Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : NB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 1626

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : N. B.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (664467) datée du 11 juin 2024 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Elyse Rosen
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 4 septembre 2024
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 5 septembre 2024
Numéro de dossier : GE-24-2681

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelante a reçu quatre semaines de prestations parentales standards auxquelles elle n’était pas admissible selon la loi.

[3] Cependant, la Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas agi de façon judiciaire (comme cette expression est définie ci-dessous) lorsqu’elle a réexaminé la demande de l’appelante et établi un trop-payé. La demande n’aurait pas dû être réexaminée.

[4] Par conséquent, le trop-payé doit être annulé.

Aperçu

[5] L’appelante allait bientôt accoucher lorsqu’elle a demandé 15 semaines de prestations de maternité et 20 semaines de prestations parentales standards. Son mari a également demandé des prestations parentales standards.

[6] L’appelante et son mari ont tous deux fourni le nom et le numéro d’assurance sociale de l’autre dans leur demande.

[7] Le mari de l’appelante affirme que selon son compte Mon dossier Service Canada, sa dernière semaine de prestations payable était à la fin du mois d’octobre. Cela représentait quatre semaines de plus que le congé qu’il avait prévu.

[8] L’appelante et son mari ont communiqué avec la Commission pour confirmer les renseignements figurant dans le compte de celui-ci et voir si ces quatre semaines additionnelles de prestations, qu’il n’utiliserait pas, pouvaient lui être transférées.

[9] La première personne à qui l’appelante et son mari ont parlé a confirmé qu’il était admissible aux quatre semaines additionnelles de prestations qui apparaissaient dans son compte et que ces semaines pouvaient être transférées. On leur a dit qu’après le transfert, l’appelante recevrait des prestations jusqu’en mars 2024. L’appel a été interrompu avant d’être terminé.

[10] L’appelante ne faisait pas confiance aux informations qu’elle avait reçues. Elle avait prévu de retourner au travail au début du mois de janvier. Elle ne comprenait pas comment les quatre semaines additionnelles de prestations que son mari lui transférerait pourraient faire en sorte qu’elle reçoive des prestations jusqu’en mars. Elle voulait être absolument sûre des informations reçues avant d’aller plus loin. Elle a donc rappelé la Commission.

[11] Lors du deuxième appel, l’appelante a été informée qu’elle recevrait 24 semaines de prestations au lieu de 20 et que ses prestations prendraient fin le 4 février 2024Note de bas de page 1. Ces informations lui semblaient plus logiques. Cependant, ayant obtenu des informations différentes auparavant, elle a demandé à la personne à qui elle parlait de confirmer qu’elle était absolument sûre que les informations qu’elle avait fournies étaient exactes. Celle-ci a confirmé que c’était le cas.

[12] S’appuyant sur les informations qu’elle avait reçues lors du deuxième appel, l’appelante s’est arrangée avec son employeur pour prolonger son congé de quatre semaines. La Commission lui a versé 2 600 $ pendant ces quatre semaines. Elle est retournée au travail le 4 février 2024.

[13] Le 27 mars 2024, la Commission a réexaminé la demande de l’appelante. Elle l’a informée qu’elle n’était pas admissible aux prestations additionnelles qu’elle avait reçues parce que le nombre maximal de semaines de prestations prévu par la loi avait déjà été payé. Son mari avait reçu 20 semaines de prestations et elle en avait reçu 24. Cependant, la loi dit que deux parents peuvent se partager un maximum de 40 semaines de prestations.

[14] La Commission a demandé à l’appelante de rembourser les 2 600 $ qu’elle lui avait versés par erreur.

[15] L’appelante affirme que cela est injuste. Elle dit qu’elle s’est fiée à ce que lui a dit la Commission. Elle n’aurait jamais pris quatre semaines de congé de plus si la Commission ne lui avait pas confirmé qu’elle recevrait des prestations pendant ces quatre semaines.

[16] L’appelante fait valoir qu’elle devrait pouvoir se fier à l’exactitude des informations qu’elle a reçues de la Commission. Elle affirme avoir parlé à deux personnes travaillant pour la Commission, et toutes deux lui ont dit qu’elle était admissible à quatre semaines additionnelles de prestationsNote de bas de page 2.

