Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation :c Commission de l’assurance-emploi du Canada et DC, 2024 TSS 993

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : X
Représentante ou représentant : M. S.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Partie mise en cause : D. C.

Décision portée en appel : Décision de révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (622267) datée du 24 novembre 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Elyse Rosen
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 6 février 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentante de l’appelant
Mis en cause
Date de la décision : Le 15 février 2024
Numéro de dossier : GE-23-3577

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] Je considère que le mis en cause (prestataire) a perdu son emploi en raison de son inconduite (je vais expliquer cette expression plus loin). Par conséquent, il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] Dans cette affaire, l’appelant est un employeur.

[4] Le prestataire travaillait pour l’appelant à titre de tuteur. Il offrait des séances de tutorat en ligne sur une plateforme Zoom fournie par l’appelant, puis facturait à ce dernier le temps consacré aux séances.

[5] L’appelant affirme avoir découvert que le prestataire lui avait facturé des séances qui n’avaient pas eu lieu. Il l’a congédié en conséquence.

[6] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a d’abord décidé que le prestataire avait été congédié en raison d’une inconduite. Elle l’a alors informé qu’il était exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi. Le prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision.

[7] Après révision, la Commission a annulé sa décision et a conclu que la preuve liée à toute inconduite était insuffisante. Elle affirme avoir été convaincue par les arguments que le prestataire a présentés contre les allégations d’acte répréhensible formulées par l’employeur.

[8] L’appelant a fait appel de la décision de révision au Tribunal de la sécurité sociale. Il soutient que le prestataire a été congédié en raison d’une inconduite.

[9] Quant au prestataire, il soutient que les motifs de son congédiement ont été inventés de toutes pièces. Il insiste sur le fait qu’il a réellement tenu les séances que l’appelant croit qu’il n’a pas menées.

Question en litige

[10] Le prestataire a-t-il été congédié en raison de son inconduite?

Question que je dois trancher en premier

Documents supplémentaires reçus après l’audience

[11] À l’audience, l’appelant [sic] a affirmé avoir des enregistrements vidéo de toutes les séances de tutorat que l’appelant croit qu’il n’a pas tenues. Je lui ai demandé s’il voulait fournir ces enregistrements au Tribunal. Il a répondu qu’il voulait absolument le faire, mais qu’il préférait obtenir un avis juridique à ce sujet au préalable.

[12] J’ai donné au prestataire un certain délai pour qu’il fournisse ses enregistrements au Tribunal. Je lui ai dit qu’il pouvait aussi fournir en même temps d’autres éléments de preuve qui pourraient montrer qu’il avait bel et bien tenu les séances en question.

[13] Le prestataire a informé le Tribunal qu’il avait décidé de ne pas fournir les enregistrements dont il avait parlé. Il dit que, selon les conseils juridiques reçus, il ne devait pas les fournir. Il a tout de même envoyé d’autres preuves, qui sont regroupées dans le document GD10 du dossier d’appel.

[14] La Commission et l’appelant ont eu l’occasion de répondre au document GD10. La réponse de l’appelant se trouve dans le document GD13 du dossier d’appel. La Commission n’a fourni aucune réponse.

[15] Les parties ont reçu la permission de présenter le contenu des documents GD10 et GD13. Même si ces preuves ont été déposées après l’audience, elles font partie du dossier.

[16] J’ai avisé le prestataire qu’il n’était pas obligé d’envoyer les enregistrements. Toutefois, je risquais de tirer une conclusion négative du fait qu’il a dit qu’il les avait et qu’il a décidé de ne pas les fournir (autrement dit, je pourrais trouver qu’il n’était pas crédible parce qu’il n’avait pas fourni les enregistrements). Il a reçu un délai supplémentaire pour envoyer les enregistrements au Tribunal s’il décidait finalement de changer d’avis.

[17] Le prestataire a confirmé qu’il ne voulait pas fournir ses enregistrements. Il précise que sa décision ne devrait pas entacher sa crédibilité puisqu’il suit les conseils juridiques qu’il a reçusNote de bas de page 2.

