Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : DG c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 1574

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : D. G.
Représentante ou représentant : Philip Cornish
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision (542399) rendue le 6 octobre 2022 par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Linda Bell
Mode d’audience : Hybride – En personne et par vidéoconférence
Date de l’audience : Le 29 novembre 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentant de l’appelant
Date de la décision : Le 16 décembre 2024
Numéro de dossier : GE-24-2668

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. 

[2] L’appelant a été mis en congé sans solde (suspendu) en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’il a fait quelque chose qui a entraîné sa suspensionNote de bas de page 1).

[3] L’appelant n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploi du 14 février 2022 au 17 juin 2022Note de bas de page 2. Il n’a donc pas droit aux prestations d’assurance-emploi pendant cette période. 

Aperçu

[4] L’appelant travaille pour un organisme du gouvernement fédéral appelé X (employeuse). Il a travaillé pendant la pandémie de COVID-19, mais le 11 février 2022, il a été placé sans le vouloir en congé sans solde.

[5] Dans une lettre rédigée le 15 février 2022, l’employeuse précise que l’appelant tombera en congé sans solde à compter du 11 février 2022 en raison du non-respect de la politique de vaccination contre la COVID-19Note de bas de page 3. Même si l’appelant ne conteste pas ces faits, il affirme que ce qu’il a fait n’est pas une inconduite.

[6] La Commission a accepté la raison pour laquelle l’employeuse a mis l’appelant en congé sans solde malgré lui, comme cette dernière l’explique dans la lettre du 15 février 2022. La Commission a décidé que l’appelant avait été suspendu en raison d’une inconduite. Elle a donc conclu qu’il n’était pas admissible aux prestations d’assurance-emploi du 14 février 2022 au 17 juin 2022.

[7] L’appelant n’est pas d’accord avec le refus de la Commission de lui verser des prestations d’assurance-emploi. Il a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Son appel a été jugé une première fois par un de mes collègues dans le dossier GE‑22‑3838. L’appel a été rejeté le 12 mars 2024.

[8] L’appelant a obtenu la permission de faire appel à la division d’appel du Tribunal. La membre de la division d’appel a rendu une décision par écrit le 17 juillet 2024 (dossier AD‑24‑283). Elle a renvoyé l’affaire à la division générale pour réexamen. Un nouveau dossier d’appel a été créé (GE‑24‑2668). Il m’a été assigné pour que je réexamine l’affaire.

[9] L’appelant explique que son employeuse ne considère pas son congé sans solde comme une suspension ou une inconduite. Il croit donc avoir droit aux prestations d’assurance-emploi.

Questions que je dois examiner en premier

Partie pouvant être mise en cause

[10] Parfois, le Tribunal envoie une lettre aux anciennes employeuses et anciens employeurs des parties appelantes pour leur demander si devenir une partie à l’appel les intéresse. Pour devenir une partie mise en cause, l’employeuse ou l’employeur doit avoir un intérêt direct dans l’appel. J’ai décidé de ne pas mettre l’employeuse en cause dans le présent appel. En effet, rien dans le dossier n’indique que ma décision lui imposerait des obligations juridiques.

Dossier d’appel

[11] Au début de l’audience du 29 novembre 2024, j’ai expliqué que, quand la division d’appel renvoie un appel à la division générale pour réexamen, tous les documents au dossier d’appel de la division d’appel et au dernier dossier d’appel de la division générale ainsi que tous les nouveaux documents ou éléments de preuve font partie du nouveau dossier d’appel. Dans la présente affaire, le nouveau dossier porte le numéro GE‑24‑2668.

[12] J’ai aussi expliqué que l’appel serait examiné de novo. En d’autres termes, je rends ma décision en portant [traduction] « un regard et un jugement neufs », en me fondant sur les documents que toutes les parties ont déposés au dossier, sur tous les témoignages livrés devant le Tribunal et sur les observations des deux parties et, enfin, d’une manière conforme au droit applicable en matière d’assurance-emploi.

[13] L’appelant et son représentant ont eu l’occasion de poser des questions et de passer des commentaires en réponse à mes propos sur le déroulement de l’appel. Les deux ont dit comprendre ce que je disais et aucun des deux n’avait de questions ou de commentaires.

