Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c GS, 2024 TSS 1026

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Julie Duggan
Partie intimée : G. S.

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 2 mai 2024 (GE-24-1314)

Membre du Tribunal : Glenn Betteridge
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 14 août 2024
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimé
Date de la décision : Le 27 août 2024
Numéro de dossier : AD-24-397

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille l’appel de la Commission de l’assurance-emploi du Canada. La division générale a fait une erreur de droit et une erreur de fait importante.

[2] J’ai fait deux choses pour apporter les corrections nécessaires. Premièrement, j’ai décidé que la Commission a démontré que G. S. a bien quitté son emploi. Deuxièmement, je renvoie le dossier à la division générale pour qu’elle décide s’il était fondé à quitter son emploi quand il l’a fait (c’est-à-dire s’il avait une raison acceptable selon la loi).

[3] Je comprends tout à fait qu’il soit frustré par la longueur des délais pour obtenir une décision définitive. Quand son appel sera revenu devant la division générale, il pourra lui demander d’accélérer les choses (ou, comme on dit en droit, de procéder plus rapidement).

Aperçu

[4] G. S. est le prestataire dans la présente affaire. Il a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi après avoir cessé de travailler comme de chauffeur de camion et conducteur de grue dans un magasin à grande surface qui vend des articles pour la maison (employeur).

[5] La Commission a rejeté sa demande de prestations. Elle a décidé qu’il était exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’il avait quitté son emploi de façon volontaire (ou démissionné) sans que ce soit justifiéNote de bas de page 1. Le prestataire lui a demandé de réviser son dossier, mais la Commission a maintenu sa décision.

[6] Le prestataire a fait appel à la division générale du Tribunal. Celle-ci a accueilli son appel. Elle a conclu que la Commission n’avait pas démontré qu’il avait quitté son emploi, car il y avait eu un manque de travail.

[7] J’ai donné à la Commission la permission de faire appel. Elle soutient que la division générale a fait une erreur de droit et une erreur de fait importante. Le prestataire affirme plutôt que la division générale n’a pas fait d’erreur. Il n’a pas quitté son emploi.

Questions en litige

[8] Je dois trancher trois questions :

  • La division générale a-t-elle fait une erreur de droit parce qu’elle n’a pas appliqué le bon critère juridique pour décider si le prestataire a démissionné?
  • La division générale a-t-elle commis une erreur de fait importante parce qu’elle a ignoré la preuve provenant de l’employeur?
  • Si la division générale a fait une erreur, comment dois-je la corriger?

Analyse

[9] J’accueille l’appel de la Commission parce que la division générale a fait une erreur de droit et une erreur de fait importante.

[10] Selon les parties, si je concluais qu’il y avait une erreur, il fallait que je rende la décision que la division générale aurait dû rendre. J’ai tranché une des questions. Le prestataire a quitté son emploi. Je renvoie son dossier à la division générale pour qu’elle tranche l’autre question : était-il fondé à quitter son emploi étant donné toutes les circonstances entourant sa démission?

Rôle de la division d’appel

[11] La loi donne à la division d’appel le pouvoir de corriger la décision de la division générale si la Commission démontre que la division générale a fait l’une des erreurs suivantes :

  • La division générale avait un parti pris ou sa procédure était injuste.
  • Elle a tranché une question alors qu’elle n’aurait pas dû le faire ou elle n’a pas tranché une question alors qu’elle aurait dû le faire. En droit, c’est ce qu’on appelle une erreur de compétence.
  • Elle a fondé sa décision sur une erreur de droit.
  • Elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 2.

[12] Si la Commission n’arrive pas à démontrer que la division générale a fait une erreur, je dois rejeter son appel.

Ce que la division générale devait décider

[13] Selon les articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi, les personnes qui quittent volontairement leur emploi sans justification sont exclues du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[14] La division générale devait décider si la Commission a prouvé que le prestataire avait la possibilité de faire un choix et que son choix était de quitter son emploi. Si la Commission réussissait à en faire la preuve, la division générale devait décider si le prestataire avait prouvé qu’il était fondé à quitter son emploi compte tenu de toutes les circonstances entourant son départ.

La division générale a utilisé le mauvais critère juridique pour décider si le prestataire avait démissionné

[15] La division générale fait une erreur de droit quand elle n’applique pas le bon critère juridique ou qu’elle ne suit pas une décision de la cour alors qu’elle devait le faire.

