Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JS c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2024 TSS 726

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : J. S.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentant : Adam Forsyth

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 23 janvier 2024
(GE-23-3342)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 30 mai 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentant de l’intimée
Date de la décision : Le 24 juin 2024
Numéro de dossier : AD-24-156

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. La division générale a commis une erreur de fait, mais cette erreur ne change rien au résultat.

Aperçu

[2] Il s’agit d’un appel de la décision de la division générale du 23 janvier 2024.

[3] La division générale a conclu que l’appelant, J. S. (prestataire) n’a pas produit à temps des déclarations bimensuelles pour sa demande d’assurance-emploi. Il a demandé que ses déclarations soient antidatées, comme s’il les avait présentées à temps. Mais la division générale a conclu que le prestataire n’avait pas de motif valable justifiant son retard à présenter ses déclarations et que, pour cette raison, elle ne pouvait antidater ses demandes. Cela signifie que le prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi du 17 juillet 2022 au 31 mai 2023Note de bas de page 1.

[4] Bien que le prestataire souhaite obtenir des prestations de maladie, il affirme en même temps qu’il avait en fait un motif valable justifiant son retard à présenter ses déclarations pour prestations régulières. Le prestataire affirme qu’il a subi une grave blessure à la tête qui l’a empêché de donner suite à sa demande. Il affirme qu’il avait d’importants troubles de mémoire et qu’il était en grande partie incapable de fonctionner. Il soutient que la division générale n’a pas tenu compte de cet élément de preuve.

[5] Le prestataire soutient que la division générale a commis une importante erreur de fait lorsqu’elle a dit qu’il avait la capacité de donner suite à sa demande d’assurance-emploi parce qu’il n’était pas encore retourné aux études.

[6] La division générale a conclu que, puisque le prestataire n’était pas aux études, il n’avait pas à s’occuper d’autres affaires et qu’il pouvait concentrer son attention sur sa demande d’assurance-emploi. Il affirme que la division générale n’a pas compris à quel point sa blessure à la tête a nui à ses capacités cognitives et sa mémoire, particulièrement au cours de la période précédant le 2 septembre 2022.

[7] Le prestataire demande à la division d’appel de rendre la décision que, selon lui, la division générale aurait dû rendre. Il affirme que la division d’appel devrait conclure qu’il avait un motif valable justifiant le retard en raison de ses problèmes cognitifs. Il soutient que la division d’appel devrait conclure qu’il n’était pas inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

[8] La partie intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, concède que la division générale a commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu que le prestataire avait la capacité de donner suite à sa demande d’assurance-emploi pendant qu’il n’était pas aux études au cours de l’été 2022.

[9] Toutefois, selon la Commission, la preuve démontre que le prestataire n’avait pas de motif valable. La Commission affirme que la preuve médicale n’était pas suffisante pour démontrer que le prestataire est demeuré incapable de donner suite à sa demande après son retour aux études. La Commission souligne le témoignage du prestataire selon lequel son état s’est amélioré. La Commission remarque également qu’il peut y avoir des questions de disponibilité, bien qu’elle dise que cette question dépasse la portée du présent appel. La Commission demande à la division d’appel de rejeter l’appel.

Questions préliminaires – demande du prestataire de convertir sa demande de prestations régulières en demande de prestations de maladie

[10] Le prestataire affirme qu’il demande en fait des prestations de maladie. Au printemps 2022, il a subi une importante blessure à la tête qui l’a rendu incapable de travailler. Au début, il a présenté une demande de prestations régulières parce qu’il n’avait pas l’énergie nécessaire pour prendre un rendez-vous médical et obtenir une note médicaleNote de bas de page 2.

[11] Par la suite, le prestataire a demandé à la Commission de convertir sa demande de prestations régulières en demande de prestations de maladie. La Commission avait besoin d’une note médicale, mais le prestataire n’a pas réussi à en obtenir un avant que la Commission décide qu’il n’avait pas droit à des prestations régulières. La Commission n’a pas converti sa demande ni examiné la question de savoir si le prestataire aurait pu être admissible à des prestations de maladie.

[12] Le présent appel porte uniquement sur la demande de prestations régulières. Dans le contexte du présent appel, la division d’appel n’a pas le pouvoir d’examiner le droit du prestataire à des prestations de maladie.

Questions en litige

[13] Les questions en litige dans le présent appel sont les suivantes :

  1. a) La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée?
  2. b) Dans l’affirmative, comment l’erreur devrait-elle être corrigée?