Reports et difficultés techniques

[14] Au départ, l’audience hybride devait avoir lieu le 11 octobre 2024. L’appelant a demandé un ajournement. Parmi les raisons invoquées, il a dit que son représentant n’avait pas reçu les huit courriels envoyés le 9 septembre 2024, avec les documents d’appel en pièce jointe.

[15] Après avoir obtenu leurs disponibilités, j’ai accordé l’ajournement et fixé une nouvelle date d’audience (29 novembre 2024). L’appelant a témoigné en personne et son représentant a participé par vidéoconférence, le son étant retransmis par téléphone.

[16] Il y a eu des problèmes techniques avec le système audio de la vidéoconférence, ce qui a produit une réaction acoustique et un renvoi en écho. Pour résoudre le problème, il a suffi de couper le son du système de vidéoconférence, et le représentant s’est joint à l’audience par téléphone pour les besoins de l’enregistrement audio, tandis qu’il apparaissait toujours à l’écran.

[17] Tenant bien compte de ce qui précède, je conclus que l’appelant a eu la possibilité pleine et équitable de se faire entendre, selon le mode d’audience qu’il avait demandé. Plus concrètement, il a assisté à l’audience en personne, tandis que son représentant y a participé par vidéo pour l’image et par téléphone pour le son.

Réception des documents d’appel

[18] Je suis convaincue que l’appelant et son représentant ont reçu les copies des documents d’appel. Le représentant a dit qu’il croyait être en mesure de recevoir tous les documents, qu’il croyait avoir tous les documents et qu’on les lui avait tous fait parvenir.

[19] Au départ, le représentant a expliqué qu’il n’avait pas reçu les huit courriels qui lui avaient été envoyés le 9 septembre 2024. Au début de l’audience, il a dit qu’il avait demandé au Tribunal de lui renvoyer le dossier au complet le 25 novembre 2024.

[20] Le représentant a affirmé qu’il a reçu les documents par courriel le 26 novembre 2024, mais qu’il manquait peut-être certaines pages au document GD2. Il a précisé que la version qu’il a reçue le 26 novembre 2024 comptait seulement 615 pages.

[21] Après avoir examiné les courriels que le Tribunal a envoyés au représentant, j’ai dit que je pouvais voir qu’on lui avait envoyé le dossier d’appel complet le 9 septembre 2024 et le 26 novembre 2024. Je pouvais aussi voir que, dans les deux fichiers PDF qui formaient le document GD2, toutes les pages étaient numérotées jusqu’à GD2-793. Il semble qu’il ait regardé l’indicateur de pages dans la barre d’outils au haut de son lecteur PDF, car il indique 615/615. Mais ces chiffres ne sont pas les numéros de page qui figurent dans le coin inférieur droit de chaque page.

[22] Après avoir ouvert le deuxième fichier GD2 que le Tribunal lui avait envoyé le 9 septembre 2024, le représentant a confirmé que les numéros de page inscrits dans le coin inférieur droit allaient jusqu’à la page GD2-793.

[23] Compte tenu des affirmations du représentant et de mon examen de courriels qu’il a reçus, je suis convaincue que le représentant a reçu tous les documents d’appel avant l’audience.

Documents déposés en retard

[24] Dans l’intérêt de la justice, j’ai accepté les observations et les documents reçus après l’audience du 29 novembre 2024Note de bas de page 4.

[25] Le représentant a expliqué qu’il avait déposé dernièrement des décisions de jurisprudence sur lesquelles il souhaitait s’appuyer. Le Tribunal n’a pas reçu ces documents avant le début de l’audience. L’appelant a aussi demandé la permission de présenter d’autres documents pour appuyer son appel. Je leur ai donné la permission de déposer des documents en retard à condition que le Tribunal les reçoive au plus tard le 29 novembre 2024 à minuit.

[26] Le 29 novembre 2024, le Tribunal a reçu deux courriels du représentant avec des documents en pièces jointes. L’appelant a envoyé un courriel avec des pièces jointes avant la date limite du 29 novembre 2024. J’ai examiné les documents en question parce que le Tribunal les a reçus dans le délai fixé.

[27] Le représentant a présenté une autre observation par courriel le 2 décembre 2024, donc après la date limite. Cette observation, qui est en retard, comprend la copie d’une décision qu’il avait mentionnée pendant l’audience.

[28] La Commission a reçu des copies des observations et des documents supplémentaires. Elle n’y a pas répondu. Étant donné les observations du représentant, le document déposé en retard est pertinent. Je conclus donc que l’acceptation des documents déposés en retard ne porterait aucun préjudice à l’une ou l’autre des partiesNote de bas de page 5.

