Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 715

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : J. L.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Daniel McRoberts

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 31 octobre 2023
(GE-23-474)

Membre du Tribunal : Stephen Bergen
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 14 juin 2024
Personne présente à l’audience : Représentant de l’intimée
Date de la décision : Le 21 juin 2024
DATE DU CORRIGENDUM : Le 19 juillet 2024
Numéro de dossier : AD-23-1083

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Décision

[1] Je rejette l’appel.

[2] La division générale a commis une erreur de fait [droit]. J’ai substitué ma décision à celle de la division générale pour corriger l’erreur, mais le résultat est le même.

Aperçu

[3] J. L. est l’appelant. Je l’appellerai le prestataire parce que la présente demande porte sur sa demande de prestations d’assurance‑emploi.

[4] L’intimée, la Commission de l’assurance‑emploi du Canada, a rejeté sa demande de prestations d’assurance‑emploi. Elle a dit qu’il avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Le prestataire n’était pas d’accord et a demandé à la Commission de réviser sa décision. La Commission ayant refusé de modifier sa décision, le prestataire a fait appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a rejeté son appel.

[5] Le prestataire a demandé la permission de faire appel de la décision de la division générale à la division d’appel. Il n’a pas précisé le ou les moyens d’appel sur lesquels il avait l’intention de se fonder, mais j’ai accordé la permission de faire appel parce que l’on pouvait soutenir que la division générale a commis une erreur de droit.

[6] Le 14 juin 2024, j’ai tenu une audience en personne comme l’avait demandé le prestataire. Ce dernier ne s’est pas présenté à l’audience.

[7] J’estime que la division générale a commis une erreur de droit en n’expliquant pas comment elle a soupesé la preuve pour en arriver à sa décision. J’ai rendu la décision qu’elle aurait dû rendre, mais le résultat est le même. Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations parce que son employeur l’a congédié pour inconduite.

Questions préliminaires

[8] Le prestataire a demandé à la division d’appel de tenir une audience en personne. Par conséquent, le Tribunal a finalement fixé une audience à 10 h le 14 juin 2024 au Centre Service Canada le plus près de l’adresse indiquée dans la demande.

[9] Le prestataire ne s’y est pas présenté. J’ai attendu jusqu’à 10 h 15, puis j’ai entendu les arguments de la Commission par l’intermédiaire de son représentant, qui y a assisté par téléconférence. Nous avons convenu que je demanderais au représentant de répéter les arguments de la Commission au prestataire si ce dernier se joignait à l’audience avant que nous ayons terminé. Le prestataire ne s’est pas présenté avant la fin de l’audience à 10 h 40.

[10] Le Tribunal avait envoyé la décision de la division générale au prestataire à l’adresse courriel qu’il lui avait fournie. Le prestataire a déposé sa demande à la division d’appel le 28 novembre 2023. Dans cette demande, il a confirmé avoir reçu la décision de la division générale le 31 octobre 2023.

[11] La division d’appel a tenté d’appeler le prestataire le 22 janvier 2024, mais son numéro n’était pas en service. Elle a ensuite tenté de le joindre à l’adresse courriel à laquelle il avait reçu la décision de la division générale, qui était également l’adresse courriel qu’il avait fournie dans sa demande à la division d’appel. La division d’appel a envoyé un courriel au prestataire le 1er décembre 2023, le 15 février 2024 et le 1er mars 2024. Elle a finalement envoyé l’avis d’audience par courriel le 8 avril 2024.

[12] De plus, le Tribunal lui a écrit à l’adresse municipale qu’il a fournie dans sa demande. Il a envoyé une lettre par courrier ordinaire le 15 janvier 2024 et d’autres lettres par courrier ordinaire ainsi que par messager le 23 janvier 2024 et le 8 avril 2024. Le Tribunal lui a fait parvenir l’avis d’audience le 9 avril 2024, également par courrier ordinaire et par messager. Tout ce que le Tribunal a envoyé par messager au prestataire lui a été retourné comme étant non livrable.

[13] Le Tribunal a tenté une dernière fois d’informer le prestataire de l’audience à venir. Il l’a appelé le 7 juin 2024, mais sans succès.

