Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : BA c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 167

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : B. A.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision (0) de la Commission de l’assurance-
emploi du Canada datée du 15 janvier 2025 (communiquée
par Service Canada)

Membre du Tribunal : Harkamal Singh
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 19 février 2025
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 25 février 2025
Numéro de dossier : GE-25-233

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. Le Tribunal est d’accord avec l’appelant.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas prouvé que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’il a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, il n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

[3] De plus, la Commission n’a pas agi de façon judiciaire en prenant huit mois pour réexaminer les prestations de l’appelant.

Aperçu

[4] L’appelant a perdu son emploi chez X le 24 janvier 2021. Son employeuse prétend qu’il a été congédié en raison de son incapacité à se contrôler, ce qui a entraîné des accès de colère pendant lesquels il a monté le ton et s’est montré agressif, jusqu’à l’incident final au cours duquel la tasse d’une collègue a été brisée.

[5] L’appelant conteste cette version des faits. Il affirme qu’il n’était pas censé laver les morceaux de vaisselle appartenant aux membres du personnel, et que la tasse s’est brisée accidentellement lorsqu’il l’a retirée du lave-vaisselle. Il ajoute que le milieu de travail posait des problèmes parce que les gens faisaient des commentaires inappropriés à caractère sexuel.

[6] La Commission a exclu l’appelant du bénéfice des prestations d’assurance-emploi, concluant qu’il avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission a également établi un trop-payé de 12 096 $, qui représente les prestations versées du 24 janvier 2021 au 27 août 2021, même si elle savait dès le 26 janvier 2021 qu’il avait été congédié.

[7] La présente affaire a déjà été instruite par la division générale, qui a rejeté l’appel de l’appelant. Celui-ci a alors fait appel à la division d’appel. Celle-ci a conclu que la division générale avait commis une erreur de compétence, car elle n’avait pas examiné si la Commission avait agi de façon judiciaire en examinant de nouveau les prestations qu’elle avait déjà versées. La division d’appel a renvoyé l’affaire pour la tenue d’une nouvelle audience devant une ou un autre membre de la division générale. La nouvelle audience permettrait d’aborder la question de l’inconduite et celle de savoir si la Commission a agi de façon judiciaire.

Question en litige

[8] L’appelant a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[9] La Commission a-t-elle agi de façon judiciaire en prenant huit mois pour examiner de nouveau les prestations qu’elle avait déjà versées à l’appelant?

Analyse

[10] Pour répondre à la question de savoir si l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pourquoi l’appelant a perdu son emploi. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi l’appelant a-t-il perdu son emploi?

[11] J’estime que l’appelant a perdu son emploi en raison d’un incident en milieu de travail au cours duquel une tasse a été brisée. Cependant, cela s’est produit dans le contexte d’un environnement de travail qui pose des problèmes et où les politiques applicables au milieu de travail manquent de clarté.

[12] L’appelant et la Commission ne s’entendent pas sur la raison pour laquelle il a perdu son emploi. La Commission affirme que la raison fournie par l’employeuse est la véritable raison du congédiement. L’employeuse a déclaré à la Commission que l’appelant a été congédié en raison de son incapacité à se contrôler au travail, ce qui s’est traduit par des invectives et des gestes de colère. Au cours de l’incident final, l’appelant a brisé délibérément la tasse d’une collègue, qu’il a refusé de nettoyerNote de bas de page 2.

[13] L’appelant n’est pas d’accord. Il affirme qu’une mauvaise compréhension des pratiques en milieu de travail est la véritable raison pour laquelle il a perdu son emploi. Il a déclaré que les morceaux de vaisselle appartenant au personnel n’étaient pas censés être lavés au lave-vaisselle, qu’il a retiré la tasse plusieurs fois et qu’elle s’est brisée accidentellement lorsqu’il l’a déplacée. L’appelant a également décrit un environnement difficile, où les gens faisaient des commentaires inappropriés à caractère sexuel, où la ventilation était mauvaise, et où il n’y avait ni politiques adéquates ni formation sur la conduite acceptable en milieu de travailNote de bas de page 3.