[17] L’appelante affirme que la Commission disposait de toutes les informations nécessaires pour conclure qu’elle n’était pas admissible aux quatre semaines additionnelles de prestations qu’elle lui a versées. Selon elle, la Commission aurait dû vérifier le dossier de son mari lorsqu’elle lui a confirmé qu’elle pouvait recevoir quatre semaines additionnelles de prestations. L’appelante fait valoir qu’elle ne devrait pas être responsable de l’erreur de la Commission.

Questions en litige

[18] La Commission a présenté cet appel comme portant sur le nombre de semaines de prestations parentales auxquelles l’appelante est admissible, mais ce n’est pas le cas.

[19] L’appelante ne conteste pas que la loi prévoit que deux parents peuvent se partager un nombre maximum de 40 semaines de prestations parentales standards. Elle affirme que la Commission aurait dû savoir qu’elle ne pouvait pas lui verser plus de semaines de prestations que ce que la loi autorise. De plus, elle s’est fiée à ce qu’on lui avait dit et a agi en conséquence. Elle estime qu’elle ne devrait pas avoir à rembourser le trop-payé dans ces circonstances.

[20] Je conclus que les questions en litige sont les suivantes :

  1. Sur quoi ai-je le pouvoir de me prononcer dans le cadre de cet appel?
  2. La Commission a-t-elle agi de manière judiciaire lorsqu’elle a réexaminé la demande de l’appelante?
  3. Si ce n’est pas le cas, la demande doit-elle être réexaminée?

Analyse

Sur quoi ai-je le pouvoir de me prononcer?

[21] La Loi sur l’assurance-emploi confère au Tribunal de la sécurité sociale du Canada le pouvoir de trancher un appel. Selon la Loi, le Tribunal peut seulement être saisi des appels de décisions de révisionNote de bas de page 3.

[22] La décision de révision de la Commission porte sur la question de savoir si l’appelante a reçu plus de semaines de prestations parentales que ce à quoi elle était admissible. Mais ce n’est pas ce que l’appelante lui demandait de réviser. Elle contestait le caractère équitable de la décision de la Commission de réexaminer sa demande et d’établir un trop-payé alors que ce trop-payé résultait de l’erreur de la Commission et non de sa propre faute. En d’autres termes, sans le dire de manière aussi précise, elle prétendait que la Commission n’avait pas agi de façon judiciaire lorsqu’elle a réexaminé sa demandeNote de bas de page 4.

[23] La Commission n’a pas abordé cet argument dans sa décision de réexamen. Elle ne dit pas si elle estime avoir agi de façon judiciaire lorsqu’elle a réexaminé la demande de l’appelante et établi un trop-payé. De plus, elle n’a fourni aucune information sur les faits qu’elle a pris en considération lorsqu’elle a choisi d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour réexaminer la demande de l’appelante.

[24] En appel, l’appelante continue de prétendre qu’elle ne devrait pas avoir à rembourser le trop-payé parce qu’il résulte d’une erreur de la Commission. Elle ne soutient pas que la Commission a mal indiqué le nombre de semaines de prestations auxquelles elle est admissible selon la loi. Elle dit simplement qu’elle ne devrait pas avoir à payer pour l’erreur de la Commission.

[25] J’estime qu’il relève de ma compétence d’examiner si la Commission a agi de façon judiciaire lorsqu’elle a réexaminé de sa propre initiative la demande de l’appelante et établi un trop-payé.

[26] La division d’appel du Tribunal a jugé que le Tribunal doit interpréter largement sa compétence (c’est-à-dire ce sur quoi il a le pouvoir de rendre des décisions) pour traiter les appels de façon équitableNote de bas de page 5. Je suis d’accord avec ce principe, même si je ne suis pas liée par les décisions de la division d’appel.

[27] Compte tenu de ce principe, j’estime que ma compétence s’étend à toute question soumise à la Commission lors d’une révision, que celle-ci ait explicitement abordé ou non cette question dans sa décision de révision. À mon avis, le fait qu’elle n’ait pas tranché une question qui lui était soumise constitue néanmoins une décision.

[28] J’estime qu’en ne répondant pas à l’affirmation de l’appelante selon laquelle elle n’a pas agi de façon judiciaire, la Commission a implicitement décidé qu’elle l’avait fait. De plus, je peux examiner cette décision en appel.

[29] Je vais donc voir si la Commission a agi de façon judiciaire lorsqu’elle a réexaminé la demande de l’appelante. C’est ce que l’appelante avait demandé à la Commission de faire, et c’est ce qu’elle me demande de faire dans son appel.

