Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 684

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Appelante : S.S. 
Représentant : J. Kyle Bienvenu
Intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (625868), datée du 2 novembre 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : John Noonan
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 21 février 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentant de l’appelante
Observateur juridique de l’appelante
Date de la décision : Le 1er mars 2024
Numéro de dossier : GE-23-3463

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Le Tribunal est d’accord avec l’appelante.

[2] L’appelante a démontré qu’elle était fondée (c’est‑à‑dire qu’elle avait une raison acceptable selon la loi) à quitter son emploi au moment où elle l’a fait. Elle avait une justification parce que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas. En conséquence, elle n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

Aperçu

[3] Après révision, la Commission a avisé l’appelante, S. S., une travailleuse en Colombie‑Britannique, qu’elle ne pouvait lui verser des prestations régulières d’assurance‑emploi à compter du 20 août 2023 parce qu’elle a quitté volontairement son emploi chez X (X) le 22 août 2023 sans justification au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi). La Commission est d’avis que quitter volontairement son emploi n’était pas la seule solution raisonnable. L’appelante affirme qu’elle a décidé de quitter son poste parce qu’elle a fait l’objet d’un [traduction] « congédiement déguisé ». Le Tribunal doit décider si l’appelante devrait se voir refuser des prestations parce qu’elle a quitté volontairement son emploi sans justification, comme le prévoit l’article 29 de la Loi.

Questions en litige

[4] Première question en litige : L’appelante a-t-elle quitté volontairement son emploi chez X (X) le 22 août 2023?

Deuxième question en litige : Dans l’affirmative, y avait-il un motif valable?

Analyse

[5] Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites dans le document GD4.

[6] Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il quitte volontairement un emploi sans justification (article 30(1) de la Loi). Le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas (article 29(c) de la Loi).

[7] Il incombe à l’intimée de prouver que le départ était volontaire. Une fois qu’elle l’a fait, le fardeau de la preuve passe à la partie appelante, qui doit démontrer qu’elle était fondée à quitter son emploi. Pour établir qu’elle était fondée à quitter son emploi, l’appelante doit démontrer que, compte tenu de toutes les circonstances, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas (Canada (Procureur général) c White, 2011 CAF 190; Canada (Procureur général c Imran, 2008 CAF 17). Le « fardeau » permet d’établir quelle partie doit produire une preuve suffisante de sa prétention pour satisfaire au critère juridique. Dans la présente affaire, le fardeau de la preuve consiste en une prépondérance des probabilités, ce qui signifie qu’il est « probable » que les événements se soient produits ainsi qu’ils ont été exposés.

[8] Le critère visant à déterminer si un prestataire était « fondé » au sens de l’article 29 de la Loi consiste à se demander si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ constituait selon la prépondérance des probabilités la seule solution raisonnable dans son cas (White, 2011 CAF 190; Macleod, 2010 CAF 301; Imran, 2008 CAF 17; Astronomo, A-141-97).  Le prestataire qui quitte son emploi doit démontrer que son départ constituait la seule solution dans son cas (Tanguay, A‑1458‑84).

Première question en litige : L’appelante a-t-elle quitté volontairement son emploi chez X (X) le 22 août 2023?

[9] Oui.

[10] Pour que le départ soit volontaire, l’appelante doit elle‑même rompre la relation employeur‑employé.

[11] Pour déterminer si l’appelante a quitté volontairement son emploi, la question à laquelle il faut répondre est la suivante : l’employée avait‑elle le choix de rester ou de partir (Canada (Procureur général) c Peace, 2004 CAF 56)?

[12] Au moment du départ, c’est l’employeur qui a pris la décision. Les deux parties ne peuvent se mettre d’accord pour dire que l’appelante a quitté volontairement cet emploi chez X (X) le 22 août 2023.

[13] L’appelante dans la présente affaire vivait en C.‑B., où elle a travaillé pour X (X) jusqu’au 22 août 2023.

[14] Elle occupait un poste de commis et travaillait de la maison.

[15] L’employeur, une entreprise de logiciels, éprouvait de graves difficultés financières en raison du manque de clientèle. Par conséquent, en avril 2023, il a informé l’appelante de son intention de lui demander de réduire ses heures afin de réduire les coûts. L’employeur a alors changé d’idée et a retiré la demande.

[16] Toutefois, lorsque sa situation s’est aggravée, le 22 août 2023, il a informé l’appelante de son projet de ramener ses heures à 10 heures par semaine à compter du 1er octobre 2023 tout en haussant son taux horaire à 50 $.

[17] En réponse, l’appelante a remis sa puce électronique et son équipement de travail à domicile le 23 août 2023, elle ne s’est pas présentée au travail par la suite et elle a intenté une poursuite contre l’employeur. 

[18] Bien que le Tribunal n’ait pas compétence en ce qui concerne les effets d’un congédiement déguisé, une affaire civile, il doit décider s’il y a eu départ volontaire ou congédiement.

[19]   L’intimée a-t-elle été congédiée de son emploi?

