Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

La prestataire est travailleuse indépendante. Elle a établi une période de prestations de maternité et de prestations parentales à compter du 6 mars 2022. Dans sa demande, elle a estimé sa rémunération provenant d’un travail indépendant pour 2021. La Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) lui a versé des prestations en fonction de son estimation et lui a dit que sa demande serait recalculée une fois que l’Agence du revenu du Canada (ARC) aurait fourni le montant réel de son revenu provenant d’un travail indépendant.

L’ARC a avisé la Commission que pour 2021, la rémunération provenant d’un travail indépendant de la prestataire était de 15 $, ce qui était inférieur au montant requis. La Commission a conclu que la prestataire n’était pas admissible aux prestations qu’elle avait reçues. La prestataire a fait appel de cette décision à la division générale.

La division générale a accueilli l’appel de la prestataire. Elle a conclu que les dividendes imposables que la prestataire avait reçus de sa société professionnelle pouvaient être considérés comme une rémunération provenant d’un travail indépendant. Par conséquent, sa rémunération était suffisante pour qu’elle soit admissible aux prestations. La Commission a fait appel de la décision de la division générale devant la division d’appel.

Selon la division d’appel, la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle s’est fondée sur l’article 35(2) du Règlement sur l’assurance-emploi pour établir que les dividendes que la prestataire avait reçus étaient une rémunération et que, par conséquent, il s’agissait d’une rémunération provenant d’un travail indépendant pour l’application de l’article 152.01(2)(b) de la Loi sur l’assurance-emploi. La division d’appel a également conclu que la division générale avait outrepassé sa compétence lorsqu’elle avait conclu que le montant de la rémunération provenant d’un travail indépendant évalué par l’ARC n’était pas déterminant et avait décidé quelle était la rémunération de la prestataire.

Dans sa décision, la division générale a conclu que, selon la Loi sur l’assurance-emploi, l’ARC a compétence sur l’assurabilité d’un emploi, le nombre d’heures d’emploi assurable et le montant de la rémunération assurable. D’après la division générale, la Loi sur l’assurance-emploi ne dit pas que l’ARC a compétence pour déterminer la rémunération provenant d’un travail indépendant. La division d’appel n’était pas d’accord. L’article 152.01(2) prévoit la façon de déterminer la rémunération provenant d’un travail indépendant. Le ministre du Revenu national (le ministre) est chargé de l’application de cet article. La division d’appel a conclu que la division générale n’avait pas mentionné l’article 97(1) de la Loi sur l’assurance-emploi lorsqu’elle avait pris une décision au sujet de la compétence. Il était évident que la détermination de la rémunération provenant d’un travail indépendant relevait de la compétence du ministre. La Loi sur l’assurance-emploi établit qu’une personne qui effectue du travail indépendant ayant conclu un accord avec la Commission doit verser une cotisation en fonction de sa rémunération provenant de son travail indépendant. La division d’appel a établi que ni la Commission ni la division générale ne pouvait contourner la loi et déterminer la rémunération provenant d’un travail indépendant de la prestataire en ignorant le montant évalué par l’ARC. Agir ainsi revient essentiellement à réévaluer cette rémunération pour l’année d’imposition en cause. Il est clair que cela ne relève pas de la compétence du Tribunal.

La division d’appel a accueilli l’appel et rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. Elle a conclu qu’elle était liée par la rémunération provenant d’un travail indépendant de la prestataire telle que l’ARC l’avait évaluée. Elle a aussi conclu que cette rémunération n’était pas suffisante pour que la prestataire soit admissible aux prestations d’assurance-emploi.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c AT, 2024 TSS 1559

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Nikkia Janssen
Partie intimée : A. T.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 17 mai 2024 (GE-23-2847)

Membre du Tribunal : Melanie Petrunia
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 13 septembre 2024
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimée
Date de la décision : Le 17 décembre 2024
Numéro de dossier : AD-24-403

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. La division générale a outrepassé sa compétence et a commis une erreur de droit dans sa décision. La prestataire n’a pas une rémunération provenant d’un travail indépendant suffisante pour être admissible aux prestations de maternité et aux prestations parentales.