[30] Je n’ai pas donné à la Commission l’occasion de présenter des observations sur cette question avant de rendre ma décision, car je ne vois pas cela comme une nouvelle question en litige.

[31] À mon avis, chaque fois que la Commission réexamine une demande de sa propre initiative (en d’autres termes, décide de réexaminer sa propre décision)Note de bas de page 6 et qu’une partie appelante lui demande de réviser une décision qu’elle juge erronée, puis porte la décision de révision en appel, la Commission devrait aborder les points suivants dans ses observations au Tribunal :

  • Elle devrait confirmer que la décision à l’origine de l’appel a été rendue en vertu de son pouvoir de réexaminer la demande de sa propre initiative.
  • Elle devrait démontrer qu’elle a agi dans le délai prévu par la loi pour le faire.
  • Elle devrait démontrer qu’elle a agi de façon judiciaire lorsqu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire pour réexaminer la demande.

[32] Étant donné que le pouvoir de la Commission de réexaminer sa propre décision est discrétionnaire, la question de savoir si elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire est un élément inhérent à toute décision de réexamenNote de bas de page 7, et la décision sous-jacente découle de l’exercice de ce pouvoir.

[33] Tout comme elle le fait lorsqu’elle inflige une pénalité ou rejette une demande de révision tardiveNote de bas de page 8, chaque fois que la Commission exerce son pouvoir discrétionnaire de réexamen, elle doit prouver qu’elle l’a exercé de façon appropriée.

[34] À mon avis, les règles de justice naturelle et d’équité procédurale ne m’obligent pas à inviter la Commission à présenter des observations sur la question de savoir si elle a agi de façon judiciaireNote de bas de page 9. Cette question est un élément inhérent à sa décision de révision, et l’appelante l’a expressément soulevée à la fois dans sa demande de révision et son appel.

[35] Je pense que la Commission aurait pu et aurait dû aborder la question lorsqu’elle a présenté ses observations concernant cet appel. Elle a choisi de ne pas le faire.

[36] De plus, comme la Commission choisit dans la plupart des cas de ne pas assister aux audiences du Tribunal, il est essentiel que ses observations soient complètes.

[37] Le fait d’exiger de la Commission qu’elle présente des observations supplémentaires sur des questions qu’elle aurait dû aborder dans ses observations initiales après l’audience entraîne des retards supplémentaires (et inutiles). Cela est injuste pour l’appelante et n’est pas compatible avec l’engagement du Tribunal de faire en sorte que le processus d’appel soit simple, rapide et équitable.

[38] Ainsi, lorsque la Commission exerce son pouvoir de réexamen et décide de ne pas présenter d’observations avant l’audience sur la question de savoir si elle a agi de façon judiciaire en procédant ainsi, elle le fait à ses propres risques. Elle doit tenir pour acquis qu’elle n’aura pas d’autre occasion de le faire et agir en conséquence.

La Commission a-t-elle agi de façon judiciaire?

[39] Je conclus que la Commission n’a pas agi de façon judiciaire lorsqu’elle a réexaminé la demande de l’appelante.

[40] La loi permet à la Commission de réexaminer de sa propre initiative une demande de prestationsNote de bas de page 10. Cependant, l’exercice de ce pouvoir est une décision discrétionnaire. Ce n’est pas parce que la Commission peut réexaminer une demande qu’elle doit le faire.

[41] Lorsque la Commission décide de réexaminer une demande de sa propre initiative, le Tribunal doit respecter son pouvoir discrétionnaire.

[42] Toutefois, la jurisprudence dit que la Commission doit agir de façon judiciaire lorsqu’elle prend une décision discrétionnaireNote de bas de page 11. Cela signifie qu’elle doit agir de bonne foi et de façon cohérente et équitable. Elle doit prendre en considération tous les faits pertinents, mais seulement ceux-ci, pour en arriver à sa décision. Si elle ne le fait pas, le Tribunal peut substituer sa propre décision à celle de la Commission.

[43] Lorsque la Commission décide d’exercer son pouvoir pour réexaminer une demande (en particulier, lorsque sa décision de le faire entraîne un trop-payé), elle doit se demander si, dans les circonstances particulières de l’affaire, la correction d’une erreur ayant donné lieu à trop-payé est justifiée compte tenu du droit de la personne qui a fait la demande à une décision définitiveNote de bas de page 12.