[14] Le prestataire n’a pas appelé le Tribunal ni n’a correspondu avec lui entre le moment où il a déposé sa demande et l’audience.

[15] Je ne suis pas convaincu que le prestataire ait été avisé que l’audience se déroulait à l’heure et à l’endroit indiqués dans l’avis d’audience.

[16] J’ai tout de même tenu l’audience en son absence. Le Tribunal avait tenté à de nombreuses reprises de joindre le prestataire en utilisant les coordonnées qu’il a fournies. Dans un tel cas, la règle 9(2) des Règles de procédure du Tribunal de la sécurité sociale me permet de poursuivre le processus sans autre avis.

Question en litige

[17] La question en litige dans le présent appel est la suivante :

La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en n’expliquant pas suffisamment dans ses motifs comment elle a soupesé la preuve ou comment elle en est arrivée à sa décision?

Analyse

Principes généraux

[18] La division d’appel ne peut tenir compte que des erreurs qui relèvent de l’un des moyens d’appel suivants :

  1. a) Le processus d’audience de la division générale n’était pas équitable d’une façon ou d’une autre.
  2. b) La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher. Ou encore, elle s’est prononcée sur une question qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancher (erreur de compétence).
  3. c) La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.
  4. d) La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[19] Le prestataire n’a décrit aucune de ses raisons pour faire appel de manière à ce qu’elles correspondent à une erreur relevant des moyens d’appel. Une grande partie des arguments qu’il a fait valoir dans sa demande n’ont aucun lien évident avec les questions dont était saisie la division générale ou avec les moyens d’appel.

[20] J’ai écrit au prestataire le 15 janvier 2024 pour lui demander une explication plus détaillée de la raison pour laquelle il faisait appel, mais il n’a pas répondu (comme il n’avait répondu à aucune autre correspondance du Tribunal).

[21] Toutefois, lorsqu’il a initialement expliqué son appel, le prestataire a allégué que la membre avait peut‑être fait preuve de partialité. Une partie de la conduite que l’employeur considérait comme étant une inconduite concernait la façon dont le prestataire parlait des immigrants, des personnes appartenant à la communauté LGBTQ et des Québécois et des enjeux liés à ces groupes de personnes. Le prestataire a laissé entendre que la membre avait un parti pris parce qu’elle n’était peut‑être pas citoyenne canadienne ou qu’elle appartenait peut‑être à la communauté LGBTQ.

[22] Si la membre avait un parti pris ou qu’elle pouvait raisonnablement être perçue comme ayant un parti pris, il s’agirait d’une erreur d’équité procédurale.

[23] Le prestataire a aussi affirmé dans ses observations qu’il avait le droit de s’exprimer en conformité avec ses convictions et a laissé entendre qu’il n’y avait rien de fondamentalement faux dans ce qu’il pourrait avoir dit au sujet des immigrants, des personnes appartenant à la communauté LGBTQ ou des Québécois.

[24] Cela pouvait être considéré comme un argument selon lequel il n’avait aucune obligation envers l’employeur de garder pour lui ses opinions sur ces questions. Il soutient peut‑être que la division générale a commis une erreur quelconque lorsqu’elle a conclu que sa conduite entravait l’exécution de son obligation envers son employeur.

Erreur en matière d’équité procédurale

[25] La division générale n’a pas agi de manière à susciter une crainte raisonnable de partialité.

[26] Une allégation de partialité est grave. Elle doit normalement être présentée le plus tôt possibleNote de bas de page 2 et il doit y avoir des preuves sur lesquelles elle est fondée. Le critère, en ce qui concerne la partialité, consiste à déterminer à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratiqueNote de bas de page 3.

[27] Dans la présente affaire, l’allégation du prestataire est purement conjecturale. Il n’a présenté aucune preuve que la membre n’était pas une citoyenne canadienne ou qu’elle était membre de la communauté LGBTQ. Même si le prestataire avait raison au sujet de l’une ou l’autre de ces prétentions, cela n’empêcherait pas automatiquement la membre d’entendre l’appel. Le prestataire n’a rien précisé qu’elle ait dit ou fait qui amènerait une personne raisonnable à croire que son appartenance à un tel groupe ou son affinité avec celui-ci pourrait nuire à sa capacité de rendre une décision impartiale sur l’appel du prestataire.

