre lui. Il a dit avoir déposé un grief concernant cet incident auprès de son syndicat parce qu’il était pleinement justifié de se défendre.
- c) La Commission n’a pas cinq témoins qui étaient présents lors de cet incident et elle n’a donc pas le fardeau de preuve approprié pour démontrer que l’incident s’est produit tel qu’elle le soutient. Il affirme que seuls lui et le chauffeur de camion étaient présents.
- d) Il avait le droit d’exprimer ses préoccupations selon lesquelles sa représentante syndicale entretenait une relation sexuelle avec sa gérante parce que cela signifiait qu’il ne pouvait pas remettre son grief à sa représentante syndicale parce qu’elle était compromise.
- e) Il a parlé à des gens de la relation sexuelle, mais ces employés n’avaient pas le droit de faire part de ses commentaires à la direction parce que cela violait la convention collective de l’employeur en ce qui concerne la collecte de preuves. En effet, les gérants ne sont pas censés utiliser un avertissement contre un employé sans qu’il soit documenté par écrit et envoyé à l’employé dans les sept jours. Il affirme qu’il n’a reçu que l’avertissement écrit du 24 novembre 2022 et qu’il ne s’agissait pas du même document que celui inclus dans la preuve de la Commission.
- f) Il n’est pas anti-français parce qu’il est à moitié Québécois et qu’il a des proches au Québec.
- g) Il n’a jamais utilisé le mot « pédé », il portait un masque et un de ses collègues était sourd et il ne pouvait donc avoir entendu ce qu’il a dit.
- h) La preuve recueillie par la Commission contrevenait aux droits que lui garantit sa convention collective, qu’elle est donc illégale et qu’elle ne devrait pas être prise en considération.
- i) La Commission l’a forcé à témoigner contre lui‑même dans le cadre de son enquête. Il l’a fait sous réserve. Il croit qu’il s’agissait d’un interrogatoire auto‑incriminant et contraire à ses droits.
- j) Il n’y avait aucune preuve claire de la raison de son licenciement. La Commission a élargi sa portée et a inclus des allégations non fondées faites contre lui, et il n’y a aucune preuve que ces incidents se sont produits.
- k) Il ne nie pas avoir utilisé le mot « mafia », mais il voulait parler du crime organisé.
- l) Il affirme que sa gérante adjointe menaçait de ramener ses heures de travail de 40 heures par semaine à entre 2 et 28 heures par semaine parce qu’il était un employé à temps partiel. Il affirme qu’il a été licencié lorsqu’il a contesté le nombre d’heures qu’on lui accordait.
- m) Il est admissible à l’assurance‑emploi et il n’a pas été licencié pour un motif valable parce qu’il n’a pas reçu de preuve concernant une infraction le jour de son licenciement.
- n) Il a été victime d’intimidation et contraint de faire valoir ses droits devant les tribunaux. Il a affirmé que son employeur tentait de le diffamer dans le cadre du processus d’assurance‑emploi. Il affirme que les actions de l’employeur étaient une tentative d’action antisyndicale. Il croit avoir été licencié parce qu’il contestait sa suspension de cinq jours par l’entremise de son syndicat.
- o) Il a contesté son congédiement auprès du syndicat. L’offre de règlement qui lui a été présentée était toutefois inférieure au montant d’argent qui lui était dû. Il a refusé. Le syndicat a ensuite fermé le dossier.
- p) Tous ces événements ont eu un effet marqué sur sa santé mentale et physique. En outre, il accuse deux mois de retard dans le paiement de son loyer et risque de perdre son logement. Il dit compter sur sa famille et ses amis. Il dit qu’un café de l’endroit lui a fourni de la nourriture et qu’il ressemble à une traduction « victime de l’holocauste ». Il affirme que tout cela est le résultat d’actions malveillantes de la part de son employeur, qui tente de détruire sa vie parce qu’il refusait de prendre part à une fraude organisée.
- q) La Commission a violé ses droits pour une raison. Selon lui, il y a collusion entre l’ancien procureur général du Canada (David Lametti) et l’ancienne ministre de l’Emploi (Carla Dawn Qualtrough). Ils se protègent mutuellement en faisant en sorte que sa demande à la Cour fédérale soit rejetée. C’est que l’employeur s’est vu remettre 12 millions de dollars pour des réfrigérateurs. Selon lui, le procureur général du Canada a violé les droits qui lui sont garantis par la Charte.
[37] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite. L’appelant savait que son employeur avait une politique de tolérance zéro à l’égard des comportements et d’un langage inappropriés en milieu de travail :
- a) Il a dit qu’il avait lu la politique lorsqu’il a suivi l’orientation.
- b) On lui en a remis un exemplaire à relire lorsqu’il a reçu son premier avertissement.
- c) Il a été informé verbalement par son employeur qu’il contrevenait à la politique et que d’autres infractions pourraient mener à un congédiement.
- d) Il a reçu un avertissement écrit qu’il violait la politique et que d’autres infractions pourraient mener à un congédiement.
- e) Il a été suspendu cinq jours à la suite d’une enquête pour avoir enfreint cette politique et a été informé que le maintien d’un comportement inapproprié pouvait mener à un congédiement.
- f) À son retour de sa suspension, il a continué de violer la politique et a été licencié.
- g) L’appelant était au courant de la politique et savait ce qu’il devait faire, mais il ne l’a pas suivie. Il est bien établi qu’une violation voulue de la politique de l’employeur constitue une inconduite en application de la LoiNote de bas de page 9. L’appelant a fait un choix personnel et délibéré de continuer à enfreindre la politique de son employeur en formulant des commentaires inappropriés et irrespectueux à l’égard de ses collègues.
