Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : CM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 860

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : C. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (624488) datée du 3 novembre 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Marc St-Jules
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 30 janvier 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Épouse de l’appelant
Date de la décision : Le 13 février 2024
Numéro de dossier : GE-23-3513

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal de la sécurité sociale n’est pas d’accord avec l’appelant.

[2] L’appelant n’a pas démontré qu’il était fondé à quitter son emploi (c’est-à-dire qu’il avait une raison acceptable selon la loi pour le faire) quand il l’a fait. L’appelant n’était pas fondé à quitter son emploi parce que le départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas.

[3] Par conséquent, l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

Aperçu

[4] L’appelant a quitté son emploi le 9 août 2023 et a demandé des prestations d’assurance-emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a examiné les raisons de l’appelant pour quitter son emploi. Elle a conclu que ce dernier a quitté volontairement son emploi (c’est-à-dire qu’il a choisi de quitter son emploi) sans justification prévue par la loi. Par conséquent, la Commission ne pouvait pas lui verser de prestations.

[5] La Commission affirme qu’au lieu de partir quand il l’a fait, l’appelant aurait pu communiquer avec le propriétaire pour discuter de la situation. La Commission ajoute que l’appelant aurait pu déposer une plainte concernant les problèmes liés à la sécurité au travail. Selon la Commission, l’appelant aurait pu conserver son emploi pendant qu’il en cherchait un autre.

[6] L’appelant n’est pas d’accord et affirme qu’il n’aurait pas dû faire l’objet des cris et des insultes dont il a été victime. Ce n’est pas à lui de s’occuper du collègue qui criait après lui.

[7] De plus, l’appelant soutient que l’endroit n’est pas sécuritaire pour travailler. L’employeur ne respecte pas les lois concernant l’entretien des véhicules. Il affirme que le mécanicien exerce son travail sans être qualifié. De plus, le personnel est surmené et doit parfois travailler 24 heures d’affilée. Cela rend le milieu de travail dangereux.

[8] Je dois décider si l’appelant a prouvé que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.

Question en litige

[9] L’appelant est-il exclu du bénéfice des prestations pour avoir quitté volontairement son emploi sans justification?

[10] Pour répondre à cette question, je dois d’abord aborder la question du départ volontaire de l’appelant. Je dois ensuite décider s’il était fondé à quitter son emploi.

Analyse

Les parties sont d’accord sur le fait que l’appelant a quitté volontairement son emploi

[11] J’accepte le fait que l’appelant a quitté volontairement son emploi. L’appelant reconnaît qu’il a quitté son emploi le 9 août 2023. Je n’ai aucune preuve du contraire, ni même d’un congédiement ou d’un manque de travail.

Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi

[12] Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi quand il l’a fait.

[13] La loi prévoit qu’une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 1. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que le départ était fondé.

[14] La loi explique ce que veut dire « être fondé à ». Elle dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ est la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstancesNote de bas de page 2.

[15] L’appelant est responsable de prouver que son départ était fondé. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnableNote de bas de page 3.

[16] Pour prendre une décision, je dois examiner toutes les circonstances présentes quand l’appelant a quitté son emploi. La loi énonce certaines de ces circonstancesNote de bas de page 4.

[17] Après que j’ai décidé des circonstances qui s’appliquent à l’appelant, celui-ci doit démontrer que son départ était la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 5.

Les circonstances présentes quand l’appelant a quitté son emploi

[18] L’appelant affirme que trois circonstances prévues par la loi s’appliquent. Voici ce qu’il avance :

  • il a été harcelé au travail;
  • l’employeur s’est livré à des pratiques contraires à la loi;
  • les conditions de travail constituaient un danger pour la santé et la sécurité.

[19] Je vais examiner les circonstances séparément. Je vais commencer par la circonstance liée au harcèlement.

[20] Les deux autres circonstances sont étroitement liées l’une à l’autre. Il s’agit des pratiques alléguées de l’employeur qui mènent aux conditions de travail, lesquelles constituent un danger pour la santé et la sécurité du personnel.

Harcèlement

[21] Comme le montre mon analyse ci-dessous, je suis d’accord pour dire que cette circonstance relève du harcèlement. Autrement dit, je suis d’accord avec l’appelant.

