[TRADUCTION]
Citation : KD c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 1399
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi
Décision
Partie appelante : | K. D. |
Représentante ou représentant : | A. D. |
Partie intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Décision portée en appel : | Décision de révision (441085) datée du 7 décembre 2021 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | Catherine Shaw |
Mode d’audience : | Vidéoconférence |
Date de l’audience : | Le 5 juin, 2024 |
Personnes présentes à l’audience : | Appelante Représentante de l’appelante |
Date de la décision : | Le 3 juillet, 2024 |
Numéro de dossier : | GE-22-105 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est accueilli. Je suis d’accord avec l’appelante.
[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a décidé de réexaminer l’admissibilité de l’appelante.
[3] Ses prestations ne devraient pas être révisées. Il faut donc annuler le trop-payé lié à la demande de l’appelante.
Aperçu
[4] L’appelante a reçu des prestations d’assurance-emploi à compter de novembre 2020. Ensuite, en octobre 2021, la Commission a décidé qu’elle n’était pas disponible pour travailler parce qu’elle était aux études pendant cette période. La Commission lui a demandé de rembourser les prestations qu’elle avait déjà reçues.
[5] L’appelante affirme que la Commission n’a pas agi correctement lorsqu’elle a décidé de réexaminer son admissibilité aux prestations. Elle avait dit à la Commission qu’elle était aux études au cours de toute la période de prestations. De plus, pour décider qu’elle n’était pas disponible, la Commission s’est servie des renseignements sur son assiduité scolaire après qu’elle a reçu des prestations.
[6] La Commission affirme avoir agi correctement lorsqu’elle a décidé de façon rétroactive que la prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations. Elle a versé des prestations à la prestataire parce qu’elle a indiqué qu’elle était disponible pour travailler dans ses déclarations bimensuelles. Cependant, la Commission a plus tard décidé que la prestataire ne pouvait pas travailler à temps plein pendant ses études et qu’elle n’avait donc pas prouvé sa disponibilité.
Questions que je dois examiner en premier
L’appel de l’appelante fondé sur la Charte a été rejeté
[7] En janvier 2022, l’appelante a porté en appel devant le Tribunal la décision de la Commission selon laquelle elle n’était pas disponible pour travailler. Elle a alors soutenu que la loi violait ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.
[8] Les appels fondés sur la Charte au Tribunal suivent un processus spécial. Ce processus d’appel est différent du processus d’appel régulier. L’appel doit alors être accompagné de documents supplémentaires et répondre à certains critères liés à la question constitutionnelle soulevée.
[9] En décembre 2023, la membre du Tribunal qui a entendu l’appel de l’appelante fondé sur la Charte a rejeté la contestation constitutionnelle. Elle a conclu que l’appelante n’avait pas démontré que la loi violait ses droits garantis par la Charte.
[10] L’appelante a porté cette décision en appel à la division d’appel du Tribunal. La division d’appel a décidé de ne pas entendre l’appel parce que l’appelante n’avait pas reçu de décision finale sur le fond de l’affaire. Autrement dit, le Tribunal ne s’était pas encore prononcé sur la décision que la Commission a rendue sur la disponibilité de l’appelante pour travailler. La division d’appel a déclaré que l’appel de l’appelante était prématuré et qu’il devrait être présenté seulement après qu’une décision finale a été rendue. Ce qui veut dire qu’une décision devait d’abord être rendue sur tous les aspects de l’appel qui relevaient de la compétence de la division générale.
[11] La division générale a fixé une date d’audience sur le fond de l’appel de l’appelante. La présente décision découle de cette audience.
Je vais accepter les documents envoyés après l’audience
L’appelante a envoyé des documents
[12] Lors de l’audience, la représentante de l’appelante a dit qu’il était possible qu’elle n’ait pas reçu tous les documents figurant au dossier. Nous avons donc convenu qu’elle pourrait disposer d’un délai après l’audience pour examiner les documents et faire parvenir par écrit tout autre renseignement pertinent à leur sujet.
[13] Après l’audience, le Tribunal lui a renvoyé tous les documents figurant au dossier d’appel. Le 14 juin 2024, elle a fourni une réponse par écrit, qui a été prise en compte dans la présente décision.