 [Traduction]

 Il est entendu qu’un congédiement par un employeur et une démission volontaire par un employé exigent tous deux un acte clair et sans équivoque de la part de la partie qui cherche à mettre fin à la relation d’emploi. Il y a toutefois une distinction dans les critères auxquels il doit être satisfait pour établir chacune de ces façons de mettre fin à la relation d’emploi. Une conclusion de congédiement doit être fondée sur un critère objectif : la question de savoir si  les actes de l’employeur, considérés objectivement, constituent un congédiement. Une conclusion de démission nécessite l’application d’un critère à la fois subjectif et objectif : la question de savoir si l’employée avait l’intention de démissionner et si ses paroles et ses actes, considérés objectivement, permettent de conclure qu’elle a démissionné.

[20] David Harris résume la distinction entre les deux méthodes dans son texte Wrongful Dismissal, (Toronto: Thompson Canada Ltd. 1989) aux pages 3-4, 3-5 et 3-9 :

[Traduction]

§3.0 Congédiement

Résumé : Le congédiement ressortit à une question de fond et non de forme. Il est véritable lorsqu’il ne laisse aucun doute raisonnable dans l’esprit de l’employé que son emploi a déjà pris fin ou prendra fin à une date déterminée.

Le facteur crucial dans l’évaluation du caractère véritable d’un congédiement est la clarté avec laquelle il a été communiqué à l’employé. Le juge Macfarlane, de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, a énoncé le droit à cet égard dans les termes suivants dans Kalaman v Singer Valve Co. (1997).

Un avis doit être précis et sans équivoque de sorte qu’une personne raisonnable sera amenée à bien comprendre que son emploi prend fin à une date déterminée à l’avenir. La question de savoir si un prétendu avis est précis et sans équivoque doit être tranchée objectivement, compte tenu de toutes les circonstances de chaque affaire.

§3.0A Congédiement ou démission volontaire

Résumé : Le critère de la démission volontaire (par opposition au congédiement) est objectif et met l’accent sur la façon dont un « employeur raisonnable » perçoit les intentions de l’employé compte tenu de ce que ce dernier dit ou fait réellement ou, dans certains cas, de ce qu’il omet de dire ou de faire. Parmi les circonstances pertinentes, mentionnons l’état d’esprit de l’employé, toute ambiguïté relative à la conduite qui est présumée constituer une « démission » et, dans une certaine mesure, la rétractation ou la tentative de rétractation par l’employé de sa « démission » en temps opportun Beggs v Westport Foods Ltd. 2011, BCCA.

[21] Le projet de l’employeur de modifier unilatéralement les conditions du contrat de travail de l’appelante est évident. Il mettait fin à son contrat en cours le 1er octobre 2023.

[22] Il est établi en droit que la répudiation (annulation) d’un contrat ne met pas automatiquement fin à ce dernier. En effet, l’acte de répudiation offre deux options à la partie innocente : confirmer le contrat et le traiter comme s'il était maintenu ou accepter la répudiation illégale et traiter le contrat comme s'il prenait fin. L’acceptation de la répudiation libère la partie innocente de toute autre exécution et lui donne le droit d’intenter immédiatement une poursuite en dommages‑intérêts, même si la violation qui constitue la répudiation est anticipée. L’omission d’accepter la répudiation sans équivoque signifie que celle‑ci n’a aucun effet à moins qu’il n’y ait un maintien du refus d’exécution. Le contrat continue d’exister au profit des deux parties et aucune action ne peut être intentée tant que l’une des parties omet d’exécuter le contrat : Fletton Ltd. c Peat Marwick Ltd. (1988).

[23]  Le critère établi en ce qui concerne le congédiement déguisé a été énoncé par le juge Lambert, de la Cour d’appel, dans Farquhar c Butler Bros. Supplies Ltd. (1988) :

[traduction]

Il y a congédiement déguisé lorsque l’employeur viole dans l’immédiat ou de façon anticipée une condition fondamentale d’un contrat de travail, donnant ainsi à l’employé le droit, mais non l’obligation, de considérer le contrat de travail comme prenant fin. Reber c Lloyds Bank Int. L’employé doit prendre sa décision dans un délai raisonnable. Mais il a le droit d’y réfléchir pendant quelques jours, voire quelques semaines. 

Il ne faut pas se concentrer sur l’utilisation de mots propres au contexte de l’emploi comme le congédiement explicite ou le congédiement déguisé et assortir ceux‑ci de conséquences. Le congédiement déguisé est simplement une autre expression désignant la conduite répudiatoire d’un employeur qui donne lieu au choix par un employé innocent de mettre fin à la relation. Il faut prendre en compte l’ensemble de la conduite de l’employeur pour décider s’il y a eu répudiation et, le cas échéant, à quel moment, tout comme il faut prendre l’ensemble de la conduite de l’employé pour décider si ce dernier a accepté la répudiation et, le cas échéant, à quel moment.  

