Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c SS, 2024 TSS 683

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Appelante : Commission de l’assurance‑emploi du Canada
Représentante : Jessica Earles
Intimée : S.S. 
Représentant : J. Kyle Bienvenu

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du
1er mars 2024 (GE-23-3463)

Membre du Tribunal : Glenn Betteridge
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 29 mai 2024
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimée
Représentant de l’intimée
Date de la décision : Le 19 juin 2024
Numéro de dossier : AD-24-194

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille l’appel de la Commission de l’assurance-emploi du Canada.

[2] La division générale a commis une erreur de fait importante. J’ai corrigé l’erreur de la division générale en rendant la décision que la division générale aurait dû rendre.

[3] J’ai décidé que la prestataire a quitté volontairement son emploi sans justification. Par conséquent, elle est exclue du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

Aperçu

[4] S. S. est la prestataire dans la présente affaire. Elle travaillait pour une entreprise de systèmes de vente au détail, et le propriétaire de l’entreprise était son patron/superviseur (entreprise ou employeur). Lorsque son emploi a pris fin, elle a demandé des prestations régulières d’assurance‑emploi.

[5] La Commission a décidé qu’elle avait quitté son emploi sans justification parce que son départ ne constituait pas la seule raisonnable à ce moment-là. Elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations d’assurance‑emploi.

[6] La prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision. La Commission a maintenu celle‑ci.

[7] La prestataire a fait appel devant la division générale du Tribunal, qui a accueilli son appel et conclu que ses relations avec son patron auraient été conflictuelles si elle avait conservé son emploi. Pour cette raison, elle n’aurait pas pu rester jusqu’à ce qu’elle trouve un autre emploiNote de bas de page 1. La division générale a donc décidé que la prestataire était fondée à quitter son emploi (c’est‑à‑dire qu’elle avait une raison acceptable selon la loi) au moment où elle l’a fait.

[8] La division d’appel a donné à la Commission la permission de porter la décision de la division générale en appel.

Questions en litige

[9] Il y a deux questions à trancher dans le présent appel :

  • La division générale a-t-elle commis une erreur de fait importante lorsqu’elle a décidé que le départ de la prestataire constituait la seule raisonnable en raison d’un possible conflit avec son superviseur si elle était restée?
  • Si la division générale a commis une erreur, comment dois-je la corriger?

Analyse

[10] Le rôle de la division d’appel diffère de celui de la division générale. La loi me permet d’intervenir et de corriger une erreur de la division générale lorsqu’une partie peut démontrer que cette dernière a commis une erreur de fait importanteNote de bas de page 2.

[11] Si je conclus que la division générale n’a commis aucune erreur, je dois rejeter l’appel de la Commission.

La division générale a commis une erreur de fait importante lorsqu’elle a conclu que la prestataire aurait eu des relations conflictuelles avec son superviseur

La conclusion de fait de la division générale que la Commission conteste

[12] La division générale a conclu que la prestataire a quitté son emploi le 23 août 2023Note de bas de page 3. Elle a également conclu que son employeur avait modifié ses conditions de rémunération de façon importanteNote de bas de page 4.

[13] Elle a ensuite tiré les conclusions de fait que la Commission conteste, aux para 35 et 41 :

[35] Je ne vois aucune preuve de quelque comportement conflictuel que ce soit de la part de l’employeur ou de l’appelante. Tout semble avoir été satisfaisant jusqu’au 22 août 2023, mais je suis d’avis que si l’appelante avait conservé son emploi pendant les six semaines suivantes, la situation aurait changé, ce qui aurait mené à une confrontation concernant les actions unilatérales de l’employeur.

[41] Je conclus que le départ de l’appelante constituait la seule solution raisonnable dans son cas. Elle n’aurait pas pu conserver son emploi tant qu’elle ne chercherait pas ni ne trouverait un autre emploi plus convenable. [non souligné dans l’original]

[14] Comme elle a décidé que son départ constituait la seule solution raisonnable, la division générale a décidé qu’elle avait démontré qu’elle était fondée à démissionner lorsqu’elle l’a faitNote de bas de page 5. Cela signifie qu’elle n’était pas exclue du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi parce qu’elle a démissionné.