Aperçu

[2] L’intimée, A. T. (prestataire), est travailleuse indépendante. Une période de prestations de maternité et de prestations parentales débutant le 6 mars 2022 a été établie à son profit. Dans sa demande, elle a estimé la rémunération tirée du travail exécuté à son compte en 2021. L’intimée [sic], la Commission de l’assurance-emploi du Canada, lui a versé des prestations en fonction de la rémunération estimée qu’elle avait indiquée dans sa demande. La Commission l’a informée qu’un recalcul serait fait pour sa demande une fois que l’Agence du revenu du Canada lui aura fourni le montant réel de sa rémunération.

[3] L’Agence du revenu du Canada a avisé la Commission que la prestataire avait reçu une rémunération de 15 $ en travaillant pour son compte en 2021, ce qui est moins que ce dont elle avait besoin pour être admissibleNote de bas de page 1. La Commission a décidé que la prestataire n’était pas admissible aux prestations qu’elle avait reçues. La prestataire a fait appel à la division générale du Tribunal.

[4] La division générale a accueilli l’appel de la prestataire. Elle a conclu que les dividendes imposables que la prestataire avait reçus de sa société professionnelle pouvaient être considérés comme une rémunération provenant d’un travail indépendant. Par conséquent, sa rémunération était suffisante pour qu’elle soit admissible aux prestations. La Commission fait maintenant appel de la décision de la division générale. Elle soutient que la division générale a commis des erreurs de droit dans sa décision.

[5] J’accueille l’appel de la Commission. Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. La division générale a commis une erreur de droit et a outrepassé sa compétence lorsqu’elle a conclu que l’appelante avait tiré une rémunération suffisante du travail à son compte.

Questions en litige

[6] Voici les questions à trancher dans cet appel :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en se fondant sur l’article 35 du Règlement sur l’assurance-emploi pour calculer la rémunération provenant d’un travail indépendantNote de bas de page 2?
  2. b) La division générale a-t-elle outrepassé sa compétence lorsqu’elle a rendu une décision sur la rémunération provenant du travail indépendant de la prestataire?
  3. c) Dans l’affirmative, comment l’erreur devrait-elle être corrigée?

Analyse

[7] Je peux intervenir dans la présente affaire seulement si la division générale a commis une erreur pertinente. Je dois donc vérifier si la division générale aNote de bas de page 3 :

  • omis d’offrir une procédure équitable;
  • omis de décider d’une question qu’elle aurait dû trancher, ou décidé d’une question qu’elle n’aurait pas dû trancher;
  • rendu une décision entachée d’une erreur de droit;
  • fondé sa décision sur une erreur importante concernant les faits de l’affaire.

La loi

[8] La Loi sur l’assurance-emploi définit un travailleur indépendant comme une personne qui exploite ou exploitait une entreprise ou qui travaille au service d’une personne morale dont elle contrôle plus de 40 % des actions avec droit de voteNote de bas de page 4.

[9] L’article 152.07(1) énonce les conditions que doit remplir une personne qui fait un travail indépendant pour avoir droit à des prestations spéciales. Cette personne doit :

  • avoir conclu avec la Commission un accord, qui n’a pas pris fin ou n’est pas réputé avoir pris fin, au moins 12 mois avant la demande de prestations;
  • avoir subi un arrêt de rémunération;
  • avoir reçu une rémunération minimale provenant d’un travail qu’elle a exécuté pour son propre compte pendant sa période de référence.

[10] La Loi sur l’assurance-emploi précise la façon dont la rémunération provenant d’un travail indépendant est établie en fonction de la nature du travail indépendant. Dans le cas d’une partie prestataire qui est employée par une société et qui contrôle plus de 40 % des actions avec droit de vote de celle-ci, le montant de la rémunération provenant du travail indépendant pour une année est le montant qu’aurait constitué sa rémunération assurable pour cette année si son emploi n’avait pas été exclu des emplois assurablesNote de bas de page 5.

La décision de la division générale

[11] La division générale a examiné la législation applicable. Les parties ont convenu que la prestataire avait conclu un accord avec la Commission au moins 12 mois avant de demander des prestations et qu’elle avait subi un arrêt de rémunération Dans son analyse, la division générale s’est concentrée sur la question de savoir si la prestataire avait tiré une rémunération suffisante d’un travail indépendant au cours de sa période de référenceNote de bas de page 6.

[12] La division générale a examiné l’historique procédural de l’affaire. Lors d’un appel précédent à la division d’appel, l’affaire avait été renvoyée à la division générale. La division d’appel a conclu que l’Agence du revenu du Canada avait la compétence exclusive d’établir le montant de la rémunération assurableNote de bas de page 7. La division générale a donc demandé à la Commission de demander à l’Agence du revenu du Canada de se prononcer sur le montant de la rémunération assurable de la prestataire, dans le cas où son emploi était assurableNote de bas de page 8.