Analyse

[14] La division d’appel peut intervenir dans les décisions de la division générale si cette dernière a commis des erreurs de compétence, de procédure ou de droit ou certains types d’erreurs de faitNote de bas de page 3.

[15] En ce qui concerne ces types d’erreurs de fait, la division générale devait avoir fondé sa décision sur ce type d’erreur, et devait avoir commis l’erreur de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissanceNote de bas de page 4.

La division générale a commis une erreur de fait sur la question de la capacité du prestataire

[16] La division générale a commis une erreur de fait lorsqu’elle a affirmé que le prestataire avait la capacité de s’occuper de sa demande d’assurance-emploi au cours de l’été 2022Note de bas de page 5. La preuve n’étayait tout simplement pas les conclusions de la division générale selon lesquelles le prestataire avait la capacité avant septembre 2022 de donner suite à sa demande d’assurance-emploi.

[17] La division générale s’est concentrée sur la période allant du 19 juillet 2022 au 2 septembre 2022.

[18] La division générale a convenu que le prestataire avait de graves déficiences causées par une commotion cérébrale. La division générale a également admis que les déficiences du prestataire avaient eu une grande incidence sur sa capacité de poursuivre ses études à compter de septembre 2022.

[19] Toutefois, la division générale a conclu que le prestataire avait la capacité de s’occuper des prestations d’assurance-emploi entre le 19 juillet 2022 et le 2 septembre 2022. La division générale a conclu que le prestataire en avait la capacité parce qu’il n’allait pas à l’école ni ne travaillait pendant cette période.

[20] La division générale a rejeté l’idée selon laquelle une personne raisonnable ou une personne raisonnable dans la situation du prestataire aurait oublié les prestations d’assurance-emploi à partir du moment où elle a présenté une demande de prestations le 19 juillet 2022 jusqu’à son retour aux études en septembre 2022.

[21] Toutefois, la preuve dépeint la capacité du prestataire sous un autre angle.

[22] Au début, le prestataire avait de gros maux de tête. Une semaine après sa blessure au printemps 2022, il a consulté un directeur sportif qui l’a référé soit à un médecin, soit à un chiropraticien, bien qu’il ne se souvienne pas de tous les détailsNote de bas de page 6. Il s’est retiré de tous ses cours à l’époque, à part ceux qu’il était assuré de réussir.

[23] Le prestataire a témoigné qu’au cours des trois premiers mois suivant sa blessure à la tête il ne se souvenait pas du nom de ses amis. Il a également affirmé qu’il avait mis 20 minutes à rédiger un paragraphe pour son fil de médias sociaux afin d’expliquer pourquoi il ne répondait pas à ses amis. Il a trouvé cet exercice épuisant. Il a affirmé qu’il n’avait [traduction] « absolument rien fait pendant trois ou quatre jours après » avoir rédigé un paragraphe parce que son [traduction] « cerveau était en compote, et il avait mal à la tête. [Son] fonctionnement était très limité à ce moment-làNote de bas de page 7 ».

[24] Le prestataire a également témoigné que, pendant les premiers mois suivant la blessure initiale, il pouvait à peine fonctionner. Il a déclaré que sa santé mentale et sa santé physique étaient [traduction] « assez mauvaisesNote de bas de page 8 ». Il comptait sur sa mère. Il n’a pas pu s’occuper de sa propre inscription à l’école. Elle l’a aidé à s’inscrire à l’écoleNote de bas de page 9. Elle l’a aussi aidé à remplir sa demande d’assurance-emploi.

[25] Les symptômes du prestataire ont commencé à s’améliorer au cours de l’été. Le prestataire a témoigné que, même s’il y avait une amélioration, il avait toujours des problèmes cognitifs après son retour aux études en septembre 2022. Il a témoigné qu’il était incapable d’apprendre ou de retenir quoi que ce soit de nouveau. Il était en mesure d’effectuer des travaux, de faire des examens et de réussir ses études uniquement en raison de ses antécédents et de sa connaissance du matériel scolaire. Il a témoigné qu’il était en grande partie incapable de fonctionner. Il a affirmé qu’il était capable de se concentrer pendant environ une heure par jour [traduction] « peut-être » et d’assister en bonne partie à un cours magistral, mais qu’il était épuisé mentalement pendant la majeure partie de la journéeNote de bas de page 10.

