[TRADUCTION]
Citation : KD c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 1398
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision relative à une prolongation de délai et à une demande de permission de faire appel
Partie demanderesse : | K. D. |
Représentante ou représentant : | A. D. |
Partie défenderesse : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Décision portée en appel : | Décision datée du 4 juillet, 2024 rendue par la division générale (GE-22-105) |
Membre du Tribunal : | Solange Losier |
Date de la décision : | Le 14 novembre, 2024 |
Numéro de dossier : | AD-24-700 |
Sur cette page
Décision
[1] J’accorde une prolongation du délai pour présenter une demande à la division d’appel.
[2] Cependant, je refuse la permission de faire appel. L’appel n’ira donc pas de l’avant.
Aperçu
[3] K. D. est la prestataire dans cette affaire. Elle a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.
[4] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé de façon rétroactive que la prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations parce qu’elle n’avait pas prouvé sa disponibilité pour travaillerNote de bas page 1. Cela a donné lieu à un trop-payé de prestations.
[5] La prestataire a déposé une contestation constitutionnelle à la division générale du Tribunal. Elle a soutenu que l’article 18(1) et l’article 25(1)(a) de la Loi sur l’assurance-emploi violaient l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.
[6] La division générale a entendu et rejeté son appel fondé sur la Charte. Elle a conclu que la prestataire n’avait pas démontré en quoi les deux articles susmentionnés de la Loi sur l’assurance-emploi violaient l’article 15 de la CharteNote de bas page 2. Plus précisément, elle n’avait pas démontré comment l’un ou l’autre de ces articles créait ou contribuait à établir une distinction discriminatoire fondée sur l’âge.
[7] La prestataire demande maintenant la permission de faire appelNote de bas page 3. Elle soutient que la division générale a commis plusieurs erreurs révisables dans sa décision.
[8] Je rejette la demande de permission de faire appel parce que la demande n’a aucune chance raisonnable de succès.
Questions en litige
[9] Voici les questions que je dois trancher :
- a) La demande a-t-elle été présentée en retard à la division d’appel?
- b) Si oui, dois-je prolonger le délai permettant de présenter la demande?
- c) Est-il possible de soutenir que la division générale a commis une erreur révisable?
Analyse
La demande de la prestataire a été présentée en retard à la division d’appel
[10] La division générale a rendu deux décisions.
[11] Le 24 novembre 2023, la division générale a rendu une « décision interlocutoire » sur l’appel fondé sur la Charte de la prestataire. Elle a rejeté l’appel. Par conséquent, l’affaire est retournée au processus régulier (pour les appels non fondés sur la Charte) pour être entendue sur le fond.
[12] Le 3 juillet 2024, la division générale a rendu une « décision finale » sur le fond de l’affaire et a accueilli l’appel de la prestataire. La Commission a déjà porté cette décision en appel à la division d’appelNote de bas page 4.
[13] La date limite pour présenter une demande à la division d’appel est 30 jours après la date où la partie prestataire reçoit la communication par écrit de la décision de la division généraleNote de bas page 5. Dans le cas présent, le délai de 30 jours commence à la date où la division générale a communiqué sa décision finale.
[14] Je dois décider quand la décision finale de la division générale a été communiquée à la prestataire.
[15] La prestataire a écrit que la décision finale de la division générale lui a été communiquée le 4 juillet 2024Note de bas page 6.
[16] J’accepte que le 4 juillet 2024 fût la date à laquelle la décision finale lui a été communiquée.
[17] La prestataire avait 30 jours pour présenter sa demande à la division d’appel. Elle devait donc déposer sa demande au plus tard le 4 août 2024.
[18] Le Tribunal a reçu sa demande le 17 octobre 2024Note de bas page 7.
[19] Je conclus que la demande de la prestataire a été présentée à la division d’appel en retard.
Je prolonge le délai pour déposer la demande
[20] Pour décider s’il y a lieu d’accorder une prolongation du délai, je dois vérifier si la prestataire a une explication raisonnable justifiant son retardNote de bas page 8.
[21] La prestataire a expliqué que la décision finale rendue par la division générale était en sa faveur, de sorte qu’elle n’a pas jugé nécessaire de faire appel de la décision relative à la Charte.
[22] Cependant, la Commission fait maintenant appel de la décision finale. En réponse, la prestataire a fait appel de la décision relative à la Charte. La prestataire ne savait pas qu’elle devait déposer un appel différent pour contester la décision relative à la Charte.