Erreur de droit

[28] Lorsque j’ai accordé la permission de faire appel, j’ai dit que l’on pouvait soutenir que la division générale avait commis une erreur de droit en omettant de tirer les conclusions de fait requises ou de fournir des motifs suffisants.

[29] La Commission a concédé que la division générale avait commis une erreur de droit. Elle a signalé que, dans sa décision, la division générale n’a pas qualifié la conduite alléguée d’inconduite, si ce n’est pour dire que le prestataire avait fait des commentaires inappropriés et désobligeants qui étaient contraires à une politique. Elle n’a pas dit non plus pourquoi elle préférait la version des événements de l’employeur à celle du prestataire.

[30] J’accepte la concession de la Commission et je conviens que la division générale a commis une erreur de droit en n’expliquant pas adéquatement sa décision.

[31] La division générale a résumé la conduite du prestataire en des termes généraux seulement et elle n’a pas expliqué quelle partie de cette conduite contrevenait à une obligation envers l’employeur ni comment elle a conclu qu’elle y contrevenait. Elle a dit que la conduite était [traduction] « contraire à la politique de l’employeur » sans préciser quelle était cette politique. Elle a préféré la preuve de l’employeur à celle du prestataire sans expliquer pourquoi.

[32] Le manque de détails dans l’analyse de la division générale recoupe l’argument présumé du prestataire selon lequel il n’a rien dit ou fait qui l’empêche de remplir son obligation envers son employeur.

Résumé

[33] J’ai conclu que les motifs de la division générale étaient à ce point insuffisants qu’ils constituent une erreur de droit.

[34] Cela signifie que je dois décider comment remédier à la décision de la division générale.

Réparation

[35] Je dois décider ce qui devrait être fait pour corriger les erreurs de la division générale. Je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre ou lui renvoyer l’affaire pour réexamenNote de bas de page 4.

[36] La Commission estime que j’ai la preuve dont j’ai besoin pour trancher la question de savoir si le prestataire a été congédié pour inconduite. Elle me recommande de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Je suis d’accord.

Le prestataire a-t-il été congédié pour la conduite que l’on allègue être une inconduite?

Le prestataire a-t-il été congédié ou a-t-il démissionné?

[37] Le relevé d’emploi mentionnait que le prestataire a « démissionné ».

[38] Toutefois, le prestataire a mentionné dans sa demande de prestations qu’il a été congédié et que son dernier jour de travail a été le 10 décembre 2022. En réponse à une question de la Commission, l’employeur a confirmé qu’il avait congédié le prestataire.

[39] Je conclus que le prestataire a été congédié.

Pourquoi le prestataire a-t-il été congédié?

[40] L’employeur a dit à la Commission qu’il avait congédié le prestataire au motif que ce dernier avait utilisé un langage discriminatoire et formulé des remarques désobligeantes envers des collègues. Il a affirmé avoir averti le prestataire au sujet de ce genre de comportement le 25 août, le 27 août, le 1er septembre, le 3 septembre, le 7 novembre et le 24 novembre 2002.

[41] L’employeur a affirmé que sa politique en milieu de travail interdit les comportements ou les commentaires inappropriés et que ce genre de comportement est un motif de licenciement. Il a dit qu’il avait offert au prestataire une formation sur ses politiques, que le prestataire avait lu celles‑ci et que lui‑même en avait remis un exemplaire à ce dernier après le premier incident.

[42] Les propos suivants ont été notés lors de la discussion initiale de l’employeur avec la Commission :

  • Le prestataire a dit [traduction] « des choses pas très bien » et a formulé [traduction] « des insultes homophobes » à l’endroit d’un camionneur.
  • Il y a eu des altercations verbales avec d’autres employés ou formulé des commentaires discriminatoires à leur endroit.
  • Le prestataire a affirmé que les immigrants avaient tous les emplois à temps plein.
  • Les gens du Québec ne devraient pas être autorisés à travailler en Ontario.
  • Il y a un complot, et la mafia est contre lui.
  • Sa représentante syndicale est originaire du Venezuela, donc elle ne sait pas ce qu’elle faitNote de bas de page 5.