L’argumentation des parties

[15] La Commission a fait valoir que la division générale a commis une erreur de fait importante lorsqu’elle a conclu que la prestataire n’aurait pas pu conserver son emploi et en obtenir un autreNote de bas de page 6. Elle a axé son argument sur les paragraphes 35 et 41 de la décision de la division générale. La Commission affirme qu’il n’y a aucune preuve que la situation de la prestataire aurait changé, ce qui aurait entraîné une confrontation entre la prestataire et son employeur. Cette présomption n’est pas étayée par la preuve. La conclusion de la division générale était donc abusive et arbitraire.

[16] La Commission s’appuie sur les décisions Garvey et WallsNote de bas de page 7. Ces décisions interprètent le moyen d’appel de l’erreur de fait importante prévu à l’article 58(1)(c) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).

[17] La prestataire a fait valoir que la décision de la division générale s’inscrit dans les issues possibles et acceptables qui sont défendables au regard des faits parce qu’il y avait des éléments de preuve à l’appui de sa décision. Elle a également fait valoir que je devrais utiliser la norme de l’erreur manifeste et dominanteNote de bas de page 8. Ce critère consiste à déterminer s’il n’y avait « aucune preuve » à l’appui d’une conclusion de faitNote de bas de page 9. Donc, lorsqu’il y a des éléments de preuve à l’appui d’une conclusion de fait, je ne peux pas annuler celle‑ci.

[18] La prestataire affirme que la division générale disposait de nombreux éléments de preuve, dont elle a fait référence dans sa décisionNote de bas de page 10. Par conséquent, la division d’appel doit accepter les conclusions de fait de la division générale et ne pas modifier la décision de la division généraleNote de bas de page 11.

[19] À l’audience, la prestataire a reconnu que la décision Walls énonce le critère juridique applicable à l’égard d’une erreur de fait importante. Mais elle a dit que je devrais utiliser la norme de l’erreur manifeste et dominante lorsque j’applique la décision Walls. Les critères sont légèrement différents, mais ils reposent tous deux sur un degré élevé de retenue. Et tous deux utilisent un libellé selon lequel un décideur en appel ne peut modifier une conclusion de fait que lorsqu’il n’y a « aucune preuve à l’appui » de cette conclusion. La prestataire soutient que c’est ce que dit la décision Walls.

[20] Enfin, à l’audience, la prestataire a fait valoir que « tirée de façon […] arbitraire » signifie que je ne peux modifier une conclusion de fait que si la division générale est allée intentionnellement et volontairement à l’encontre de la preuve. Et la Commission n’avait pas démontré cela dans le présent appel.

Le critère juridique de l’« erreur de fait importante » que je dois appliquer

[21] La division générale commet une erreur de fait importante si elle fonde sa décision sur une conclusion de fait tirée en ne tenant pas compte de la preuve ou en la comprenant malNote de bas de page 12. Autrement dit, la preuve va directement à l’encontre d’une conclusion de fait que la division générale a tirée ou n’appuie pas celle‑ci.

[22] C’est ainsi que j’interprète le critère que je dois appliquer — dans un langage simple — en me fondant sur les décisions de la Cour d’appel fédéraleNote de bas de page 13. Ces décisions expliquent l’expression « tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance » qui figure à l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS.

[23] La loi dit également que je peux présumer que la division générale a examiné tous les éléments de preuve – dans sa décision, elle n’a pas à faire référence à tous les éléments de preuveNote de bas de page 14.

[24] Je ne peux accepter l’interprétation par la prestataire du critère juridique prévu à l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS. Le critère que je dois appliquer est clair. Il est énoncé dans cet article et a été interprété par les tribunaux. Je ne peux donc pas y ajouter d’autres éléments ni l’interpréter différemment.