La Commission a envoyé des documents
[14] Le 5 juin 2024, j’ai demandé à la Commission de présenter des observations sur sa décision discrétionnaire de réexaminer rétroactivement les prestations de l’appelante. Je lui ai demandé qu’elle le fasse au plus tard le 14 juin 2024, mais elle a demandé une prolongation du délai jusqu’au 21 juin 2024, que j’ai accordée. La Commission a présenté ses observations le 20 juin 2024.
[15] Les observations de la Commission ont été envoyées à l’appelante et celle-ci a eu la chance d’y répondre. Je lui ai demandé de le faire avant le 28 juin 2024. Comme aucune autre réponse n’a été reçue de l’appelante, j’ai rendu la décision.
Questions en litige
[16] Avant d’être en mesure de décider si l’appelante était disponible pour travailler, je dois vérifier si la Commission avait le pouvoir de réexaminer les prestations de l’appelante.
[17] Pour ce faire, je dois vérifier si la Commission a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a décidé de réexaminer la disponibilité de l’appelante. Si ce n’est pas le cas, je vais vérifier s’il est nécessaire de réexaminer les prestations dans cette affaire.
[18] Si la Commission a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire, je déciderai si l’appelante a prouvé qu’elle était disponible pour travailler à compter du 29 novembre 2020.
Analyse
[19] La loi donne à la Commission de vastes pouvoirs lui permettant de réexaminer toute décision concernant les prestations d’assurance-emploiNote de bas page 1. Cependant, la Commission doit respecter les délais prévus par la loi. La Commission dispose habituellement de trois ans pour réviser ses décisionsNote de bas page 2. Si la Commission décide qu’une personne a reçu une somme au titre de prestations auxquelles elle n’avait pas droit, elle peut lui demander de rembourser ces prestationsNote de bas page 3.
[20] La loi donne expressément à la Commission le pouvoir de réexaminer la disponibilité des étudiants pour travailler. La loi confère à la Commission ce pouvoir, et ce, même si elle a déjà versé des prestations d’assurance-emploiNote de bas page 4.
[21] Même si la loi donne ce pouvoir à la Commission, elle ne dit pas qu’elle doit l’utiliser. La Commission a le choix d’utiliser ou non ce pouvoir. Autrement dit, il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire.
[22] Lorsque la Commission décide d’utiliser son pouvoir discrétionnaire pour réexaminer une admissibilité aux prestations d’assurance-emploi, elle doit démontrer qu’elle a utilisé ce pouvoir correctement. C’est ce qu’on appelle utiliser son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire.
[23] Pour démontrer qu’elle a utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire, la Commission doit démontrer qu’elle :
- a agi de bonne foi;
- n’a pas ignoré les facteurs pertinents;
- n’a pas tenu compte de facteurs non pertinents;
- n’a pas agi dans un but inapproprié;
- n’a pas agi de façon discriminatoireNote de bas page 5.
La Commission avait le pouvoir de réexaminer la disponibilité de l’appelante
[24] J’estime que la Commission a respecté la loi sur les délais lorsqu’elle a réexaminé l’admissibilité de l’appelante aux prestations. En effet, la Commission a versé des prestations d’assurance-emploi à l’appelante à compter de novembre 2020. Elle a réexaminé l’admissibilité de l’appelante et l’a avisée de sa décision le 22 octobre 2021, soit moins d’un an plus tard.
La Commission n’a pas agi correctement lorsqu’elle a réexaminé la disponibilité de l’appelante
[25] J’estime que la Commission n’a pas utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a décidé de réexaminer l’admissibilité de l’appelante aux prestations. En effet, elle a ignoré des renseignements pertinents sur sa disponibilité et a agi de mauvaise foi lorsqu’elle n’a pas donné à l’appelante des instructions claires sur la présentation de ses dossiers de recherche d’emploi.
[26] La Commission affirme avoir agi de façon judiciaire, parce qu’elle a tenu compte des facteurs pertinents à la disponibilité de l’appelante.
[27] La Commission a fourni des copies des questionnaires de formation de l’appelante ainsi que des notes sur les conversations qu’elle a eues avec l’appelante et sa mèreNote de bas page 6. Ces renseignements montrent que :
- Dans les questionnaires de formation qu’elle a soumis le 21 février 2021 ainsi que le 1er mai 2021, l’appelante a déclaré qu’elle suivait un programme de formation pendant qu’elle demandait des prestations. Elle a également attesté qu’elle était disponible pour travailler.