[22] Le harcèlement est l’une des circonstances prévues à l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 6. L’appelant affirme qu’on lui a crié après et qu’on lui a proféré des insultes. J’admets qu’on lui a crié après. L’employeur ne l’a pas contesté. Il a convenu que le superviseur avait crié après l’appelant.

[23] Pour prendre une décision sur le harcèlement, je vais d’abord définir ce que je considère être du harcèlement.

[24] Le harcèlement n’est pas défini dans la Loi sur l’assurance-emploi et n’a pas été interprété par les tribunaux. Par conséquent, je vais consulter la définition qui a été ajoutée au Code canadien du travailNote de bas de page 7. La définition est la suivante :

harcèlement et violence Tout acte, comportement ou propos, notamment de nature sexuelle, qui pourrait vraisemblablement offenser ou humilier un employé ou lui causer toute autre blessure ou maladie, physique ou psychologique, y compris tout acte, comportement ou propos réglementaire.

[25] La division d’appel du Tribunal a étendu le sens de cette définition en y incluant les principes clés suivantsNote de bas de page 8 :

  • les personnes qui harcèlent peuvent agir seules ou avec d’autres et n’occupent pas nécessairement des postes de supervision ou de gestion;
  • le harcèlement peut prendre de nombreuses formes, y compris des gestes, des comportements, des commentaires, de l’intimidation et des menaces;
  • dans certains cas, un seul incident suffit à constituer du harcèlement;
  • l’accent est mis sur les prétendues personnes qui harcèlent et sur le fait de savoir si elles savaient ou auraient raisonnablement dû savoir que leur comportement pouvait offenser, embarrasser ou humilier une autre personne ou lui causer une blessure psychologique ou physique.

[26] Même si je ne suis pas obligé de les suivre, je trouve que la définition du Code canadien du travail et que les autres principes clés de la division d’appel sont convaincants. La division d’appel a convenu que dans certains cas, un seul incident suffit à constituer du harcèlement. Je suis d’accord avec elle.

[27] En appliquant cette définition et les principes clés aux déclarations et à la preuve de l’appelant, je conclus que celui-ci a été harcelé au sens de l’article 29(c)(i) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[28] Enfin, je vais examiner le harcèlement lorsque je déciderai si l’appelant était fondé à quitter son emploi quand il l’a fait.

L’employeur s’est livré à des pratiques contraires à la loi

[29] Le principal argument de l’appelant à cet égard était que la personne chargée des travaux d’entretien n’était pas un mécanicien qualifié. Cela a entraîné des problèmes de sécurité au travail avec les camions.

[30] L’appelant a déclaré ce qui suit :

  • il y a eu un accident de camion non signalé en juin 2023, et la personne au volant a dû recevoir des soins médicaux;
  • le « mécanicien » n’était pas qualifié;
  • il y a eu un incident où des roues se sont détachées d’une remorque;
  • les feux de la remorque ne fonctionnaient pas correctement;
  • les pièces soudées aux châssis des remorques sont chose courante chez cet employeur;
  • les pneus de direction étaient usés et ont été remplacés par des pneus d’entraînement, ce qui n’est pas sécuritaire.

[31] La Commission a interrogé l’employeur au sujet de ces allégations. L’employeur a bel et bien confirmé l’accident et les roues qui se sont détachéesNote de bas de page 9. L’employeur a nié que l’accident n’ait pas été traité correctement. Toutes les procédures appropriées ont été suivies.

[32] Pour appuyer ces allégations, l’appelant a fourni un [traduction] « rapport d’inspection » du ministère du Travail, de l’Immigration, de la Formation et du Développement des compétences.

[33] Le rapport a soulevé des questions qui appuient les allégations de l’appelant. J’estime que le rapport en soi n’est pas aussi sérieux que ce que l’appelant prétend. Toutefois, cela ne veut pas dire que je ne crois pas l’appelant. Le rapport mentionne seulement l’inspection d’un camion. L’inspection a révélé [traduction] « une défectuosité mineure selon l’entretien prévu à l’annexe 1 ».

[34] Le rapport mentionne aussi que l’employeur doit fournir une photo du certificat du mécanicien, ainsi qu’une copie de la politique sur la violence et le harcèlement en milieu de travail, entre autres choses. Il n’est toutefois pas question d’un mécanicien non qualifié qui travaillait pour l’employeur.