[23] Je conclus que la prestataire a fourni une explication raisonnable pour le retard de sa demande à la division d’appel. Elle a fait appel de la décision relative à la Charte lorsqu’elle a appris que la Commission avait fait appel de la décision finale.
Analyse
[24] Un appel peut aller de l’avant seulement si la division d’appel donne la permission de faire appelNote de bas page 9. Je dois être convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succèsNote de bas page 10. Cela signifie qu’il doit y avoir au moins un « moyen d’appel » qui pourrait permettre à l’appel d’être accueilliNote de bas page 11.
[25] Les moyens d’appel possibles à la division d’appel sont les suivantsNote de bas page 12 :
- la division générale a agi de façon injuste;
- elle a excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
- elle a commis une erreur de droit;
- elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
[26] Pour que l’appel de la prestataire passe aux prochaines étapes (une audience), elle doit démontrer qu’il existe un moyen d’appel qui permettrait de soutenir que l’appel pourrait être accueilli.
[27] Dans la présente affaire, la prestataire soutient que la division générale a commis des erreurs de compétence, des erreurs de droit ainsi que des erreurs de faitNote de bas page 13. Certains de ses arguments portent également sur l’équité, alors j’ai examiné s’il est possible de soutenir que la division générale n’a pas respecté un processus équitable.
[28] J’ai résumé et examiné les principaux arguments de la prestataire ci-dessous.
Je ne donne pas à la prestataire la permission de faire appel
On ne peut pas soutenir que la division générale a commis une erreur de compétence ou qu’elle a omis de respecter un processus équitable
[29] Une erreur de compétence signifie que la division générale n’a pas tranché une question qu’elle devait trancher ou qu’elle a tranché une question qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancherNote de bas page 14.
[30] L’équité procédurale concerne l’équité du processus. Elle comprend des protections procédurales, y compris le droit à une prise de décision impartiale, le droit d’une partie d’être entendue, de connaître les arguments avancés contre elle et d’avoir la possibilité de répondre. Si la division générale n’a pas respecté un processus équitable, je peux intervenirNote de bas page 15.
[31] La prestataire soutient que la division générale n’a pas la compétence nécessaire pour agir parce qu’elle n’était pas en mesure de demander à la Commission des rapports statistiques pour le groupe d’âge de 14 à 18 ans. La prestataire soutient que ces renseignements n’étaient pas accessibles au grand publicNote de bas page 16.
[32] De plus, la division générale n’a pas été en mesure de demander la transcription d’une conversation téléphonique que la prestataire a eue avec la Commission. En résumé, la prestataire affirme que ces éléments de preuve étaient essentiels à sa cause.
[33] Premièrement, la division générale est une décideuse impartiale et n’a pas la compétence d’ordonner à la Commission de fournir des éléments de preuve qui aideraient la prestataire à faire valoir ses arguments. Il s’agissait de l’appel de la prestataire. C’est donc à elle qu’incombe le fardeau de présenter tout élément de preuve sur lequel elle veut s’appuyer.
[34] Deuxièmement, la division générale démontre dans sa décision qu’elle était sensible au fait que la prestataire était représentée par sa mère, qui n’a pas de formation juridique. Elle a aussi reconnu que la prestataire avait eu de la difficulté à se préparer à l’audience. Elle a conclu qu’elle lui avait tout de même donné une occasion pleine et équitable de présenter ses argumentsNote de bas page 17.
[35] On ne peut pas soutenir que la division générale a commis une erreur de compétence. Un désaccord avec la compétence de la division générale équivaut à un désaccord avec la loi. Il ne s’agit pas d’une erreur révisable. La division générale n’a pas le pouvoir d’ordonner à la Commission de fournir des éléments de preuve pour aider le cas de la prestataire.
[36] On ne peut pas soutenir que la division générale a omis de respecter un processus équitable. La prestataire affirme qu’il était injuste qu’elle n’ait pas pu obtenir les preuves qu’elle voulait, mais cela ne veut pas dire que le processus était inéquitable de quelque manière que ce soit. J’ai examiné le dossier et rien n’indique que la division générale a agi de façon injuste envers la prestataire.
[37] Comme la division générale l’a souligné, la présentation d’un nombre suffisant d’éléments de preuve est l’une des exigences les plus fondamentales d’une contestation constitutionnelle et il est impossible de s’en soustraire, même s’il peut être difficile pour une partie non représentée de les obtenirNote de bas page 18.