[14] Je considère que le récit de l’appelant est plus crédible pour plusieurs raisons :

  1. a) L’appelant a travaillé dans cet établissement pendant plus d’un an sans avertissement formel ni réunions de nature disciplinaire au sujet de son comportement.
  2. b) Il semble qu’il n’y ait pas eu de politique claire sur le lavage au lave-vaisselle des morceaux de vaisselle appartenant au personnel, ce qui a créé de la confusion et de la frustration dans une cuisine où il y a beaucoup de stress.
  3. c) Le témoignage de l’appelant, selon lequel il a retiré plusieurs fois la tasse du lave-vaisselle où elle n’avait pas sa place, correspond à ce que ferait un employé de cuisine raisonnable, d’autant plus que personne ne lui avait dit à qui appartenait la tasse.
  4. d) L’employeur n’a fourni aucune preuve documentaire d’avertissements antérieurs ou de l’existence d’une procédure disciplinaire progressive avant le congédiement.
  5. e) La description crédible d’un environnement où les gens font des blagues et des commentaires inappropriés donne à penser que la culture et les normes de conduite en milieu de travail posaient des problèmes de façon plus générale.

La raison du congédiement de l’appelant est-elle une inconduite selon la loi?

[15] Selon la loi, la raison du congédiement de l’appelant n’est pas une inconduite.

[16] Pour être considérée comme une inconduite selon la loi, la façon d’agir doit être délibérée. Cela signifie qu’elle était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 4. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 5. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que l’appelant ait eu une intention coupableNote de bas de page 6 (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal).

[17] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas de page 7.

[18] La Commission doit prouver que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduite, selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 8.

[19] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite parce que l’appelant a eu de nombreux accès de colère au travail. Il a reçu des avertissements verbaux au sujet de son comportement. Il a aussi délibérément brisé la tasse d’une collègue en criant et en jurant. La Commission soutient que ces actes démontrent un comportement délibéré ou insouciant qui a nui aux activités de l’employeur et créé une mauvaise atmosphère de travailNote de bas de page 9.

[20] L’appelant affirme qu’il n’y a pas eu inconduite, car il n’a pas brisé la tasse intentionnellement. Il n’y avait pas de politique claire concernant le lavage des morceaux de vaisselle du personnel. Il n’a pas reçu d’avertissements formels concernant son comportement et le milieu de travail posait d’autres problèmes, y compris des commentaires inappropriés de la part du personnel. Il soutient qu’il était un travailleur acharné qui n’avait pas l’intention de causer des problèmesNote de bas de page 10.

[21] Je conclus que la Commission n’a pas prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  1. a) L’appelant a témoigné de façon crédible et avec franchise à l’audience. Il a fourni des détails précis sur l’environnement de travail, y compris les problèmes de ventilation et les commentaires inappropriés faits par les gens. Il a témoigné au sujet de l’incident où la tasse s’est brisée de manière cohérente et raisonnable. Il a expliqué qu’il respectait simplement ce qu’il estimait être une procédure appropriée en cuisine. Il a semblé sincèrement surpris par le congédiement. Cela appuie son affirmation selon laquelle il n’avait aucune raison de croire que ses agissements pouvaient mener à un congédiement.
  2. b) Il semble que le bris de la tasse ait été accidentel plutôt que délibéré. L’explication de l’appelant, selon laquelle il a retiré du lave-vaisselle un objet qui ne devait pas s’y trouver conformément à ce qu’il estimait être une pratique courante en cuisine, est raisonnable.
  3. c) Il n’y a aucune preuve d’avertissements formels ou d’une procédure disciplinaire progressive qui aurait permis à l’appelant de savoir que son comportement pouvait mener à son congédiement. Sans de tels avertissements, l’appelant ne pouvait pas raisonnablement savoir que ses agissements pouvaient entraîner la perte de son emploi.
  4. d) Il semble que l’entreprise n’avait pas de politiques et de formation claires concernant les procédures en cuisine et la conduite appropriée en milieu de travail. Dans un environnement où, selon le témoignage de l’appelant, les commentaires inappropriés à caractère sexuel étaient fréquents, les normes relatives au comportement attendu manquaient de clarté.
  5. e) La preuve ne permet pas d’établir que le comportement de l’appelant était délibéré ou intentionnel d’une manière qui correspond au critère juridique relatif à l’inconduite. Même s’il y a eu de la tension en milieu de travail et des désaccords à l’occasion, cela ne correspond pas à une inconduite consciente, délibérée ou intentionnelle au titre de la loi.
  6. f) La Commission s’est fortement appuyée sur les déclarations de l’employeuse pour établir l’inconduite, mais le témoignage crédible de l’appelant sur ce qui s’est réellement passé sur les lieux de travail les contredit. En l’absence d’autres preuves à l’appui d’une inconduite délibérée, la Commission ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait.