[18] Le 13 février 2024, le prestataire a envoyé d’autres preuves. Elles font partie du document GD14 du dossier d’appel. Le prestataire n’a pas eu la permission de faire cet envoi. Il n’a pas été question de ces preuves à l’audience. Et j’ai clairement indiqué à l’audience que chaque partie aurait une seule chance de soumettre les documents dont nous avions parlé et rien d’autre. Par conséquent, je n’accepte pas le document GD14. Il est constitué d’éléments de preuve tardifs qui ne sont pas nécessaires ou pertinents pour ma décision.

Analyse

[19] Pour décider si l’inconduite est la cause réelle du congédiement, je dois d’abord savoir ce qui a mené à la fin d’emploi. Ensuite, je dois décider si la raison du congédiement est une inconduite au sens de la loi.

[20] Le fardeau de la preuve repose sur l’appelant. Il doit prouver ce qu’il avance selon la prépondérance des probabilitésNote de bas de page 3. Autrement dit, il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que :

  • le prestataire a eu les comportements allégués;
  • le congédiement est survenu pour cette raison;
  • la raison du congédiement est une inconduite au sens de la loi.

Pourquoi le prestataire a-t-il été congédié?

[21] Je considère que le prestataire a été congédié parce qu’il n’a pas assisté à des séances de tutorat qu’il a facturées.

Les opinions des parties sur la raison du congédiement

[22] L’appelant affirme avoir congédié le prestataire parce qu’il n’a pas assisté à des séances de tutorat à l’horaire et qu’il les a tout de même facturées.

[23] Cette raison est mentionnée dans une lettre de congédiement que l’appelant a envoyée au prestataire le 13 juillet 2023Note de bas de page 4 et dans un échange de courriels avec le prestataire daté du 18 juillet 2023Note de bas de page 5.

[24] La lettre de congédiement précise aussi que le prestataire a reporté des séances de tutorat sans permission. Cependant, à l’audience, l’appelant a dit que ce n’était pas une raison du congédiement.

[25] L’appelant a expliqué que le prestataire avait déjà reporté des séances de tutorat sans permission. Le 6 juillet 2023, le prestataire a été averti que ce comportement ne serait plus toléréNote de bas de page 6. L’appelant affirme que ce genre d’incident ne s’est plus reproduit après le 6 juillet 2023.

[26] L’appelant affirme que même si la lettre de congédiement mentionne 2 raisons, la seule chose qu’il peut prouver est que le prestataire a facturé des séances de tutorat prévues auxquelles il n’a pas assisté en réalitéNote de bas de page 7.

[27] Le prestataire affirme que, même si l’appelant a utilisé cette raison pour le congédier, on ne peut pas dire qu’il a facturé des séances auxquelles il n’a pas assisté. Selon lui, l’appelant a tout inventé.

[28] Bref, le problème n’est pas la raison du congédiement. Il faut d’abord savoir si ce qui a mené au congédiement est bel et bien arrivé. L’appelant dit que oui; le prestataire dit que non. Et la Commission dit qu’elle croit le prestataire.

[29] Je vais maintenant examiner la preuve dont je dispose. Je vais expliquer pourquoi je considère qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire n’a pas assisté à des séances qu’il a pourtant facturées, comme l’affirme l’appelant.

La preuve

[30] La présidente-directrice générale (PDG) de l’appelant a témoigné à l’audience.

[31] Elle a expliqué que le prestataire avait 3 séances de tutorat par semaine : il donnait 1 cours de groupe et 2 cours individuels à J. et à I.

[32] La PDG a déclaré que J. s’était plaint à l’appelant que le prestataire n’assistait pas aux séances à l’horaire. L’appelant avait alors décidé de communiquer avec I. pour voir s’il avait le même problème. I. avait confirmé que oui.

[33] L’appelant a examiné la facturation du prestataire et a découvert que celui-ci avait facturé les séances qui n’avaient pas eu lieu selon J. et I. L’appelant a aussi vérifié ses dossiers Zoom. Ils montraient bel et bien qu’aucune séance n’avait eu lieu à ces dates.

[34] L’appelant a voulu s’assurer qu’il ne s’agissait pas simplement d’un malentendu. Il a alors informé le prestataire qu’il semblait y avoir des écarts dans sa facturation et lui a demandé de resoumettre ses fiches de temps pour la période en question. Le prestataire a fourni les mêmes données. Pourtant, J. et I. avaient affirmé que rien ne s’était passé à ces dates, et les dossiers Zoom montraient aussi qu’aucune séance n’avait eu lieu.