[13] L’Agence du revenu du Canada n’a pas voulu se prononcer. Elle a expliqué qu’elle pouvait seulement établir le montant de la rémunération assurable pour un emploi assurable et qu’elle ne pouvait pas rendre de décision sur une situation hypothétiqueNote de bas de page 9. La division générale s’est dite d’accord avec l’Agence du revenu du Canada en ce qui concerne sa compétence et a conclu qu’elle avait donc elle-même la compétence d’établir la rémunération d’une personne qui fait un travail indépendant aux fins de prestationsNote de bas de page 10.

[14] La division générale a examiné les différentes structures d’entreprise au Canada et comment une personne qui fait un travail indépendant peut être rémunérée par son entreprise, y compris en recevant un salaire ou par le versement de dividendes provenant d’une société. Elle a conclu qu’il était nécessaire d’établir quel montant de la rémunération de la prestataire provenait de ses investissements dans son entreprise et quel montant pouvait être considéré comme une rémunération pour son travail indépendantNote de bas de page 11.

[15] La division générale a examiné l’annexe 13, « Cotisations à l’assurance-emploi pour les gains d’un travail indépendant et pour d’autres gains admissibles », qui figure dans la déclaration de revenus de la prestataire. Elle a conclu que cette annexe est la forme et la manière qui sont utilisées par la Commission et le ministre du Revenu national pour calculer les cotisations à l’assurance-emploi des travailleurs indépendants, mais qu’elle ne constitue pas une preuve réelle de la rémunération provenant de ce travailNote de bas de page 12.

[16] La division générale a conclu que l’annexe 13 ne reflétait que certaines des façons dont la rémunération provenant d’un travail indépendant était calculéeNote de bas de page 13. Bien qu’elle ait été choisie par la Commission pour calculer les cotisations, cette annexe n’a pas pour effet de déterminer la nature réelle de cette rémunération.

[17] La division générale a conclu qu’elle devait établir quelle aurait été la rémunération de la prestataire si son emploi n’avait pas été exclu des emplois assurables. En examinant l’article 35(2) du Règlement sur l’assurance-emploi, elle a conclu que les dividendes peuvent être considérés comme une rémunération lorsqu’ils sont directement liés au travail effectué pour l’entrepriseNote de bas de page 14.

[18] La division générale a conclu que le montant total des dividendes versés à la prestataire était une rémunérationNote de bas de page 15. À la lumière de cette conclusion, elle a établi que la prestataire avait reçu une rémunération provenant d’un travail indépendant suffisante pour qu’elle soit admissible aux prestations.

La division générale a commis une erreur de droit en se fondant sur l’article 35(2) du Règlement sur l’assurance-emploi

[19] La division générale a conclu que les dividendes versés à la prestataire constituaient une rémunération provenant d’un travail indépendant. Elle a rendu cette décision en se fondant sur l’article 35(2) du Règlement sur l’assurance-emploi.

[20] L’article 35(2) dit ceci :

(2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, la rémunération qu’il faut prendre en compte pour vérifier s’il y a eu l’arrêt de rémunération visé à l’article 14 et fixer le montant à déduire des prestations à payer en vertu de l’article 19, des paragraphes 21(3), 22(5), 152.03(3) ou 152.04(4), ou de l’article 152.18 de la Loi, ainsi que pour l’application des articles 45 et 46 de la Loi, est le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi, notamment : […] (soulignement ajouté)

[21] Cet article porte sur la détermination de la rémunération d’une partie prestataire afin d’établir si elle a subi un arrêt de rémunération et s’il y a une rémunération à déduire de ses prestations d’assurance-emploi. Il précise que la rémunération provient de tout emploi : assurable, non assurable ou excluNote de bas de page 16.

[22] La division générale semble avoir assimilé la rémunération aux termes de l’article 35(2) du Règlement sur l’assurance-emploi à celle qui aurait été assurable si l’emploi de la prestataire n’avait pas été exclu. Cependant, l’article 35(2) précise clairement qu’il concerne la détermination de la rémunération à des fins précises et que le montant de la rémunération provenant d’un travail indépendant pour une année en vertu de l’article 152.01(2) ne fait pas partie de ces fins.