On ne peut pas soutenir que la division générale a commis une erreur de droit
[38] Une erreur de droit peut survenir lorsque la division générale n’applique pas la bonne loi ou lorsqu’elle utilise la bonne loi, mais qu’elle comprend mal ce qu’elle signifie ou comment l’appliquerNote de bas page 19.
[39] La prestataire soutient que la division générale a commis une erreur de droit en se fondant sur la décision de la Cour suprême du Canada intitulée SharmaNote de bas page 20. Elle explique que la décision Sharma ne s’applique pas à sa situation puisqu’elle concerne une personne qui a enfreint la loi et qui a contesté l’article 15 de la Charte en raison de sa raceNote de bas page 21.
[40] La prestataire soutient que la décision de la Cour d’appel fédérale intitulée Page se rapproche plus de sa situationNote de bas page 22. Elle reconnaît cependant que la décision Page n’est pas une contestation fondée sur la Charte.
[41] Elle affirme que la division générale a commis une erreur de droit en lien avec le critère juridiqueNote de bas page 23. Elle explique que la division générale a convenu qu’il y avait une distinction fondée sur l’âge au paragraphe 51 de sa décision, mais qu’elle s’est par la suite contredite lorsqu’elle a conclu qu’elle avait échoué à la première étape du critère énoncé au paragraphe 85 de sa décision.
[42] Avec respect, je ne suis pas d’accord avec la prestataire.
[43] La division générale doit suivre les décisions de la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire, elle devait suivre la décision Sharma parce que cette décision traite également d’une contestation fondée sur l’article 15 de la Charte.
[44] La division générale s’est fondée à juste titre sur l’affaire Sharma parce qu’il s’agit d’une décision récente de la Cour suprême qui porte sur l’article 15 de la Charte ainsi que sur le critère juridique applicableNote de bas page 24. Bien que les faits dans l’affaire Sharma soient différents, les principes et critères juridiques qui y sont présentés demeurent applicables à cette affaireNote de bas page 25.
[45] La prestataire a raison de dire que la décision Page de la Cour d’appel fédérale est plus semblable à sa propre affaire par les faits qui y sont présentés. La décision Page concerne effectivement une autre personne qui était aux études et qui recevait des prestations.
[46] Toutefois, dans la présente affaire, la prestataire a présenté une contestation fondée sur l’article 15 de la Charte à la division générale. Comme la décision Page n’est pas une contestation fondée sur la Charte, elle n’a pas aidé ici à décider si l’article 18(1) ou l’article 25(1)(a) de la Loi sur l’assurance-emploi violait l’article 15 de la Charte.
[47] La division générale n’a pas commis d’erreur liée au critère juridique et ne s’est pas contredite dans sa décision. Elle a énuméré et expliqué les étapes de sa décisionNote de bas page 26 et a déclaré qu’il incombait d’abord à la prestataire de prouver que ses allégations sont plus probables qu’improbablesNote de bas page 27.
[48] La division générale a convenu qu’il existait une distinction fondée sur l’âge pour les « élèves du secondaire qui ont de 14 à 18 ans » au titre de l’article 18(1) de la LoiNote de bas page 28.
[49] Cependant, cela ne signifie pas que la prestataire a prouvé l’ensemble de ses arguments. La division générale a simplement convenu qu’il existait une distinction (ou une différence de traitement) pour ce groupe en particulier. La prestataire devait tout de même prouver que la loi avait un effet disproportionné sur les membres de ce groupe, ce à quoi elle a échoué.
[50] Autrement dit, la distinction (ou l’établissement d’une certaine différence de traitement) n’implique pas nécessairement que l’un ou l’autre des articles de la Loi sur l’assurance-emploi avait un effet disproportionné.
[51] La prestataire a également soutenu que la loi avait un effet négatif sur les personnes mineures et les jeunes adultes qui fréquentaient les établissements d’enseignement postsecondaireNote de bas page 29. Toutefois, la division générale a rejeté l’idée qu’il y avait une distinction fondée sur l’âge pour les « jeunes adultes qui poursuivaient des études supérieuresNote de bas page 30 ». Pour ce faire, elle s’est appuyée sur une décision de la Cour fédérale qui a conclu que le fait d’être une « personne étudiante » ne constitue pas un motif analogue au titre de l’article 15 de la CharteNote de bas page 31.