La conclusion de fait de la division générale n’est pas étayée par la preuve

[25] La conclusion de fait de la division générale selon laquelle la prestataire et son employeur auraient eu des relations conflictuelles à l’avenir n’est pas étayée par la preuve. Cette conclusion va à l’encontre de la conclusion de la division générale selon laquelle les relations n’étaient pas conflictuelles jusqu’à ce que la prestataire démissionne. Ces conclusions contradictoires figurent toutes deux au paragraphe 35 de la décision.

[26] Seule la preuve concernant les circonstances qui existaient au moment où la prestataire a démissionné est pertinente relativement à la question de droit que la division générale devait trancherNote de bas de page 15.

[27] Aucun des documents de la prestataire ne contient une preuve de relations conflictuelles jusqu’au moment où elle a démissionné. Dans sa demande de prestations d’assurance‑emploi, la prestataire affirme qu’elle a démissionné en raison d’un manque de travailNote de bas de page 16. Elle a dit à la Commission que son employeur lui avait dit que ses heures de travail seraient réduites. Elle a donc obtenu des conseils juridiques. Elle a dit à la Commission que son avocat lui avait conseillé de remettre son ordinateur portable et d’autres équipements de travail.

[28] Puis, son avocat a pris la relève pour elle. Il a préparé sa demande de révision et son appel devant la division générale du Tribunal. Ces documents faisaient état notamment de la manière dont son avocat a qualifié les faits. Cette qualification appuie ses arguments au sujet d’une violation anticipative, d’un congédiement déguisé et d’une modification importante des conditions de rémunération.

[29] À l’audience, la prestataire a témoigné que ses heures avaient été réduites pendant la pandémie de COVIDNote de bas de page 17. Après la fin des subventions liées à la COVID, son employeur a dit qu’il souhaitait que son emploi soit dorénavant à temps partiel. Elle a dit à son employeur qu’elle n’acceptait pas de travailler à temps partiel. Elle a dit que son employeur n’avait [traduction] « pas si bien » accueilli sa réponse. Il lui a demandé de noter ses tâches par écrit afin de justifier son poste à temps plein. C’est ce qu’elle a fait.

[30] Elle a témoigné qu’elle avait reçu un courriel de son employeur le 22 août 2023Note de bas de page 18. Son employeur a expliqué qu’il n’avait pas de nouveau client important. Elle était une excellente travailleuse et il voulait la garder. Mais elle [sic] voulait qu’elle travaille dix heures par semaine à partir de septembre ou octobre. Le reste de son bref témoignage a porté surtout sur le fait qu’elle n’a pas demandé ni accepté de réduire ses heures de travail.

[31] J’ai examiné la preuve et rien dans celle‑ci n’appuie rationnellement la conclusion de la division générale selon laquelle il y aurait des relations conflictuelles à l’avenir entre la prestataire et son employeur.

[32] La division générale a fondé sa décision sur cette conclusion de fait non étayée. Elle a décidé qu’en raison de possibles relations conflictuelles à l’avenir, la prestataire n’aurait pas pu conserver son emploi et chercher du travail jusqu’à ce que les changements apportés à son salaire et à ses heures entrent en vigueur le 1er octobre 2023. La division générale a donc conclu que démissionner était sa seule option raisonnable. En d’autres termes, elle a décidé que la prestataire était fondée à quitter son emploi.

[33] La division générale a donc fondé sa décision sur une conclusion de fait qui allait à l’encontre de la preuve et qui n’était pas étayée par celle‑ci. Elle a ainsi commis une erreur de fait importante.

[34] La prestataire a soutenu que la division générale disposait de nombreux éléments de preuve appuyant sa décisionNote de bas de page 19. Or, la question fondamentale est celle de savoir s’il existe des éléments de preuve à l’appui de la conclusion de fait de la division générale selon laquelle la démission de la prestataire constituait la seule solution raisonnable au moment où elle l’a fait en raison de relations conflictuelles.

