[TRADUCTION]
Citation : AT c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 982
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision
Partie appelante : | A. T. |
Représentant : | Thoby King |
Partie intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Représentant : | Kevin Goodwin |
Décision portée en appel : | Décision rendue par la division générale le 19 avril, 2024 (GE-24-759) |
Membre du Tribunal : | Solange Losier |
Mode d’audience : | Vidéoconférence |
Date de l’audience : | Le 2 août 2024 |
Personnes présentes à l’audience : | Appelante Représentant de l’appelante Représentant de l’intimée |
Date de la décision : | Le 18 août 2024 |
Numéro de dossier : | AD-24-364 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel de la prestataire est accueilli. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante. L’affaire sera renvoyée à la division générale pour réexamen.
Aperçu
[2] A. T. est la prestataire dans la présente affaire. Elle a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.
[3] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi à compter du 4 juin 2023. Selon la Commission, la prestataire a quitté volontairement son emploi sans justificationNote de bas page 1.
[4] La division générale a rejeté l’appel de la prestataire, mais a modifié la date à laquelle elle était exclue du bénéfice des prestationsNote de bas page 2. Elle a conclu que la prestataire avait quitté volontairement son emploi en refusant de le reprendre à compter du 9 juillet 2023Note de bas page 3. Elle a conclu que d’autres solutions raisonnables s’offraient à la prestataire.
[5] La prestataire a fait appel à la division d’appelNote de bas page 4. Elle soutient que la division générale a commis plusieurs erreurs dans sa décision, y compris des erreurs de fait importantes et une erreur de droitNote de bas page 5.
[6] J’accueille l’appel de la prestataire parce que la division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante lorsqu’elle a conclu que la prestataire avait quitté volontairement son emploi en refusant de le reprendre le 9 juillet 2023.
Questions en litige
[7] On a prétendu qu’un certains nombre d’erreurs avaient été commises, mais je me suis concentrée sur les questions suivantes :
- a) La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une erreur de fait importante lorsqu’elle a conclu qu’il y avait des heures de travail disponibles pour la prestataire la semaine du 25 juillet 2023?
- b) La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une erreur de fait importante lorsqu’elle a conclu que la prestataire avait quitté volontairement son emploi en refusant de le reprendre le 9 juillet 2023?
- c) Si c’est le cas, comment faut-il corriger l’erreur ou les erreurs?
Analyse
[8] Il y a erreur de fait lorsque la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas page 6.
[9] Cela implique d’examiner certaines des questions suivantesNote de bas page 7 :
- Les éléments de preuve contredisent-ils carrément l’une des principales conclusions de la division générale?
- Y a-t-il des éléments de preuve qui peuvent rationnellement appuyer l’une des principales conclusions de la division générale?
- La division générale a-t-elle négligé d’examiner des éléments de preuve essentiels qui contredisent l’une de ses conclusions principales?
[10] Une erreur de droit peut survenir lorsque la division générale n’applique pas la bonne loi ou lorsqu’elle utilise la bonne loi, mais qu’elle comprend mal la loi ou la façon de l’appliquerNote de bas page 8.
[11] Si la prestataire établit que la division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante ou une erreur de droit, je peux intervenir.
La prestataire et la Commission conviennent que la division générale a commis une erreur de fait dans sa décision lorsqu’elle a conclu qu’il y avait des heures de travail disponibles la semaine du 25 juillet 2023
[12] La division générale a rejeté l’appel de la prestataire avec des modifications. Elle a décidé que la prestataire était exclue du bénéfice des prestations seulement à compter du 9 juillet 2023. Toutefois, elle a souligné qu’elle pourrait être admissible aux prestations avant cette date.
[13] La division générale a examiné si les modalités concernant son salaire avaient été modifiées de façon importante. Elle a conclu que la prestataire n’était pas fondée à quitter son emploi lorsqu’elle a refusé de le reprendre à compter de la semaine du 9 juillet 2023. La division générale a conclu que trois solutions raisonnables s’offraient à la prestataire au lieu de quitter son emploiNote de bas page 9.