[44] Autrement dit, les personnes qui demandent des prestations devraient pouvoir se fier aux décisions prises au sujet de leurs prestations, et les erreurs ne devraient être corrigées rétroactivement que lorsqu’il est juste et raisonnable de le faire dans les circonstances.

[45] Par conséquent, lorsque la Commission décide si elle devrait exercer son pouvoir pour réexaminer une demande, tous les faits qui aideraient à résoudre la tension entre l’exactitude et le caractère définitif sont pertinents pour sa décision. Et si la Commission ne tient pas compte de ces faits lorsqu’elle décide de réexaminer une demande, il se peut que l’on conclue qu’elle n’a pas agi de façon judiciaire.

[46] La Commission dispose d’une politique qui énonce les circonstances dans lesquelles elle exercera son pouvoir discrétionnaire pour réexaminer une demande (la politique de réexamen)Note de bas de page 13.

[47] La politique de réexamen a été élaborée pour assurer une application uniforme et équitable de la loi en ce qui concerne les décisions de réexamen discrétionnaires et pour empêcher la création de trop-payés lorsqu’une personne reçoit des prestations en trop pour une raison indépendante de sa volontéNote de bas de page 14.

[48] La politique de réexamen précise que la Commission n’exercera ce pouvoir que dans les situations suivantes :

  • il y a un moins-payé de prestations;
  • des prestations ont été versées contrairement à la structure de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 15;
  • des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse;
  • la personne aurait dû savoir qu’elle recevait des prestations auxquelles elle n’avait pas droit.

[49] La politique de réexamen prévoit aussi que la Commission ne créera généralement pas de trop-payé lorsque celui résulte d’une erreur qu’elle a commiseNote de bas de page 16.

[50] La division d’appel a conclu que la politique de réexamen énonce des facteurs pertinents que la Commission doit examiner lorsqu’elle décide d’exercer son pouvoir de réexamenNote de bas de page 17. Elle a affirmé que même si la Commission n’est pas liée par sa politique, si elle décide de ne pas l’appliquer, elle doit néanmoins expliquer pourquoi. Je suis d’accord avec le raisonnement de la division d’appel.

[51] Dans la présente affaire, la Commission n’a pas démontré qu’elle s’est même penchée sur les faits qui l’aideraient à résoudre la tension entre l’exactitude et le caractère définitif. Je ne vois aucun élément indiquant qu’elle ait envisagé que le trop‑payé résulte d’une erreur qu’elle aurait commise. Elle n’a pas non plus envisagé que le trop‑payé était indépendant de la volonté de l’appelante et qu’elle n’avait aucune raison de croire qu’elle n’était pas admissible aux prestations qu’elle avait reçues. Il s’agissait là de considérations pertinentes dont elle aurait dû tenir compte pour décider si elle devait réexaminer la demande de l’appelante.

[52] En l’absence d’éléments de preuve montrant que la Commission a réfléchi à la question de savoir si elle devait réexaminer la demande de l’appelante ou qu’elle a tenu compte de ces facteurs pertinents, je conclus qu’elle n’a pas agi de façon judiciaire.

[53] Comme j’ai conclu que la Commission n’a pas agi de façon judiciaire, je peux rendre la décision qu’elle aurait dû rendre à sa place.

La demande de l’appelante aurait-elle dû être réexaminée?

[54] Je conclus que la décision de verser à l’appelante quatre semaines additionnelles de prestations parentales standards ne devrait pas être réexaminée dans cette affaire.

[55] Je suis d’avis que l’exactitude devrait l’emporter sur le caractère définitif que dans des circonstances exceptionnelles et il n’y en a pas dans cette affaire.

[56] Bien que je ne sois pas liée par la politique de réexamen de la Commission, je la trouve utile pour résoudre la tension entre l’exactitude et le caractère définitif.

[57] L’appelante soutient que le trop-payé résulte d’une erreur de la Commission. Je suis d’accord avec elle.

[58] J’estime que la Commission a commis un certain nombre d’erreurs dans cette affaire.

[59] Premièrement, d’après le témoignage du mari de l’appelante, il semble que la Commission lui ait initialement accordé 24 semaines de prestations. Son compte Mon dossier Service Canada indiquait qu’il avait droit à 24 semaines de prestations. Cependant, comme la Commission avait accordé 20 semaines à l’appelante, elle aurait aussi dû lui accorder seulement 20 semaines de prestationsNote de bas de page 18.