[35] La prestataire énumère les éléments de preuve sur lesquels la division générale s’est fondéeNote de bas de page 20. Toutefois, un seul point porte sur les relations conflictuelles – l’opinion de la division générale selon laquelle les relations seraient conflictuelles à l’avenir. Mais il s’agissait d’une conclusion et non d’une preuve, et cette conclusion allait à l’encontre de la preuve.

La division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a tenu compte des circonstances qui ont suivi la démission de la prestataire

[36] Il y a une autre façon d’examiner l’erreur de fait importante. La division générale commet une erreur de droit lorsqu’elle n’utilise pas le bon critère juridique ou qu’elle ne suit pas une décision judiciaire par laquelle elle est liée.

[37] Lorsqu’il applique le critère prévu à l’article 29(c) pour le départ volontaire sans motif valable, le Tribunal ne peut tenir compte que des circonstances qui existaient au moment où une personne a quitté son emploiNote de bas de page 21. La division générale était tenue de suivre les décisions de la Cour d’appel fédérale qui le confirment. Mais elle est allée à l’encontre de ces décisions. Elle a tenu compte de relations qui seraient conflictuelles à l’avenir – qui auraient pu exister après qu’elle a démissionné – lorsqu’elle a décidé que la prestataire était fondée à démissionner, compte tenu de toutes les circonstances.

[38] La division générale a donc utilisé le mauvais critère pour décider si la prestataire était fondée à quitter son emploi. Il s’agissait d’une erreur de droit.

Réparer l’erreur : J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre

[39] La loi confère à la division d’appel le pouvoir de corriger une erreur de la division généraleNote de bas de page 22.

[40] La Commission a fait valoir que je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Elle a dit que le dossier de la division générale est complet et que la prestataire a eu une audience complète et équitable devant la division générale. La prestataire soutient que je devrais renvoyer son appel à la division générale. Elle affirme qu’ainsi l’affaire serait entendue sur le fond et qu’elle pourrait répondre aux conclusions de fait tirées par erreur.

[41] Je rendrai la décision que la division générale aurait dû rendre, compte tenu de la preuve dont elle était saisie.

[42] La prestataire était représentée. Son avocat n’a soulevé aucune préoccupation en matière d’équité procédurale lors de l’audience tenue devant la division générale. Et la prestataire n’a pas soulevé l’équité procédurale comme moyen d’appel (erreur) devant la division d’appel.

[43] J’ai examiné le dossier de la division générale et j’ai écouté l’enregistrement de l’audience. Il en ressort que la prestataire a eu une occasion pleine et équitable de présenter des éléments de preuve et des arguments avant et pendant l’audience. Elle a envoyé des documents avant l’audience. À l’audience, elle a répondu aux questions de son avocat, et ce dernier a présenté des arguments juridiques.

La prestataire a quitté volontairement son emploi (démissionné) et elle n’a pas démontré qu’elle était fondée à le faire

Départ volontaire

[44] J’adopte la conclusion de la division générale selon laquelle la prestataire a quitté volontairement son emploi le 23 août 2023 (paragraphes 24 et 25). Ni l’une ni l’autre partie n’a soutenu que la division générale avait commis une erreur à ce sujet. Et mon examen de la preuve (documents et témoignages) me permet de conclure que cette conclusion est étayée par la preuve.

[45] Devant la division générale, la prestataire a soutenu qu’elle n’avait pas démissionné. Mais cet argument était fondé sur son argument en droit du travail au sujet d’une violation anticipative et d’un congédiement déguisé. C’est un argument. Ce n’est pas une preuve des événements qui ont eu lieu. Et je ne peux pas me fonder sur ces motifs du droit du travail pour décider en application de l’article 29 de la Loi sur l’assurance‑emploi (Loi) si elle a quitté volontairement son emploi.