[43] L’employeur a également noté que le prestataire avait de la difficulté à garder son sang‑froid.

[44] L’employeur a fourni des copies de deux de ses avertissements. Le premier avertissement est daté du 3 septembre 2022. L’employeur a réprimandé le prestataire pour avoir eu une [traduction] « conversation inappropriée » avec un collègue et pour avoir [traduction] « accosté » un nouveau collègue. Il a parlé du fait qu’il ne tolérait aucun abus ni aucune insulte. La représentante syndicale du prestataire et d’autres personnes ont été témoins de cet avertissementNote de bas de page 6.

[45] L’avertissement faisait suite à deux incidents distincts. Le premier incident s’est produit le 27 août 2022. Le prestataire aurait crié après un camionneur noir (dans son rôle de préposé à l’expédition et à la réception) et lui aurait demandé s’il était Eddie Murphy (un acteur et humoriste noir bien connu). Peu après l’incident, S. S. P., une gérante adjointe du magasin, a parlé au prestataire de l’obligation de traiter tout le monde avec respect parce qu’il avait crié avec agressivité après le camionneurNote de bas de page 7.

[46] En ce qui concerne le deuxième incident lié à l’avertissement du 3 septembre, L., qui en a été témoin, a affirmé que le prestataire avait agi de façon peu serviable et grossière envers un nouvel employé, qui appartenait à la communauté LGBTQ, et qu’il avait dit de lui qu’il était [traduction] « étrange » et [traduction] « bizarre ». Le nouvel employé, bouleversé, a démissionné peu de temps après cet incidentNote de bas de page 8.

[47] Plus tard, l’employeur a obtenu une autre déclaration de L. à ce sujet. L. a dit qu’elle a été témoin de la grossièreté et du manque de serviabilité du prestataire envers la nouvelle recrue. Elle a aussi dit qu’il lui avait dit qu’elle ne devrait pas avoir son emploi parce qu’elle était Québécoise et à moitié autochtoneNote de bas de page 9.

[48] Dans une déclaration datée du 7 novembre, R. R., gérante en service, a qualifié l’interaction du prestataire avec un camionneur d’inappropriée et d’agressive et a noté que le chauffeur ne répondait pas de la même façon. R. R. a affirmé que le camionneur semblait se sentir menacé et avait mentionné avoir appelé la policeNote de bas de page 10. R. R. était au téléphone avec A. D. pendant que cela se passait, et A. D. pouvait entendre le prestataire crier au téléphoneNote de bas de page 11.

[49] Le deuxième avertissement, daté du 2 décembre 2022, a fait suite à une altercation survenue le 21 novembre entre le prestataire et un camionneurNote de bas de page 12. L’avertissement prévoyait une suspension de cinq jours, que l’employeur a appliquée rétroactivement parce qu’il avait suspendu le prestataire le 24 novembre 2024 en attendant l’issue d’une enquête sur ce qui s’est passé « le lundi soir » (21 novembre). Le prestataire avait déjà manqué cinq quarts de travailNote de bas de page 13.

[50] L’avertissement ou la suspension mentionnait que l’employeur avait parlé au prestataire au sujet du respect en milieu de travail, de l’utilisation d’un langage désobligeant envers les camionneurs et des crises de colère dans l’arrière‑magasinNote de bas de page 14. Le document informait le prestataire que toute infraction future pourrait entraîner son congédiement.

[51] R. G., la gérante en service le 21 novembre, a également observé le prestataire crier et pointer un camionneur du doigtNote de bas de page 15. C., qui a assisté à la scène, a confirmé que le prestataire a qualifié le camionneur de [traduction] « pédé » et qu’il a proféré d’autres insultesNote de bas de page 16. Il y a une autre déclaration du camionneur G., qui a été impliqué dans l’incident du 21 novembre dans l’aire de réception. G. n’a pas identifié le préposé à la réception par son nom, mais il a noté que ce dernier lui avait crié après parce qu’il l’avait touché, et a dit que le préposé à la réception l’avait traité de « noms gravesNote de bas de page 17 ». R. R. a également fourni une déclaration de témoin qui semble liée à l’incident du 21 novembre. Elle a parlé de la façon dont le prestataire était bouleversé et désorienté. Elle s’est rappelé qu’il voulait appeler la police parce que le camionneur l’avait agressé en lui touchant le brasNote de bas de page 18.