[26] Il ressort clairement du témoignage du prestataire à l’audience devant la division générale que son fonctionnement était très limité tout au long de l’été 2022. Il a affirmé que les symptômes de sa blessure à la tête étaient pires au printemps et à l’été 2022 qu’en septembre 2022. Le fait qu’il n’était pas aux études ou ne travaillait pas pendant l’été 2022 ne signifiait pas qu’il avait la capacité de donner suite à sa demande. La division générale a tiré une conclusion abusive et arbitraire lorsqu’elle en a conclu le contraire.

Réparation

[27] Après avoir constaté une erreur, la division d’appel peut soit renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle rende une nouvelle décision, soit rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Dans ce dernier cas, cela pourrait signifier que le résultat demeure le même. En général, la division d’appel rend la décision que la division générale aurait dû rendre s’il existe un fondement probatoire suffisant, même si les parties contestent la preuve.

[28] Je rendrai la décision que la division générale aurait dû rendre. La preuve n’est pas contestée. Bien que le portrait médical soit incomplet en ce sens qu’il y a peu de dossiers médicaux au dossier, rien n’indique que le prestataire serait en mesure d’obtenir davantage d’éléments de preuve de nature médicale. Il n’a pas tenté d’obtenir de traitement médical à l’époque. Je me fonderai sur la preuve dont la division générale était saisie.

La division générale a correctement établi les exigences pour l’antidatation des demandes

[29] La division générale a correctement énoncé le droit et ce que le prestataire devait démontrer pour que ses déclarations soient antidatées comme s’il les avait présentées à temps. Le prestataire devait démontrer qu’il avait un motif valable pendant toute la période du retard.

[30] La division générale a également remarqué que le prestataire devait démontrer qu’il a vérifié assez rapidement quels étaient ses droits aux prestations et les obligations que lui impose la loi. À défaut d’avoir pris ces mesures, il devait alors démontrer que des circonstances exceptionnelles expliquaient pourquoi il n’avait pas pris ces mesuresNote de bas de page 11.

[31] La division générale a également correctement établi la période du retard. Le prestataire a présenté une demande de prestations régulières le 9 juillet 2022. Le prestataire a communiqué avec la Commission le 31 mai 2023 au sujet de sa demande. Le prestataire a demandé à la Commission d’antidater ses demandes au 17 juillet 2022Note de bas de page 12. La période du retard s’étendait donc du 17 juillet 2022 au 31 mai 2023.

Le prestataire affirme que des circonstances exceptionnelles justifiaient son retard à présenter ses déclarations

[32] Le prestataire affirme que des circonstances exceptionnelles justifiaient son retard. Il avait une blessure à la tête. Il affirme qu’il continue de ressentir des symptômes résultant de la blessure.

[33] Le prestataire reconnaît volontiers que son état s’est amélioré au fil du temps et qu’il avait la capacité de s’occuper de sa demande à un moment donné pendant la période du retard. Il soutient toutefois que même si sa capacité s’est améliorée, ce n’était pas le cas pour sa mémoire. Il affirme qu’il n’avait aucun souvenir de la demande de prestations d’assurance-emploi qu’il a présentée. Donc, s’il ne se souvenait pas d’avoir présenté une demande, il soutient qu’il n’était pas déraisonnable qu’il ne se soit pas renseigné auprès de la Commission après septembre 2022. Il affirme avoir agi comme une personne raisonnable dans des circonstances semblables.

La Commission affirme que la capacité du prestataire s’est améliorée au point où il aurait pu présenter des déclarations

[34] La Commission affirme que les agissements du prestataire après son retour aux études démontrent qu’il avait la capacité de prendre des mesures pour comprendre son admissibilité aux prestations et les obligations que lui impose la loi.

[35] La Commission affirme également que, comme la mère du prestataire l’a aidé à remplir son formulaire de demande d’assurance-emploi en juillet 2022, il aurait été raisonnable qu’il lui demande de nouveau de l’aide concernant sa demande. La Commission affirme que le prestataire aurait dû demander son aide; sinon, il n’a pas agi raisonnablement.

La preuve médicale ne suffit pas à appuyer le prestataire

[36] Si, comme le prestataire le soutient, les effets de la blessure à la tête ont effacé tout souvenir du fait qu’il avait présenté une demande de prestations d’assurance-emploi et qu’il y avait une preuve médicale à l’appui, j’aurais peut-être été disposée à accepter que des circonstances exceptionnelles puissent expliquer en totalité ou en partie le retard du prestataire.

