Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : AC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 923

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Parties appelante : A. C.
Représentante ou représentant : Daniel Freiheit
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Josée Lachance

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 25 avril 2023
(GE-22-3220)

Membre du Tribunal : Elizabeth Usprich
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 9 avril 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentant de l’appelant
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 31 juillet 2024
Numéro de dossier : AD-23-552

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La division générale n’a commis aucune erreur révisable.

Aperçu

[3] A. C. est le prestataire. Son employeur a mis en place une politique pendant la pandémie de la COVID-19. La politique prévoyait que chaque membre du personnel devait confirmer son statut vaccinal.

[4] Le prestataire croyait que son statut vaccinal faisait partie de ses renseignements médicaux personnels. Selon lui, son employeur n’avait pas le droit de demander de tels renseignements. Il ne croyait pas que la politique était légale. Comme le prestataire n’a pas confirmé son statut vaccinal, son employeur l’a suspendu.

[5] Le prestataire a demandé des prestations d’assurance-emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a rejeté sa demande de prestations. Elle a dit que le prestataire avait été suspendu en raison de son inconduite et qu’il était exclu du bénéfice des prestations.

[6] La division générale du Tribunal de la sécurité sociale était d’accord avec la Commission. Le prestataire a fait appel de la décision de la division générale. Il affirme que la division générale n’a pas respecté l’équité procédurale et qu’elle a commis une erreur de droitNote de bas de page 1.

[7] Le prestataire soutient que la division générale n’a pas bien énoncé ou appliqué le critère juridique lié à l’inconduite prévu par la Loi sur l’assurance-emploi. Il soutient qu’il devrait avoir droit aux prestations d’assurance-emploi.

[8] Je ne suis pas d’accord. La division générale n’a pas commis d’erreur révisable. Par conséquent, l’appel est rejeté.

Questions préliminaires

[9] L’affaire a été suspendue pendant une longue période pour permettre au prestataire d’accéder à l’information. Entre-temps, de nombreuses décisions ont été rendues par des cours supérieures.

[10] Le représentant du prestataire a demandé 60 jours après l’audience pour présenter des observations sur la jurisprudence récente de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale concernant des questions semblables. Comme l’affaire a été suspendue pendant très longtemps, j’ai estimé que le représentant du prestataire aurait dû connaître la jurisprudence la plus récente. Les parties ont convenu le 26 avril 2024 de présenter des observations après l’audience. Elles avaient jusqu’au 3 mai 2024 pour y répondre.

Questions en litige

[11] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :

  1. a) La division générale a-t-elle offert au prestataire une procédure équitable?
  2. b) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas entièrement compte du critère juridique lié à l’inconduite prévu par la Loi sur l’assurance-emploi?

Analyse

[12] Je ne peux intervenir que si la division générale a commis une erreur pertinente. Il y a seulement certaines erreurs dont je peux tenir compteNote de bas de page 2. En bref, les erreurs que je peux examiner portent sur la question de savoir si la division générale a fait l’une des choses suivantes :

  • elle a agi injustement d’une façon ou d’une autre;
  • elle a tranché une question qu’elle n’aurait pas dû trancher ou n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher;
  • elle n’a pas suivi la loi ou l’a mal interprétée;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur importante concernant les faits de l’affaire.

[13] Le prestataire a coché les cases indiquant que la division générale n’avait pas respecté l’équité procédurale, qu’elle avait commis une erreur de droit et qu’elle avait commis une erreur de fait importanteNote de bas de page 3.

La division générale a offert au prestataire une procédure équitable

[14] Le prestataire affirme que la membre de l’audience a fait preuve de partialité pour deux raisons : parce qu’elle aurait mal énoncé le critère juridique lié à l’inconduite et qu’elle a demandé le statut vaccinal du prestataire.

[15] La question de la justice naturelle et de la partialité était un motif invoqué dans l’avis d’appel du prestataire. J’ai dit au représentant du prestataire que la partialité est un critère rigoureux. Il a dit qu’il ne voulait pas s’attarder sur le sujet et que je pouvais simplement rendre une décisionNote de bas de page 4. Je lui ai dit qu’il devait présenter des arguments pour que j’examine la question. Il ne l’a pas fait.

[16] Les allégations de partialité sont très graves. Les membres sont présumés faire preuve d’impartialité. Le critère juridique lié à la partialité consiste à savoir si une personne raisonnablement bien informée penserait, dans les circonstances, que les membres ne trancheraient pas l’affaire équitablementNote de bas de page 5. Il ne suffit pas d’avoir un soupçon de partialité. Il doit y avoir une preuve réelle. Cela signifie que le critère juridique visant à démontrer qu’un décideur fait preuve de partialité est rigoureuxNote de bas de page 6.

La membre de l’audience n’a pas fait preuve de partialité lorsqu’elle a énoncé le critère juridique lié à l’inconduite

[17] Dans son préambule, la membre de l’audience a expliqué que la Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’inconduiteNote de bas de page 7. Elle a dit qu’il faut consulter la jurisprudence pour décider ce qui constitue une inconduite aux fins de l’assurance‑emploiNote de bas de page 8.

