Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : KJ c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 256

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : K. J.
Représentante ou représentant : Jody Wells
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Erin Tzvetcoff

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 24 septembre 2024 (GE-23-318)

Membre du Tribunal : Solange Losier
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 10 janvier 2025
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentante de l’appelante
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 20 mars 2025
Numéro de dossier : AD-24-646

Sur cette page

Décision

[1] L’appel de la prestataire, K. J., est accueilli en partie. La division générale a commis des erreurs de droit et de fait dans sa décision.

[2] J’ai remplacé cette décision de la division générale par ma propre décision. La prestataire n’est pas inadmissible aux prestations régulières de l’assurance-emploi ni exclue de leur bénéfice pour la période allant du 9 janvier 2022 au 31 mai 2022. La manière dont elle a agi ne correspond pas à une inconduite délibérée. En effet, elle bénéficiait jusqu’au 31 mai 2022 d’une exemption approuvée par son employeur par rapport à sa politique d’immunisation du personnel contre la COVID-19.

[3] La prestataire est cependant inadmissible au bénéfice des prestations du 1er juin 2022 au 3 juillet 2022 et exclue du bénéfice des prestations à compter du 4 juillet 2022. La prestataire ne s’est pas conformée à la politique après avoir reçu l’ordre de s’y conformer, et cette conduite a entraîné sa suspension puis son congédiement. Sa conduite était délibérée. En date du 1er juin 2022, la prestataire ne jouissait plus d’une exemption pour motif religieux approuvée par son employeur.

Aperçu

[4] La prestataire travaillait à l’entretien ménager dans un foyer de soins infirmiers. Elle a cessé de travailler et a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi le 12 janvier 2022Note de bas de page 1.

[5] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé que la prestataire avait été suspendue de son travail du 10 janvier 2022 au 1er juillet 2022. Elle a également décidé que la prestataire avait perdu son emploi le 3 juillet 2022 pour cause d’inconduiteNote de bas de page 2. La Commission a donc émis un avis de dette pour un trop-payé de prestationsNote de bas de page 3.

[6] La division générale a rejeté l’appel de la prestataireNote de bas de page 4. Elle a conclu que la prestataire avait perdu son emploi à cause de son inconduite et qu’elle était donc exclue du bénéfice des prestations pour toute la période en cause.

[7] Ce dossier a certains antécédents procédurauxNote de bas de page 5. La Cour fédérale a renvoyé le dossier à la division d’appel pour réexamen. Par la suite, j’ai donné à la prestataire la permission de faire appel comme il était défendable que la division générale ait commis des erreurs susceptibles de révisionNote de bas de page 6.

[8] J’ai conclu que la division générale a commis des erreurs de droit et de faitNote de bas de page 7. Pour corriger les erreurs, je vais substituer ma propre décision à la sienne sur la question de l’inconduite.

Questions préliminaires

La prestataire a présenté de nouveaux éléments de preuve

[9] Un élément de preuve est nouveau si la division générale n'en disposait pas lorsqu’elle a rendu sa décision. La division d’appel n’accepte généralement pas de nouveaux éléments de preuveNote de bas de page 8. En effet, la division d’appel n’a pas le rôle de juge des faits ni celui de réentendre l’affaire. Son rôle est d’examiner la décision de la division générale d’après les éléments de preuve dont celle-ci disposaitNote de bas de page 9.

[10] Il y a quelques exceptions où de nouveaux éléments de preuve sont permisNote de bas de page 10. Par exemple, je peux accepter un nouvel élément de preuve s’il remplit l’une ou l’autre des fonctions suivantes :

  • Il donne des renseignements généraux seulement;
  • Il met en lumière des conclusions tirées sans être étayées par la preuve;
  • Il montre que le Tribunal a agi de manière inéquitable.

[11] La Commission affirme que la prestataire a présenté de nouveaux éléments de preuve dont la division générale ne disposait pas. Selon la Commission, ces nouveaux éléments de preuve ne devraient pas être acceptés par la division d’appel comme ils ne relèvent d’aucune des exceptions plus haut. La Commission note également que l’affaire [traduction] « ne se joue pas sur un nouvel élément de preuve ».

[12] Les documents précis, codés par le Tribunal, sont les suivantsNote de bas de page 11 :

- Description du document Pages au dossier d’appel
1 Demande de mesure d’adaptation de l’employée datée du 11 septembre 2021 AD5-57 à AD5-58
2 Courriel envoyé par la prestataire à l’employeur le 30 novembre 2021 AD5-67 à AD5-68
3 Note de l’employeur datée du 5 janvier 2022 AD5-71
4 Politique et procédures de l’employeur AD5-72 à AD5-74
5 Lettre de l’employeur datée du 7 février 2022 (concernant la mesure d’adaptation) AD5-79 à AD5-82
6 Note de l’employeur datée du 31 mars 2022 AD5-83
7 Lettre de l’employeur datée du 20 avril 2022 (concernant la mesure d’adaptation) AD5-84 à AD5-85
8 Demande de mesure d’adaptation de l’employée et documents justificatifs AD5-86 à AD5-93

[13] La prestataire affirme que les documents ci-dessus ne sont pas [traduction] « nouveaux ». Elle affirme qu’ils ont été présentés à la division générale par le truchement de [traduction] « preuves documentaires parallèles » et qu’ils font référence à des faits déjà énoncés dans les documents au dossier (codés GD3 et GD6), ainsi qu’au témoignage qu’elle a elle-même livré à l’audience devant la division générale. Pour appuyer sa position, elle a fourni une transcription écrite non officielle de cette audienceNote de bas de page 12.