Le critère juridique du motif valable au sens de la Loi

[46] La prestataire doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable que sa démission constituait la seule option raisonnable dans les circonstancesNote de bas de page 23. Le fait d’avoir une bonne raison de démissionner ne suffit pas à prouver qu’elle était fondée à quitter son emploi. Selon la loi, je dois tenir compte des circonstances qui existaient lorsque la prestataire a démissionné, y compris celles énumérées à l’article 29(c)Note de bas de page 24.

[47] Tout d’abord, j’examinerai les circonstances qui s’appliquent dans son cas. Je me pencherai ensuite sur la question de savoir si elle a démontré que sa démission constituait la seule solution raisonnable dans ces circonstances.

La situation de la prestataire

[48] La prestataire a fait valoir qu’elle était fondée à quitter son emploi compte tenu des quatre circonstances énumérées à l’article 29(c) de la Loi :

  • les relations conflictuelles avec un superviseur si un prestataire n’est pas principalement responsable de ces conflits;
  • une modification importante de ses conditions de rémunération;
  • une pression indue de la part d’un employeur de quitter son emploi;
  • des modifications importantes des fonctions.

[49] J’adopte la conclusion de fait de la division générale selon laquelle il n’y avait aucune relation conflictuelle entre la prestataire et son superviseur (le propriétaire de l’entreprise) jusqu’au moment où elle a démissionné. J’ai déjà décidé que cette conclusion était étayée par la preuve et qu’elle ne fait pas fi de la preuve ni ne va directement à l’encontre de celle‑ci.

[50] J’ai examiné la preuve tirée du dossier de la division générale et j’ai écouté le témoignage de la prestataire devant la division générale. J’accepte les faits suivants parce qu’ils sont acceptés par les deux parties ou parce qu’ils ne sont pas contredits :

  • Vers le début d’avril 2022, l’employeur de la prestataire lui a dit que son emploi à temps plein deviendrait un emploi à temps partiel. L’employeur a demandé à la prestataire de cerner les tâches qu’elle effectuait fréquemment ou régulièrement, ce qu’elle a fait. L’employeur n’a toutefois pas effectué le changement à ce moment-là.
  • Dans un courriel envoyé le 22 août 2023 à la prestataire, l’employeur l’a informée que :
    • l’entreprise n’a pas obtenu de contrat pour un magasin de détail de 65 emplacements;
    • à compter du 1er octobre 2023, il ramènerait ses heures à dix heures par semaine (garanties) et hausserait son salaire de 24 $ à 50 $ l’heure;
    • l’employeur avait cerné les tâches que la prestataire accomplissait fréquemment ou occasionnellement dans le cadre de son emploi actuel et qu’il voulait qu’elle continue d’accomplir;
    • il aimait travailler avec elle et espérait continuer dans ce format à temps partielNote de bas de page 25.
  • La prestataire n’a pas consenti à ces modifications ni ne les a acceptées. Autrement dit, son employeur allait imposer unilatéralement ces modifications relativement à son emploi.
  • La prestataire a cessé de travailler le 23 août 2023. Elle a soutenu, sur les conseils de son avocat, qu’elle avait fait l’objet d’un congédiement déguisé.

[51] La Loi prescrit qu’un prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi si son départ constituait la seule solution raisonnable en raison d’une modification importante de ses conditions de rémunération par l’employeurNote de bas de page 26. On entend par importante [traduction] « quelque chose qui dépasse la norme » ou des [traduction] « modalités fondamentalement différentes et nouvelles ». Et la Loi ne devrait pas servir à exclure un travailleur qui a quitté son emploi parce qu’il était exploitéNote de bas de page 27.

[52] Je conclus qu’au moment où la prestataire a démissionné, son employeur n’avait pas modifié de façon importante ses conditions de rémunération. Son employeur lui avait dit que ces modifications entreraient en vigueur environ cinq semaines plus tard (soit entre le 23 août et le 1er octobre 2023).