[18] Le représentant du prestataire s’est opposé au critère juridique et a dit que celui‑ci n’avait pas été énoncé au completNote de bas de page 9. Il a précisé qu’il aborderait cette question dans ses observations. La membre de l’audience l’a invité à présenter des observations sur sa positionNote de bas de page 10.

[19] Par la suite, le représentant du prestataire a présenté des observationsNote de bas de page 11. La membre a examiné ce qui constitue une inconduite et fait précisément référence à la décision sur laquelle le représentant s’appuyaitNote de bas de page 12.

[20] À mon avis, cela montre que la membre a gardé l’esprit ouvert et qu’elle n’avait pas déjà tranché de question. Elle a écouté le représentant du prestataire. Elle a tenu compte des observations qu’il a présentées. Cela signifie qu’elle n’a pas fait preuve de partialité.

La membre de l’audience n’a pas fait preuve de partialité en disant au prestataire qu’il n’avait pas à répondre à une question qu’elle venait de lui poser

[21] La présente affaire porte sur une inconduite fondée sur le refus du prestataire de confirmer son statut vaccinal. La membre de la division générale a posé la question suivante au prestataire : [traduction] « Avez-vous été vacciné contre la COVID-19Note de bas de page 13? » Le prestataire a demandé s’il devait répondre, et la membre lui a répondu que nonNote de bas de page 14. C’est ce qui fait l’objet des allégations de partialité dont il est question dans la présente décision.

[22] J’ai demandé au représentant du prestataire pourquoi il n’avait pas soulevé la question de partialité pendant l’audience. Il a dit avoir été pris au dépourvu lorsque la membre a demandé au prestataire s’il était vaccinéNote de bas de page 15.

[23] Après avoir écouté l’enregistrement de l’audience, je juge que la membre n’a pas fait preuve de partialité en posant la question. Selon moi, cela ne signifie pas qu’elle avait tranché la question à l’avance. Elle a dit au prestataire qu’il n’avait pas à répondre à la question, et l’audience s’est poursuivie.

[24] Les faits de l’affaire ne sont pas vraiment contestés, alors on ne sait pas comment cette interaction a entaché l’audience. Comme le représentant du prestataire ne voulait pas présenter d’observations sur la question, je rendrai une décision en fonction du dossier. Selon moi, rien ne donne à penser que la membre de l’audience a fait preuve de partialité. Le prestataire a eu droit à une procédure équitable.

La division générale n’a pas commis d’erreur de droit parce qu’elle a entièrement tenu compte du critère juridique lié à l’inconduite prévu par la Loi sur l’assurance-emploi

Le critère juridique a été énoncé correctement

[25] Le représentant du prestataire affirme maintenant que la seule question que la division d’appel doit trancher est de savoir si la division générale n’a pas énoncé le bon critère juridique lié à l’inconduiteNote de bas de page 16. Je ne peux pas accepter cet argument pour les raisons qui suivent.

[26] Le critère juridique lié à l’inconduite ne figure pas dans la Loi sur l’assurance‑emploi. Cela signifie que la division générale devait examiner ce que dit la jurisprudence. C’est exactement ce qu’elle a faitNote de bas de page 17.

[27] Pour qu’il y ait inconduite, il faut que le prestataire ait fait quelque chose de délibéré, mais aucune intention coupable n’est nécessaire. La division générale devait vérifier s’il y avait eu inconduite et si cela avait entraîné la suspension du prestataire.

[28] La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont été extrêmement claires dans de nombreuses affairesNote de bas de page 18. L’accent est mis sur les actions de la personne employée et non sur celles de l’employeur. La division générale a bien examiné cet argumentNote de bas de page 19. Cela signifie que si une personne employée n’est pas d’accord avec une action posée par son employeur, il existe d’autres moyens de régler le différendNote de bas de page 20. Dans la présente affaire, le prestataire a dit à la division générale qu’il avait déposé un grief contre son employeurNote de bas de page 21.

Clause expresse ou implicite

[29] Le représentant du prestataire soutient que la division générale n’a pas appliqué correctement le critère juridique lié à l’inconduite. Il affirme que la division générale voulait seulement examiner la conduite de l’employé sans tenir compte de la validité du contrat de travail ou des obligations expresses et implicites. Il soutient que la décision Lemire exige d’examiner l’ensemble des circonstances.

[30] Toutefois, ce n’est pas le cas. La Cour d’appel fédérale a précisé que, dans le contexte de l’assurance-emploi, seule la conduite de la personne employée est prise en compteNote de bas de page 22. Plus précisément, ce n’est pas sur le caractère raisonnable de la politique de l’employeur que le Tribunal doit se concentrer.