[14] La prestataire et la Commission conviennent que la division générale a commis une erreur de fait dans sa décision. Plus précisément, les parties conviennent que la division générale a commis des erreurs de fait aux paragraphes 48 et 49 de sa décision lorsqu’elle a conclu qu’il y avait plus d’heures de travail disponibles la semaine du 25 juillet 2023.
[15] Voici le paragraphe 48 de la décision de la division générale :
J’estime qu’on n’a pas modifié de façon importante les modalités concernant le salaire de l’appelante au moment où elle a quitté volontairement son emploi. Certes, il y a eu un changement important quant à son salaire pour les périodes de paie se terminant le 7 mai au 18 juin 2023, car elle travaillait seulement entre 8 et 43 heures aux deux semaines. Cependant, l’employeur et l’appelante ont tous deux déclaré qu’il y avait plus d’heures disponibles la semaine du 25 juillet 2023, soit 40 heures comme l’employeur l’a indiqué ou 4 jours comme l’appelante l’a indiqué (je souligne).
[16] Voici le paragraphe 49 de la décision de la division générale :
Je dois examiner les circonstances qui existaient lorsque l’appelante a quitté son emploi le 9 juillet 2023. L’appelante et l’employeur conviennent qu’il y avait plus d’heures disponibles au cours de la semaine commençant le 25 juillet 2023. À l’époque où elle a quitté son emploi, l’appelante ne s’est pas renseignée davantage auprès de l’employeur au sujet des demandes de production ou des heures de travail. Ni la Commission ni l’appelante n’ont démontré que ses heures de travail étaient garanties aux termes d’un contrat de travail. Par conséquent, j’estime qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que des changements importants ont été apportés aux modalités concernant son salaire lorsque l’appelante a quitté son emploi le 9 juillet 2023 (je souligne).
[17] La prestataire et la Commission conviennent que la division générale a commis une erreur de fait dans les paragraphes ci-dessus, mais elles ne sont pas d’accord sur la question de savoir si c’était important et si la division générale a fondé sa décision sur cette erreur.
[18] La Commission soutient que l’erreur de fait commise par la division générale était une erreur typographique. Elle soutient que la division générale a noté par erreur le 25 juillet 2023 aux paragraphes 48 et 49 de sa décision, mais qu’elle voulait écrire le 25 juin 2023Note de bas page 10.
[19] La Commission soutient que l’erreur n’a eu aucune incidence sur l’issue de la décision. Elle fait remarquer que la division générale a conclu à juste titre que la prestataire s’était vu offrir du travail pendant la semaine du 25 juin 2023 et qu’elle avait quitté la semaine du 9 juillet 2023.
[20] Cependant, la prestataire n’est pas d’accord pour dire que l’erreur de fait était simplement typographique. Elle soutient que l’erreur de fait était suffisamment importante parce qu’elle a créé une fausse chronologie qui n’était pas appuyée par la preuveNote de bas page 11.
[21] La prestataire soutient qu’il ne s’agissait pas de simples incohérences dans la présentation de la chronologie, mais plutôt d’une erreur fondamentale qui a fait en sorte que la division générale n’a pas bien compris sa situation. De plus, cela a eu une incidence sur son admissibilité.
[22] Même si les parties conviennent que la division générale a commis une erreur de fait, seulement certaines erreurs de fait me permettront d’intervenir. Par exemple, si la division générale a commis une erreur au sujet d’un fait mineur qui n’a aucune incidence sur l’issue de l’affaire, je ne peux pas intervenir.
La décision de la division générale n’était pas fondée sur l’erreur de fait commise, le fait d’écrire le 25 juillet 2023 au lieu du 25 juin 2023 ne constitue qu’une erreur typographique
[23] Comme je l’ai mentionné plus haut, aux paragraphes 48 et 49 de sa décision, la division générale a conclu que la prestataire avait plus d’heures de travail disponibles la semaine du 25 juillet 2023. Cependant, cela n’était pas possible parce qu’elle avait déjà conclu que la prestataire avait quitté volontairement son emploi lorsqu’elle a refusé de le reprendre à compter du 9 juillet 2023Note de bas page 12.