[52] A. D. et J. G. (superviseure syndicale) ont rencontré le prestataire le 29 novembre pour discuter de l’incident du 21 novembre. L’employeur rapporte que le prestataire a agi de façon agressive lors de la rencontre, mais qu’il a insisté pour dire qu’il n’avait rien fait de mal. Interrogé sur la question de savoir s’il avait traité le camionneur de [traduction] « pédé », le prestataire ne l’a pas nié. Il a plutôt dit vouloir [traduction] « plaider le cinquièmeNote de bas de page 19 ».

[53] Là où la suspension du 2 décembre fait référence à des [traduction] « poussées de colère dans l’arrière‑magasin », cela semble faire référence à un incident survenu le 21 septembre. L., qui y a assisté, a fait une déclaration le 8 décembre, dans laquelle elle décrit la réaction du prestataire après qu’elle l’a touché à l’épaule dans la salle à manger. Le prestataire lui aurait crié après pendant dix minutes jusqu’à ce qu’elle quitte la pièce. À son avis, son comportement était offensant; elle a dit s’être sentie effrayéeNote de bas de page 20. C., qui a aussi été témoin de la scène, a fourni une déclaration sous forme de transcription des propos que le prestataire, L. et C. ont échangés dans la salle à mangerNote de bas de page 21.

[54] Peu avant le congédiement du prestataire (le 2 décembre), K. a pris en note le fait qu’elle avait parlé au prestataire de son horaire et lui avait dit qu’on lui avait demandé de s’assurer qu’il ne [traduction] « soit plus à la réception » (expéditions)Note de bas de page 22.

[55] L’employeur a demandé au prestataire de se présenter à son bureau le 5 décembre. Il lui a dit de rentrer chez lui pour la journée et d’attendre qu’une rencontre ait lieu avec lui et la représentante syndicale lors de son prochain quart de travail prévu à l’horaire. Le prestataire a demandé pourquoi il était libéré. L’employeur lui a dit qu’il mettait les gens mal à l’aise et qu’il parlait de choses inappropriées, y compris en ce qui concerne l’orientation sexuelle de collègues.

[56] Au cours de la conversation, le prestataire aurait maintenu le même comportement. Il a dit que la gérante et la représentante syndicale étaient lesbiennes et avaient des relations sexuelles entre elles, qu’il n’aimait pas la gérante adjointe du magasin parce qu’elle est Française et qu’il appellerait l’immigration parce qu’il croyait que les préposés qui assuraient l’entretien ménager au magasin (embauchés par une tierce partie) étaient tous des immigrants illégaux.

[57] Après la réunion du 5 décembre, L. a envoyé un courriel à A. D. pour dire qu’elle craignait de travailler avec le prestataire. Elle était présente à la réunion du 5 décembre et a confirmé bon nombre des détails rapportés par l’employeurNote de bas de page 23. Elle a de nouveau envoyé un courriel à A. D. le 8 décembre pour dire qu’elle et ses collègues sont stressés et inquiets pour leur sécurité personnelle à cause du prestataireNote de bas de page 24.

[58] J’admets que l’employeur a considéré que les crises de colère répétées, l’intolérance et les remarques inappropriées du prestataire (dont certaines ont été décrites plus tôt dans la présente décision) étaient inacceptables en milieu de travail.

[59] Peu importe si les incidents se sont produits exactement de la manière dont ils ont été racontés par l’employeur, ses employés et le camionneur effectuant des livraisons dans l’aire de réception de l’employeur, ils témoignent à la fois de la préoccupation de l’employeur quant au type de conduite décrite dans ces notes et déclarations et de sa réponse à cette conduite.

[60] Je conclus également que le prestataire a été congédié pour ce que l’employeur considérait comme étant des crises de colère et des remarques intolérantes et inappropriées, en raison desquelles d’autres employés se sont sentis anxieux et craintifs. C’est aussi le comportement qui est allégué comme étant une inconduite.