- h) Il savait également qu’en raison du non‑respect de la politique, il pourrait perdre son emploi.
[38] L’appelant a volontairement décidé de ne pas se conformer à la politique, ce qui constitue une inconduite au sens de la Loi.
[39] L’appelant a nié certains des incidents mentionnés dans la chronologie établie par l’employeur ci‑dessus, mais pas tous. Ainsi, il a admis qu’il avait dit qu’il y avait une fraude dans son milieu de travail et qu’il avait utilisé le mot mafia. Il a dit qu’il ne savait pas que le mot mafia serait controversé, mais qu’il voulait dire que ses collègues étaient impliqués dans le crime organisé. Il a admis qu’il s’était protégé physiquement du chauffeur de camion qui, a-t-il dit, l’a agressé. Il s’est dit justifié d’avoir agi en légitime défense même si son employeur l’a suspendu pendant cinq jours à la suite de son enquête. Il a dit croire que sa gérante et sa représentante syndicale entretenaient une relation sexuelle et qu’il avait le droit de le savoir, car cela nuisait à ses droits.
[40] Essentiellement, l’appelant s’est concentré sur la façon dont son employeur, puis la Commission avaient obtenu des éléments de preuve, a-t-il dit, en violation des droits que lui garantit la convention collective. Il ne m’appartient pas de décider si les droits garantis à l’appelant par sa convention collective ont été violés ou non. Il s’agit d’une question qui doit être réglée dans le cadre d’un processus différent. L’appelant a dit que son syndicat avait fermé le dossier de ses griefs.
[41] Je ne suis pas en mesure d’aborder la plupart des arguments avancés par l’appelant parce qu’ils ne relèvent pas de ma compétence. Toutefois, j’aborderai les principaux points de l’appelant pour montrer pourquoi ces arguments n’ont pas été retenus.
[42] L’appelant a fait valoir que la Commission n’avait pas respecté l’équité procédurale dans le cadre de son enquête et pour rendre sa décision initiale et sa décision de révision. Plus précisément, l’appelant s’est dit d’avis que la façon dont la Commission avait travaillé violait ses droits et que la Commission avait décidé à tort qu’il avait commis une inconduite.
[43] Il ne s’agit pas ici d’un contrôle judiciaire. Je n’ai aucune compétence à l’égard des processus internes de la Commission. Je n’ai compétence que sur la question dont je suis saisie, c’est‑à‑dire celle de savoir si l’appelant a commis ou non une inconduite. Je n’ai pas le pouvoir de décider si la Commission a contrevenu à l’équité procédurale. Je ne peux que décider si la preuve qui m’a été présentée satisfait au critère de l’inconduite. Dans l’affaire qui nous occupe, l’appelant a admis qu’une partie importante des événements qui se seraient produits selon l’employeur se sont effectivement produits.
[44] Enfin, l’appelant a affirmé qu’il y avait un complot pour se débarrasser de lui. Il a allégué que le crime organisé s’était établi dans son lieu de travail, qu’il était victime de représailles de la part de son employeur parce qu’il avait déposé un grief et que la représentante syndicale et la direction étaient de connivence contre lui. L’appelant n’a présenté aucune preuve à l’appui de ces allégations, mis à part ses propres soupçons. En ce qui concerne ces allégations, je ne crois pas qu’il y ait un lien entre les allégations de corruption de l’appelant et sa décision de ne pas se conformer à la politique de l’employeur en milieu de travail. Cette affaire n’est pas analogue à l’affaire Astolfi c Canada (Procureur général)Note de bas de page 10, dans laquelle la Cour fédérale a conclu que le refus de l’appelant de se présenter au lieu de travail (l’inconduite alléguée) résultait directement du harcèlement allégué de l’employeur avant l’inconduite. La présente affaire diffère de l’affaire Astolfi parce qu’il n’y a aucune preuve que l’employeur a amené l’appelant à enfreindre la politique. Par conséquent, je me concentre sur les actions de l’appelant et je ne peux pas tenir compte des actions de l’employeur.
[45] Le Tribunal se concentre de façon très limitée et précise sur la question de savoir si les actes de l’appelant constituaient une inconduite au sens de la Loi. Dans la présente affaire, la Commission a démontré que l’appelant a fait un choix conscient de ne pas respecter la politique en milieu de travail de son employeur et que l’omission de l’appelant de se conformer à la politique satisfait au critère de l’inconduite au sens de la Loi.
Donc, l’appelant a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?
[46] Compte tenu des conclusions que j’ai tirées précédemment, j’estime que l’appelant a été congédié en raison d’une inconduite.
[47] Cela s’explique par le fait que les gestes de l’appelant – ses commentaires inappropriés et son manque de respect envers ses collègues – ont enfreint la politique de l’employeur en milieu de travail et ont mené à son congédiement. Il a agi délibérément. Il savait que le fait de continuer à faire des commentaires désobligeants à l’endroit de ses collègues et à leur égard au sujet des personnes du Québec, des immigrants, des personnes de couleur et des personnes s’identifiant comme appartenant à la communauté LGBTQ et d’accuser ses collègues de collusion et d’être impliqués dans le crime organisé pouvait mener à son congédiement. Il a continué à faire ces commentaires et a été congédié. Cela satisfait au critère de l’inconduite.
Conclusion
[48] La Commission a prouvé que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.
[49] Par conséquent, l’appel est rejeté.