[60] Le mari de l’appelante affirme avoir appelé la Commission pour confirmer qu’il était admissible aux quatre semaines additionnelles de prestations indiquées dans son compte et avoir obtenu une réponse affirmative. Il s’agit là d’une autre erreur.

[61] Si la Commission n’avait pas accordé par erreur à l’appelante 24 semaines de prestations, puis confirmé par erreur que cette information était exacte, il n’aurait jamais eu de discussion sur le transfert de ces quatre semaines additionnelles à l’appelante.

[62] La Commission a commis une autre erreur lorsqu’elle a accepté, le 30 octobre 2023, de transférer à l’appelante les quatre semaines de prestations qui n’auraient jamais dû être accordées à son mari, portant ainsi à 24 son nombre total de semaines de prestationsNote de bas de page 19. La Commission avait toutes les informations nécessaires pour conclure que la loi ne permettait pas cela, mais elle n’a pas tenu compte de ces informations.

[63] La Commission a ensuite commis une dernière erreur en versant ces quatre semaines de prestations entre le 7 au 28 janvier 2024, alors que le maximum de 40 semaines de prestations que deux parents peuvent se partager avait été atteint le 6 janvier 2024.

[64] Je considère également que l’appelante n’était aucunement responsable de ce trop-payé. Je n’ai aucune preuve qu’elle a fait des déclarations fausses ou trompeuses ou qu’elle savait qu’elle n’était pas admissible aux prestations qu’elle a reçuesNote de bas de page 20. Au contraire, la preuve démontre qu’elle a expressément demandé une confirmation et qu’on lui a assuré qu’elle était admissible aux quatre semaines additionnelles de prestations qu’elle avait demandées. À mon avis, elle avait toutes les raisons de croire qu’elle était admissible aux quatre semaines additionnelles s de prestations qu’elle a reçues.

[65] Tous ces faits favorisent le caractère définitif plutôt que l’exactitude. Et je ne vois aucun fait qui favoriserait l’exactitude plutôt que le caractère définitif.

[66] J’admets que dans la plupart des situations, mais pas toutes, où des prestations ont été versées dans des circonstances contraires à la structure de la loi, l’exactitude devrait l’emporter sur le caractère définitif. Je crois que cela peut être vrai même dans certaines circonstances où la personne qui demande des prestations n’est pas à blâmer. Toutefois, dans la présente affaire, je ne suis pas en mesure de conclure que le versement de quatre semaines additionnelles de prestations est contraire à la structure de la loi.

[67] La structure de la loi est un concept quelque peu ambigu. Elle est définie par la Commission comme étant les éléments de base nécessaires à l’établissement d’une période de prestations et au versement de prestations.

[68] Dans sa politique, la Commission donne une liste d’exemples d’exigences juridiques qui ont trait à la structure de la loiNote de bas de page 21. Le nombre maximal de semaines de prestations qui peuvent être versées au titre de la loi ne fait pas partie de ces exemplesNote de bas de page 22.

[69] J’entends par structure de la loi les éléments requis pour être initialement admissible aux prestations.

[70] Dans la présente affaire, il ne fait aucun doute que l’appelante remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations. Elle remplissait tous les critères nécessaires pour que la Commission puisse établir une période de prestations et lui verser des prestations.

[71] Je ne peux donc pas conclure que la décision de la Commission de lui verser quatre semaines de prestations de plus que ce à quoi elle était admissible au titre de la loi est contraire à la structure de la loi.

[72] Et même si je me trompe sur la signification de l’expression « structure de la loi », je ne suis pas liée par la politique de réexamen de la Commission. Je ne suis pas d’accord pour dire que toutes les demandes pour lesquelles des prestations ont été versées contrairement à la structure de la loi doivent toujours être réexaminées. À mon avis, cela ne devrait pas être le cas lorsqu’il existe des raisons impérieuses de conclure que la tension entre l’exactitude et le caractère définitif doit être résolue en faveur de ce dernier.

[73] Après avoir examiné les faits de cette affaire, je conclus que l’appelante devrait pouvoir se fier à la décision qui a été prise de continuer à lui verser des prestations même après avoir reçu le nombre maximal de semaines de prestations parentales standards prévues par la loi. Je pense que le caractère définitif est plus important que l’exactitude dans la présente affaire.

