Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c AC, 2024 TSS 1261

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Marcus Dirnberger
Partie intimée : A. C.
Représentante ou représentant : Philippe Chrétien

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 12 avril 2024
(GE-24-535)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 24 septembre 2024
Personnes présentes à l’audience : Représentant de l’appelante
Représentant de l’intimée
Date de la décision : Le 21 octobre 2024
Numéro de dossier : AD-24-327

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’intimée, ou prestataire, est une employée permanente du gouvernement du Canada. Elle est représentée par l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP).

[3] Le 27 novembre 2022, la prestataire a commencé une période de prestations de maternité et de prestations parentales de l’assurance-emploi. Au cours du dernier mois de sa période de prestations d’un an, son employeur lui a versé 2 500 $. Elle a déclaré cette somme à l’appelante, soit la Commission de l’assurance-emploi du Canada. La Commission a décidé qu’il s’agissait d’une « prime à la signature » pour avoir ratifié une convention collective. Elle a réparti la somme à titre de rémunération sur une semaine comprise dans la période de prestations de la prestataire. Cette répartition a entraîné un trop-payé.

[4] La prestataire n’était pas d’accord et a soutenu que la somme lui avait été versée au titre d’un contrat de travail pour l’exécution de services passés. Après une révision défavorable à son égard, la prestataire a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[5] La division générale a conclu que la somme en cause était une rémunération. Elle a jugé que l’intention « dominante » de son versement était liée à l’exécution de fonctions et de responsabilités habituelles au titre d’une convention collective antérieure, et qu’il ne s’agissait pas d’une prime à la signature. La division générale a décidé que la somme devait être répartie conformément à l’article 36(4) du Règlement sur l’assurance-emploi. Elle a accueilli l’appel de la prestataire.

[6] La division d’appel a accordé à la Commission la permission de faire appel de la décision de la division générale. La Commission soutient que la division générale a commis une erreur de fait et une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que la somme avait été versée à la prestataire parce qu’elle s’était acquittée de ses fonctions et de ses responsabilités habituelles au titre d’une ancienne convention collective.

Question en litige

[7] La division générale a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit lorsqu’elle a conclu que la somme avait été versée à la prestataire parce qu’elle s’était acquittée de ses tâches et de ses responsabilités habituelles au titre d’une convention collective antérieure?

Observation préliminaire

[8] Il est bien établi que je peux examiner uniquement les éléments de preuve qui ont été présentés à la division générale pour trancher le présent appel. La compétence de la division d’appel est limitéeNote de bas de page 1.

Analyse

Position de la Commission

[9] La Commission soutient que la division générale a commis une erreur de droit et de fait lorsqu’elle a conclu que le paiement forfaitaire unique de 2 500 $ n’était pas censé être une prime à la signature et qu’il devait être réparti conformément à l’article 36(4) du Règlement sur l’assurance-emploi.

[10] La Commission soutient que la division générale a commis une erreur de droit dans son interprétation de l’affaire BudhaiNote de bas de page 2. Notamment, dans cette affaire, il a été établi que lorsqu’il y a un lien entre le moment où un paiement forfaitaire est versé et les périodes de travail antérieures, il ne faut pas le considérer comme une prime à la signature.

[11] La Commission soutient qu’il n’y a pas de lien de ce genre dans la présente affaire, car il n’y a aucun lien avec les périodes de travail antérieures incluses dans les paramètres de versement de la prime à la signature. De plus, elle fait valoir que dans l’affaire Budhai, le paiement forfaitaire était lié à une période de travail antérieure précise et avait seulement été versé aux membres du personnel qui avaient travaillé au cours de cette période, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire. La Commission soutient que le versement de 2 500 $ que la prestataire a reçu avait été versé à tous les titulaires de postes du groupe EC au sein du syndicat de la prestataire, à la date de la ratification.