[16] La Cour fédérale a affirmé que, pour décider si une personne a quitté son emploi de façon volontaire, il faut répondre à une question simple : comme employée, la personne avait-elle le choix de rester ou de quitterNote de bas de page 3?

[17] La division générale précise qu’elle doit appliquer ce critère, citant la décision de la Cour fédérale dans l’affaire PeaceNote de bas de page 4. C’est par la suite, dans son analyse, qu’elle a fait fausse route, quand elle cherchait à savoir si le prestataire avait la possibilité de faire un choix et s’il avait choisi de partir.

[18] La division générale a décidé que le prestataire n’avait pas quitté son emploi de façon volontaire parce que la preuve permettait de conclure qu’il y avait eu un manque de travailNote de bas de page 5. Cette conclusion ne répond pas à la question de savoir si le prestataire a mis fin à la relation d’emploi quand il est parti ou si c’est plutôt l’employeur qui a mis fin à la relation. Autrement dit, la division générale n’a pas utilisé le bon critère juridique, celui de la décision Peace, pour décider si le prestataire avait démissionné.

[19] La division générale devait examiner les éléments de preuve pertinents pour décider si le prestataire avait le choix de rester ou de partir le dernier jour où il a travaillé (le 14 novembre 2023). Et s’il pouvait choisir, a-t-il choisi de partir? Elle devait porter son attention sur ce qu’il a dit et ce qu’il a fait durant sa dernière journée de travail. Elle pouvait aussi regarder si une autre personne avait fait ou dit quelque chose qui avait enlevé au prestataire la possibilité de faire un choix.

[20] Mais ce n’est pas ce que la division générale a fait. Elle s’est plutôt penchée sur l’explication du prestataire au sujet de la colère et de la frustration qu’il a ressenties quand il a quitté son lieu de travail et exigé son relevé d’emploi. Et elle a accordé beaucoup d’importance à ce qu’il a dit sur les raisons pour lesquelles il n’aurait jamais démissionné et n’a certainement pas quitté son emploi. Mais elle aurait dû regarder ce qu’il a dit et fait durant son dernier jour de travail. C’est ce qu’elle devait faire pour décider s’il avait le choix de rester ou de partir, et si oui, quel choix il a fait.

[21] Comme elle n’a pas examiné la question posée dans la décision Peace, la division générale a confondu les deux volets du critère juridique du départ volontaire. Elle a mélangé les notions de départ volontaire et de départ justifié. En conséquence, la division générale s’est trompée en intégrant dans son analyse du départ volontaire les circonstances entourant la justification du départ.

[22] Dans son analyse du départ volontaire, la division générale a surtout regardé les actes et la présumée motivation de l’employeur du prestataire. Elle a aussi porté son attention sur le moment où le prestataire « s’est rendu compte » que son employeur avait l’intention de former un travailleur moins bien payé pour le remplacer. Elle semble admettre que les membres de la famille qui possédaient l’entreprise ont élaboré un plan pour éviter de verser une indemnité de départ et des heures supplémentaires au prestataire. Elle a regardé s’il avait eu les heures qui lui avaient été promises dans son contrat initial. Elle a aussi pris en compte le fait qu’il croyait que son employeur n’avait pas de travail pour lui. Elle a décidé qu’il y avait eu un manque de travail, ce qui voulait dire qu’il n’avait pas démissionné.

[23] Ces faits, que la division générale a examinés, évoquent les circonstances prévues à l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi pour établir le critère du départ justifié. Par exemple, on pourrait les considérer comme une modification importante des conditions de rémunération, une modification importante des fonctions, la non-rémunération des heures supplémentaires, une incitation indue par l’employeur pour que le prestataire démissionne ou des pratiques de l’employeur qui sont contraires au droit.

[24] Ainsi, la division générale n’a pas utilisé le bon critère juridique pour décider si le prestataire avait quitté son emploi de façon volontaire. Elle n’a pas répondu à la question simple tirée de la décision Peace. Elle n’a pas examiné les circonstances prévues à l’article 29(c) de la Loi pour évaluer la justification du départ comme elle devait le faire.

[25] Tout cela me montre que la division générale a fait une erreur de droit.