[74] Comme indiqué ci-dessus, la Commission a commis de nombreuses erreurs dans son traitement des demandes de l’appelante et de son mari. À mon avis, ces erreurs n’auraient jamais dû être commises.

[75] La Commission demande aux parties prestataires de fournir le nom et le numéro d’assurance sociale de l’autre parent dans le formulaire de demande de prestations parentales. Si elle demande et obtient cette information, elle doit nécessairement en tenir compte lorsqu’elle décide du nombre de semaines de prestations qu’elle versera à chaque parent.

[76] Je dois donc conclure que soit la Commission ne dispose pas d’un mécanisme lui permettant d’utiliser cette information pour s’assurer que le maximum de 40 semaines de prestations parentales standards que des parents peuvent se partager n’est pas dépassé, soit ce mécanisme n’est pas efficace.

[77] Dans les deux cas, je suis d’avis que l’appelante ne devrait pas être tenue de payer pour les erreurs de la Commission ou ses systèmes opérationnels incomplets ou inadéquats.

[78] À mon avis, c’est à la Commission, et non au prestataire, qu’il incombe de veiller à ce qu’une personne ne touche pas plus de semaines de prestations que ce que prévoit la loi.

[79] De plus, si la Commission pouvait réexaminer une demande chaque fois qu’elle a commis une erreur sur un point qu’elle estime contraire à la structure de la loi, elle ne serait pas incitée à s’efforcer d’éviter autant que possible les erreurs, à former correctement son personnel pour qu’il puisse conseiller les parties prestataires de manière adéquate et à mettre en place des procédures opérationnelles efficaces.

[80] Ni l’appelante ni aucune autre personne n’a fait de déclarations fausses ou trompeuses à la Commission qui l’ont incitée à verser à celle-ci des prestations auxquelles elle n’était pas admissible selon la loi. Le trop-payé dans cette affaire est entièrement attribuable à la Commission, et à personne d’autre.

[81] L’appelante a vérifié à plusieurs reprises auprès de la Commission qu’elle était bien admissible aux quatre semaines additionnelles de prestations que son époux n’utiliserait pas. Après avoir obtenu l’assurance de la Commission que c’était bien le cas, il est clair que l’appelante n’avait aucune raison de croire qu’elle n’était pas admissible aux prestations qu’elle a reçues.

[82] De plus, dans le formulaire de demande, la Commission s’engage expressément à fournir aux parties prestataires des renseignements exacts sur la façon dont les prestations parentales peuvent être partagées entre les conjointsNote de bas de page 23. Ainsi, l’appelante avait toutes les raisons de croire que les informations qu’elle avait reçues concernant le partage des prestations parentales avec son mari étaient exactes.

[83] Pour toutes ces raisons, je conclus que la demande de l’appelante n’aurait pas dû être réexaminée dans la présente affaire. J’estime que la décision de la Commission d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour réexaminer la demande était manifestement injuste dans les circonstancesNote de bas de page 24. L’appelante avait le droit de se fier à la décision de la Commission de lui verser quatre semaines additionnelles de prestations, même si cette décision était erronée.

Le fait que l’appelante a été mal informée n’a aucune incidence sur ma décision

[84] La Commission fait valoir que le Tribunal n’a pas le pouvoir d’annuler les exigences de la loi, même si elle a mal informé l’appelante.

[85] Dans la décision Granger que la Commission cite à l’appui de son argumentNote de bas de page 25, une personne travaillant pour la Commission a dit au prestataire que les sommes versées dans un REER ne seraient pas déduites de ses prestations. Se fondant sur cette information, le prestataire a pris la décision irrévocable de verser ses prestations de retraite dans son REER. La Commission a ensuite informé le prestataire qu’elle avait changé son interprétation et qu’elle déduirait ces sommes de ses prestations.

[86] La Cour d’appel fédérale a conclu que tout engagement pris par la Commission d’agir autrement que ne le prescrit la loi serait absolument nul et ne pouvait être appliqué par les tribunaux. La Cour suprême du Canada a confirmé la décision de la Cour d’appel fédérale.

[87] Cependant, la conclusion de la décision Granger ne s’applique pas dans la présente affaire.

[88] Si la Commission avait dit à l’appelante qu’elle était admissible à 24 semaines de prestations et ne lui en avait versé que 20, il est clair que celle-ci n’aurait pas pu demander les quatre semaines additionnelles de prestations simplement parce que la Commission lui avait dit qu’elle y était admissible et parce qu’elle avait donné suite à cet engagement. C’est ce que dit la décision Granger.