[23] La Cour d’appel fédérale a également confirmé que cet article ne concerne pas la détermination de la rémunération assurable. Dans l’affaire Blondin, la Cour a déclaré ceci :

[traduction] Si, à première vue, ce texte peut sembler aider le demandeur, une analyse plus approfondie révèle que ce n’est pas le cas. Le règlement porte essentiellement sur l’interruption de la « rémunération » et ne vise pas du tout le concept plus limité de « rémunération assurable », qui sert de base au calcul prévu à l’article 24. Les indemnités d’accident du travail reçues par le demandeur n’étaient pas une rémunération assurable et ne le sont pas selon l’article 57 non plusNote de bas de page 17.

[24] De même, le fait que les dividendes reçus par la prestataire puissent constituer une rémunération aux termes de l’article 35 du Règlement sur l’assurance-emploi ne signifie pas qu’ils seraient considérés comme une rémunération assurable.

[25] La division générale n’explique pas pourquoi elle a conclu que les sommes auxquelles elle a attribué la valeur de rémunération selon l’article 35(2) du Règlement sur l’assurance-emploi feraient partie de la rémunération assurable de la prestataire si son emploi n’était pas exclu.

[26] Je conclus que la division générale a commis une erreur de droit en se fondant sur l’article 35(2) du Règlement sur l’assurance-emploi pour établir que les dividendes que la prestataire a reçus étaient une rémunération et constituaient donc aussi une rémunération provenant d’un travail indépendant aux termes de l’article 152.01(2)(b).

La division générale a outrepassé sa compétence

[27] La division générale a également outrepassé sa compétence lorsqu’elle a conclu que le montant de la rémunération provenant d’un travail indépendant, tel qu’évalué par l’Agence du revenu du Canada, n’était pas déterminant pour la question en litige, et qu’elle a établi elle-même la rémunération provenant du travail indépendant de la prestataire. La Commission soutient également que la division générale a commis une erreur en ne s’appuyant pas sur le montant figurant à l’annexe 13 de la déclaration de revenus de la prestataire.

[28] Dans sa décision, la division générale a conclu que la Loi sur l’assurance-emploi précise que l’Agence du revenu du Canada a compétence pour décider si un emploi est assurable ou non, ainsi que de déterminer le nombre d’heures d’emploi assurable et le montant de la rémunération assurable. Elle a aussi déclaré que la Loi sur l’assurance-emploi ne donne pas à l’Agence du revenu du Canada la compétence d’établir la rémunération provenant d’un travail indépendantNote de bas de page 18.

[29] L’article auquel la division générale a fait référence, soit celui qui établit la compétence de l’Agence du revenu du Canada, se trouve à la partie IV de la Loi sur l’assurance-emploi, qui porte sur la rémunération assurable et la perception des cotisations. La division générale a déclaré que l’Agence du revenu du Canada n’a pas la compétence d’établir la rémunération provenant d’un travail indépendant, car les calculs et les définitions concernant le travail indépendant se trouvent à la partie VII.1 de la LoiNote de bas de page 19.

[30] Je ne suis pas d’accord. Comme je l’ai mentionné plus haut, l’article 152.01(2) établit comment la rémunération provenant du travail indépendant est déterminée. Son application relève du ministre du Revenu nationalNote de bas de page 20. De plus, la division générale n’a pas mentionné l’article 97(1) de la Loi sur l’assurance-emploi lorsqu’elle a rendu sa décision sur la compétence. Cet article, qui se trouve également à la partie IV de la Loi sur l’assurance-emploi, prévoit ce qui suit :

97(1) Attributions du ministre — L’application de la présente partie, de l’article 5, des paragraphes 152.01(2) et (3) et des articles 152.21 à 152.3 et des règlements pris en vertu des articles 5, 55, 152.26 et 152.28 relève du ministre, et le commissaire du revenu peut exercer les attributions conférées au ministre par la présente partie ou la partie VII.1.

[31] L’article auquel la division générale a fait référence pour appuyer sa conclusion sur la compétence limitée de l’Agence du revenu du Canada précise qui peut demander une décision à l’Agence du revenu du Canada et sur quelles questions cette décision peut porterNote de bas de page 21. L’article 97 énonce clairement les articles et les parties de la Loi sur l’assurance-emploi qui relèvent de la compétence du ministre, y compris celles qui concernent la détermination de la rémunération d’une personne qui fait un travail indépendant.