[61] L’employeur a eu des rencontres avec le prestataire, au cours desquelles d’autres personnes étaient présentes, pour discuter du caractère inacceptable de ces comportements. Ses avertissements et sa suspension visaient tous deux ces comportements. L’employeur a souligné certains de ces comportements lors de sa rencontre du 5 décembre avec le prestataire, juste avant son congédiement.

La conduite satisfait-elle au critère juridique pour être considérée comme étant une inconduite?

[62] Pour établir l’inconduite, la Commission devait prouver tous les éléments suivants :

  1. La conduite du prestataire était délibérée, c’est‑à‑dire voulue ou intentionnelle, ou elle était si téméraire qu’elle frôle le caractère délibéré. 
  2. Le prestataire savait ou aurait dû savoir :
    • que sa conduite était de nature à nuire à l’exécution d’une obligation qu’il devait à son employeur;
    • que son congédiement était une réelle possibilité à la suite du manquementNote de bas de page 25.

Caractère délibéré

[63] La conduite du prestataire était délibérée.

[64] Selon les déclarations des témoins que j’ai mentionnées, il est probable que certains des débordements et remarques du prestataire aient offensé, blessé, intimidé ou humilié ses collègues et des camionneurs tiers. Toutefois, même si ces autres personnes n’avaient pas été touchées de cette façon, la conduite était telle qu’une personne raisonnable pouvait s’attendre à ce qu’elle ait des répercussions négatives sur les personnes visées par celle‑ci ou même sur des témoins.

[65] Il est possible que le prestataire ait voulu que ses remarques et la façon dont il les a prononcées blessent ou offensent d’autres personnes. Si ce n’était pas son intention, il était inconscient de l’effet qu’il avait, et donc il ne s’en souciait pas. Il aurait pu modérer ou censurer ses propos, mais il a choisi de ne pas le faire.

Obligation de l’employeur

[66] Le prestataire savait également ou aurait dû savoir que sa conduite entravait l’exécution de son obligation envers son employeur.

[67] Il est dans l’intérêt de l’employeur de pouvoir maintenir en poste les employés qu’il recrute et de faire en sorte que ces employés travaillent de façon productive. De plus, le comportement du prestataire envers les camionneurs aurait pu nuire à la réputation de l’employeur. On a dit que les commentaires du prestataire avaient engendré de l’anxiété et de la discorde en milieu de travail, dans lequel il serait vraisemblablement plus difficile pour les employés de se concentrer et d’être productifs.

[68] L’employeur n’a pas remis à la Commission un exemplaire du document de politique dans lequel, a‑t‑il fait valoir, était interdit le comportement tel que celui adopté par le prestataire. Toutefois, quelle que soit la politique, les remarques du prestataire pourraient raisonnablement être interprétées comme étant des commérages ou des calomnies racistes, homophobes, xénophobes et scandaleux. Une telle conduite nuit intrinsèquement aux relations avec les collègues et les clients et aux intérêts de l’employeur.

[69] Le prestataire peut avoir les opinions, les convictions ou les valeurs qu’il souhaite, mais il n’a pas le droit absolu d’exprimer ces convictions comme il le souhaite au travail. Il n’a pas non plus le droit d’agresser verbalement autrui parce qu’il n’aime pas qu’on le touche. Le prestataire avait l’obligation de tenir compte des effets de sa conduite sur ses collègues, l’environnement de travail et les activités de son employeur.

Il savait ou aurait dû savoir qu’il pouvait être congédié

[70] Même si le prestataire ignorait à l’origine que ses commentaires ou ses crises étaient inappropriés en milieu de travail, l’employeur a clairement exprimé ses attentes. Le prestataire a été averti et suspendu, mais il a persisté, faisant peu d’efforts apparents pour modifier son comportement.

[71] Lorsque l’employeur a confirmé la suspension du prestataire, il a également averti ce dernier qu’une autre violation pourrait entraîner son congédiement. Le prestataire soupçonnait que l’employeur allait le congédier au cours de leur rencontre du 5 décembre, mais l’employeur n’a pas dit qu’il avait décidé de le congédier à ce moment‑là. Pourtant, lors de la même rencontre, le prestataire a accusé sa gérante et sa représentante syndicale d’être lesbiennes et d’avoir des relations sexuelles.