[89] Mais ce n’est pas ce qui s’est passé ici. Dans cette affaire, la Commission n’a pas simplement pris un engagement. Elle a rendu une décision. Elle a décidé de verser à l’appelante un nombre supérieur de semaines de prestations à celui auquel elle était admissible selon la loi. Le trop-payé ne résulte pas du fait que l’appelante s’est fondée sur l’engagement de la Commission. Il résulte du fait que la Commission a donné suite à cet engagement.

[90] En décidant que la demande de l’appelante n’aurait pas dû être réexaminée, je ne déroge pas aux exigences de la loi.

[91] Je reconnais que la loi prévoit que des parents ne peuvent pas se partager plus de 40 semaines de prestations parentales standards. Et je ne dis pas que l’appelante a droit à 24 semaines de prestations. Ce n’est clairement pas le cas.

[92] Tout ce que je dis, c’est que la décision que la Commission a prise de verser à l’appelante quatre semaines de prestations auxquelles elle n’a pas légalement droit n’aurait pas dû être réexaminée.

[93] De plus, dans la décision Granger, la Cour d’appel fédérale reconnaît que le résultat aurait été différent si la décision de la Commission de revenir sur son interprétation initiale avait été discrétionnaire.

[94] Dans la présente affaire, la décision de la Commission de réexaminer la demande était discrétionnaire. Ainsi, l’affaire Granger établit le principe selon lequel la Commission n’aurait pas dû réexaminer sa décision initiale, même si celle-ci était contraire à la loi.

[95] La Cour d’appel fédérale a rendu une autre décision plus récente, confirmant une décision de la division d’appel, qui suggère que le trop-payé d’une personne ne peut jamais être annulé parce qu’elle s’est appuyée sur des renseignements erronés de CommissionNote de bas de page 26.

[96] Bien qu’on puisse l’interpréter ainsi, je ne pense pas que la décision de la division d’appel, confirmée par la Cour d’appel fédérale, établisse une règle générale selon laquelle les trop-payés découlant de renseignements erronés fournis par la Commission doivent être maintenus.

[97] Dans l’affaire Molchan, la prestataire avait reçu de la Commission l’instruction de fournir de faux renseignements dans ses déclarations bimensuelles. La division d’appel a conclu que même si la prestataire avait été mal informée par la Commission, les renseignements qu’elle avait fournis étaient néanmoins faux. Elle a déclaré que le fait que la prestataire avait fourni de faux renseignements était suffisant pour justifier le réexamen de sa demandeNote de bas de page 27.

[98] La Cour d’appel fédéral a confirmé que la conclusion de la division d’appel était raisonnable. Ce faisant, elle a cité plusieurs autres décisions dans lesquelles des demandes avaient été réexaminées. Dans toutes ces affaires, les parties prestataires avaient fourni des renseignements faux ou trompeurs après avoir été mal informées par la Commission. Et dans toutes ces affaires, on a estimé que la Commission avait agi de façon judiciaire en réexaminant la demande parce que la partie prestataire avait fourni des renseignements faux ou trompeurs.

[99] Il convient de distinguer l’affaire Molchan de la présente affaire. Contrairement à l’affaire Molchan et aux autres affaires citées par la Cour d’appel fédérale, l’appelante n’a pas été invitée à fournir des renseignements faux ou trompeurs dans la présente affaire, et n’en a pas fournis.

[100] De plus, le trop-payé dans la présente affaire ne résulte pas du fait que l’appelante a été mal informée par la Commission. Il résulte du fait que la Commission a versé par erreur à l’appelante des prestations auxquelles elle n’était pas admissible, puis qu’elle a réexaminé sa décision de lui verser ces prestations.

[101] Je suis donc d’avis que l’affaire Molchan ne s’applique pas dans cette affaire.

Conclusion

[102] L’appel est accueilli.

[103] La Commission n’a pas agi de façon judiciaire lorsqu’elle a réexaminé la demande de l’appelante. Elle n’a pas tenu compte de tous les faits pertinents dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[104] Je conclus que la demande ne devrait pas être réexaminée. La décision de la Commission de verser à l’appelante quatre semaines additionnelles de prestations est maintenue.

[105] Cela signifie que le trop-payé et l’avis de dette doivent être annulés.

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