[32] Si l’on examine le régime législatif de façon plus générale, il est manifeste que la détermination de la rémunération provenant d’un travail indépendant relève de la compétence du ministre. La Loi sur l’assurance-emploi prévoit qu’une personne qui fait un travail indépendant et qui a conclu un accord avec la Commission doit verser une cotisation selon la rémunération qu’elle reçoit pour son travail indépendantNote de bas de page 22.

[33] Le ministre a établi qu’une personne tenue de verser une cotisation au titre de la rémunération qu’elle reçoit pour son travail indépendant doit produire une déclaration. Cette exigence est énoncée à l’article 152.22, qui se lit comme suit :

Déclaration à produire

152.22 (1) Tout travailleur indépendant tenu de verser une cotisation pour une année à l’égard de la rémunération provenant du travail qu’il a exécuté pour son propre compte — ou son représentant en cas d’empêchement ou d’incapacité — doit, sans qu’il y ait besoin à cet effet d’avis ou de demande, produire auprès du ministre du Revenu national, en la forme et de la manière précisées par ce ministre, une déclaration de cette rémunération pour l’année, contenant les renseignements qu’il précise, et ce au plus tard à la date à laquelle il est tenu de produire pour l’année en question sa déclaration de revenus au titre de la partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu ou serait tenu de le faire si elle était imposable aux termes de cette partie.

[34] La prestataire a produit sa déclaration de revenus pour 2021 et a rempli l’annexe 13 comme exigée. Cette annexe demande aux contribuables d’indiquer certains renseignements de leur déclaration de revenus et leur précise comment calculer leur rémunération provenant d’un travail indépendant. La rémunération obtenue est ensuite utilisée par le ministre pour fixer le montant de leurs cotisations. Le ministre est tenu d’examiner ce formulaire et d’envoyer un avis de cotisation à la personne qui a produit la déclaration :

Examen de la déclaration et avis d’évaluation

152.24 Le ministre du Revenu national examine, avec toute la diligence voulue, chaque déclaration de la rémunération provenant du travail que le travailleur indépendant a exécuté pour son propre compte et évalue la cotisation pour l’année à cet égard ainsi que l’intérêt et les pénalités à payer, s’il en est, et, après un tel examen, fait parvenir un avis d’évaluation à la personne qui a produit la déclaration.

[35] La prestataire conteste le montant de la rémunération provenant de son travail indépendant, tel qu’il a été déterminé et évalué par le ministre. À la suite de cette évaluation, il a été décidé qu’elle devait rembourser les prestations d’assurance-emploi qu’elle a reçues. Elle a donc demandé à la Commission de réviser sa décision, puis a fait appel devant le Tribunal.

[36] L’article 152.28 prévoit que certains articles de la Loi de l’impôt sur le revenu qui portent sur les oppositions et les appels s’appliquent à la partie VII.1 de la Loi sur l’assurance-emploi (il s’agit de la partie qui traite des prestations pour les travailleurs indépendants).

[37] Compte tenu du libellé de la Loi sur l’assurance-emploi, je conclus que la Commission n’a pas la compétence nécessaire pour établir la rémunération provenant du travail indépendant de la prestataire en vertu de l’article 152.01(2), pas plus que le Tribunal. De toute évidence, cet article est administré par le ministre, et non par la Commission.

[38] Cette interprétation de l’article 152.01(2) est également appuyée par le contexte. L’article précise que la rémunération provenant d’un travail indépendant correspond au montant qu’aurait été la rémunération assurable pour l’année si l’emploi n’avait pas été exclu.

[39] L’article 2(1) de la Loi sur l’assurance-emploi définit la rémunération assurable comme suit :

Rémunération assurable — Le total de la rémunération d’un assuré, déterminé conformément à la partie IV, provenant de tout emploi assurable.

[40] Comme je l’ai mentionné plus haut, la partie IV de la Loi sur l’assurance-emploi concerne la rémunération assurable et la perception des cotisations. Le ministre est également responsable de l’application de cet articleNote de bas de page 23. Il ne serait pas conforme à la loi que la Commission ou le Tribunal aient le pouvoir de déterminer ce qu’aurait été la rémunération assurable d’une partie prestataire si son emploi n’avait pas été exclu.