La division générale a commis une erreur de fait importante en ignorant la preuve de l’employeur

[26] La division générale commet une erreur de fait importante si elle fonde sa décision sur une conclusion de fait qu’elle a tirée après avoir ignoré ou mal compris des éléments de preuve pertinentsNote de bas de page 6 (autrement dit, si la preuve contredit carrément ou n’appuie pas une conclusion de fait que la division générale devait tirer pour rendre sa décision).

[27] La loi dit aussi que je peux présumer que la division générale a examiné tous les éléments de preuve, sans qu’elle soit obligée de les mentionner un à unNote de bas de page 7. Je peux écarter cette présomption si jamais il est hautement probable que les éléments de preuve non mentionnés dans sa décision permettront de prouver un fait pertinentNote de bas de page 8.

[28] L’employeur a fourni à la Commission des éléments de preuve sur ce qui s’est passé durant le dernier jour de travail du prestataireNote de bas de page 9. La division générale mentionne un courriel de l’employeurNote de bas de page 10. Mais c’est seulement pour souligner qu’il a été envoyé deux heures après les événements survenus le dernier jour de travail du prestataire. La division générale ne précise pas ce que dit le courriel. Elle n’a pas non plus mentionné les autres documents que l’employeur a transmis à la Commission.

[29] La preuve de l’employeur avait une grande pertinence étant donné la question que la division générale devait trancher : le 14 novembre 2023, le prestataire avait-il le choix de rester ou de partir et a-t-il choisi de partir?

[30] La preuve de l’employeur contredit directement les éléments de preuve présentés par le prestataire et son argument voulant qu’il n’ait pas pu démissionner parce qu’il n’y avait aucun travail pour lui et qu’il avait besoin de cet emploi. Par conséquent, la division générale aurait dû examiner ces éléments avant de les comparer aux autres éléments de preuve pertinents. Mais ce n’est pas ce qu’elle a fait. Elle a accepté la preuve du prestataire, puis elle a fondé sa décision sur cette preuve.

[31] La division générale a décidé que le prestataire n’a pas démissionné, mais dans l’ensemble, les éléments de preuve de l’employeur n’appuient pas cette décision. En fait, ils la contredisent. La division générale a ignoré ces éléments de preuve et elle a fondé sa décision sur une conclusion qu’elle a tirée sans tenir compte de ces éléments. En conséquence, la division générale a commis une erreur de fait importante.

Réparation : Je vais décider si le prestataire a démissionné et renvoyer son dossier à la division générale pour qu’elle décide s’il était fondé à quitter son emploi

[32] La loi me donne le pouvoir de corriger l’erreur de la division généraleNote de bas de page 11. Dans les appels comme celui-ci, je peux habituellement utiliser deux pouvoirs :

  • Je peux renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen.
  • Je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre (selon la preuve portée à sa connaissance, sans examiner aucun nouvel élément de preuve).

[33] Le prestataire et la Commission étaient d’accord sur un point : si je relevais une erreur, je devais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[34] Je ne suis pas d’accord avec les parties. Si je tranchais l’appel du prestataire, ce serait injuste envers lui. J’irai plus en détail dans les prochains paragraphes.

[35] Je vais exercer les deux pouvoirs que j’ai mentionnés plus haut. Je vais trancher une des questions, en vérifiant si le prestataire a quitté son emploi. Et je renvoie son dossier à la division générale pour qu’elle décide s’il était fondé à quitter son emploi.

Le prestataire a quitté son emploi

[36] J’ai examiné les éléments de preuve portés à la connaissance de la division générale (les documents et le témoignage du prestataire à l’audience). Je juge qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que le prestataire avait le choix de rester ou de quitter son emploi et qu’il a choisi de partir. Ces deux choses se dégagent de ce qu’il a fait, de ce qu’il a dit et de ce qu’il a écrit.