[24] L’avis donné à l’appelante de la réduction de ses heures de travail de 80 % au 1er octobre 2023 constituait un manquement anticipé à une condition fondamentale de son contrat de travail et, à ce titre, une répudiation de l’ensemble du contrat. En quittant son lieu de travail le 23 août 2023, l’appelante a accepté cette répudiation dans un délai raisonnable. Farquhar c Butler Brothers Supplies Ltd. (1988)

[25] Je conclus qu’en raison d’une violation anticipée d’une condition fondamentale d’un contrat de travail, soit une réduction de 80 % des heures de travail, l’appelante a quitté volontairement cet emploi.

Deuxième question en litige : Dans l’affirmative, y avait-il un motif valable?

[26] Oui.

[27] L’appelante a quitté son emploi, comme il a été mentionné précédemment, en raison d’une violation anticipée d’une condition fondamentale de son contrat de travail. 

[28] En réponse, elle a remis sa puce électronique et son équipement de travail à domicile le 23 août 2023, puis ne s’est pas présentée au travail par la suite. 

[29] L’employeur a affirmé qu’il n’a jamais demandé à l’appelante de remettre sa clé électronique ou tout autre équipement et qu’elle a démissionné sans préavis et sans autre discussion ni contre‑offre.

[30] Lors de l’audience tenue dans son dossier, l’appelante a dit que, conformément à l’article 29(c) de la Loi, elle avait démontré qu’elle était fondée à quitter son emploi lorsqu’elle l’a fait.

[31] L’appelante allègue également qu’il y a eu un congédiement déguisé, question qui a déjà été abordée à la lumière des actions de l’employeur dans la présente affaire.

[32] L’objectif de la Loi est d’indemniser des personnes qui ont perdu leur emploi involontairement et qui se retrouvent sans travail. La Cour d’appel fédérale a examiné le lien entre le congédiement déguisé et le départ volontaire.

[33] Elle a statué que l’employé qui quitte son emploi après avoir été congédié de façon déguisée quitte volontairement son emploi. Cela s’explique par le fait qu’un employé qui souhaite alléguer un congédiement déguisé a le choix de quitter ou non son emploi. Autrement dit, il a le choix de rester ou de partir. Et l’employé qui choisit de quitter son emploi démissionne.

[34] L’appelante cite les relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un superviseur, au sens de l’article 29(c)(x), pour expliquer sa décision de quitter son emploi.

[35] Je ne vois aucune preuve de quelque comportement conflictuel que ce soit de la part de l’employeur ou de l’appelante. Tout semble avoir été satisfaisant jusqu’au 22 août 2023, mais je suis d’avis que si l’appelante avait conservé son emploi pendant les six semaines suivantes, la situation aurait changé, ce qui aurait mené à une confrontation concernant les actions unilatérales de l’employeur.

[36] L’appelante cite l’incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi, au sens de l’article 29(c)(xiii), pour expliquer davantage pourquoi elle a quitté son emploi.

[37] Bien que l’employeur ait, en fait, éprouvé des difficultés financières, je dispose de nombreux éléments de preuve concernant un projet de modifier de façon importante le contrat de travail de l’appelante ou d’annuler celui-ci.

[38] Enfin, l’appelante cite une modification importante de ses conditions de rémunération, au sens de l’article 29(c)(vii), pour expliquer également pourquoi elle a quitté son emploi.

[39] On a démontré qu’il y a eu avis d’un projet de l’employeur de réduire de 80 % le nombre d’heures de travail de l’appelante. Je ne dispose d’aucune preuve que le contrat de travail en place depuis juin 2018 était susceptible de changer si la situation l’exigeait.

[40] Tout le monde a le droit de quitter un emploi, mais cette décision ne donne pas automatiquement le droit de recevoir des prestations d’assurance‑emploi. La personne qui a le droit de recevoir des prestations sera inévitablement appelée à se manifester et à prouver qu’elle satisfait aux conditions de la Loi.

[41] Je conclus que le départ de l’appelante constituait la seule solution raisonnable dans son cas. Elle n’aurait pas pu conserver son emploi tant qu’elle ne chercherait pas ni ne trouverait un autre emploi plus convenable.

[42] Lorsque l’article 29 de la Loi mentionne que l’on est « fondé » à quitter un emploi, cela ne signifie pas que l’on a une « raison » ou un « motif ». Il ne suffit pas que le prestataire prouve qu’il avait tout à fait raison de quitter son emploi. Le caractère raisonnable peut être un « motif valable », mais cela ne signifie pas nécessairement que l’on est « fondé » à quitter son emploi (Tanguay, A-1458-84).

[43] Sa décision de quitter son emploi lorsqu’elle l’a fait satisfait aux motifs admissibles énoncés à l’article 29(c) de la Loi.

Conclusion

[44] Après avoir soigneusement examiné toutes les circonstances, je conclus que l’appelante a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas. La question n’est pas de savoir s’il était raisonnable pour l’appelante de quitter son emploi, mais plutôt de savoir si son départ était la seule mesure raisonnable qui s’offrait à elle (Canada (Procureur général) c Laughland, 2003 CAF 129). Étant donné que l’appelante a quitté volontairement son emploi, je conclus que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas et qu’elle satisfait donc au critère pour être fondée à le faire au sens des articles 29 et 30 de la Loi. L’appel est accueilli.

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