Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 1262

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : A. C.
Représentante ou représentant : Philippe Chretien
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (637751) datée du 8 janvier 2024 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Lilian Klein
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 28 mars 2024
Personne présente à l’audience : Représentant de l’appelante
Date de la décision : Le 12 avril 2024
DATE DU CORRIGENDUM : Le 2 mai 2024
Numéro de dossier : GE-24-535

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille le présent appel. Je suis d’accord avec l’appelante. Ma décision explique pourquoi.

[2] Je conclus que la véritable raison pour laquelle l’employeur a versé une somme à l’appelante le 8 novembre 2023 était parce qu'elle avait fourni des services avant de commencer son congé de maternité et de demander des prestations d’assurance-emploi. Il s’agit d’une rémunération provenant d’un emploi qui doit être répartie.

[3] Cependant, la Commission de l’assurance-emploi du Canada a mal identifié cette somme comme étant une prime à la signature, et elle l’a répartie sur une semaine de la période de prestations de l’appelante. Cela a entraîné un trop-payé.

[4] La Commission devrait corriger la façon dont elle a réparti le paiement forfaitaire de l’appelante, comme il est décrit ci-dessous afin d'éliminer le trop-payé.

Aperçu

[5] L’appelante est une employée permanente du gouvernement du Canada. Elle est représentée par l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP).

[6] L’appelante a commencé une période de prestations de maternité et de prestations parentales de l’assurance-emploi le 27 novembre 2022. Au cours du dernier mois de sa période de prestations d’un an, son employeur lui a versé une somme de 2 500 $. Elle a déclaré cette somme à la Commission, qui a décidé qu’il s’agissait d’une « prime à la signature » pour avoir ratifié une convention collective. Elle a réparti cette somme à titre de rémunération sur une semaine de la période de prestations de l'appelante.

[7] La façon dont cette somme a été répartie a entraîné un trop-payé. L’appelante risque également de perdre le « supplément » que l’employeur paie pour chaque semaine où elle reçoit de l’assurance-emploi.

[8] L’appelante fait valoir que cette somme lui a été versée au titre d’un contrat de travail pour l’exécution de services. Elle devrait donc être répartie sur la période pendant laquelle elle a fourni ces services. Elle affirme que le langage des négociateurs montre que c’était leur véritable intention et l’intention « dominante » du versement.

[9] Toute rémunération doit être répartie, mais c’est la raison du versement qui établit la façon de la répartir. Je dois donc décider de la nature de la rémunération pour savoir si la Commission l’a répartie correctement.

Les questions que je dois trancher

[10] Le paiement forfaitaire que l’appelante a reçu pendant son congé de maternité est-il considéré comme une rémunération? Dans l’affirmative, quelle était la nature de cette rémunération?

[11] La Commission a-t-elle réparti la rémunération de l’appelante correctement?

Analyse

La somme que l’appelante a reçue est-elle une rémunération?

[12] Oui. Le paiement forfaitaire de 2 500 $ est une rémunération. En effet, la loi dit que la totalité du revenu qu’une personne tire d’un emploi est une rémunérationNote de bas de page 1.

[13] La loi définit à la fois le « revenu » et l’« emploi ». Le revenu est tout ce qu’une personne a reçu ou recevra d’un employeur ou d’une autre personne. Il ne s’agit pas nécessairement d’argent, mais c’est souvent le cas. Lemploi est tout travail qu’une personne a fait ou fera au titre d’un contrat de travail ou de servicesNote de bas de page 2.

[14] Si une partie prestataire de l’assurance-emploi veut faire valoir qu'une somme qu’elle a reçue alors qu’elle recevait de l’assurance-emploi n’est pas une rémunération, elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’il s’agissait d’autre choseNote de bas de page 3.

[15] Toute somme provenant d’un emploi est répartie à titre de rémunération, à moins qu’elle ne relève d’une exception prévue à l’article 35(7) du Règlement sur l’assurance-emploi

[16] Pour voir si une exemption s’applique, je dois d’abord établir la « vraie nature » de la rémunérationNote de bas de page 4. Ailleurs, la Commission reconnaît la nécessité d’examiner tous les documents pertinents pour savoir ce que les parties avaient l’intention de faireNote de bas de page 5. Cela signifie qu’il faut examiner les faits et le langage de chaque affaire pour trouver l’intention « dominante » du versement de la rémunération.