[53] Rien ne me montre que la prestataire était exploitée par son employeur. J’admets qu’à compter du 1er octobre 2023, il y aurait eu une modification importante de sa rémunération. Bien que son employeur double son salaire horaire, il diminuait considérablement le nombre d’heures travaillées, qui passeraient de plus de 40 heures par semaine en moyenne à dix heures par semaineNote de bas de page 28.

[54] Compte tenu de la loi, cette modification importante à venir ne peut satisfaire au critère de la justification. Mais la prestataire était au courant des modifications lorsqu’elle a démissionné parce que son employeur les avait mentionnées dans un courriel à son intention. Je tiendrai donc compte de sa connaissance de cette modification importante lorsque je déciderai si elle avait une autre solution raisonnable.

[55] La loi prescrit que s’il y a incitation indue par l’employeur à l’égard d’une personne à quitter son emploi, cette personne est fondée à quitter son emploi si son départ constituait la seule solution raisonnableNote de bas de page 29. Le terme « indue » signifie excessifNote de bas de page 30, ou d’une manière qui dépasse ce qui est nécessaire, acceptable ou raisonnableNote de bas de page 31.

[56] J’admets que la prestataire n’a pas accepté les modifications proposées par son employeur, qui devaient entrer en vigueur le 1er octobre 2023. Elle considérait ces modifications comme faisant partie d’une tentative incessante de son employeur de modifier unilatéralement les conditions de son emploi.

[57] Mais la prestataire n’a pas démontré que son employeur l’a incitée indûment à quitter son emploi. Je conclus que les modifications que l’employeur a proposé d’apporter à l’emploi de la prestataire constituaient une réponse raisonnable aux conditions commerciales. Elles ne s’inscrivaient pas dans une campagne de pression, n’étaient pas excessives et n’avaient pas pour but d’inciter la prestataire à démissionner.

[58] D’après la preuve, l’employeur s’est abstenu de faire passer l’emploi de la prestataire à un emploi à temps partiel pendant environ 16 mois. Et lorsqu’il a apporté ces modifications, il a augmenté le salaire de la prestataire et a dit espérer qu’elle continue d’accomplir les tâches qu’il avait cernées, du moins jusqu’à ce qu’elle trouve un nouvel emploi. Si je conclus que l’employeur savait que la prestataire pourrait démissionner, la preuve démontre toutefois qu’il voulait qu’elle continue d’accomplir les tâches qu’il avait cernées. Autrement dit, il n’a pas incité indûment la prestataire à quitter son emploi.

[59] Je conclus que la prestataire n’a pas démontré que l’employeur a apporté des modifications importantes à ses fonctions au moment où elle a démissionné, pour deux raisons. Premièrement, les modifications proposées sont entrées en vigueur non pas à la date à laquelle elle a démissionné, mais par la suite. Deuxièmement, il n’y avait aucune preuve démontrant quelles modifications, le cas échéant, son employeur proposait d’apporter à ses fonctions. La preuve a démontré qu’elle continuerait d’accomplir les tâches qu’elle accomplissait déjà (une ou deux fois par mois, occasionnellement ou très occasionnellement).

[60] La prestataire n’a pas témoigné sur les fonctions qu’elle n’aurait plus à exécuter, le cas échéant. Et elle n’a pas témoigné sur la question de savoir si ses tâches courantes étaient différentes de celles qu’elle avait accomplies.

Autres solutions raisonnables dans les circonstances

[61] Lorsque je me penche sur la question de savoir si la démission de la prestataire constituait la seule solution raisonnable, je dois examiner toutes les circonstances qui existaient au moment où elle a démissionné. Je dois les examiner cumulativement, c’est‑à‑dire ensemble. La prestataire doit démontrer que sa démission constituait la seule option raisonnable à ce moment‑là.

[62] Au moment où elle a démissionné, la prestataire était au courant de la modification importante de ses conditions de rémunération qui entrait en vigueur le 1er octobre 2023. Je vais tenir compte de cette circonstance. Elle n’a pas démontré que je dois tenir compte des circonstances énumérées à l’article 29(c), pour les motifs que j’ai énoncés ci‑dessus. Et elle n’a soulevé aucune autre circonstance dont je dois tenir compteNote de bas de page 32.