[12] La Commission soutient que la division générale a tiré des conclusions contradictoires. Elle a établi que la somme n’était pas un paiement rétroactif, puis que le paiement forfaitaire unique avait été versé pour des services rendus au titre d’une convention collective antérieureNote de bas de page 3.

[13] Par conséquent, la Commission soutient que la division générale a mal appliqué les faits à la loi et qu’elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon arbitraire, lorsqu’elle a conclu que le paiement forfaitaire unique de 2 500 $ n’était pas une prime à la signature.

[14] La Commission soutient que la division générale a également commis une erreur de droit en décidant que la somme devait être répartie au titre de l’article 36(4) du Règlement sur l’assurance-emploi. Vu l’absence de lien, le versement ne peut pas être réparti pour les services que la prestataire a rendus au titre d’une autre convention collective. La Commission soutient que la somme doit être répartie au titre de l’article 36(19)(b) du Règlement sur l’assurance-emploi.

Position de la prestataire

[15] La prestataire soutient que la division générale n’a commis aucune erreur qui justifierait que la division d’appel intervienne lorsqu’elle a conclu que le versement était une rémunération qui devait être répartie au titre de l’article 36(4) du Règlement sur l’assurance-emploi.

Décision de la division générale

[16] La division générale a conclu que la somme était une rémunération parce que la loi dit que la totalité du revenu qu’une personne tire d’un emploi est une rémunérationNote de bas de page 4.

[17] La division générale a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la somme n’était pas une augmentation de salaire rétroactive parce qu’elle avait seulement été versée aux membres de l’ACEP qui faisaient toujours partie du personnel et de l’unité de négociation au moment de la signature de la nouvelle convention collective. La division générale a conclu que, même si le versement faisait partie d’une entente qui n’avait pas encore été ratifiée, il était plus probable qu’improbable que cette somme n’était pas censée être une prime à la signature.

[18] La division générale n’a pas été convaincue que l’intention dominante du versement de 2 500 $ était [traduction] « d’encourager la ratification de la convention collective ». La division générale a plutôt conclu, d’après les conditions contenues dans la preuve documentaire et les circonstances entourant le versement, qu’il visait principalement des services rendus dans le passé au titre de la convention collective précédente.

La division d’appel est-elle justifiée d’intervenir?

[19] La division générale a conclu que le paiement forfaitaire unique avait été versé aux membres du personnel [traduction] « pour l’exécution des fonctions et des responsabilités habituelles associées à leur poste. »

[20] Toutefois, elle ne justifie ni n’explique clairement pourquoi elle a conclu que le paiement forfaitaire concernait l’exécution de services passés. Elle n’explique pas le lien entre ce paiement et les périodes de travail antérieures pour appuyer sa conclusion selon laquelle le versement avait été fait pour l’exécution de fonctions et de responsabilités habituelles au titre d’une convention collective antérieure.

[21] Pourtant, compte tenu de ses conclusions, il était d’autant plus nécessaire que la division générale se justifie ou fournisse une explication. En effet, elle a conclu d’une part que la somme ne constituait pas une augmentation de salaire rétroactive parce qu’elle avait seulement été versée aux membres de l’ACEP qui faisaient toujours partie du personnel et de l’unité de négociation au moment de la signature de la nouvelle convention collective. D’autre part, elle a conclu que le paiement forfaitaire unique avait été versé pour des services rendus au titre d’une convention collective antérieure.

[22] Il est bien établi que la division générale doit expliquer et justifier clairement les conclusions qu’elle tire. Comme elle ne l’a pas fait, je conclus que la division générale a commis une erreur de droit ou fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraireNote de bas de page 5.

[23] Dans ces circonstances, je conclus également que la division générale a commis une erreur de droit en appliquant ce qu’a dit la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Budhai.

[24] Je suis donc en droit d’intervenir.

Réparation

Il y a deux façons de corriger les erreurs de la division générale

[25] Lorsque la division générale commet une erreur, la division d’appel peut la corriger de deux façons : 1) elle peut renvoyer l’affaire à la division générale pour une nouvelle audience, ou 2) elle peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 6.

