Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AT c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 1469

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : A. T.
Représentant : Danny Barrett
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission
de l’assurance-emploi du Canada (639722) datée du
23 janvier 2024 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Angela Ryan Bourgeois
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 30 octobre 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentant de l’appelante
Date de la décision : Le 20 novembre 2024
Numéro de dossier : GE-24-2954

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas démontré que l’appelante avait quitté volontairement son emploi. Par conséquent, elle n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] L’appelante a 55 ans. En 2017, elle a commencé à travailler comme emballeuse pour une entreprise de pâtes alimentaires. Elle travaillait à temps plein, soit 40 heures par semaine.  

[4] En 2022, l’appelante a réduit ses heures de travail pour suivre un cours. Elle a aussi pris un congé de maladie après une opération. Cependant, en décembre 2022, elle avait repris ses heures habituelles de travail à temps plein.

[5] Puis, en avril 2023, son employeur a choisi de réduire ses heures de cinquante pour cent. Elle passait de 40 heures par semaine à 15 ou 20 heures par semaine.

[6] L’appelante a demandé plus d’heures à l’employeur. L’employeur a dit qu’il ne pouvait pas lui donner plus d’heures en raison de la faible demande de production.

[7] Sans préavis, l’employeur l’a retirée de l’horaire de travail pendant deux semaines consécutives. Comme elle se retrouvait sans travail, elle a décidé de demander des prestations régulières d’assurance-emploi.

[8] À peu près au même moment, le problème oculaire de l’appelante l’empêchait de travailler. Son médecin l’a mise en arrêt de travail du 26 juin 2023 au 9 juillet 2023Note de bas de page 1. Elle a avisé son employeur et a reçu la permission de prendre un congé de maladie.

[9] Cependant, l’employeur ne l’a pas réinscrite à l’horaire et lui a retiré son accès à l’application d’horaire de travail. L’appelante affirme que l’employeur l’a forcée à cesser de travailler, car il ne lui a pas attribué d’heures de travail.

[10] La Commission a décidé que l’appelante avait quitté volontairement son emploi sans justification le 6 juin 2023. Elle l’a exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi à compter du 4 juin 2023.

[11] Je dois décider si l’appelante a quitté volontairement son emploi. Si elle l’a fait, je dois alors décider si son départ était la seule solution raisonnable dans son cas.

Comment l’appel est arrivé ici

[12] L’appelante a porté la décision de la Commission en appel à la division généraleNote de bas de page 2. La division générale a décidé que l’appelante n’était pas fondée à quitter volontairement son emploi. Cependant, elle a conclu que l’exclusion avait commencé le 9 juillet 2023, et non le 4 juin 2023 (comme l’avait décidé la Commission)Note de bas de page 3.

[13] L’appelante a porté cette décision en appel à la division d’appelNote de bas de page 4. La division d’appel a décidé que la division générale avait fondé sa décision sur une erreur de fait importante. Elle a renvoyé l’affaire à la division générale pour réexamen. C’est ainsi que le dossier m’est parvenu.

[14] J’ai donné aux parties le temps de présenter des arguments écrits supplémentaires et j’ai tenu une audience.

Interprétation

[15] L’appelante a eu recours à des services d’interprétation lors de l’audience.

Question en litige

[16] Je dois répondre aux questions suivantes :

  • L’appelante a-t-elle quitté volontairement son emploi?
  • Si oui, était-elle fondée à le faire? Autrement dit, son départ était-il la seule solution raisonnable dans son cas?

Analyse

[17] Une partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement un emploi sans justification. Le critère juridique que je dois appliquer en cas de départ volontaire comporte deux étapes.

[18] La première étape consiste à établir si l’appelante a quitté volontairement son emploi. Il incombe à la Commission de prouver que le départ était volontaireNote de bas de page 5.

[19] Si la Commission prouve que l’appelante a quitté volontairement son emploi, l’appelante doit ensuite prouver qu’elle était fondée à le faireNote de bas de page 6.

L’appelante a-t-elle quitté volontairement son emploi?

[20] Non, l’appelante n’a pas quitté volontairement son emploi. Voici mes motifs.

[21] Pour décider si l’appelante a quitté volontairement son emploi, je dois décider si elle avait le choix de resterNote de bas de page 7.