[63] La Commission a fait valoir que la prestataire avait deux solutions raisonnables autres que celle de démissionner à ce moment‑là :

  • discuter avec son employeur de ses préoccupations au sujet du nouveau régime de travail proposé;
  • conserver son emploi jusqu’à ce qu’elle obtienne un autre emploiNote de bas de page 33.

[64] J’estime que la première solution proposée par la Commission n’était pas raisonnable. La preuve a démontré que l’employeur voulait faire passer l’emploi de la prestataire à un emploi à temps partiel depuis plus d’un an pour des raisons financières. Il avait revu ses tâches et les besoins continus de l’entreprise en matière de soutien administratif. Il lui a ensuite fait part de sa décision dans son courriel du 22 août 2023. Il ne s’agissait pas d’une invitation à discuter des préoccupations ou à négocier. Par conséquent, discuter de ses préoccupations avec son employeur n’était pas une solution raisonnable.

[65] Je conclus que la deuxième solution proposée par la Commission, celle de conserver son emploi et d’en obtenir un autre, était raisonnable dans la situation de la prestataire.

[66] La prestataire n’a présenté aucun argument sur la raison pour laquelle le fait de conserver son emploi n’était pas une solution raisonnable, exception faite des relations qui auraient pu être conflictuelles à l’avenir. Mais ces relations conflictuelles étaient conjecturales, et non étayées par des preuves.

[67] Il n’y avait aucune preuve que la prestataire a cherché du travail avant de démissionner. Elle a reçu le courriel de l’employeur au sujet des modifications qui seraient apportées à son emploi, a demandé des conseils juridiques et a démissionné – en une journée.

[68] Les documents présentés à la division générale montrent que les relations entre la prestataire et son employeur ont été conflictuelles après son départ. Ces relations sont devenues conflictuelles parce qu’elle a menacé de poursuivre son employeur pour congédiement déguisé. Les négociations pour éviter cette poursuite sont devenues conflictuelles. Mais les relations n’étaient pas conflictuelles quand elle a démissionné.

[69] La prestataire n’a donc pas démontré que le fait de conserver son emploi et de tenter d’obtenir un autre emploi – du moins jusqu’au 1er octobre 2023 – était une option déraisonnable dans sa situation. Cela signifie qu’elle n’était pas fondée à quitter son emploi lorsqu’elle l’a fait.

Je n’accepte pas les autres arguments de la prestataire concernant la justification

[70] La prestataire soutient qu’il est bien établi qu’un employé est fondé à quitter son emploi lorsqu’il est forcé de choisir entre continuer ou quitter son emploi lorsque l’employeur décide unilatéralement de modifier fondamentalement les conditions de son emploiNote de bas de page 34. Elle cite la décision Peppard à l’appui de cet argumentNote de bas de page 35.

[71] Je ne peux pas accepter son argument, pour deux raisons.

[72] Premièrement, il va à l’encontre du critère juridique du motif valable énoncé à l’article 29(c) de la Loi. Pour obtenir gain de cause dans son appel sur ce fondement, la prestataire devait prouver non seulement qu’il y avait une modification importante de sa rémunération ou de ses fonctions au moment de son départ. Elle devait également prouver qu’elle n’avait aucune autre solution raisonnable dans ces circonstances. L’argument de la prestataire ne tient pas compte du deuxième volet du critère juridique.

[73] Deuxièmement, la prestataire a mal énoncé le principe tiré de la décision PeppardNote de bas de page 36. Les paragraphes cités par la prestataire appuient une proposition différente : la conclusion de la division générale sur la question de savoir si une personne était fondée est principalement factuelle et doit faire l’objet d’une retenue. Autrement dit, à moins que la division générale ne commette une erreur de fait importante, sa conclusion selon laquelle une personne n’avait aucune autre solution raisonnable ne devrait pas être modifiée. J’ai déjà décidé que la division générale avait commis une erreur de fait importante lorsqu’elle a tranché l’appel de la prestataire.