Quelle était la véritable nature du versement? Pourquoi a-t-il été fait?

[17] J’ai d’abord examiné si le paiement forfaitaire de l’appelante constituait une augmentation de salaire rétroactive. La Commission n’a pas présenté cet argument, mais l’appelante m’a demandé de l’examiner. Si la somme était versée rétroactivement, elle serait exemptée de la répartition prévue à l’article 35(7)(d) du Règlement sur l’assurance-emploi. Par conséquent, la méthode de répartition ne poserait pas de problème.

[18] Cependant, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, la somme versée n’était pas une augmentation de salaire rétroactive.

[19] Avant de tirer cette conclusion, j’ai noté que le versement figurait dans la même annexe de l’entente provisoire que les dispositions sur les augmentations de salaire rétroactives. J’ai donc examiné si le versement pouvait « découler » de ces augmentations de salaireNote de bas de page 6. Cependant, je juge que je ne peux pas tirer cette conclusion des éléments de preuve disponibles. J’ai donc accordé plus d’importance aux facteurs suivants.

[20] Premièrement, l’entente provisoire ne qualifiait pas la somme d’augmentation de salaire rétroactive ni ne la liait à une augmentation en pourcentage. Si elle avait été liée aux augmentations en pourcentage de l’annexe A, le montant serait certainement différent pour les membres du personnel à différents points de salaireNote de bas de page 7.

[21] Deuxièmement, le chef de l’équipe de négociation a confirmé qu’il n’avait pas l’intention de verser une augmentation de salaire rétroactiveNote de bas de page 8. Il aurait pu utiliser ce langage, mais il ne l’a pas fait.

[22] Troisièmement, la somme a été versée uniquement aux membres de l’ACEP qui faisaient toujours partie du personnel ainsi que de l’unité de négociation au moment de la signature de la nouvelle convention collective. S’il avait s’agit d’une augmentation de salaire rétroactive, les anciens membres du personnel l’auraient également reçue.

[23] Je suis donc d’accord avec la Commission pour dire que cette somme n’est pas exemptée de la répartition, comme une augmentation de salaire rétroactive l’aurait été. Cependant, je ne suis pas d’accord avec le fait qu’elle la qualifie de rémunération au sens de l’article 35(2)(a) du Règlement sur l’assurance-emploi. Cet article traite des « salaires, avantages ou autres rétributions » liés à la vente des biens d’un employeur failli.

[24] Je conclus que la somme est une rémunération au sens de l’article 35(1)(a) du Règlement sur l’assurance-emploi puisqu’elle a été versée pour un travail effectué au titre d’un contrat de travail.

[25] Même si cette somme est une rémunération au sens de l’article 35(1)(a) du Règlement sur l’assurance-emploi, la façon dont elle est répartie dépend de la raison pour laquelle elle a été versée. C’est donc ce qui déterminera la façon dont le versement de l’appelante doit être réparti au titre de l’article 36 du Règlement sur l’assurance-emploi.

La somme était-elle une prime à la signature?

[26] Non. J’ai tenu compte du fait que le versement faisait partie d’une entente qui n’avait pas encore été ratifiée, mais je juge tout de même qu’il est plus probable qu’improbable que cette somme n’avait pas pour but de servir de prime à la signature. 

[27] La Commission affirme que la somme était une prime à la signatureNote de bas de page 9. Elle a annoncé que le versement était [traduction] « une incitation à promouvoir la ratification de la convention collective » datée du 16 juin 2023. Elle a dit que le versement était [traduction] « expressément conditionnel à la signature de cette entente »Note de bas de page 10.

[28] La Commission a peu à ajouter sur la raison pour laquelle elle a tiré cette conclusion. Elle n’a pas commenté les multiples documents que l’appelante a déposés après le dépôt de son appelNote de bas de page 11. Elle n’a pas assisté à l’audience pour répondre à ses arguments. De plus, elle n’a fait aucune mention d’une décision clé de la Cour d’appel fédérale qui est pertinente au présent appelNote de bas de page 12. Les décisions de la Cour d’appel fédérale sont contraignantes, alors elles doivent être prises en considération.