Le dossier est assez complet pour trancher la présente affaire sur le fond

[26] Je juge que le dossier est complet. Les deux parties ont eu l’occasion de présenter leurs arguments à la division générale. Je vais donc rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

La somme que la prestataire a reçue est-elle une rémunération selon la Loi sur l’assurance-emploi?

[27] Oui. Le paiement forfaitaire de 2 500 $ est une rémunération. En effet, la loi dit que la totalité du revenu qu’une personne tire d’un emploi est une rémunération. La loi définit à la fois le « revenu » et l’« emploi ». Le revenu est tout ce qu’une personne a reçu ou recevra d’un employeur ou d’une autre personne. Ce n’est pas nécessairement de l’argent, mais c’est souvent le cas. L’emploi est tout travail qu’une personne a fait ou fera au titre d’un contrat de travail ou de servicesNote de bas de page 7.

[28] L’article 35(2) du Règlement sur l’assurance-emploi précise que « la rémunération qu’il faut prendre en compte […] est le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi […] ».

[29] À mes yeux, il ne fait aucun doute que la preuve démontre un lien suffisant entre le revenu touché et l’emploi occupé par la prestataireNote de bas de page 8.

[30] Je ne suis pas d’accord avec la prestataire pour dire que la somme était une augmentation de salaire rétroactive qui l’exempterait d’être qualifiée de rémunérationNote de bas de page 9. Premièrement, l’entente provisoire ne qualifiait pas cette somme d’augmentation de salaire rétroactive et ne l’associait à aucun taux d’augmentation. L’annexe A ne dit pas que le paiement forfaitaire serait lié à une augmentation de taux. De plus, la section sur le paiement forfaitaire est distincte et semble très différente de la section sur l’augmentation du taux qui figure dans le même document.

[31] Mais, plus important encore, cette somme a uniquement été versée aux membres du groupe EC qui faisaient toujours partie du personnel et de l’unité de négociation lorsque la nouvelle convention collective a été signée. Si la somme avait été une augmentation de salaire rétroactive, les anciens membres du personnel l’auraient également reçue.

[32] La preuve et la jurisprudence pertinente appuient clairement la conclusion selon laquelle le paiement forfaitaire versé à la prestataire constitue une rémunération au sens de l’article 35 du Règlement sur l’assurance-emploi et que cette rémunération doit être répartie.

Quelle était la véritable nature du versement? Pourquoi a-t-il été fait?

[33] L’annexe A de l’accord provisoire se lit en partie comme suit :

  • [traduction]
    L’employeur versera un paiement forfaitaire unique de deux mille cinq
    cents dollars (2 500 $) aux titulaires de postes du groupe EC à la date de signature de la convention collective.
  • Cette allocation unique sera versée aux titulaires de postes au sein du groupe EC pour l’exécution des fonctions et des responsabilités habituelles associées à leur poste.

[34] Je note que l’annexe A de l’accord provisoire précise que le versement est fait pour [traduction] « l’exécution des fonctions et des responsabilités habituelles associées à leur poste ». Je remarque également qu’il n’y a aucune mention d’une « prime à la signature », ni dans l’entente provisoire ni dans tout autre document produit en preuve.

[35] J’accorde beaucoup d’importance à la déclaration du négociateur en chef, selon laquelle le paiement forfaitaire n’avait jamais été conçu comme une prime à la signature : cette position a clairement été exprimée pendant les discussions officielles à la table de négociation. Il a également précisé que la somme de 2 500 $ ouvrait droit à pension, ce qui n’aurait pas été le cas s’il avait s’agit d’une « prime à la signature »Note de bas de page 10.