[35] À partir de tous ces renseignements, l’appelant a conclu que le prestataire lui avait facturé des séances de tutorat qu’il n’avait pas tenuesNote de bas de page 8. La PDG a considéré ce comportement comme un vol et un abus de confiance. Elle a décidé de mettre fin à l’emploi du prestataire sans préavis.

[36] La PDG a expliqué que les gestes du prestataire ont mis l’entreprise dans une position difficile et embarrassante vis-à-vis de sa clienteNote de bas de page 9. L’appelant a été obligé de dire à sa cliente que le prestataire n’avait pas assisté aux séances et qu’un remboursement serait effectué.

[37] La PDG m’a présenté divers documents pour me montrer que le prestataire n’avait pas tenu les séances qu’il disait avoir tenues et qu’il avait facturéesNote de bas de page 10.

[38] La représentante de l’appelant a aussi témoigné brièvement pour confirmer et clarifier certains détails concernant les renseignements que la PDG avait présentésNote de bas de page 11.

[39] Le prestataire a témoigné à l’audience. Il nie toute absence aux séances à l’horaire.

[40] Le prestataire a attiré mon attention sur les documents suivants :

  • des courriels de Zoom qui indiquent que des enregistrements dans le nuage ont été créés pour les séances qu’il aurait eues avec I.;
  • des courriels de Zoom qui montrent qu’I. est entré dans sa salle d’attente virtuelle;
  • des confirmations de Google Meet qui montrent qu’I. aurait apparemment participé à des séances sur cette plateformeNote de bas de page 12.

[41] Les dates de tous ces documents concordent avec celles où aucune séance n’aurait eu lieu selon l’appelant.

[42] J’ai demandé au prestataire pourquoi les courriels de Zoom avaient été envoyés à son adresse courriel personnelle. Il m’a répondu qu’il avait l’habitude de rediriger ses courriels professionnels vers son compte personnelNote de bas de page 13. Il prétend qu’il le faisait pour conserver tous ses courriels professionnels au même endroitNote de bas de page 14. Les documents en question ont d’abord été fournis à la Commission pendant le processus de révision.

[43] Le prestataire prétend que l’appelant a inventé toute l’histoire, ainsi que la preuve fournie au Tribunal. Et il dit que J. et I. mentent.

[44] L’appelant est d’avis qu’I. avait une intention cachée lorsqu’il a avancé que le prestataire n’avait pas assisté aux séances de tutorat. En effet, I. avait dit au prestataire qu’il avait l’intention de poursuivre X, qui l’avait dirigé vers le tutorat. I. croyait que ses arguments auraient plus de poids s’il disait qu’il n’avait pas participé au tutoratNote de bas de page 15.

[45] Le prestataire n’a pas expliqué pourquoi J. mentirait au sujet de son absence aux séances.

[46] Pour tenter de démontrer que l’appelant n’est pas crédible, le prestataire a souligné ce qu’il considère comme des incohérences dans les déclarations de l’appelant, surtout en ce qui a trait aux erreurs de datesNote de bas de page 16.

[47] Le prestataire admet avoir facturé toutes les séances que l’appelant dit qu’il n’a pas tenues. Cependant, il affirme les avoir facturées parce qu’il les a réellement tenues. La seule exception concerne la facturation des 13 et 14 juillet 2023Note de bas de page 17. Il dit que ces jours-là, il a informé l’appelant qu’I. ne s’était pas présenté aux séances et qu’il travaillerait sur autre chose à la place. Il affirme avoir indiqué par erreur sur sa fiche de temps qu’il facturait du temps passé avec I., alors qu’en fait, il avait travaillé à la préparation du prochain cours de groupeNote de bas de page 18.

[48] Le prestataire a affirmé avoir des enregistrements des séances qui, selon l’appelant, n’ont pas eu lieu. Il a décidé de ne pas les fournir, même s’il a été informé que son choix risquait de nuire à sa crédibilité.

[49] Le prestataire a déposé une plainte en matière de normes du travail contre l’appelant. Il réclame un peu moins de 3 000 $ de salaire impayé et d’indemnité de départ à la suite de ce qu’il considère comme un congédiement injustifié.