[52] La division générale a conclu que la prestataire n’avait pas fourni suffisamment de preuves pour expliquer la situation des élèves de 14 à 18 ans sur le marché du travail ou leur relation avec le régime d’assurance-emploiNote de bas page 32. Elle a aussi conclu que la plupart des faits sur lesquels elle s’était fondée étaient trop généraux ou n’étaient pas appuyés par des éléments de preuveNote de bas page 33. De plus, la division générale a affirmé que la prestataire n’avait fourni aucune preuve pour expliquer comment les articles contestés de la Loi sur l’assurance-emploi avaient des répercussions sur elle ou les membres du groupe protégéNote de bas page 34.
[53] La division générale a correctement énoncé et appliqué le critère juridique et les étapes en causeNote de bas page 35. Elle a conclu que la prestataire avait échoué à la première étape du critère prévu à l’article 15 de la Charte et qu’elle n’avait pas prouvé que l’un ou l’autre des articles de la Loi sur l’assurance-emploi créait une distinction discriminatoire fondée sur l’âge pour les élèves du secondaire ayant de 14 à 18 ansNote de bas page 36. Comme elle n’a pas été en mesure de fournir des preuves pour appuyer sa demande, son appel a été rejeté.
[54] On ne peut pas soutenir que la division générale a commis une erreur de droitNote de bas page 37. Elle devait, dans sa décision, s’appuyer sur l’affaire Sharma, et non sur l’affaire Page qui n’était pas applicable ici puisqu’il ne s’agissait pas d’une contestation fondée sur la Charte. La division générale a donc appliqué le bon critère juridique.
On ne peut pas soutenir que la division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante
[55] La prestataire soutient que lorsqu’elle a contre-interrogé le témoin expert de la Commission, elle a découvert que la Loi sur l’assurance-emploi comportait des ambiguïtés, des lacunes et des divergences en ce qui concerne le traitement des personnes mineures.
[56] Elle réitère qu’elle n’a pas pu obtenir de renseignements statistiques pour appuyer sa cause. De plus, elle affirme que l’absence de preuve ne signifie pas que la loi n’a pas un effet négatif disproportionné.
[57] Elle soutient que le refus de lui verser des prestations a contribué à augmenter son fardeau financier et à lui causer des problèmes de santé mentale, ce qui a nui à ses études et à sa qualité de vie.
[58] Comme c’est la prestataire qui a présenté une contestation fondée sur la Charte à la division générale, c’est à elle qu’incombe le fardeau de présenter tous les éléments de preuve pour appuyer sa cause.
[59] La division générale a déclaré correctement dans sa décision qu’aucune forme particulière de preuve n’était requise. Cependant, elle a aussi mentionné que les statistiques, les témoignages de personnes expertes, les notes judiciaires et les conclusions bien fondées, entre autres, pouvaient être utilisés pour prouver l’existence d’un effet disproportionnéNote de bas page 38. Or, elle a conclu que la prestataire n’avait pas fourni suffisamment de preuves concernant la situation des personnes mineures de 14 à 18 ans et qu’elle n’avait donc pas réussi à prouver ses argumentsNote de bas page 39.
[60] Les arguments de la prestataire à la division générale équivalent à un désaccord avec l’issue de la décision. La division d’appel dispose d’un mandat limité, et un désaccord avec le résultat de la division générale ne constitue pas une erreur révisableNote de bas page 40.
[61] La division générale est juge des faits et elle était libre d’évaluer la preuve. Je ne peux donc pas modifier la conclusion de la division générale lorsqu’elle applique le droit établi aux faitsNote de bas page 41. Autrement dit, je ne peux pas évaluer de nouveau la preuve en vue de tirer une conclusion différente qui est plus favorable à la prestataire.
[62] On ne peut pas soutenir que la division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante. Les conclusions principales de la division générale concordent avec la preuve au dossierNote de bas page 42. La division générale et la division d’appel doivent respecter la loi, et ce, même dans les cas qui inspirent la compassion et où le résultat peut sembler injuste à une partie.
Il n’y a aucune autre raison de donner à la prestataire la permission de faire appel
[63] J’ai examiné le dossier et la décision de la division générale. Je n’ai trouvé aucune autre raison d’accorder à la prestataire la permission de faire appelNote de bas page 43.
Conclusion
[64] Une prolongation de délai est accordée.
[65] La permission de faire appel est refusée. L’appel de la prestataire n’ira pas de l’avant, car il n’a aucune chance raisonnable de succès.