[29] L’appelante affirme que la rémunération a été versée pour l’exercice de fonctions avant son congé de maternité. Il ne s’agissait pas d’une prime à la signature. J’ai résumé ses arguments comme suit :

  • La Commission s’est appuyée sur la généralisation selon laquelle des sommes forfaitaires sont versées pour inciter les membres du personnel à signer une nouvelle entente. Certains membres du personnel du gouvernement étaient en grève, mais pas ceux de son unité de négociation. Il n’aurait donc pas été nécessaire de l’inciter à retourner au travail en lui offrant une prime à la signature.
  • La Commission a émis un bulletin d’interprétation général pour tous les fonctionnaires qui avaient reçu un montant forfaitaire. Elle n’a pas tenu compte du fait que le libellé des conventions collectives et les dates de ratification différaient d’une unité de négociation à l’autre. La date de ratification du 16 juin 2023 qu’elle mentionne est pour l’AFPC, et non pour elleNote de bas de page 13.
  • L’entente provisoire de l’ACEP précise explicitement que ce versement aux membres du personnel est pour l’exécution fonctions et de responsabilités habituelles associées à leur poste. Le chef de l’équipe de négociation l’a confirmé.
  • Une prime à la signature serait discriminatoire envers les membres de l’ACEP en congé de maladie ou en congé de maternité, car ce versement leur ferait perdre des prestations d’assurance-emploi et des prestations supplémentaires.

Mes conclusions

[30] Je suis d’accord avec l’appelante pour dire que le paiement forfaitaire a été versé aux membres du personnel [traduction] « pour l’exécution de fonctions et de responsabilités habituelles associées à leur poste »Note de bas de page 14.  

[31] Voici un résumé des raisons pour lesquelles je suis d’accord avec l’appelante :

  • Bien que l’annexe A de l’entente provisoire porte principalement sur les augmentations de salaire, le versement unique est énuméré comme un élément distinct et précis.
  • L’entente provisoire précise que ce versement est fait pour [traduction] « l’exécution de fonctions et de responsabilités habituelles »Note de bas de page 15. Il est plus probable qu’improbable que les mots « prime à la signature » seraient apparus si telle avait été l’intention.
  • Les membres de l’[ACEP] CPAC n’étaient pas en grève, alors je conviens qu’il n’aurait pas été nécessaire de les inciter à retourner au travail en leur offrant une prime à la signature.
  • Je doute que les négociateurs se soient entendus sur une mesure discriminatoire qui coûterait aux membres du personnel en congé de maladie ou de maternité leurs prestations d’assurance-emploi ou « suppléments ».
  • Le versement unique ouvrait droit à pension, mais pas la prime à la signature.
  • La Commission n’a fourni aucune preuve contredisant la confirmation du négociateur en chef selon laquelle la somme n’était pas une prime à la signature.

[32] J’estime que la combinaison de ces arguments est convaincante. J’ai accordé la plus grande importance aux deux derniers points. Cela s’explique par les pouvoirs du négociateur en chef, comme il est mentionné ci-dessousNote de bas de page 16. Je peux donc présumer que ses propos reflètent fidèlement l’intention du gouvernement quant à la « véritable nature » du paiement forfaitaire. De plus, celle-ci ouvrait droit à pension, ce qui ne s’appliquerait pas à une prime à la signature. La Commission n’a pas répondu à cet argument.

[33] Je conclus donc que l’intention « dominante » du versement de la somme était liée à l’exécution de fonctions et de responsabilités habituelles au titre d’une convention collective antérieure. Il ne s’agissait pas d’une prime à la signature pour encourager la ratification de la nouvelle convention collective de l’ACEP, qui devait entrer en vigueur le 22 juin 2023Note de bas de page 17.

La Commission a-t-elle réparti le paiement forfaitaire correctement?

[34] Non. La loi dit que toute rémunération doit être répartie, mais la façon dont elle est répartie dépend de la raison pour laquelle elle est reçueNote de bas de page 18. La Commission a mal cerné cette raison.