Question en litige

[29] L’appelant a-t-il été suspendu en raison d’une inconduite?

Analyse

[30] La loi dit qu’on ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si l’on perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique en cas de suspension ou de congédiementNote de bas de page 6.

[31] Pour savoir si l’appelant a été suspendu en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison l’appelant a cessé de travailler. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi l’appelant a-t-il cessé de travailler?

[32] Je conclus qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que l’appelant a été suspendu parce qu’il n’a pas respecté la politique de l’employeuse sur la vaccination contre la COVID-19Note de bas de page 7. Voici les éléments que j’ai considérés.

[33] Je reconnais que la raison pour laquelle l’appelant dit avoir cessé de travailler a changé au fil du temps.

  • Dans la demande d’assurance-emploi qu’il a présentée le 4 mars 2022, l’appelant a écrit qu’il a été [traduction] « forcé de partir en congé sans soldeNote de bas de page 8 ».
  • Dans le formulaire de demande de révision, il a écrit : [traduction] « Votre lettre dit que j’ai quitté mon emploi volontairement. Ce n’est pas vrai… j’ai été forcé de partir en congé sans soldeNote de bas de page 9. »
  • Dans la déclaration tapée à la machine qu’il a présentée à la Commission pour appuyer sa demande de révision, l’appelant a écrit : [traduction] « En fait, on m’a dit plusieurs fois, verbalement et dans les courriels de la direction, que j’étais placé en congé sans solde…Note de bas de page 10. »
  • Dans les documents qu’il a déposés au Tribunal le 6 novembre 2022, l’appelant a écrit : [traduction] « En fait, on m’a dit plusieurs fois, verbalement et dans les courriels de la direction, que j’étais placé en congé sans soldeNote de bas de page 11 […]. »
  • Dans l’appel qu’il a déposé le 7 novembre 2022 à la division générale, il a écrit : [traduction] « L’employeuse m’a mis en congé administratif sans soldeNote de bas de page 12. »
  • Dans la déclaration qu’il a présentée le 13 avril 2024 à la division d’appel du Tribunal, il a écrit : [traduction] « Le TSS a ignoré la preuve selon laquelle on m’a dit que je serais placé en congé sans solde, comme quand je suis parti en congé de paternité sans salaireNote de bas de page 13. »
  • Le 23 avril 2024, l’appelant a écrit à la division d’appel : [traduction] « J’ai pris un congé sans soldeNote de bas de page 14. » (C’est moi qui souligne en gras.)
  • Dans le courriel qu’il a envoyé le 7 mai 2024 à la division d’appel, l’appelant a écrit : [traduction] « […] et j’ai été placé en congé sans soldeNote de bas de page 15 […] ».
  • À l’audience du 29 novembre 2024, l’appelant a d’abord dit qu’on l’avait forcé à partir en congé sans solde. Il a ensuite changé sa version des faits et dit qu’il avait toujours eu le choix d’être en congé sans solde. Il a expliqué qu’il aurait pu choisir de se faire vacciner et de retourner au travail le lendemain.

[34] Je reconnais qu’avant que la division générale rende sa décision le 12 mars 2024, quand mon collègue a rejeté son appel, l’appelant disait toujours qu’il n’avait pas voulu partir en congé sans solde. Il disait que son employeuse l’avait plutôt placé en congé sans solde, qu’il avait été forcé de prendre un congé sans solde et qu’il était sans le vouloir en congé administratif sans solde. C’est seulement à partir de la deuxième observation qu’il a présentée à la division d’appel du Tribunal qu’il a commencé à dire qu’il avait [traduction] « pris un congé », comme s’il avait lui-même choisi de s’absenter du travail et de partir en congé sans solde.

[35] Après avoir examiné minutieusement les éléments de preuve portés à ma connaissance, je conclus que l’appelant n’a pas quitté son emploi de façon volontaire (démissionné) et qu’il n’était pas en congé sans solde de façon volontaire. En effet, il n’avait pas le choix de rester ou de partirNote de bas de page 16.