[22] Il existe des contradictions dans la preuve de l’appelante concernant la façon dont elle s’est retrouvée sans emploi.

[23] Elle a dit qu’elle avait démissionné. Selon les notes de la Commission datées du 11 janvier 2024, l’appelante a déclaré avoir quitté son emploiNote de bas de page 8. Dans son formulaire de demande de révision, elle a déclaré qu’elle avait été congédiée de façon déguiséeNote de bas de page 9. Dans son avis d’appel, son argument écrit est qu’elle n’avait d’autre choix que de considérer que son emploi avait pris finNote de bas de page 10.

[24] À l’audience, elle a dit qu’elle n’avait pas quitté son emploi : elle n’a pas déclaré à qui que ce soit qu’elle quittait ni de vive voix ni par courriel.

[25] Je préfère son témoignage à l’audience. Voici pourquoi :

  • L’appelante a eu besoin de services d’interprétation pour participer à l’audience. Il était clair qu’elle se fiait à l’interprétation.
  • Elle a dit à la Commission qu’elle ne comprenait pas bien l’anglais et qu’elle voulait l’aide de son frèreNote de bas de page 11. Son frère comprend peut-être mieux l’anglais, mais cela ne veut pas dire qu’il le comprend bien.
  • Elle n’a pas bénéficié de services d’interprétation lorsqu’elle a parlé à la Commission.
  • La première déclaration de l’appelante était qu’elle avait cessé de travailler parce que son employeur avait fait faillite et qu’il était [traduction] « impossible de savoir » si elle allait retourner travailler. C’est ce qu’elle a dit dans sa demande de prestations.
  • Elle n’a mentionné avoir démissionné sur aucun des documents qu’elle a elle-même préparés, y compris son formulaire de demande, sa demande de relevé d’emploi et les courriels envoyés à son employeur.
  • Le 3 octobre 2023, l’appelante a répété les mêmes renseignements à la Commission. Elle a dit à la Commission qu’elle n’était pas d’accord avec le relevé d’emploi, qu’elle avait demandé plus d’heures à l’employeur, mais qu’il ne pouvait pas les fournir [traduction] « en raison du budgetNote de bas de page 12 ». À ce moment-là, la Commission a reconnu que l’appelante n’avait pas confirmé qu’elle avait démissionnéNote de bas de page 13.
  • Encore une fois, en décembre 2023, lorsqu’elle a parlé à un agent de la Commission, elle n’a pas dit qu’elle avait démissionnéNote de bas de page 14.
  • Ce n’est qu’en janvier 2024 que les notes de la Commission ont démontré que l’appelante a déclaré avoir démissionnéNote de bas de page 15. 
  • D’autres personnes ont rédigé le formulaire de demande de révision et l’avis d’appel de l’appelante. Le formulaire de demande de révision a été préparé par un centre d’aide aux travailleuses et travailleurs. Les représentants légaux ont préparé son avis d’appel. Je préfère son témoignage à ces déclarations parce que les propos dans les déclarations ne viennent pas directement d’elle et rien n’indique que les déclarations ont été rédigées à l’aide de services d’interprétation. De plus, il s’avère que les arguments qui ont été rédigés par d’autres personnes se contredisent les uns les autres.

[26] J’estime que le témoignage de l’appelante concorde avec les échanges de courriels qu’elle a eus avec l’employeurNote de bas de page 16. Dans ces courriels, l’appelante n’a jamais indiqué qu’elle démissionnait. En fait, les courriels montrent qu’elle voulait travailler et qu’elle voulait recevoir plus d’heures.

[27] Le témoignage de l’appelante concorde également avec ce qu’elle a inscrit dans sa demande de prestations. Les choix dans sa demande de prestations montrent qu’elle n’a pas choisi d’arrêter de travailler, que l’arrêt de travail relevait plutôt de la situation financière de l’employeur (même s’il ne semble pas que l’employeur ait fait faillite), et qu’elle ne savait pas si elle allait reprendre son travail. Si elle avait quitté son emploi, elle n’aurait pas inscrit dans son formulaire de demande qu’elle ne savait pas si elle retournerait travailler pour l’employeur.