[35] La répartition de la rémunération est importante. Lorsque la rémunération est répartie sur des semaines d’une période de prestations, cela peut réduire, voire annuler, les prestations payables pour ces semainesNote de bas de page 19. La loi dit qu’une personne doit rembourser les prestations d’assurance-emploi qui lui ont été versées en tropNote de bas de page 20.

[36] La Commission affirme que le paiement forfaitaire de l’appelante devrait être réparti comme [traduction] « un type de prime liée à un événement particulier, qui est versée après la signature d’une convention collective »Note de bas de page 21. Elle a donc réparti la somme prévue à l’article 36(19)(b) du Règlement sur l’assurance-emploi sur la semaine du 11 juin 2023. Elle a fondé cette date sur la ratification d’une convention collective le 16 juin 2023. Pour cette raison, elle a demandé à l’appelante de rembourser les prestations d’assurance-emploi qu’elle a reçues pour cette semaine-là.

[37] Cependant, la loi prévoit que lorsqu’une somme est versée au titre d’un contrat de travail pour l’offre de services, elle doit être répartie au moment où les services ont été rendusNote de bas de page 22.

[38] Par conséquent, la Commission n’aurait pas dû répartir le montant forfaitaire de l’appelante sur une semaine où elle était en congé de maternité et recevait de l’assurance-emploi. Cette somme devrait être répartie à titre de rémunération sur une période pendant laquelle elle s’est acquittée de ses fonctions et de ses responsabilités habituelles. C’était avant son départ en congé de maternité.

[39] La question suivante que l’appelante a posée est de savoir si la somme devrait être répartie conformément à l’article 36(4) ou à l’article 36(19)(a) du Règlement sur l’assurance-emploi.

Quel article sur la répartition s’applique?

[40] Je conclus que le paiement forfaitaire de l’appelante devrait être réparti au titre de l’article 36(4) du Règlement sur l’assurance-emploi puisqu’il s’agissait d’une somme versée pour des services rendus au titre d’un contrat de travail.

[41] La Commission a réparti la somme au titre de l’article 36(19)(b) du Règlement sur l’assurance-emploi, qui attribue une prime à la signature à la date d’une « opération ». Comme je l’ai mentionné plus haut, l’opération consistait en la ratification d’une convention collective le 16 juin 2023. Cependant, l’entente ratifiée le 16 juin 2023 était conclue avec une autre unité de négociation. Par conséquent, ce n’est pas pertinent dans la présente affaire.

[42] L’appelante affirme que la Commission n’aurait pas dû répartir la somme sur une date d’opération pendant sa période de prestations. Elle m’a demandé de décider si la somme devrait plutôt être répartie au titre de l’article 36(4) ou de l’article 36(19)(b) du Règlement sur l’assurance-emploi.

[43] L’article 36(4) du Règlement sur l’assurance-emploi peut s’appliquer à une entente de versement d’un montant supplémentaire pour des services qu’une personne a déjà rendus au titre d’une autre ententeNote de bas de page 23. J’ai déjà conclu que l’employeur de l’appelante lui a versé un paiement forfaitaire parce qu’elle s’est acquittée de ses fonctions et de ses responsabilités habituelles au titre d’une entente antérieure.

[44] La somme doit donc être répartie au titre de l’article 36(4) du Règlement sur l’assurance-emploi sur la période précédant le début de son congé de maternité alors qu’elle exécutait encore ses fonctions habituelles.

[45] Il n’est pas nécessaire que j’envisage de répartir la somme au titre de l’article 36(19)(a) du Règlement sur l’assurance-emploi puisque l’article 36(4) s’applique déjàNote de bas de page 24.

Conclusion

[46] Le paiement forfaitaire versé par l’employeur à l’appelante pendant son congé de maternité constitue une rémunération au titre de l’article 35(1)(a) du Règlement sur l’assurance-emploi. La Commission a mal réparti cette somme. Elle doit être répartie au titre de l’article 36(4) du Règlement sur l’assurance-emploi. Voilà pourquoi j’accueille l’appel.

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