[31] Le représentant du prestataire soutient qu’aucun contrat de travail ni convention collective ne contenait une clause qui exigeait la vaccinationNote de bas de page 23. Il fait valoir que cela signifie que la politique de l’employeur n’était pas légale. Toutefois, la division générale s’est penchée une fois de plus sur cet argumentNote de bas de page 24. Elle a conclu qu’il n’y avait aucune erreur révisable.

[32] La division générale a examiné l’argument en questionNote de bas de page 25. Elle a jugé que la politique de vaccination de l’employeur était une condition d’emploi. Elle a fait la précision suivante : « Lorsque l’employeur a mis en place cette politique comme exigence pour l’ensemble du personnel, cette dernière est devenue une condition expresse de l’emploi [du prestataire]Note de bas de page 26 ».

[33] La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont aussi abordé la question. La décision Cecchetto indique clairement qu’un employeur peut unilatéralement mettre en place une politique de vaccination sans le consentement de la personne employéeNote de bas de page 27. Il n’appartient pas au Tribunal de décider si l’employeur a violé une clause de la convention collectiveNote de bas de page 28.

[34] Par conséquent, la division générale n’a pas commis d’erreur révisable à cet égard.

Le prestataire savait ou aurait dû savoir que la suspension était une réelle possibilité

[35] Le représentant du prestataire soutient que le prestataire ne croyait pas que son employeur le suspendrait. La division générale a examiné cette question et a jugé que le prestataire connaissait les conséquences s’il ne respectait pas la politique de l’employeur. Je n’ai pas le pouvoir de soupeser cet élément de preuve à nouveau. Cela signifie qu’il n’y a pas d’erreur révisable.

[36] Le fait que le prestataire n’a pas respecté la politique de vaccination obligatoire de son employeur n’a pas été contesté. Le prestataire a dit qu’il ne croyait pas que l’employeur donnerait suite à sa suspension. Pourtant, le prestataire a déclaré qu’il savait que s’il ne confirmait pas son statut vaccinal, il serait suspenduNote de bas de page 29.

[37] La division générale a soupesé cet élément de preuve. Elle a aussi examiné s’il était réellement possible que le prestataire soit suspenduNote de bas de page 30.

[38] De plus, le prestataire a eu une conversation avec sa gestionnaire, qui a été suivie d’un courriel indiquant que le prestataire serait suspenduNote de bas de page 31. À la lumière de la preuve, la division générale a conclu que le prestataire connaissait les conséquences s’il ne respectait pas la politique de son employeurNote de bas de page 32. La division générale a donc examiné la preuve. Je ne peux pas la soupeser à nouveau pour en arriver à une conclusion différente.

Il était clair que le prestataire ne pouvait pas remplir ses obligations envers son employeur

[39] Le représentant du prestataire soutient que la décision de la division générale n’est pas complète. Il affirme que la division générale devait préciser que la conduite du prestataire portait atteinte à une obligation envers l’employeurNote de bas de page 33. Je ne suis pas d’accord. La division générale n’a pas commis d’erreur révisable à cet égard.

[40] Dans la décision Mishibinijima, la Cour d’appel fédérale a établi l’exécution des obligations envers un employeurNote de bas de page 34. Dans la décision Nelson, la Cour a fait la déclaration suivante : « […] il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédiéNote de bas de page 35 ».

[41] Cependant, la Cour fédérale a récemment clarifié que [traduction] « cela ne signifie pas seulement la capacité d’accomplir les tâches d’un emploi particulier, mais aussi l’obligation plus vaste de se présenter au travail en respectant les politiques et les règles en milieu de travailNote de bas de page 36 ».

[42] Dans des décisions antérieures comme Lemire, Mishibinijima ou Nelson, les questions portaient sur la conduite réelle de la personne employée et sur le fait de savoir si cette dernière constituait une inconduite. Par exemple, dans la décision Nelson, la question était de savoir si le fait qu’une personne employée dans une réserve où la consommation d’alcool est interdite soit intoxiquée alors qu’elle ne travaillait pas constituait une inconduite. Il fallait donc analyser si la conduite en question était une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi.

[43] Cependant, cette affaire n’est pas la même. Les conséquences liées au refus de confirmer son statut vaccinal étaient énoncées dans la politique de l’employeurNote de bas de page 37. La politique précise qu’un tel refus entraîne un congé sans solde et le retrait de la personne employée des systèmes d’accès. Cela signifie que la personne employée qui ne confirme pas son statut vaccinal n’est pas autorisée à travailler.

[44] La division générale a conclu que la décision du prestataire de ne pas confirmer son statut vaccinal était volontaire et délibérée. La division générale a jugé que le prestataire connaissait les conséquences s’il ne confirmait pas son statut vaccinal, soit le fait de ne pas être autorisé à travailler. Cela signifie nécessairement que le prestataire n’était pas en mesure de remplir ses obligations envers son employeur.

[45] Ce n'est pas mon rôle de soupeser à nouveau la preuve. La division générale a correctement énoncé le critère juridique lié à l’inconduite qui a bien été accepté par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale.

Conclusion

[46] La division générale n’a commis aucune erreur révisable.

[47] L’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.