[72] Le prestataire savait ou aurait dû savoir que son congédiement était une possibilité réelle en raison de sa conduite.

Comment j’ai soupesé la preuve

[73] Le prestataire ne conteste pas chacun des faits tels que je les ai établis, mais il se souvient de nombreux événements différemment et adopte une opinion de leur importance en grande partie différente de la version des événements décrite dans les déclarations de l’employeur et des témoins.

[74] Voici certains des éléments de preuve du prestataire :

  1. a) Le prestataire affirme que lui et le camionneur se sont crié après le 27 août parce que le camionneur n’arrêtait pas de parler. Il a cru que le camionneur tentait de lui faire laisser tomber une lourde boîte. Il a signalé que les camionneurs sont le genre de gens qui jurent. Il n’a ni confirmé ni nié avoir appelé le camionneur Eddie Murphy.
  2. b) Il nie tout incident survenu le 1er septembre 2022 impliquant la nouvelle recrue. Il dit qu’il n’a pas qualifié le nouvel employé de [traduction] « petit être étrange et bizarre ». Il affirme qu’il n’a aucun problème avec les personnes appartenant à la communauté LGBTQ et qu’il n’a aucune idée de la raison pour laquelle le nouvel employé a démissionné.
  3. c) Le prestataire ne nie pas qu’il s’est [traduction] « emporté » le 21 septembre parce que L. l’a touché dans la salle à manger. Il affirme toutefois qu’elle l’avait déjà touché une fois et qu’il n’aime pas qu’on le touche.
  4. d) En ce qui concerne l’incident du 7 novembre, le prestataire affirme que le camionneur criait parce qu’il refusait de signer un formulaire. Il admet qu’il est possible qu’il ait crié lui aussi, mais il dit qu’il s’agissait d’une zone de travail industriel et, donc, qu’il devait crier. Il ne croit toutefois pas que la gérante l’aurait entendu de son bureau.
  5. e) Le prestataire soutient qu’il est resté calme le 21 novembre et qu’il n’était pas furieux. Il nie avoir traité le camionneur de [traduction] « pédé » à plusieurs reprises. Il croit toutefois que le camionneur prenait sa photo et que c’était pour [traduction] « accumuler des renseignements personnels pour se venger » de lui. Selon lui, il s’agit d’une « violation » et c’est « ridicule ». Il estime que la direction tentait de protéger le camionneur et qu’on menait une campagne d’intimidation coordonnée contre lui.
  6. f) Il a également dit que le camionneur ne s’était pas contenté de le toucher et qu’il lui avait aussi donné un coup de poing. Il a dit que le camionneur était hors de contrôleNote de bas de page 26.

[75] Après avoir examiné à la fois la preuve de l’employeur et la preuve du prestataire, j’ai accordé plus de poids à celle de l’employeur. Dans les cas où la preuve de l’employeur diffère de celle du prestataire, je l’ai préférée en grande partie à celle du prestataire. Je vais vous dire pourquoi.

[76] J’estime que la preuve de l’employeur est plus fiable parce qu’elle a été documentée en détail et qu’une grande partie de cette documentation a été remplie le 10 décembre, à peu près au moment où les événements se sont produits. De plus, les suspensions et les comptes rendus des rencontres portant sur la conduite du prestataire semblent cohérents intrinsèquement et au fil du temps, ce qui confirme à la fois leur fiabilité et leur crédibilité. Plusieurs témoins étaient présents lorsque bon nombre des incidents signalés se sont produits, et leurs déclarations corroborent en grande partie les incidents de crises de colère et de remarques inappropriées. Il y avait également plus d’un témoin lorsque se sont tenues la totalité ou la plupart des rencontres au cours desquelles l’employeur (ou un représentant de l’employeur) a confronté le prestataire à sa conduite. Cela permet de conclure avec une certaine confiance que les notes rendent compte avec exactitude des propos tenus à l’intention du prestataire et des réponses de ce dernier.