[74] La prestataire a également fait valoir que les faits dans la présente affaire sont les mêmes que ceux qui étaient en cause dans des décisions d’un tribunal et d’une cour de justice où une prestataire a obtenu gain de causeNote de bas de page 37. Le tribunal ou la cour de justice a décidé que la personne dont les conditions de travail étaient modifiées unilatéralement par son employeur était fondée à démissionner. Elle dit que je devrais suivre ces décisions.

[75] Je n’ai pas à suivre une décision judiciaire à moins que les faits dont il y est question ne soient identiques – ou très semblables – à ceux de la présente affaire.

[76] Les faits dans la présente affaire sont très différents des faits de l’affaire Peppard.

[77] M. Peppard a choisi de prendre sa retraite des Forces armées canadiennes (FAC) afin de pouvoir continuer à toucher sa pension de 28 000 $ par année. La cour a conclu que sa pension n’était pas une rémunération au sens de l’article 29(c). Il avait contribué au régime au cours d’une carrière de 20 ans. Il a continué de travailler pendant près d’un an après que son employeur l’eut informé des changements législatifs à venir. Ces changements signifiaient qu’il ne pouvait pas continuer à travailler dans la Force de réserve des FAC et toucher sa pension. Il se recyclait aussi pour entamer une nouvelle carrière de massothérapeute.

[78] La prestataire a démissionné le lendemain de l’annonce par son employeur des modifications qui seraient apportées à ses heures et à sa rémunération cinq semaines plus tard. Elle a démissionné avant de chercher un autre travail. Il n’y a aucune preuve qu’elle a dû démissionner pour conserver une pension ou d’autres prestations auxquelles elle avait droit.

[79] J’ai également examiné les trois décisions du Tribunal concernant le départ volontaire au sens de la Loi que la prestataire a citéesNote de bas de page 38. Les faits de chaque décision diffèrent de façon importante de la présente affaire. Donc, ces affaires ne me convainquent pas que la prestataire était fondée à démissionner.

Ma décision est conforme à l’objectif des prestations d’assurance‑emploi, qui sont destinées aux personnes qui sont involontairement sans emploi

[80] Les tribunaux ont décidé que les travailleurs qui transforment un risque de chômage en une certitude ne devraient pas recevoir de prestations d’assurance‑emploiNote de bas de page 39. Les prestations d’assurance‑emploi sont destinées aux personnes qui se retrouvent sans emploi involontairementNote de bas de page 40. Les tribunaux ont également dit qu’une personne ne peut pas invoquer le congédiement déguisé pour établir sa demande d’assurance‑emploiNote de bas de page 41.

[81] La prestataire a transformé le risque de son chômage en une certitude. Je réalise que son employeur avait l’intention de modifier fondamentalement ses heures et sa rémunération. Elle risquait de perdre un revenu important. Je n’ai aucun doute qu’elle a dû prendre des décisions professionnelles et financières difficiles. Elle a obtenu des conseils juridiques. Elle a ensuite choisi de quitter son emploi le jour suivant celui où elle a pris connaissance du plan de son employeur. Dans ces circonstances, elle devait, pour obtenir une indemnisation pour son chômage, poursuivre son employeur par la voie d’un recours privé et non se tourner vers le régime public d’assurance‑emploi.

Conclusion

[82] Je fais droit à l’appel de la Commission et j’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre.

[83] La prestataire aurait pu conserver son emploi tout en cherchant un autre emploi. Cette autre solution raisonnable s’offrait à elle dans les circonstances qui existaient lorsqu’elle a démissionné. Elle n’a donc pas prouvé qu’elle était fondée à démissionner lorsqu’elle l’a fait.

[84] Par conséquent, elle est exclue du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.