Mon évaluation de la preuve

[50] Le dossier d’appel contient des centaines de pages de preuve. L’audience a duré plus de 2 heures. Les positions et les versions des parties sur ce qui s’est passé sont complètement à l’opposé. L’appelant et le prestataire allèguent que l’un et l’autre ont créé des documents de toutes pièces ou les ont modifiés.

[51] J’ai examiné l’ensemble de la preuve et entendu le témoignage des parties. J’en conclus que, selon la prépondérance des probabilités, il est plus probable qu’improbable que l’appelant a raison de dire que des séances qui n’ont pas eu lieu lui ont été facturées.

[52] À mon avis, la PDG de l’appelant était une témoin crédible. Elle a été honnête : même si la lettre de congédiement mentionnait que des séances de tutorat avaient été reportées sans permission, cette situation ne s’était pas reproduite après que le prestataire avait été averti le 6 juillet 2023.

[53] Elle a aussi été honnête au sujet du fait que certains renseignements fournis pour prouver que l’appelant [sic] avait facturé du travail qu’il n’avait pas fait (en particulier des séances terminées plus tôt, mais facturées au complet) ont été obtenus après le congédiement. Ce n’était donc pas une raison de la fin d’emploi.

[54] La preuve de l’appelant est simple, mais convaincante. Deux apprenants l’ont informé que le prestataire ne s’était pas présenté aux séancesNote de bas de page 19. De plus, le compte Zoom de l’appelant montre que le prestataire a fait seulement 2 séances avec J. et aucune séance avec I. en date du 1er juin 2023, et qu’aucune séance n’a eu lieu en date du 22 juin 2023Note de bas de page 20.

[55] Le prestataire a été informé de certains écarts dans sa facturation et a eu l’occasion de corriger ses fiches de temps. Il a confirmé qu’il avait bel et bien tenu les séances en questionNote de bas de page 21.

[56] Le prestataire affirme avoir des enregistrements vidéo des séances qu’il a tenues avec I. après le 1er juin 2023. Toutefois, l’appelant ne voit aucun de ces enregistrements dans son compte Zoom.

[57] La version des faits de l’appelant est claire et logique. Je n’ai aucune raison de croire qu’elle est fausse.

[58] Je ne pense pas pouvoir en dire autant de la version des faits du prestataire.

[59] Selon le prestataire, l’appelant et les apprenants mentent quand ils disent qu’il ne s’est pas présenté aux séances.

[60] Le prestataire est d’avis que l’appelant a fabriqué de toutes pièces la preuve tirée de Zoom et filtré toute information qui montrerait qu’il a réellement tenu les séances qu’on lui reproche de ne pas avoir faitesNote de bas de page 22. Il a affirmé avoir un doctorat en technologies et donc une compréhension approfondie des manipulations des documents électroniquesNote de bas de page 23.

[61] Je n’ai pas trouvé le prestataire crédible et je n’ai pas trouvé sa version des faits plausible.

[62] Je lui ai demandé pourquoi il pensait que l’appelant se serait donné la peine d’inventer une histoire et de créer de toutes pièces des éléments de preuve, au lieu de mettre fin à son emploi sans motif et de lui verser quelques semaines d’indemnité de préavis. Il a répondu que la PDG ne l’aimait pas et qu’elle était têtue. À son avis, comme elle est incapable d’accepter qu’elle a tort, elle a inventé des éléments de preuve pour appuyer ce qu’elle avance.

[63] Je n’accepte pas cette réponse. J’ai de la difficulté à croire qu’une entreprise qui a une clientèle institutionnelle, qui comprend X, inventerait un mensonge aussi élaboré, modifierait des documents pour appuyer ce mensonge et rembourserait des frais de séances qui auraient eu lieu, simplement parce que la PDG n’aimait pas le prestataire ou qu’elle voulait éviter de verser quelques milliers de dollars d’indemnité de préavisNote de bas de page 24.

[64] La PDG de l’appelant ne semblait pas être une personne malhonnête qui compromettrait son entreprise et sa réputation pour causer du tort à un employé qu’elle n’aimait pas, simplement parce qu’elle ne pouvait pas accepter qu’elle avait tort.