[37] Les éléments de preuve présentés par le prestataire et par l’employeur concordent, ou du moins ne comportent aucune contradiction directe, au sujet des faits suivants :

  • L’employeur a demandé au prestataire de rentrer travailler le 13 novembre 2023. Il devait avoir congé ce jour-là, mais il est quand même allé travailler.
  • Le prestataire est venu au travail le 14 novembre 2023. Il a vu un autre employé se préparer à prendre la route avec le camion qu’il appelle [traduction] « son » camion. C’est son employeur qui en est le propriétaire.
  • Son superviseur lui a demandé d’utiliser un autre camion.
  • Le prestataire a senti un manque de respect. Il s’est fâché. Il a crié après le superviseur et l’employé qui se trouvait dans « son » camion.
  • Il a dit qu’il n’y avait pas de travail pour lui.
  • Il a demandé son relevé d’emploi (ses papiers pour l’assurance-emploi).
  • Il a quitté le lieu de travail en voiture.
  • Après son départ, il a envoyé un message texte à un des gestionnaires. Il a écrit : [traduction] « … alors au lieu de me garder au travail, vous y allez avec une classe B je vais devoir aller voir ailleurs, alors maintenant j’aimerais bien avoir mes papiers pour l’assurance-emploi. Merci infiniment pour le travailNote de bas de page 12. » Il écrit ensuite : [traduction] « […] quand j’arrive au travail pour m’occuper du chaland et qu’ils sont en train d’envoyer quelqu’un d’autre … je pourrais en dire long, mais je laisse faireNote de bas de page 13. »
  • Plus tard ce matin-là, il a envoyé un texto à son employeur. Il a demandé ses papiers d’assurance-emploi et son indemnité de vacances. Il a demandé à l’employeur de lui rendre ses vêtements imperméables, deux casques de sécurité et un outil qu’il avait apporté au travail.

[38] Rien ne prouve que son employeur l’a mis à pied.

[39] Ces éléments de preuve montrent que le prestataire avait le choix de rester ou de partir et qu’il a choisi de partir. Il a quitté son lieu de travail. Il a demandé ses papiers d’assurance-emploi au moins deux fois. Il a demandé à l’employeur de lui rendre ses biens personnels et de lui verser l’argent qui lui était dû. Et il a écrit qu’il laissait tomber et qu’il devait essayer de trouver du travail ailleurs.

[40] Autrement dit, la preuve montre que le prestataire a quitté son emploi le 14 novembre 2023.

Je renvoie le dossier à la division générale pour qu’elle décide si le prestataire était fondé à quitter son emploi

[41] J’ai écouté l’audience de la division générale. La membre a très brièvement décrit les grandes lignes du critère juridique qu’elle devait appliquerNote de bas de page 14. Presque toute l’audience a été consacrée aux événements du 14 novembre 2023. Autrement dit, durant l’audience, la division générale a porté son attention sur ce qui a mis fin à l’emploi du prestataire.

[42] Je pense que la division générale n’a pas tranché activement la question de la justification du départ. Elle n’a pas expliqué l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi, qui met l’accent sur les circonstances entourant le départ du prestataire. Elle n’a mentionné aucune des circonstances énumérées à cet article. Elle n’a pas non plus expliqué que la personne doit démontrer que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans les circonstances.

[43] Ce que le prestataire a dit à la Commission de même que les arguments et les éléments de preuve qu’il a présentés semblaient évoquer les circonstances qui figurent à l’article 29(c). Pourtant, la division générale ne s’est pas penchée sur ces circonstances. Elle n’a pas non plus demandé au prestataire de répondre aux solutions raisonnables proposées par la Commission.

[44] Je ne dis pas que la membre de la division générale devait faire toutes ces choses. Mais comme elle n’en a fait aucune, je n’ai pas les éléments de preuve et les arguments dont j’ai besoin pour décider si le prestataire était fondé à quitter son emploi au titre de l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[45] Par souci d’équité envers le prestataire, je renvoie son dossier à la division générale pour qu’elle tranche une question : le prestataire était-il fondé à quitter son emploi quand il l’a fait, compte tenu de toutes les circonstances à ce moment-là? Il aura l’occasion de présenter des éléments de preuve et des arguments sur les circonstances entourant son départ. Il pourra aussi dire pourquoi, dans les circonstances, quitter son emploi était la seule solution raisonnable.

Conclusion

[46] J’accueille l’appel de la Commission parce que la division générale a fait une erreur de droit et une erreur de fait importante.

[47] J’ai décidé que la Commission a démontré que le prestataire a quitté son emploi le 14 novembre 2023.

[48] Je renvoie son dossier à la division générale pour qu’une ou un autre membre examine et tranche une question : le prestataire était-il fondé à quitter son emploi au titre de l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi?

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