[35] J’ai devant moi deux déclarations contradictoires.

[36] Encore une fois, je suis d’accord avec l’appelant. J’accorde plus de poids à ses déclarations. Je n’ai aucune raison de douter de l’appelant. Il a fourni ses déclarations sans hésitation sous affirmation solennelle. De plus, j’estime que le rapport appuie ses déclarations.

[37] Comme le précise le rapport, j’estime que l’employeur avait des lacunes quant à certains aspects de l’emploi. Par conséquent, je conclus qu’il s’agit d’une circonstance dont je dois tenir compte.

Les conditions de travail constituaient un danger pour la santé et la sécurité

[38] Selon moi, il s’agissait d’un milieu de travail dangereux.

[39] Pour en arriver à cette conclusion, je m’appuie sur les faits suivants :

  • le retournement d’un véhicule;
  • les roues se détachant d’une remorque;
  • le personnel travaillant de longues heures.

[40] Chaque emploi a des conditions et des milieux de travail différents. Parfois, ces conditions sont simplement intrinsèquement risquées ou dangereuses, comme le travail de pompière ou pompier. Toutefois, ces risques inhérents à un emploi ne signifient pas qu’une personne peut quitter son emploi, en citant ces risques, et qu’elle est fondée à le faire. Je ne laisse pas entendre que c’est le cas dans la présente affaire. L’appelant n’a pas invoqué un risque inhérent à l’emploi pour justifier son départ.

[41] Les conditions de travail dangereuses que l’appelant a mentionnées dans son témoignage vont au-delà du risque inhérent à l’emploi. Le fait que le mécanicien ne soit pas qualifié n’est pas un risque inhérent à l’emploi.

[42] J’ai quelques incidents non contestés qui confirment que le milieu de travail peut être dangereux. L’employeur a aussi convenu que le personnel travaille parfois pendant de très longues heures.

[43] Compte tenu de la preuve dont je dispose, j’estime qu’il s’agissait d’un endroit dangereux pour travailler. J’accorde beaucoup de poids aux incidents non contestés qui appuient le témoignage de l’appelant.

[44] Enfin, je conviens que les circonstances présentes quand l’appelant a quitté son emploi étaient les suivantes :

  • le harcèlement;
  • l’employeur qui s’est livré à des pratiques contraires à la loi;
  • les conditions de travail qui constituaient un danger pour la santé et la sécurité.

[45] Compte tenu de ces circonstances, je dois décider si l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi.

L’appelant avait d’autres solutions raisonnables

[46] Je dois maintenant vérifier si le départ de l’appelant était la seule solution raisonnable dans son cas. J’ai déjà examiné les circonstances présentes quand il a quitté son emploi. Je vais en tenir compte dans mon analyse.

Ce que dit l’appelant

[47] L’appelant affirme qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable parce qu’il ne devrait pas faire l’objet de cris et d’insultes. Il y avait un risque de confrontation physique si l’appelant était resté à l’emploi. Il soutient que personne ne devrait être victime de tels cris.

[48] L’appelant a aussi fait valoir que ce n’était pas à lui de trouver une solution au comportement de son collègue. L’appelant a déclaré qu’il n’a pas approché l’employeur pour lui demander ce qu’il allait faire à ce propos, parce qu’il sait qu’il n’en ferait rien. Le superviseur est le bras droit de l’employeur.

[49] De plus, les conditions de travail étaient dangereuses pour sa santé et sa sécurité. Son départ était la seule solution raisonnable dans son cas.

Ce que dit la Commission

[50] La Commission n’est pas d’accord et affirme que l’appelant a quitté son emploi en raison d’une seule altercation avec son superviseur. La Commission affirme que l’appelant a déclaré dans sa demande et à la Commission qu’il n’avait jamais eu de problème avec cette personne auparavant.