[77] D’autre part, le prestataire n’a produit aucune note prise au moment de ces événements ni fait comparaître aucun témoin pouvant étayer ses explications. Plusieurs de ses dénégations sont invraisemblables ou non crédibles. Je vais donner quelques exemples.

[78] Le prestataire affirme que R. R., la gérante en service, n’aurait pas pu l’entendre crier de son bureau le 7 novembre. Or, R. R. était au téléphone avec A. D. à ce moment‑là, et A. D. corrobore le témoignage de R. R. A. D. se rappelle qu’elle pouvait entendre le prestataire crier en arrière. Cela montre que le prestataire n’avait pas remarqué qu’il était possible pour quelqu’un au bureau d’entendre ce qui se passait dans l’aire de réception, qu’il ne se rappelait pas à quel point il avait été bruyant ou qu’il minimisait intentionnellement la mesure dans laquelle sa conversation avec le camionneur était devenue houleuse.

[79] Le prestataire a implicitement nié avoir traité quiconque de [traduction] « pédé » ou proféré des insultes homophobes. Toutefois, lorsqu’on l’a interrogé à ce sujet lors d’une rencontre avec l’employeur, et les notes indiquent [sic] qu’il voulait [traduction] « plaider le cinquième » plutôt que de répondre à la questionNote de bas de page 27. Ce n’est pas le genre de réponse qu’on attendrait d’une personne qui n’avait jamais dit une telle chose.

[80] Le prestataire proteste en disant qu’il voulait seulement laisser entendre que sa gérante (D. A.) et sa superviseure syndicale (J. G.) [traduction] « marchaient main dans la main » en ce sens qu’elles coordonnaient leurs proposNote de bas de page 28. Les notes de la rencontre semblent toutefois écarter cette interprétation. Il aurait dit qu’A. D. et J. G. étaient lesbiennes et avaient des relations sexuellesNote de bas de page 29. Il a également dit à M. C. après la rencontre qu’A. D. et J. G. avaient des relations sexuelles. Lorsque M. C. lui a dit que c’était fou, il n’a pas expliqué comment il s’agissait d’une métaphore, mais il a plutôt répété l’allégationNote de bas de page 30. Le même jour, il a répété sa prétention à L. et à J. R., à peu près dans les mêmes motsNote de bas de page 31.

[81] Le prestataire a perdu son sang‑froid lorsqu’il a été touché par L. dans la salle à manger, et il a reconnu que cela peut se produire lorsque quelqu’un le touche. Il soutient toutefois être resté calme le 24 novembre lorsque, selon son récit, un camionneur lui aurait asséné un coup de poing à la têteNote de bas de page 32.

[82] Le prestataire a dit qu’un chauffeur de camion l’avait délibérément distrait pour qu’il laisse tomber une lourde boîte, qu’un autre voulait accumuler des renseignements sur lui et qu’un autre chauffeur lui avait donné un coup de poing à la tête. Selon lui, sa direction complotait pour l’intimider ou lui faire perdre le contrôle. Il n’a toutefois pas expliqué pourquoi l’une ou l’autre de ces personnes ferait de telles choses. Sans une explication (autre qu’un pur caprice) de la raison pour laquelle toutes ces personnes le ciblaient, son récit des événements semble teinté par les efforts déployés pour rejeter le blâme sur les autres pour les divers incidents.

Résumé

[83] J’ai conclu que l’employeur a congédié le prestataire pour ses crises de colère et ses commentaires inappropriés.

[84] J’ai également conclu que ces débordements et ces commentaires constituent une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance‑emploi. Le prestataire devait obéir à son employeur. Il devait notamment garder son sang‑froid et s’abstenir de faire des commentaires racistes, xénophobes, homophobes ou par ailleurs inappropriés à d’autres employés, clients ou fournisseurs tiers de biens ou de services à l’employeur. Le prestataire a volontairement fait fi de cette obligation et il savait ou aurait dû savoir que l’employeur pouvait le congédier en conséquence.

Conclusion

[85] Je rejette l’appel. La division générale a commis une erreur de droit, mais je dois arriver au même résultat même après avoir corrigé cette erreur.

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