- La Commission a d’abord communiqué avec l’appelante en octobre 2021. Elle réexaminait alors l’admissibilité de l’appelante aux prestations pendant les quelques jours qu’elle a passés à l’étranger en août 2021. À ce moment-là, l’appelante a répété à la Commission qu’elle était aux études. La Commission lui a demandé si elle abandonnerait ses études si un employeur lui demandait de le faire et l’appelante a répondu non. La Commission a donc conclu : « Non disponibleNote de bas page 7 ».
- Par la suite, la mère de l’appelante a communiqué avec la Commission pour obtenir des renseignementsNote de bas page 8. Elle a dit que sa fille avait été déconcertée par l’appel téléphonique et qu’elle n’avait pas bien compris la raison de ces questions étant donné qu’elle avait déjà reçu l’approbation de toucher des prestations. La Commission lui a alors déclaré que la demande de prestations de sa fille [traduction] « avait été approuvée et qu’elle était maintenant en réexamenNote de bas page 9 ».
- À la suite de cet appel téléphonique, la Commission a réexaminé la demande de l’appelante de façon rétroactive et a décidé qu’elle n’était pas disponible pour travailler à compter du 29 novembre 2020Note de bas page 10.
[28] L’appelante a confirmé avoir déclaré qu’elle était aux études dans ses déclarations bimensuelles et dans plusieurs questionnaires de formation. Elle a déclaré à maintes reprises qu’elle suivait un programme d’études à temps plein.
[29] L’appelante travaillait lorsqu’elle a commencé ses études. Elle avait alors deux emplois : l’un était un contrat temporaire et l’autre, un emploi dans la restauration qu’elle a perdu lorsque le restaurant a fermé en raison des restrictions liées à la COVID-19.
[30] Elle a commencé à recevoir des prestations d’assurance-emploi pendant sa dernière année d’études secondaires, après avoir perdu son emploi dans la restauration. Elle a plus tard repris cet emploi lors de la réouverture du restaurant. Elle a commencé sa première année d’université en septembre 2021.
[31] La Commission a communiqué avec elle le 3 décembre 2021 et l’a alors interrogée sur sa disponibilité. Elle lui a posé des questions sur son horaire de cours et lui a demandé, plus particulièrement, si elle suivait des cours pendant la journée. L’appelante a répondu honnêtement que c’était le cas. La Commission lui a également posé des questions sur ses antécédents de travail pendant ses études, et l’appelante a déclaré qu’elle avait occupé plusieurs emplois pendant ses études.
[32] Après que la Commission a décidé qu’elle n’était pas disponible pour travailler, l’appelante a demandé la révision de cette décision. Sa mère a écrit une lettre pour préciser que l’appelante suivait des cours en ligne pendant ses études. À ce moment, l’appelante cherchait activement un emploi et est retournée travailler dès la réouverture du restaurant après la levée des restrictions liées à la COVID-19. Toutefois, la Commission a maintenu sa décision, car l’appelante ne pouvait pas travailler certaines heures de la journée en raison de ses études.
[33] Je conclus que la Commission n’a pas tenu compte de certains renseignements pertinents dont elle disposait, à savoir que l’appelante avait des antécédents de travail pendant ses études. Elle travaillait régulièrement en dehors des heures de travail habituelles. Ces renseignements étaient pertinents pour déterminer sa disponibilité pour travailler.
[34] Page [sic]
[35] La Commission a également agi de mauvaise foi. Lors de ses conversations initiales avec l’appelante et sa mère, la Commission leur a dit de dresser la liste des recherches d’emploi de l’appelante, et qu’elle ferait un suivi avec elles sous peu, car l’appelante « n’en aurait peut-être pas besoinNote de bas page 11 ». Cette conversation a eu lieu le 22 octobre 2021. La Commission a rendu sa décision sur la disponibilité de l’appelante le même jour.
[36] La Commission a dit à l’appelante et à sa mère que ces renseignements pouvaient être nécessaires pour évaluer la disponibilité de l’appelante, mais elle ne leur a pas donné la chance de les soumettre.
[37] De plus, dans ses observations, elle a déclaré que l’appelante [traduction] « a pris la décision consciente » de ne pas présenter la liste de ses recherches d’emploi lorsqu’on lui a demandé de le faireNote de bas page 12. Selon la preuve, cette déclaration est manifestement fausse, et il faut se demander si la Commission a tiré une conclusion défavorable en raison de l’absence de cette liste alors qu’elle n’avait jamais demandé à l’appelante d’en présenter une.