[36] Je juge plutôt que l’employeuse a mis l’appelant en congé sans solde sans qu’il le veuille, ce qui est considéré comme une suspension aux fins de l’assurance-emploi. Les documents au dossier démontrent clairement que c’est l’employeuse qui a mis l’appelant en congé sans solde malgré lui parce qu’il ne respectait pas sa politique de vaccination. Après le refus de ses demandes de mesures d’adaptation pour motif religieux, il n’a pas reçu toutes les doses du vaccin contre la COVID-19, contrairement à ce qu’exigeait la politique sur la COVID-19. En conséquence, l’employeuse l’a mis en congé sans solde malgré lui. Pour l’application de la législation sur l’assurance-emploi, on considère que c’est une suspensionNote de bas de page 17. 

[37] Durant son témoignage, l’appelant a dit que, vers la fin du mois d’octobre 2021 ou le 9 novembre 2021, il a été avisé de la politique de l’employeuse et qu’il y a eu accès par courriel ou en ligne. Il a déposé une copie du cadre de mise en œuvre de la politique de l’employeuse, qui fournit un lien vers la politique du Conseil du Trésor intitulée Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada. Cette politique est entrée en vigueur le 6 octobre 2021Note de bas de page 18.

[38] L’appelant admet volontiers qu’il savait que l’employeuse le placerait en congé sans solde s’il ne respectait pas la politique. Il a dit qu’il avait divulgué son statut vaccinal, qu’il avait suivi la formation requise et qu’il avait demandé des mesures d’adaptation pour motif religieux. Quand l’employeuse a rejeté sa demande, il n’était toujours pas vacciné.

[39] L’appelant a précisé que l’article 7 du cadre de mise en œuvre de la politique de l’employeuse décrit les conséquences en cas de non-respect de la politique. Plus précisément, « pour les personnes qui ne veulent pas être entièrement vaccinées », 2 semaines après la date limite de présentation de l’attestation, les placer en congé administratif sans soldeNote de bas de page 19. Voici comment la politique définit le terme « employés qui refusent d’être entièrement vaccinés » :

Aux fins de la présente politique, on entend par « employés qui refusent d’être entièrement vaccinés » les employés qui refusent de divulguer leur statut de vaccination (qu’ils soient entièrement vaccinés ou non), [les] employés pour lesquels aucune mesure d’adaptation n’a été accordée en raison d’une contre-indication étayée par un certificat médical ou pour un motif religieux ou pour tout autre motif de distinction illicite et qui refusent tout de même de se faire vacciner, et les employés qui ont attesté qu’ils ne sont pas vaccinésNote de bas de page 20.

[40] Par conséquent, je conclus qu’en ce qui concerne les prestations d’assurance-emploi, l’appelant a été placé en congé sans solde sans le vouloir (il a été suspendu) parce qu’il refusait de recevoir toutes les doses du vaccin contre la COVID-19, contrairement à la politique de l’employeuse.

Inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi

[41] Pour conclure à une inconduite, les éléments de preuve portés à ma connaissance doivent démontrer que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission a la responsabilité d’en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Cela veut dire que la preuve doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que l’appelant a perdu son emploi à la suite d’une inconduiteNote de bas de page 21.

[42] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Mais la jurisprudence (les décisions des cours) nous montre comment savoir si la suspension et le congédiement de l’appelant constituent une inconduite au sens de la Loi. Elle établit le critère juridique de l’inconduite, c’est-à-dire les points et les critères à prendre en considération lorsqu’on examine la question de l’inconduite.

[43] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. En d’autres termes, il faut que la conduite de l’appelant soit consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 22. L’inconduite, c’est aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 23. Il n’est pas nécessaire que l’appelant ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 24.

[44] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeuse et que la possibilité de se faire suspendre ou renvoyer pour cette raison était bien réelleNote de bas de page 25.

[45] La loi ne m’oblige pas à tenir compte du comportement de l’employeuseNote de bas de page 26. Je ne peux pas vérifier quels sont les effets pour l’appelant du refus de l’employeuse de lui offrir des mesures d’adaptation ni les effets de ses politiques sur le traitement des congés sans solde non voulus par rapport aux mesures disciplinaires, aux congés parentaux ou aux heures de travail ouvrant droit à pension. Je ne peux pas regarder non plus si la suspension, au sens de la législation sur l’assurance-emploi, est une pénalité raisonnableNote de bas de page 27. Je dois plutôt porter mon attention sur ce que l’appelant n’a pas fait et voir si cela équivaut à une suspension pour inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 28.