[65] Dans le dossier, j’ai vu beaucoup de circonstances où le prestataire a manqué à ses obligations envers l’appelant et a refusé de suivre sa politique. Par exemple, il n’utilisait pas le système de communication de l’entreprise (Discord), il remettait ses fiches de temps en retard, il ne se tenait pas au courant de l’horaire des congés (et ne se présentait pas au travail quand il devait y être parce qu’il croyait avoir congé) et il reportait des séances de tutorat sans permission. Au lieu de congédier le prestataire pour ces raisons, l’appelant lui a donné des avertissements et l’a encouragé à s’améliorerNote de bas de page 25.

[66] Comme l’a dit la PDG dans son témoignage, son personnel est le plus grand atout de l’entreprise. Si elle avait vraiment détesté le prestataire, je crois qu’elle aurait eu amplement l’occasion de le congédier étant donné sa conduite au cours de son emploi. Elle n’avait pas besoin d’inventer une histoire et des preuves. Elle l’a plutôt gardé en poste 3 ans et l’a aidé à s’améliorer. Mais quand elle a découvert qu’il avait facturé des séances qu’il n’avait pas tenues, le lien de confiance a été brisé et elle ne pouvait plus le garder.

[67] Par conséquent, je n’accepte pas l’argument du prestataire selon lequel l’appelant a inventé sa preuve de toutes pièces.

[68] Quant aux documents que le prestataire a déposés, je considère qu’ils ne prouvent pas que des séances de tutorat ont eu lieu.

[69] Les documents qui indiquent qu’I. est entré dans la salle d’attente virtuelle du prestataire ou qu’il était présent sur Google Meet ne prouvent pas qu’une séance a bel et bien eu lieu. I. aurait pu se présenter à ces séances, puis les quitter parce que le prestataire n’est jamais arrivé ou parce qu’il a donné une excuse pour expliquer qu’il ne pouvait pas offrir la séanceNote de bas de page 26.

[70] À l’audience, le prestataire a dit qu’il me fournirait des enregistrements des séances qu’il prétend avoir eues avec I. après le 1er juin 2023. Toutefois, il a décidé de ne pas me les envoyer. Sans ces enregistrements, je ne peux pas être certaine que les courriels de Zoom ne font pas référence en réalité à des enregistrements dans le nuage constitués de 4 heures de temps mort en raison de l’absence du prestataire.

[71] De plus, je trouve très suspect que le prestataire a dit qu’il fournirait les enregistrements, mais qu’il a ensuite décidé de ne pas le faireNote de bas de page 27. Je doute aussi des conseils juridiques qu’il dit avoir reçus et qui lui recommandaient de ne pas envoyer les enregistrements.

[72] Il me semble que ces enregistrements seraient la meilleure preuve pour montrer que les séances ont eu lieu. Ils aideraient le prestataire, non seulement dans la présente affaire, mais aussi dans toute procédure relative à ses allégations de congédiement injustifié. Si ces enregistrements prouvent ce que le prestataire dit, je pense que l’appelant retirerait son appel devant le Tribunal et réglerait les allégations de congédiement injustifié. Je ne comprends pas pourquoi le prestataire se serait fait recommander de ne pas fournir les enregistrements.

[73] Je ne suis pas en mesure d’expliquer pourquoi le prestataire a des courriels qui semblent provenir de Zoom et qui indiquent que des enregistrements dans le nuage ont été créés aux dates et aux heures où aucune séance n’a eu lieu selon l’appelant. Celui-ci dit qu’aucun enregistrement de ce genre n’apparaît dans le compte Zoom. Je ne vais pas aller jusqu’à conclure que le prestataire a créé ces courriels lui-même, mais comme il a déclaré avoir un doctorat en technologies, il aurait l’expertise pour ce faire.

[74] Je trouve aussi étrange que le prestataire ait redirigé les confirmations de Zoom vers son compte personnel, soi-disant pour tout avoir au même endroit. À mon avis, le meilleur endroit pour conserver des documents de travail est dans un compte professionnel, et non dans un compte personnel.

[75] Comme j’ai de sérieux doutes quant à la crédibilité du prestataire, je ne peux pas accepter son témoignage selon lequel il a tenu les séances que l’appelant dit qu’il n’a pas tenues. Contrairement à la Commission, je juge que ses arguments contre la preuve de l’appelant ne sont pas très convaincants. Ils sont alambiqués, axés sur des contradictions mineures et secondaires, et me forceraient à conclure que la PDG de l’appelant, sa représentante et 2 apprenants ont menti.