Alors, l’appelant a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[22] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que l’appelant n’a pas perdu son emploi en raison d’une inconduite.

La Commission a-t-elle agi de façon judiciaire en prenant huit mois pour réexaminer les prestations?

[23] La Commission n’a pas agi de façon judiciaire en prenant huit mois pour réexaminer les prestations de l’appelant.

[24] L’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi donne à la Commission le pouvoir d’examiner de nouveau ses décisions. Toutefois, ce pouvoir doit être exercé de façon judiciaire. Cela signifie que la Commission doit agir de bonne foi, sans faire de discrimination, et qu’elle doit tenir compte de tous les facteurs pertinents lorsqu’elle prend la décision de réexaminer des prestations déjà versées.

[25] Dans la présente affaire, la Commission a pris connaissance du congédiement de l’appelant le 26 janvier 2021, lorsque son employeuse a déposé le relevé d’emploiNote de bas de page 11. Malgré cela, la Commission a continué de verser des prestations jusqu’en août 2021 et n’a rendu une décision que le 22 septembre 2021, soit environ huit mois plus tard.

[26] La Commission a établi un trop-payé de 12 096 $ en prestations versées pendant cette périodeNote de bas de page 12. Il s’agit d’une somme importante que l’appelant devait rembourser après avoir reçu et probablement dépensé ces fonds sur plusieurs mois.

[27] L’appelant a déclaré avoir communiqué avec Service Canada peu de temps après son congédiement pour signaler sa situation d’emploi. Il affirme qu’on lui a conseillé de [traduction] « s’en tenir là pour l’instant », car il ne pourrait pas recevoir des fonds pendant une enquête. Bien qu’il n’y ait aucune preuve écrite de cette communication, je trouve que le témoignage de l’appelant sur le fait qu’il a informé Service Canada de son congédiement est crédible.

[28] La Commission n’a fourni aucune explication pour le retard important de l’enquête et de sa décision sur l’admissibilité de l’appelant aux prestations. Le dossier ne contient aucun renseignement sur les raisons pour lesquelles la Commission a attendu huit mois pour aborder cette question après avoir reçu le relevé d’emploi de l’employeuse.

[29] Lorsque la Commission met beaucoup de temps pour agir, continue de verser des prestations, puis exige soudainement le remboursement d’une somme importante, cela soulève de sérieuses préoccupations quant à l’équité procédurale et à l’exercice judiciaire de son pouvoir. Un tel retard a eu une incidence importante sur l’appelant, car il a été autorisé à recevoir ces prestations et que, selon toute vraisemblance, il comptait sur ces versements pour subvenir à ses besoins sur de nombreux mois.

[30] D’après la preuve dont je disposais, je considère que le retard inexpliqué de huit mois de la Commission dans le traitement du dossier de l’appelant, particulièrement lorsque l’appelant semble avoir fait des démarches pour signaler qu’il avait perdu son emploi, démontre qu’elle n’a pas agi de façon judiciaire en réexaminant la demande. La Commission n’a pas tenu compte de l’incidence qu’aurait un tel retard sur l’appelant et des difficultés financières importantes qui découleraient de l’établissement d’un trop-payé important après une si longue période.

Conclusion

[31] La Commission n’a pas prouvé que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, il n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi. De plus, la Commission n’a pas agi de façon judiciaire en prenant huit mois pour réexaminer les prestations de l’appelant.

[32] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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