[51] Selon la Commission, l’appelant aurait pu prendre les mesures suivantes :

  • discuter avec l’employeur avant de quitter son emploi;
  • faire part de ses inquiétudes liées à la sécurité au travail au ministère du Travail, de l’Immigration, de la Formation et du Développement des compétences ou déposer une plainte tout en conservant son emploi (il aurait pu rester pour s’assurer qu’un suivi avait été fait comme il se doit);
  • conserver son emploi le temps d’en trouver un autre;
  • prendre un congé pour réfléchir aux conséquences qu’entraînerait sa démission et chercher un autre emploi.

Mes conclusions sont fondées sur les arguments présentés

[52] Je conclus que l’appelant avait d’autres solutions raisonnables.

[53] Je suis d’accord avec l’appelant pour dire qu’il a le droit de ne pas se faire crier après et de ne pas faire l’objet d’insultes. Je conviens aussi qu’il doit travailler dans un milieu sécuritaire.

[54] Cependant, je ne suis pas d’accord pour dire que la première chose à faire est de démissionner et de demander à toutes les personnes qui contribuent à la caisse d’assurance-emploi d’assumer le fardeau de ses choix. C’est ce que les tribunaux ont décidé au fil des ans. Selon la Cour d’appel fédérale, il faut essayer de rester à l’emploi et discuter de sa situation avec son employeur avant de démissionnerNote de bas de page 10.

[55] Même si l’appelant avait peut-être de bonnes raisons personnelles de quitter son emploi, ce n’est pas la même chose que d’être fondé à le faire au titre de la loiNote de bas de page 11. En effet, la loi exige généralement que la personne tente de résoudre ses problèmes en milieu de travail ou de trouver un autre emploi avant de démissionnerNote de bas de page 12.

[56] Même lorsque le harcèlement a été prouvé, il peut y avoir une obligation de faire tous les efforts raisonnables pour corriger la situation avant de démissionnerNote de bas de page 13.

[57] J’estime que l’appelant avait effectivement l’obligation de s’adresser au propriétaire. Selon moi, le fait de donner à l’employeur la possibilité de régler la situation était une solution raisonnable. Je suis d’accord avec l’appelant pour dire que ce n’était pas à lui de trouver une solution au comportement de son collègue. Toutefois, je juge que pour satisfaire aux exigences de la Loi sur l’assurance-emploi, il avait la responsabilité de communiquer avec l’employeur pour voir ce qui pouvait être fait.

[58] L’appelant a dit à la Commission et au Tribunal qu’il n’avait pas cherché de travail avant de quitter son emploi parce qu’il ne s’attendait pas à démissionner. C’est aussi ce qu’il a mentionné dans sa demande de prestations. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer pourquoi il n’avait pas cherché de travail avant de quitter son emploi, il a écrit ceci : [traduction] « Je ne m’attendais pas à ce que cela arrive. Je pensais terminer la saison. »

[59] Cela concorde avec ce que l’appelant a déclaré à l’audience. Il affirme qu’il n’a pas cherché de travail avant de quitter son emploi parce qu’il ne s’attendait pas à démissionner.

[60] Je suis d’accord avec la Commission pour dire que cela donne à penser que l’appelant a quitté son emploi en raison de l’incident lors duquel il a fait l’objet de cris. J’estime que les problèmes de sécurité n’étaient pas le motif principal du départ de l’appelant. Voici ses deux raisons :

  • Il affirme qu’il serait resté si cet incident ne s’était pas produit.
  • Il s’agit de la deuxième saison de l’appelant chez l’employeur. Si les problèmes avaient été aussi graves, l’appelant ne serait pas resté.

[61] La dernière solution raisonnable que l’appelant avait, selon moi, était de demander un congé. Cela lui aurait permis de chercher du travail ailleurs et de ne pas être en contact avec son superviseur. Cela aurait aussi été une solution pour s’éloigner des conditions de travail dangereuses.

[62] Les prestations régulières d’assurance-emploi constituent un soutien financier entre deux emplois. Elles visent à aider les personnes sans emploi qui ont été congédiées ou qui ont dû démissionner après avoir épuisé toutes les solutions raisonnables.

[63] Compte tenu des circonstances présentes quand l’appelant a quitté son emploi, son départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas, pour les raisons mentionnées ci-dessus.

[64] Cela signifie que l’appelant n’était pas fondé à quitter son emploi.

Conclusion

[65] Je conclus que l’appelant est exclu du bénéfice des prestations.

[66] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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