[76] Par conséquent, je conclus que le prestataire a facturé à l’appelant des séances de tutorat qu’il n’a pas menées. Voilà pourquoi il a été congédié.

[77] Maintenant, je dois décider si cette raison est une inconduite au sens de la loi.

Qu’est-ce qu’une inconduite?

[78] La loi ne définit pas l’inconduite. Par contre, la jurisprudence (l’ensemble des décisions que les tribunaux ont rendues) m’aide à décider si une personne a été congédiée en raison d’une inconduite. La jurisprudence établit le critère juridique (c’est-à-dire les faits à examiner et les questions à poser) pour décider si une conduite constitue une inconduite au sens de la loi.

[79] Selon la jurisprudence, pour être considérée comme une inconduite, la conduite qui a mené au congédiement doit être délibérée (c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelle)Note de bas de page 28. L’inconduite peut aussi se présenter comme une conduite si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 29. Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (autrement dit, qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit qualifié d’inconduite en droitNote de bas de page 30.

[80] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il y avait une réelle possibilité qu’il perde son emploi pour cette raisonNote de bas de page 31.

Le prestataire a-t-il été congédié en raison de son inconduite?

[81] Je conclus que l’appelant [sic] a été congédié en raison de sa propre inconduite.

[82] Comme je l’ai expliqué plus haut, je suis convaincue que le prestataire ne s’est pas présenté aux séances de tutorat, mais qu’il les a tout de même facturées. Ce n’est pas quelque chose qui arrive inconsciemment ou involontairement. Une personne qui n’offre pas de séances de tutorat pendant plus d’un mois ne continuerait pas accidentellement de les facturer. Le prestataire a même eu l’occasion de corriger ses fiches de temps, mais il ne l’a pas fait. Je conclus que sa conduite était délibérée.

[83] J’aurais pu accepter que les séances des 13 et 14 juillet 2023 avaient été facturées par erreur. Toutefois, le prestataire ne m’a pas convaincue qu’il a fait d’autres tâches de travail ces jours-là ou qu’il avait la permission à cet effet. Il n’aurait donc pas dû facturer ces séances.

[84] Quoi qu’il en soit, la facturation concernant les 13 et 14 juillet 2023 importe peu. Rien ne montre qu’il y a eu quelque erreur que ce soit concernant les autres séances qu’il a facturées sans les avoir tenues.

[85] Je conclus aussi que le prestataire savait que ce qu’il faisait était contraire à ses obligations envers son employeur et pouvait lui faire perdre son emploi. À l’audience, le prestataire a admis que l’appelant aurait eu raison de le congédier sur-le-champ s’il avait facturé des séances qui n’avaient pas eu lieu. Le prestataire se serait attendu à un congédiement dans ces circonstancesNote de bas de page 32. Peu importe la déclaration du prestataire à cet égard, tout le monde sait que l’on risque d’être congédié si l’on ne remplit pas ses obligations professionnelles et si l’on facture du travail que l’on n’a pas fait.

[86] Le prestataire soutient qu’il a été congédié injustement. Il fait valoir qu’il n’a jamais été averti d’aucune facturation fautive et qu’il n’a pas eu la chance de s’expliquer avant d’être congédié. Quoi qu’il en soit, cela ne veut pas dire que sa conduite n’est pas une inconduite selon les règles de l’assurance-emploi.

[87] Selon la jurisprudence, le Tribunal n’a pas à examiner la conduite de l’employeur et n’a pas à savoir si un congédiement était justifié lorsqu’il décide si une personne a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 33. Le rôle du Tribunal n’est pas de décider si une personne a été congédiée injustementNote de bas de page 34. Ce sera l’organisme responsable des normes du travail qui tranchera cette question lorsqu’il traitera la plainte du prestataire.

[88] Il n’est pas pertinent de savoir que l’appelant n’a pas averti le prestataire ou qu’il ne lui a pas permis de s’expliquer. L’essentiel est que la conduite du prestataire était délibérée et qu’il savait qu’il risquait d’être congédié si l’appelant découvrait qu’il avait facturé des séances qu’il n’avait pas tenues.

Conclusion

[89] Selon mon analyse de l’affaire, je conclus que le prestataire a été congédié en raison de son inconduite. Par conséquent, il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[90] L’appel est donc accueilli.

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