[46] La seule chose que je peux décider, c’est s’il y a eu inconduite au sens de la législation sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas fonder ma décision sur la possibilité que d’autres lois donnent d’autres options à l’appelant. Ce n’est pas à moi de décider si l’employeuse ou le syndicat de l’appelant considère que les mesures prises pour le placer en congé sans solde sont non disciplinaires ou qu’il n’y a pas eu d’inconduite selon les critères applicables dans un autre contexte ou d’après une autre définition. Je ne peux pas non plus voir si l’employeuse aurait dû prendre des mesures d’adaptation raisonnables pour l’appelant ni évaluer les allégations de violation des droits de la personne ou de non-respect d’autres loisNote de bas de page 29. Je peux me pencher sur une seule question : quand l’appelant a refusé de faire quelque chose, était-ce une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi?

La raison de la suspension est-elle une inconduite au sens de la législation sur l’assurance-emploi?

[47] Oui. Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, l’appelant a été suspendu pour inconduite. Je m’explique.

[48] Selon la Commission, il y a eu inconduite parce que l’appelant connaissait la politique de l’employeuse et savait qu’il devait être entièrement vacciné, à moins d’obtenir une exemption, pour continuer à travailler pour l’employeuse. Mais il a fait le choix conscient de ne pas se conformer à la politique. Comme il n’a pas obtenu d’exemption, il a été suspendu à compter du 11 février 2022. Ainsi, la Commission a décidé de le considérer comme ayant été suspendu pour inconduite.

[49] L’appelant travaillait pour X, un organisme du gouvernement fédéral. L’appelant savait que son employeuse avait adopté une politique de vaccination contre la COVID-19. Il y avait accès par courriel et en ligne. La politique s’appliquait à tout le personnel de l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du CanadaNote de bas de page 30.

[50] L’appelant admet volontiers qu’il savait que l’employeuse avait une politique obligeant tout le personnel à recevoir toutes les doses du vaccin contre la COVID-19 dans les délais fixés. Il a pu accéder à la politique par courriel et en ligne vers la fin d’octobre 2021 ou le 9 novembre 2021. Il a déclaré qu’il n’était pas vacciné et il a demandé des mesures d’adaptation pour motif religieux. Ne s’étant toujours pas fait vacciner, il savait qu’il serait placé en congé sans solde (suspendu) si on lui refusait les mesures d’adaptation pour motif religieux.

[51] Durant son témoignage, l’appelant a déclaré avoir été informé de la politique de l’employeuse par courriel ou en ligne à la fin du mois d’octobre 2021 ou le 9 novembre 2021. Il a déposé une copie du cadre de mise en œuvre de la politique de l’employeuse, où la définition des personnes qui ne veulent pas être entièrement vaccinées inclut celles à qui aucune mesure d’adaptation pour motif religieux n’est accordée. Elle précise aussi comment ces personnes seront placées en congé sans solde pour non-respect de la politique.

[52] L’appelant a demandé une mesure d’adaptation pour motif religieux et l’employeuse a rejeté cette demande à deux reprises. Il savait donc, ou aurait dû savoir, qu’il serait placé en congé sans solde malgré lui (suspendu) si sa demande de mesures d’adaptation était rejetée. Il a été suspendu le 11 février 2022Note de bas de page 31.

[53] La politique est entrée en vigueur le 6 octobre 2021. Comme l’appelant l’a expliqué, les dates limites pour s’y conformer ont été modifiées. Par exemple, dans l’attente d’une décision sur sa demande de mesures d’adaptation pour motif religieux, l’appelant a pu travailler en suivant la politique de dépistage. Il ne conteste pas la lettre de l’employeuse qui indique clairement qu’il a été placé en congé sans solde pour non-respect de la politique de vaccination contre la COVID-19.

[54] Je juge qu’il y a assez d’éléments de preuve montrant que l’appelant savait que l’employeuse avait une politique sur la COVID-19 obligeant toutes les personnes sans mesure d’adaptation pour motif médical ou religieux à recevoir toutes les doses du vaccin contre la COVID-19. Selon la politique et son cadre de mise en œuvre, l’appelant est considéré comme un employé qui refusait d’être entièrement vacciné au moment du rejet de sa demande de mesures d’adaptation et qui n’était toujours pas vacciné. Il savait donc ou aurait dû savoir qu’après le rejet de sa demande de mesures d’adaptation, s’il ne se faisait pas vacciner, il ne respecterait pas la politique de l’employeuse sur la COVID-19 et serait placé en congé sans solde malgré lui (suspendu).

