Citation : JL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 97
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision
Partie appelante : | J. L. |
Représentante ou représentant : | B. L. |
Partie intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Représentante ou représentant : | Julie Villeneuve |
Décision portée en appel : | Décision de la division générale datée du 31 janvier, 2023 (GE-22-3029) |
Membre du Tribunal : | Stephen Bergen |
Mode d’audience : | Téléconférence |
Date de l’audience : | Le 24 janvier, 2024 |
Personnes présentes à l’audience : | Appelant Représentante de l’appelant |
Date de la décision : | Le 30 janvier, 2024 |
Numéro de dossier : | AD-23-199 |
Sur cette page
Décision
[1] J’accueille l’appel. La procédure de la division générale était injuste. Par conséquent, je renvoie l’affaire à la division générale pour réexamen.
Aperçu
[2] J. L. est l’appelant. Je l’appellerai le prestataire parce que le présent appel concerne sa demande de prestations d’assurance-emploi.
[3] Le prestataire a demandé des prestations d’assurance-emploi le 28 septembre 2020. Il a ensuite choisi de commencer à recevoir sa pension du Régime de pensions du Canada pendant qu’il recevait des prestations. Toutefois, il n’a pas déclaré les paiements qu’il recevait au titre de sa pension comme une rémunération dans ses déclarations hebdomadaires d’assurance-emploi. Plus tard, l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a été informée qu’il recevait une pension du Régime de pensions du Canada. Elle a donc réparti la rémunération de la pension sur les semaines de prestations du 1er novembre 2020 au 11 septembre 2021Note de bas page 1. En conséquence, le prestataire devait rembourser une partie des prestations d’assurance-emploi qu’il avait reçues. Ce dernier n’était pas d’accord avec la décision de la Commission et lui a donc demandé de réviser sa décision.
[4] La Commission n’a pas voulu modifier sa décision, alors le prestataire a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a accueilli l’appel en partie. Elle a décidé que la répartition de la pension du prestataire devait commencer en décembre 2020, et non en novembre 2020 comme la Commission l’avait fait. Par ailleurs, elle a confirmé que la Commission avait raison de considérer les sommes que le prestataire a reçues au titre de sa pension comme une rémunération et de les répartir sur ses semaines de prestations.
[5] Le prestataire fait maintenant appel à la division d’appel.
[6] J’accueille l’appel. La division générale n’a pas donné au prestataire l’occasion de se faire entendre sur la contestation fondée sur la Charte. Elle n’a donc pas agi équitablement. Par conséquent, je renvoie l’affaire à la division générale pour réexamen.
Questions en litige
[7] Voici les questions à trancher dans cette affaire :
- a) La division générale a-t-elle commis une erreur de compétence en ne tenant pas compte de la contestation fondée sur la Charte du prestataire?
- b) La division générale a-t-elle agi injustement en ne donnant pas au prestataire la possibilité de soulever une contestation fondée sur la Charte?
- c) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit?
- d) La division générale a-t-elle commis une erreur de fait en ne tenant pas compte du fait que la Commission n’avait pas averti le prestataire que les paiements qu’il recevrait au titre du Régime de pension du Canada réduiraient ses prestations d’assurance-emploi?
Analyse
Principes généraux d’appel
[8] La division d’appel ne peut examiner que les erreurs qui relèvent de l’un des moyens d’appel suivants :
- a) Le processus d’audience de la division générale était inéquitable d’une façon ou d’une autre.
- b) La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher, ou elle a tranché une question sans avoir le pouvoir de le faire (erreur de compétence).
- c) La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.
- d) La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas page 2.
Erreur de compétence
[9] La division générale n’a pas commis d’erreur de compétence.
[10] La division générale avait la compétence d’examiner les questions découlant de la décision de révision de la CommissionNote de bas page 3. La décision de révision maintenait que les paiements que le prestataire recevait au titre du Régime de pension du Canada constituaient une rémunération et qu’ils étaient assujettis à la répartition. La décision de la division générale a examiné ces questions.
[11] La division générale a également la compétence d’examiner les contestations fondées sur la Charte. Dans ce contexte, une contestation fondée sur la Charte est une contestation de la validité constitutionnelle de lois, de règlements ou de règles.
[12] Toutefois, la division générale ne peut examiner une contestation fondée sur la Charte que si elle en est dûment saisie. Autrement dit, le prestataire devait déposer un avis relatif à la Charte auprès du Tribunal et le signifier avant l’audience.
[13] L’avis doit préciser la disposition de la Loi sur l’assurance-emploi ou de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (ou la disposition de leurs règles ou règlements connexes) qui est contestée. Il doit également exposer les faits qui appuient la contestation et inclure un résumé de l’argument en faveur de la contestationNote de bas page 4. Enfin, l’avis doit être signifié au procureur général du Canada et aux procureurs généraux de chaque province au moins 10 jours avant l’audienceNote de bas page 5.
[14] Comme le prestataire n’a pas déposé un tel avis ni pris les dispositions nécessaires pour le signifier avant l’audience, la contestation fondée sur la Charte n’a pas été dûment soumise à la division générale. Autrement dit, la division générale n’a pas commis d’erreur de compétence en omettant de l’examiner.