[37] Toutefois, la preuve ne démontre pas la gravité de la blessure à la tête du prestataire. Il y a une note médicale, mais elle ne dit pas grand-chose au sujet de la blessure à la tête du prestataire, de l’étendue de sa perte de mémoire ou de la question de savoir si des tests diagnostiques ou de mémoire avaient été effectués (ou s’il aurait été sécuritaire de le faire).

[38] Dans l’état actuel des choses, la note médicale indique simplement que le prestataire présentait des symptômes prolongés suivant une commotion cérébrale, notamment une mauvaise mémoire. La note indique également que le prestataire a fait de nombreuses tentatives de traitement et de thérapie, mais il n’y a pas de détails à l’appui.

[39] Cela ne veut pas dire que le prestataire n’avait pas une mauvaise mémoire à la suite de la blessure. Mais il y a une distinction entre le fait d’avoir oublié une chose, de se la faire rappeler et de s’en souvenir ensuite, et le fait d’oublier une chose pour de bon et de ne plus jamais s’en souvenir. Le témoignage du prestataire à l’audience devant la division générale n’est pas tout à fait clair, mais il laisse entendre qu’il avait un souvenir sous-jacent de sa demande d’assurance-emploi. La preuve indique qu’il s’est souvenu de la demande après une recherche d’emploi infructueuse et des rappels de sa mère.

[40] La preuve médicale ne suffit pas à démontrer que le prestataire se trouvait dans une situation exceptionnelle pendant toute la période du retard. Il n’a donc pas démontré qu’il avait un motif valable pendant toute la période du retard.

La blessure du prestataire aurait probablement eu une incidence sur sa disponibilité

[41] Même si la preuve médicale appuyait davantage la thèse de la perte de mémoire complète du prestataire au sujet de sa demande et démontrait raisonnablement que le prestataire avait un motif valable justifiant son retard, elle n’établirait pas l’admissibilité à des prestations régulières.

[42] Le prestataire aurait quand même à prouver qu’il était disponible pour travailler. Pourtant, la note médicale indique clairement que le prestataire [traduction] « a été inapte à travailler [en raison de sa blessureNote de bas de page 13] ». Cet élément de preuve laisse entendre que le prestataire aurait de la difficulté à démontrer qu’il était disponible pour travailler. Et, s’il n’était pas disponible pour travailler, il n’aurait pas droit à des prestations régulières.

[43] En clair, je ne me prononce pas sur la question de la disponibilité. Je ne suis pas dûment saisie de cette question.

La demande de prestations de maladie du prestataire

[44] Le prestataire veut donner suite à sa demande de prestations de maladie. Il veut également que sa demande soit antidatée à la date à laquelle il a été blessé au printemps 2022.

[45] La Commission a laissé entendre qu’une fois la présente décision rendue, le prestataire devrait immédiatement écrire à la Commission pour lui demander de convertir sa demande en demande de prestations de maladie, à partir du moment où il a été blessé.

[46] Grâce à la preuve médicale maintenant au dossier, la Commission peut décider de l’admissibilité du prestataire à des prestations de maladie. La Commission peut également décider si le prestataire avait un retard valable pour demander d’antidater la conversion de sa demande en demande de prestations de maladie.

[47] Le prestataire n’avait pas pu donner suite à sa demande de prestations de maladie parce qu’au moment où il a pu obtenir une note de son médecin la Commission avait déjà statué sur sa demande. Par la suite, la Commission a refusé d’examiner la demande de prestations de maladie, car le prestataire devait passer par le processus d’appel devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[48] Dès que le prestataire recevra la présente décision, il devrait immédiatement écrire à la Commission pour lui demander de convertir sa demande en une demande de prestations de maladie, en remontant au moment où sa blessure a eu lieu.

Conclusion

[49] L’appel est rejeté. La division générale a commis une erreur de fait, mais cette erreur ne change rien au résultat.

[50] Le prestataire n’a pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant son retard tout au long de la période de retard pour permettre l’antidatation de ses demandes. De plus, la raison qu’il invoque (blessure) nuirait probablement à sa demande de prestations régulières d’assurance-emploi parce qu’elle laisse croire qu’il n’était pas disponible pour travailler.

[51] Le prestataire devrait maintenant écrire immédiatement à la Commission au sujet de sa demande de prestations de maladie.

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