[55] Je reconnais que l’appelant a le droit de décider s’il se fait vacciner ou non. Cela dit, il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que l’appelant savait quelles étaient les conséquences du non-respect de la politique, notamment la mise en congé sans solde (suspension). Même s’il savait ce qui se passerait, l’appelant a pris la décision volontaire et délibérée de ne pas respecter la politique de l’employeuse. Ce refus délibéré de se conformer constitue une inconduite puisqu’il a entraîné la perte de son emploi.

Autres arguments

[56] Même si l’employeuse n’a pas utilisé le mot « inconduite » dans sa politique ou ses communications avec l’appelant, cela ne change rien à la conclusion d’inconduite au sens de la législation sur l’assurance-emploi. En effet, lorsqu’on parle d’assurance-emploi, le terme « inconduite » a un sens bien précis qui ne correspond pas nécessairement à celui qui prévaut en droit du travail ou dans le contexte de travail spécifique de l’appelant.

[57] Comme je l’ai expliqué plus haut, les prestataires peuvent être inadmissibles au bénéfice des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite, mais cela ne veut pas nécessairement dire qu’une intention coupable doit se cacher derrière leurs gestes (autrement dit, il n’est pas nécessaire que les prestataires aient l’intention de faire quelque chose de mal) pour que leur comportement soit une inconduite au sens de la législation sur l’assurance-emploi.

[58] Une conclusion d’inconduite ne dépend pas de la façon dont l’employeuse, le service des pensions ou le syndicat de l’appelant catégorisent, dans le contexte de son emploi, la période de congé sans solde non voulue. Je dois plutôt examiner les faits portés à ma connaissance et voir si les gestes posés par l’appelant constituent une inconduite au sens de la législation sur l’assurance-emploi.

[59] Comme je l’ai expliqué pendant l’audience, ce sont les faits qui mènent à une conclusion de suspension pour inconduite. Cette détermination ne repose pas uniquement sur les commentaires figurant sur le relevé d’emploi.

[60] J’admets que l’employeuse a le droit de gérer ses activités quotidiennes et qu’elle a donc le pouvoir d’élaborer et d’imposer des pratiques et des politiques en milieu de travail pour assurer la santé et la sécurité de tout son personnel et des Canadiennes et Canadiens avec qui son personnel interagit. L’obligation de l’appelant envers son employeuse était de suivre sa politique, qui posait la vaccination contre la COVID-19 comme condition au maintien en emploiNote de bas de page 32.

[61] Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation de l’appelant quand il dit que, dans la présente affaire, il faut tenir compte de la jurisprudence plus ancienne, comme la décision Canada (Procureur général) c Lemire, A-51-10, pour voir si le manquement à une obligation résulte expressément ou implicitement du contrat de travail de l’appelant, qui, selon lui, est sa convention collective.

[62] En fait, je dois plutôt m’appuyer sur la jurisprudence plus récente, qui a confirmé plusieurs décisions dans des affaires semblables à celle de l’appelant. Par exemple, dans la décision Brown c Canada (Procureur général), 2024 CF 1544, Mme Brown travaillait pour l’Agence canadienne d’inspection des aliments, un organisme fédéral auquel s’appliquait la même politique de vaccination contre la COVID-19 que celle imposée à l’appelant. Cette décision de la Cour fédérale mentionne la jurisprudence abondante et unanime de la Cour d’appel fédérale et de la Cour fédérale qui confirme les conclusions d’inconduite quand les prestataires ne respectent pas la politique de leur employeur sur la vaccination contre la COVID-19.

[63] Il y a eu une autre décision récente : Murphy c Canada (Procureur général), 2024 CF 1356. Dans cette affaire, Mme Murphy travaillait pour le ministère fédéral de la Justice. Son emploi était visé par la même politique de vaccination contre la COVID-19 que celle imposée à l’appelant. La Cour a établi que l’inconduite renvoie au devoir plus général des personnes envers leur employeur, à leurs obligations au sens large, et ne se limite pas à l’exécution de leurs fonctions. La Cour a confirmé que Mme Murphy n’avait pas respecté la politique de l’employeuse et a maintenu la décision du Tribunal, soit qu’elle avait été suspendue pour inconduite.