Équité
[15] Le prestataire n’a pas présenté sa contestation fondée sur la Charte à la division générale en bonne et due forme. Cela était dû en partie au fait qu’il ne savait pas comment procéder pour le faire.
[16] La division générale avait été avisée de l’intention du prestataire de présenter un argument fondé sur la Charte. Elle a reconnu que les observations présentées par le prestataire après l’audience [traduction] « invoquaient la Charte ». Elle a aussi convenu que sa décision devait tenir compte des [traduction] « documents pertinents déposés après l’audience ». Toutefois, elle a refusé d’examiner la question de la Charte, affirmant que sa pertinence par rapport aux circonstances n’avait pas été discutée lors de l’audience du prestataireNote de bas page 6.
[17] Je reconnais que le prestataire n’a pas présenté une contestation fondée sur la Charte en bonne et due forme et qu’il l’a soulevée pour la première fois dans ses observations après l’audience. Néanmoins, les contestations fondées sur la Charte sont complexes, et le prestataire n’était pas représenté par un avocat ou un professionnel.
[18] J’estime qu’il était injuste que la division générale rejette sommairement les préoccupations du prestataire au sujet de la Charte, sans lui donner l’occasion de demander des conseils et de présenter une contestation en bonne et due forme.
[19] L’équité procédurale est le moyen d’appel sur lequel j’ai accordé la permission de faire appel. Je remarque que la Commission concède que la division générale a agi de façon injuste en n’offrant pas au prestataire la chance de présenter son argument fondé sur la Charte.
Erreur de droit
[20] La division générale n’a pas commis d’erreur de droit.
[21] Le prestataire recevait bien une pension du Régime de pension du Canada, et les paiements au titre de cette pension constituaient bien une rémunération. De plus, les paiements devaient être répartis sur la période au cours de laquelle ils ont été versésNote de bas page 7. La Commission avait bien le pouvoir légal de répartir les paiements après avoir versé des prestations d’assurance-emploi au prestataire et d’exiger à celui-ci de rembourser le montant auquel il n’avait pas droitNote de bas page 8.
[22] Le prestataire a dit que la Commission lui a donné des renseignements erronés ou incomplets au sujet des conséquences du choix de recevoir sa pension du Régime de pension du Canada tout en recevant des prestations d’assurance-emploi.
[23] J’ai demandé à la représentante du prestataire si elle connaissait une loi ou une interprétation de la loi qui dit qu’une partie prestataire ne devrait pas être tenue responsable de ses actions si celles-ci étaient fondées sur des renseignements erronés ou incomplets fournis par la Commission. Cependant, elle n’a pas été en mesure d’identifier un fondement juridique pour appuyer une telle notion.
[24] La représentante du prestataire n’est pas avocate, alors ce n’est pas surprenant.
[25] Cependant, il est généralement admis que l’ignorance de la loi n’est pas une excuseNote de bas page 9. De plus, même les prestataires qui se fient à des renseignements erronés ou trompeurs de la Commission ne peuvent pas conserver des prestations auxquelles ils n’ont pas droit en vertu de la loi.
[26] Dans l’affaire Buors, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une partie prestataire ne pouvait pas se fier aux renseignements erronés fournis par la Commission pour éviter un trop-payéNote de bas page 10.
[27] Dans cette affaire, le prestataire a suivi les directives de la Commission sur la façon de remplir ses déclarations et, en résultat, n’a pas déclaré certaines rémunérations. Lorsque la Commission a découvert sa rémunération réelle, elle a calculé un trop-payé. En conséquence, le prestataire a fait appel de la décision de la Commission. L’affaire a d’abord été renvoyée au conseil arbitral, puis au juge-arbitreNote de bas page 11.
[28] Le juge-arbitre a confirmé que le prestataire avait rempli ses déclarations avec diligence, conformément aux instructions de la Commission. Il a conclu que la Commission n’aurait pas dû tenter de recouvrer le trop-payé dans ces circonstances. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a annulé la décision du juge-arbitre.
[29] Dans une autre décision appelée Shaw, la Cour d’appel fédérale a de nouveau conclu que les renseignements erronés fournis par la Commission ne dispensent pas les prestataires des dispositions de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas page 12.
[30] Je comprends que le prestataire puisse croire qu’il est injuste que la Commission ne l’ait pas informé que le fait de demander sa pension du Régime de pension du Canada pendant qu’il recevait des prestations d’assurance-emploi aurait une incidence sur le montant de ses prestations. Ou que la Commission lui ait demandé de rembourser le trop-payé environ neuf mois après la fin de ses prestations d’assurance-emploi. Toutefois, la loi ne prévoit aucune exception pour les prestataires qui agissent sur la base de renseignements incomplets ou même erronés de la Commission.
Erreur de fait importante
[31] La division générale n’a pas commis d’erreur de fait importante.
[32] Le prestataire a fait valoir que la division générale avait ignoré ou mal compris qu’il avait reçu des renseignements erronés ou incomplets de la part de la Commission au sujet des conséquences du choix de recevoir sa pension du Régime de pension du Canada tout en recevant des prestations d’assurance-emploi.