[38] Même si ce n’était pas le cas, je peux seulement conclure que la Commission a rendu la décision de mauvaise foi après avoir dit à l’appelante et à sa mère qu’elle ferait un suivi sous peu au sujet des démarches de recherche d’emploi de l’appelante.
[39] Pour ces motifs, je conclus que la Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a réexaminé l’admissibilité de l’appelante aux prestations.
[40] Comme j’ai conclu que la Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire, je suis en mesure de rendre la décision que la Commission aurait dû rendre. Je vais maintenant vérifier s’il est nécessaire de réexaminer l’admissibilité de l’appelante aux prestations.
L’admissibilité de l’appelante aux prestations devrait-elle être réexaminée?
[41] Non. Je conclus qu’il n’est pas nécessaire de réexaminer l’admissibilité de l’appelante aux prestations.
[42] La Commission a une politique qui l’aide à guider la façon dont elle exerce son pouvoir discrétionnaire pour réexaminer ses décisions concernant les prestations d’assurance-emploi. Elle dit que cette politique assure « une application uniforme et juste » de la loi et empêche « la création de trop-payés lorsque la partie prestataire a touché des prestations en trop pour une raison indépendante de sa volontéNote de bas page 13 ».
[43] La politique de la Commission prévoit qu’une demande ne sera réexaminée que dans les situations suivantes :
- il y a un moins-payé de prestations;
- des prestations ont été versées contrairement à la structure de la loi;
- des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse;
- la partie prestataire aurait dû savoir qu’elle recevait des prestations auxquelles elle n’avait pas droit.
[44] La politique de la Commission n’est pas la loi. Elle n’est pas contraignante. Or, bien qu’elle ne le soit pas, les tribunaux ont appuyé à maintes reprises l’utilisation de telles lignes directrices pour assurer une certaine cohérence et éviter la prise de décisions arbitrairesNote de bas page 14.
[45] Je pense que les quatre éléments énoncés dans la politique de la Commission sont pertinents pour décider s’il est nécessaire de réexaminer des demandes de prestations d’assurance-emploi et qu’ils devraient être pris en considération au moment de prendre une décision sur l’admissibilité aux prestationsNote de bas page 15.
[46] La situation de l’appelante ne répond à aucun de ces éléments.
[47] Premièrement, elle n’a pas un moins-payé de prestations à partir du 29 novembre 2021 [sic].
[48] Deuxièmement, le versement de prestations à l’appelante n’était pas contraire à la structure de la loi. La Loi sur l’assurance-emploi n’empêche pas le versement de prestations aux étudiantes et aux étudiants.
[49] Troisièmement, elle n’a pas reçu de prestations d’assurance-emploi en raison d’une déclaration fausse ou trompeuse. Comme je l’ai mentionné plus haut, elle a déclaré qu’elle allait à l’école à plusieurs reprises et qu’elle était disponible pour travailler pendant ses études.
[50] Quatrièmement, rien ne prouve qu’elle aurait dû savoir qu’elle n’avait pas droit aux prestations d’assurance-emploi qu’elle a reçues. Au contraire, l’appelante et sa mère ont déclaré que l’appelante avait d’abord reçu l’approbation de toucher des prestations d’assurance-emploi. De plus, plusieurs des camarades de classe de l’appelante au secondaire recevaient aussi des prestations d’assurance-emploi au même moment. L’appelante n’avait donc aucune raison de douter qu’elle avait droit aux prestations d’assurance-emploi qu’elle recevait.
[51] Je reconnais que ces quatre éléments ne constituent pas une liste exhaustive de critères qui pourraient être pertinents pour décider s’il est nécessaire de réexaminer l’admissibilité de l’appelante aux prestations. Toutefois, je ne constate aucune autre information qui suggère de réexaminer l’admissibilité de l’appelante.
[52] Compte tenu des circonstances propres au cas de l’appelante, je conclus qu’il n’est pas nécessaire de réexaminer son admissibilité aux prestations.
L’appelante a-t-elle donc un trop-payé?
[53] Non. Les prestations de l’appelante n’auraient pas dû être révisées. Par conséquent, la décision antérieure de lui verser des prestations d’assurance-emploi à compter du 29 novembre 2021 [sic] demeure en vigueur. Le trop-payé est donc annulé.
Conclusion
[54] L’appel est accueilli.