[28] La Commission soutient qu’étant donné le courriel de l’employeur du vendredi 7 juillet 2023, il est clair que l’appelante a quitté son emploiNote de bas de page 17. Voici le courriel en question :

[traduction]

Ciao A., malheureusement M. n’aurait pas pu me le dire, car je n’étais pas au travail. Quant aux heures, je ne peux que répartir les heures disponibles. Je comprends que chaque personne a des besoins différents, mais je ne peux préparer l’horaire qu’en fonction du niveau de production. Il se trouve qu’en ce moment nos besoins d’emballage ne sont pas élevés et de même pour la production. Par conséquent, je ne suis pas en mesure de te donner tous les quarts de travail que tu voudrais. 

Enfin, pour mettre au clair : es-tu toujours en mesure de travailler chez nous, je suis en train de préparer l’horaire de la semaine prochaine et je pourrais t’inscrire si tu veux.

[29] L’appelante n’a pas répondu au courriel et l’employeur ne l’a pas inscrite à l’horaire ce vendredi-là.

[30] L’appelante n’a pas répondu au courriel parce qu’elle ne l’a pas vu. En effet, à ce moment-là, elle avait des problèmes de vue persistants. Elle était en congé de maladie jusqu’au 9 juillet 2023Note de bas de page 18. On lui a interdit l’usage de son cellulaire.

[31] Étant donné le moment où le courriel a été envoyé, je juge peu probable que l’employeur s’attendait à recevoir une réponse de l’appelante à temps pour qu’il puisse l’inscrire à l’horaire. Le courriel a été envoyé après 18 h, le soir même où l’horaire était affiché sur l’application. Même si l’appelante n’avait pas eu de problèmes oculaires, il ne s’agissait pas d’une véritable occasion pour elle de s’inscrire à l’horaire.

[32] Il est possible que l’employeur ait essayé d’amener l’appelante à démissionner. L’employeur voulait peut-être qu’elle démissionne en raison de ses problèmes de santé. D’autre part, il se peut que l’employeur ait simplement voulu clarifier les intentions de l’appelante. Il n’y a tout simplement pas assez d’éléments de preuve pour appuyer la conclusion selon laquelle l’employeur incitait l’appelante à démissionner.

[33] C’est à peu près à ce moment-là que l’appelante a non seulement été retirée de l’horaire, mais que son accès à l’application d’horaire a été suspendu. L’appelante a fait des efforts pour communiquer avec l’employeur au sujet de son accès à l’application. L’employeur ne lui a pas répondu.

[34] Le fait que l’employeur a exclu l’appelante de l’application d’horaire prouve qu’il ne lui revenait plus de choisir de continuer à occuper son emploi.

[35] Je conclus que l’appelante ne pouvait plus choisir de continuer à occuper son emploi pour les raisons suivantes :

  • Elle a demandé plus d’heures à son employeur. Son employeur a répondu en réduisant ses heures à zéro.
  • Son employeur l’a retirée de l’horaire et de l’application d’horaire.
  • Après avoir été retirée de l’horaire et de l’application d’horaire, il était raisonnable pour elle de présumer que l’employeur ne voulait pas qu’elle continue d’occuper son poste (qu’elle avait été congédiée).

[36] Bref, l’appelante n’occupait plus son poste, donc elle n’aurait pas pu quitter son emploi volontairement.

[37] Le relevé d’emploi de l’appelante indique qu’elle a démissionné. Cela ne me fait pas changer d’avis. Dire qu’elle a démissionné n’est pas conforme à la séquence d’événements décrite par l’appelante et démontrée par les courriels. Rien dans le dossier n’explique pourquoi l’employeur a choisi d’inscrire [traduction] « démission » sur le relevé d’emploi ni en quoi cela concorde avec le fait qu’il a retiré l’appelante de l’application d’horaire. Rien n’explique pourquoi l’employeur a attendu jusqu’en septembre 2023 pour fournir le relevé d’emploi demandé en juin 2023. La Commission n’a pas parlé à l’employeur.

[38] Comme l’appelante n’a pas quitté volontairement son emploi, elle n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Conclusion

[39] L’appelante n’a pas quitté volontairement son emploi. Elle n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[40] L’appel est accueilli.

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