[24] J’estime que la division générale a simplement fait une erreur typographique aux paragraphes 48 et 49 de sa décision. Elle a écrit le 25 juillet 2023 par erreur, mais il est clair qu’elle voulait faire référence au 25 juin 2023. En fait, elle a fait référence au 25 juin 2023 dans plusieurs autres paragraphes de sa décisionNote de bas page 13. Je ne suis pas convaincue que la division générale a mal compris la chronologie. Sa décision montre qu’elle a compris la séquence des événements.
[25] D’ailleurs, sa décision était fondée sur le fait qu’elle a conclu que la prestataire avait quitté volontairement son emploi en refusant de le reprendre à compter de la semaine du 9 juillet 2023. Ainsi, les erreurs typographiques qu’elle a commises aux paragraphes 48 et 49 n’étaient pas importantes et n’avaient aucune incidence sur l’issue de l’affaire.
La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante lorsqu’elle a conclu que la prestataire avait quitté volontairement son emploi en refusant de le reprendre le 9 juillet 2023
[26] L’article 29(b.1)(ii) de la Loi sur l’assurance-emploi précise que le départ volontaire comprend le refus de reprendre un emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où l’emploi est censé reprendre.
[27] La prestataire soutient que la division générale a commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu qu’elle avait quitté volontairement son emploi le 9 juillet 2023 en refusant de le reprendre.
[28] La prestataire affirme que la division générale aurait dû déterminer quand l’emploi a pris fin, s’il y avait une offre de retour (qui, selon elle, doit être assez précise) et qu’il doit y avoir de sa part un refus ou une inaction. Elle soutient que le fait de ne pas avoir répondu au courriel de son employeur du 7 juillet 2023 qui s’informait de sa disponibilité ne constitue pas un refus de reprendre son emploi.
[29] La Commission n’est pas d’accord et soutient qu’il incombait à la prestataire de prendre des mesures pour garder son emploi et qu’aucune réponse directe ni mesure n’a été prise pour retourner au travail. La Commission affirme que la décision de la division générale était raisonnable, transparente et qu’elle présentait une interprétation claire de la preuve.
[30] La division générale a conclu que la prestataire avait quitté volontairement son emploi en refusant de le reprendre le 9 juillet 2023Note de bas page 14. Elle s’est appuyée sur le courriel de l’employeur du 7 juillet 2023 qui l’interrogeait sur sa disponibilité au moment où il préparait l’horaire de travail du 9 juillet 2023Note de bas page 15. La division générale s’est également appuyée sur le billet médical indiquant que la prestataire pouvait retourner au travail le 9 juillet 2023Note de bas page 16.
[31] Je suis d’accord avec la Commission sur ce point.
[32] Le départ volontaire a lieu au moment où l’emploi est censé reprendre. La preuve ne démontre pas que la prestataire était censée reprendre son emploi le 9 juillet 2023.
[33] La division générale a conclu que la prestataire avait refusé de reprendre son emploi le 9 juillet 2023. Cependant, le courriel de l’employeur du 7 juillet 2023 lui demandait si elle était toujours capable de travailler parce qu’il préparait l’horaire de travail de la [traduction] « semaine prochaine ». On n’y précise pas que le 9 juillet 2023 était la date à laquelle elle était censée reprendre son emploi.
[34] Avec respect, je conclus que la division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante lorsqu’elle a conclu que la prestataire avait quitté volontairement son emploi en refusant de le reprendre le 9 juillet 2023Note de bas page 17. Rien dans le courriel ni dans le dossier de l’employeur n’indique que la semaine commence le 9 juillet 2023 ou qu’elle était censée reprendre son emploi précisément à cette dateNote de bas page 18.