[41] Le législateur a clairement établi dans la Loi sur l’assurance-emploi que le ministre est chargé de déterminer le montant de la rémunération assurable d’une partie prestataire et de calculer les cotisations à verser. Les contestations concernant ces questions sont soulevées à l’Agence du revenu du Canada et tranchées par voie d’appel devant la Cour canadienne de l’impôt.

[42] De même, lorsque la partie VII.1 a été ajoutée à la Loi sur l’assurance-emploi, l’article 97 a été modifié. Cette modification a donné au ministre la responsabilité de l’administration des articles concernant la détermination de la rémunération des travailleurs indépendants, ainsi que du calcul et du versement des cotisations pour ces travailleurs. De plus, l’article 152.28 précisait clairement que les articles de la Loi de l’impôt sur le revenu concernant les oppositions et les appels s’appliquaient.

[43] Cette interprétation reflète une approche cohérente pour les prestataires assurés et les travailleurs indépendants qui contestent la détermination de leur rémunération.

[44] Je comprends que l’Agence du revenu du Canada a refusé de rendre une décision sur ce qu’aurait été la rémunération assurable de la prestataire si son emploi n’avait pas été exclu. Il est regrettable qu’elle n’ait pas donné une explication plus claire de son rôle dans l’évaluation de la rémunération provenant d’un travail indépendant.

[45] Cependant, bien que l’Agence du revenu du Canada n’ait pas rendu de décision, le ministre avait déjà déterminé ce qu’aurait été la rémunération assurable de la prestataire si son emploi n’avait pas été exclu, lorsqu’il a évalué l’annexe 13 de sa déclaration pour son travail indépendant.

[46] Je remarque que la lettre initiale que la prestataire a reçue concernant sa demande de prestations dit ceci :

[traduction] Dans le cas où vous auriez inscrit une rémunération estimée de votre travail indépendant, votre demande fera l’objet d’un recalcul, au besoin, une fois que le montant réel de votre rémunération nous aura été fourni par l’Agence du revenu du Canada. […]

Veuillez noter que la rémunération estimée d’un travail indépendant est acceptée à titre provisoire. L’information requise par Service Canada pour prouver votre admissibilité aux prestations d’assurance-emploi est la rémunération nette du travail indépendant, telle qu’évaluée par l’Agence du revenu du Canada. Par conséquent, si vous ne produisez pas votre déclaration de rémunération dans les délais fixés par l’Agence du revenu du Canada, vous pourriez ne pas être admissible aux prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 24.

[47] Lors du processus de révision, la prestataire a eu une conversation téléphonique avec Service Canada. Les notes prises pendant cet appel montrent qu’elle était fâchée contre son comptable. Service Canada lui a conseillé de discuter avec ce dernier et de faire réévaluer sa rémunération par l’Agence du revenu du Canada, ce qu’elle a dit qu’elle feraitNote de bas de page 25.

[48] Ni la Commission ni la division générale ne pouvaient contourner la loi et déterminer la rémunération provenant du travail indépendant de la prestataire, sans tenir compte du montant établi par l’Agence du revenu du Canada. Le faire reviendrait essentiellement à réévaluer la rémunération provenant du travail indépendant de la prestataire pour l’année d’imposition en question. Cela dépasse manifestement la compétence du Tribunal.

Réparation

[49] J’ai conclu que la division générale a commis une erreur de droit et a outrepassé sa compétence. Pour corriger l’erreur de la division générale, je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre ou je peux renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamenNote de bas de page 26.

[50] Les parties conviennent que le dossier est complet et que je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Je suis d’accord.

La prestataire n’avait pas une rémunération suffisante pour être admissible aux prestations

[51] Comme l’expliquent les dispositions législatives ci-dessus, pour avoir droit aux prestations, la prestataire devait avoir tiré une rémunération d’au moins 5 289 $ de son travail indépendant en 2021. Or, l’Agence du revenu du Canada a établi que sa rémunération s’élevait à 15 $ en 2021.

[52] Pour les motifs susmentionnés, je conclus que je suis liée par la rémunération provenant du travail indépendant telle qu’évaluée par l’Agence du revenu du Canada. Par conséquent, la prestataire n’a pas une rémunération suffisante pour être admissible aux prestations d’assurance-emploi.

Conclusion

[53] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur de droit et a outrepassé sa compétence. J’ai donc rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. La prestataire n’a pas une rémunération suffisante pour être admissible aux prestations d’assurance-emploi.

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