[36] Je juge que la preuve de la prestataire est également appuyée par le fait que le paiement forfaitaire, sans être une augmentation de salaire rétroactive, figurait à l’annexe A concernant les augmentations de taux dès juin 2022, ce qui donne du poids au fait que le versement visait des services passés. Il est clair que le paiement n’a pas été versé pour la prestation de services futurs, c’est-à-dire au titre de la nouvelle échelle salariale. En effet, les fonctionnaires n’avaient pas besoin d’offrir des services dans le cadre de cette nouvelle échelle pour recevoir la somme.

[37] La preuve montre également que les membres n’étaient pas en grève, et qu’il n’était donc pas vraiment nécessaire de les encourager à retourner au travail en leur offrant une prime à la signature. Cela est d’autant plus vrai que le groupe EC a continué à travailler pendant longtemps dans le cadre de l’ancienne convention collective.

[38] Certes, seules les personnes qui étaient membres du groupe EC au moment de la signature pouvaient recevoir la somme. Toutefois, cette situation n’empêche pas de conclure que la somme avait été versée aux membres toujours actifs du groupe EC, pour les services qu’ils avaient rendus au titre d’une convention collective antérieure.

[39] La Commission soutient que la somme était une prime à la signature, une incitation à signer la nouvelle convention collective. Toutefois, elle ne fournit aucune preuve convaincante qui me permettrait de conclure qu’il s’agissait de l’intention dominante du versement.

[40] Comme il l’est précisé dans la décision Budhai, toutes les dispositions d’une convention collective visent à encourager son acceptation et dépendent de sa ratification. Il faut établir, d’après les conditions d’une entente et les circonstances entourant celle-ci, quelle était l’intention dominanteNote de bas de page 11.

[41] Il a été décidé dans l’affaire Budhai que, lorsqu’il y a un lien entre le moment où un paiement forfaitaire est versé et les périodes de travail antérieures, il ne faut pas le considérer comme une prime à la signature. Il a également été établi qu’il n’est pas nécessaire de préciser le nombre d’heures travaillées par le membre du personnel pour que la somme promise soit versée « en échange des services rendus ».

[42] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, je conclus que la prestataire s’est acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait. Elle a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a un lien entre le paiement forfaitaire et ses périodes de travail antérieures et qu’il ne faut pas considérer ce paiement comme une prime à la signature.

[43] Je conclus que, d’après les conditions de l’entente et les circonstances entourant celle-ci, que l’intention dominante n’était pas que le paiement serve de prime à la signature, mais qu’il était plutôt lié à des fonctions et des responsabilités habituelles exécutées au titre d’une convention collective antérieure.

Quel article sur la répartition s’applique?

[44] L’article 36(4) du Règlement sur l’assurance-emploi peut s’appliquer à une somme payable pour des services déjà rendus au titre d’un contrat antérieur. Comme je l’ai mentionné plus haut, une somme peut être versée « en échange des services rendus », même si l’admissibilité à celle-ci ne dépend pas d’un nombre d’heures de travail minimal.

[45] Je conclus que le paiement forfaitaire de la prestataire doit être réparti au titre de l’article 36(4) du Règlement sur l’assurance-emploi, puisqu’il a été versé pour des services rendus dans le cadre d’un contrat de travail antérieur. Il n’est pas nécessaire que j’envisage de répartir la somme au titre de l’article 36(19)(b) du Règlement sur l’assurance-emploi puisque l’article 36(4) s’applique déjà.

[46] Comme j’ai conclu que la somme a été versée pour des services rendus dans le passé, elle doit être répartie sur la période pendant laquelle ils ont été rendus, soit avant que soit établie la période de prestations spéciales de la prestataire.

Conclusion

[47] L’appel de la Commission est rejeté.

[48] Le paiement forfaitaire reçu par la prestataire doit être réparti au titre de l’article 36(4) du Règlement sur l’assurance-emploi, sur la période pendant laquelle les services ont été rendus, soit avant sa période de prestations spéciales d’assurance-emploi débutant le 27 novembre 2022, sur la base de sa demande initiale.

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