[35] Je reconnais que la prestataire soutient que la division générale a commis d’autres erreurs, mais il n’est pas nécessaire de les examiner parce que j’en ai trouvé une.
Réparation – comment corriger l’erreur
[36] Il y a deux options pour corriger une erreur de la division généraleNote de bas page 19. Je peux soit renvoyer le dossier à la division générale pour réexamen ou rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Si je substitue ma décision à celle de la division générale, je peux tirer les conclusions de fait qui s’imposentNote de bas page 20.
[37] La prestataire et la Commission conviennent que je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Mais dans ce cas-ci, je ne pense pas pouvoir substituer ma propre décision. Je m’explique ci-dessous.
[38] L’argument écrit présenté par la Commission à la division d’appel souligne qu’il y avait d’autres éléments de preuve au dossier pour appuyer le fait que la prestataire a [traduction] « quitté » son emploiNote de bas page 21. La Commission a fait référence à une déclaration écrite, datée du 19 décembre 2023, qu’elle a soumise à Service Canada avec sa demande de révision, qui disait : [traduction] « la goutte d’eau qui m’a mené à démissionner a été de ne pas recevoir de quarts de travail pendant deux semaines consécutivesNote de bas page 22 ». La déclaration indiquait : [traduction] « J’ai demandé mon relevé d’emploi parce que j’avais l’intention de démissionnerNote de bas page 23 ». La déclaration indiquait aussi : [traduction] « si j’acceptais de retourner au travail à ce moment-ci, cela signifierait explicitement que je n’étais plus une travailleuse à temps plein, mais seulement à temps partielNote de bas page 24 ».
[39] En réponse à cet argument, la prestataire a écrit dans ses observations que la question de savoir si elle avait démissionné n’était pas pertinente aux fins de l’appelNote de bas page 25. Elle affirme que la division générale n’a pas tiré une telle conclusion (c’est-à-dire qu’elle a démissionné) et qu’il n’appartient pas à la division d’appel de soupeser de nouveau la preuve. Elle soutient que si c’est le cas, la division d’appel ne peut pas modifier la conclusion de la division générale.
[40] Normalement, je substituerais ma décision à celle de la division générale lorsque les parties sont d’accord. La question principale est de savoir si les parties ont eu une occasion pleine et équitable de présenter leurs éléments de preuve à la division générale sur toutes les questions pertinentes. Toutefois, si le dossier est incomplet d’une façon ou d’une autre, il convient de le renvoyer à la division générale pour réexamen.
[41] Je signale que la prestataire a choisi de ne pas présenter de témoignage à la division générale et de s’appuyer plutôt sur sa déclaration écrite du 5 avril 2024Note de bas page 26. Elle était représentée par un avocat à l’audience de la division générale et un interprète était présent pour l’aider.
[42] Devant la division générale, le dossier contenait deux déclarations écrites que la prestataire avait déposées (la première datée du 19 décembre 2023 et la deuxième datée du 5 avril 2024)Note de bas page 27. Dans l’une d’elles, la prestataire affirme avoir quitté son emploi, mais dans l’autre, elle conteste avoir quitté son emploi. Lorsque j’ai écouté l’enregistrement audio, je n’ai pas entendu la membre de la division générale poser des questions à la prestataire au sujet des déclarations écrites. À mon avis, il s’agit d’une lacune importante dans la preuve.
[43] Il est clair que la prestataire conteste le fait qu’elle aurait démissionné ou qu’elle aurait refusé de reprendre son emploi. Étant donné cela, je ne pense pas que la prestataire ait eu une occasion équitable et complète de présenter ses arguments sur toutes les questions pertinentes. Elle devrait avoir l’occasion d’expliquer pourquoi elle a présenté deux déclarations écrites contradictoires. Le dossier est incomplet. L’affaire sera renvoyée à la division générale pour réexamen.
Conclusion
[44] L’appel de la prestataire est accueilli. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante. Je renvoie l’affaire à la division générale pour réexamen.