[64] L’appelant a soutenu qu’une décision rendue par un de mes collègues du Tribunal appuie l’argument voulant qu’il faille accueillir son appel parce qu’il n’est pas d’accord avec la façon dont son employeuse a rejeté sa demande de mesures d’adaptationNote de bas de page 33. Ce n’est pas au Tribunal de décider si l’employeuse a agi correctement quand elle a rejeté les demandes de mesures d’adaptationNote de bas de page 34. Il existe d’autres endroits où l’appelant peut défendre un tel argument.

[65] L’appelant a aussi soutenu qu’un de mes collègues a accueilli un autre appel dans l’affaire AL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, GE-22-1889. Mais la division d’appel du Tribunal a annulé cette décisionNote de bas de page 35.

[66] L’appelant dit qu’il faut accueillir son appel parce que, comme il n’est pas d’accord avec le contenu des Renseignements supplémentaires de la Commission, il faudrait lui donner le bénéfice du doute. Je juge cet argument peu convaincant. Il a cité une jurisprudence plus ancienne qui, selon lui, est encore valable en droitNote de bas de page 36. En effet, selon le témoignage de l’appelant et les documents au dossier, il ne fait aucun doute que l’appelant connaissait la politique de l’employeuse, qu’il y avait accès et que la politique obligeait tout le personnel n’ayant pas obtenu de mesure d’adaptation à se faire vacciner contre la COVID-19 et que les personnes non vaccinées seraient placées en congé sans solde sans le vouloir (suspendues).

[67] Je ne suis pas non plus convaincue par les arguments de l’appelant voulant qu’il faille accueillir son appel parce qu’il estime que les renseignements sur la façon dont l’employeuse a pris en compte ou traité son congé sans solde non voulu étaient ambigus ou déroutants et qu’en conséquence, il devrait avoir le bénéfice du douteNote de bas de page 37. Je le répète, la question à trancher n’est pas de savoir comment l’employeuse, le service des pensions ou le syndicat a perçu ou traité le congé sans solde qu’il a pris malgré lui (sa suspension). Il ne s’agit pas non plus de trancher la question de savoir si l’appelant s’est fié à des suppositions non fondées sur son admissibilité aux prestations d’assurance-emploi. Je dois plutôt vérifier si les faits démontrent que l’appelant a été suspendu pour des gestes qui constituent une inconduite au sens de la législation sur l’assurance-emploi.

[68] La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux affirmé que la question de savoir si une employeuse ou un employeur a répondu aux besoins des membres de son personnel aux termes de la législation sur les droits de la personne n’est pas pertinente pour l’évaluation de l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. En effet, ce n’est pas la conduite de l’employeuse qui est en cause. De telles questions peuvent être tranchées par d’autres instancesNote de bas de page 38.

[69] Je n’ai pas le pouvoir de décider si la politique ou les gestes de l’employeuse étaient illégaux. Je n’ai pas non plus le pouvoir de décider si l’employeuse a porté atteinte à l’un ou l’autre des droits de son employé quand elle a placé l’appelant en congé sans solde malgré lui (suspendu) ni si elle aurait pu ou dû faire autrement et lui offrir des mesures d’adaptation. Le recours de l’appelant contre son employeuse consiste à demander l’aide de son syndicat et à s’adresser à la Cour ou à tout autre tribunal qui peut juger ces questions particulières.

[70] L’objet (le but) de la Loi sur l’assurance-emploi n’est pas d’indemniser les personnes sans emploi qui ont été placées en congé sans solde malgré elles (suspendues). Le versement des prestations d’assurance-emploi n’est pas un droit automatique, même si les prestataires ont cotisé à l’assurance-emploi.

[71] À mon avis, l’appelant n’a pas cessé de travailler de façon volontaire. En fait, il a choisi de ne pas respecter les exigences de la politique de l’employeuse, ce qui a directement mené à sa suspension. Il a agi de façon délibérée.

[72] L’appelant a été suspendu le 11 février 2022. Il est retourné au travail le 20 juin 2022, lorsque l’employeuse a mis fin à la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19. Sa période de prestations a commencé le dimanche 13 février 2022. Il est donc inadmissible au bénéfice des prestations pendant sa suspension, soit du 14 février 2022 au 17 juin 2022Note de bas de page 39.

Conclusion

[73] L’appelant a été suspendu pour inconduite. En conséquence, il n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploi du 14 février 2022 au 17 juin 2022.

[74] L’appel est rejeté.

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