[33] À titre d’exemple, il a soutenu que la division générale avait commis une erreur lorsqu’elle a dit qu’il avait parlé pour la première fois à la Commission après avoir reçu l’avis de detteNote de bas page 13. Le prestataire a dit que c’était inexact. Il a dit avoir interrogé la Commission au sujet de sa pension avant de commencer à la toucher.
[34] J’ai écouté l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale. Il est clair que la division générale a compris l’argument du prestataire selon lequel il n’aurait pas choisi de recevoir sa pension s’il avait su que cela réduirait ses prestations d’assurance-emploi. Je pense qu’elle a également compris que le prestataire croit que la Commission n’a pas fait son travail.
[35] Toutefois, ces arguments n’abordaient pas les questions que la division générale devait trancher. Elle devait plutôt décider si la Commission avait raison de considérer les paiements au titre du Régime de pension du Canada comme une rémunération et de les répartir sur les semaines pendant lesquelles le prestataire recevait des prestations d’assurance-emploi.
[36] Le prestataire n’a pas contesté le fait qu’il a reçu des paiements au titre du Régime de pension du Canada pendant qu’il recevait des prestations d’assurance-emploi (à compter de décembre 2020) ni le montant de ces paiements.
[37] Comme je l’ai mentionné plus tôt dans la présente décision, la loi précise que les paiements au titre du Régime de pension du Canada constituent une rémunération et doivent être déduits des paiements de prestations d’assurance-emploi. La Commission n’avait pas déduit les paiements de la pension à ce moment-là, alors elle a versé au prestataire plus que ce à quoi il avait droit. La loi prévoit que les prestataires sont tenus de rembourser les trop-payés et que ceux-ci sont des dettes envers la CouronneNote de bas page 14.
[38] Il y a erreur de fait lorsque la division générale fonde sa décision sur une conclusion erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas page 15.
[39] Lorsque j’ai écouté l’audience, je n’ai pas entendu le prestataire ou sa représentante mentionner qu’ils avaient discuté de sa pension avec Service Canada (ou avec la Commission) avant qu’il ne commence à la toucher ou avant qu’il ne reçoive l’avis de dette. Sa représentante a simplement dit qu’ils avaient parlé à un agent de Service Canada après avoir reçu l’avis, et que ce dernier n’avait pas pu déterminer la raison de l’avis de dette. Par conséquent, il leur a suggéré de demander une révision.
[40] Toutefois, il importe peu que la division générale avait tort au sujet du moment où le prestataire a parlé à la Commission de sa pension. La décision de la division générale ne l’obligeait pas à tirer une conclusion qui dépendait des préoccupations du prestataire quant à la façon dont elle gérait sa demande. La décision ne dépendait pas du niveau de service fourni par la Commission, ni du moment où le prestataire lui a demandé des renseignements au sujet de sa pension, ni de l’exactitude ou de l’exhaustivité des renseignements qu’elle a fournis, ni de la mesure dans laquelle le prestataire s’est fié à ces renseignements. Aucune de ces choses n’était pertinente à la décision que la division générale devait rendre et aucune de ces choses n’aurait pu changer la décision.
[41] Par conséquent, la division générale n’a pas commis d’erreur de fait importante.
Réparation
[42] Je dois décider comment corriger les erreurs de la division générale. Je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre ou je peux renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamenNote de bas page 16.
[43] La Commission a recommandé que je renvoie l’affaire à la division générale pour que le prestataire ait l’occasion de présenter son argument fondé sur la Charte. Le prestataire préférerait que je rende la décision que la division générale aurait dû rendre.
[44] J’ai décidé de renvoyer l’affaire pour réexamen. Je n’ai trouvé aucune autre erreur dans la décision de la division générale, de sorte que la seule erreur nécessitant une réparation est l’erreur d’équité procédurale.
[45] Si le prestataire avait présenté une contestation fondée sur la Charte à la division générale et que celle-ci l’avait examinée et rejetée, j’aurais le pouvoir d’examiner un appel de cette décision. Or, dans l’état actuel des choses, la contestation fondée sur la Charte n’a pas encore été entendue, et je n’ai pas le pouvoir d’être le premier à l’examinerNote de bas page 17.
[46] L’affaire doit être renvoyée à la division générale pour donner au prestataire une autre occasion de présenter une contestation fondée sur la Charte.
Conclusion
[47] J’accueille l’appel. La division générale a agi d’une façon inéquitable sur le plan procédural. J’ai conclu que la division générale n’a commis aucune erreur de droit ou erreur de fait importante. Cependant, je lui ai renvoyé l’affaire pour qu’elle réexamine la contestation du prestataire fondée sur la Charte.
[48] Je rappelle au prestataire qu’il doit présenter sa contestation fondée sur la Charte à la division générale en bonne et due forme et s’assurer qu’elle a été signifiée 10 jours avant l’audience de la division générale. J’ai énoncé les exigences de base au paragraphe 13 ci-dessus.
[49] La division générale a suggéré que le prestataire s’adresse à la Commission pour demander l’annulation de sa dette. Il peut toujours le faire s’il ne l’a pas déjà fait.