[14] La prestataire reconnaît que certains des éléments de preuve susmentionnés sont [traduction] « plus pertinents » et que d’autres sont [traduction] « moins pertinents ». Plus précisément, elle convient que le courriel qu’elle a envoyé à son employeur le 30 novembre 2021, aux pages AD5-67 à AD5-68 du dossier d’appel, n’est pas pertinent.

Je n’accepte pas les nouveaux éléments de preuve présentés par la prestataire

[15] Je juge que les documents déposés par la prestataire et énumérés dans le tableau qui précèdent sont de nouveaux éléments de preuve. J’ai écouté l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale et examiné le dossier. La division générale ne disposait pas de ces documents.

[16] Cependant, je conclus que ces nouveaux éléments de preuve présentés par la prestataire ne correspondent à aucune des exceptions prévues par la loi. Ils ne présentent pas des renseignements généraux, ne mettent pas en lumière des conclusions tirées sans preuve à l’appui et ne démontrent pas que le Tribunal aurait agi de façon inéquitable. Même si ces nouveaux documents sont des [traduction] « preuves documentaires parallèles » et ressemblent à d’autres éléments de preuve qui faisaient déjà partie du dossier, il ne s’agit pas là d’une exception.

[17] Un appel à la division d’appel n’est pas une « reprise » basée sur des éléments de preuve mis à jour après l’audience de la division générale. Un appel à la division d’appel sert à faire examiner la décision de la division générale sur le fondement des mêmes éléments de preuve. Par conséquent, je ne peux pas rendre ma décision en tenant compte des nouveaux éléments de preuve soumis par la prestataire (énumérés au paragraphe 12 ci-dessus).

Questions en litige

[18] Je me suis concentrée sur les questions suivantes : 

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit ou de fait parce qu’elle n’a pas tenu compte de la période où la prestataire bénéficiait d’une exemption pour motif religieux approuvée par son employeur?
  2. b) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit ou de fait parce qu’elle n’a pas examiné si la prestataire était inadmissible aux prestations pour la période de sa suspension?
  3. c) Si oui, comment faut-il corriger ces erreurs?

Analyse

[19] Une erreur de droit est commise quand la division générale n’applique pas la bonne loi, ou quand elle utilise la bonne loi, mais qu’elle en comprend mal le sens où l’applique malNote de bas de page 13.

[20] Une erreur de fait est commise quand la division générale fonde sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 14.

[21] Il faut donc d’examiner certaines des questions qui suiventNote de bas de page 15 :

  • La preuve contredit-elle carrément une des principales conclusions de la division générale?
  • Les principales conclusions de la division générale sont-elles impossibles à justifier rationnellement du point de vue de la preuve?
  • La division générale a-t-elle ignoré des éléments de preuve déterminants qui contredisent une de ses principales conclusions?

[22] La présence de l’un ou l’autre de ces types d’erreurs me permettra d’intervenir dans la décision de la division généraleNote de bas de page 16.

La division générale a décidé que la prestataire avait été suspendue et avait perdu son emploi pour inconduite

[23] La décision de la division générale précise qu’il y a eu deux périodes distinctes dans cette affaireNote de bas de page 17. Elle a constaté que l’employeur avait accepté la demande d’exemption religieuse de la prestataire en la mettant en congé administratif. La division générale a noté que l’employeur avait offert à la prestataire une mesure d’adaptation en lui permettant de travailler de la maison.

[24] La division générale a également conclu que l’employeur avait « annulé » la mesure d’adaptation, suspendu la prestataire en date du 1er juin 2022 et congédié la prestataire pour inconduite en date du 4 juillet 2022Note de bas de page 18. La division générale a décidé que la prestataire avait enfreint la politique de l’employeur et qu’elle était consciente de ce qui l’attendait si elle refusait de s’y conformer au terme de la période pour laquelle elle bénéficiait d’une mesure d’adaptationNote de bas de page 19. Elle a conclu que la prestataire était exclue du bénéfice des prestations comme sa perte d’emploi était attribuable à son inconduiteNote de bas de page 20.

La division générale a commis des erreurs de droit et de fait

[25] La prestataire soutient que la division générale a commis une erreur de droit et une erreur de fait en concluant qu’elle avait commis une inconduite et en l’excluant du bénéfice des prestations.

[26] La prestataire a expliqué que son employeur avait accueilli sa demande d’exemption pour motif religieux et sa demande de mesure d’adaptation pour la période allant du 1er décembre 2021 au 31 mai 2021. Elle réitère qu’elle n’a donc commis aucune inconduite délibérée pour la période où elle bénéficiait d’une exemption approuvée, ainsi que pendant la période subséquente commençant le 1er juin 2022.

[27] La Commission convient que la division générale a commis une erreur de droit et une erreur de fait parce qu’elle n’a pas traité de la période, allant jusqu’au 31 mai 2022, pour laquelle l’employeur avait accordé une exemption pour motif religieux et une mesure d’adaptation à la prestataire.

[28] La Commission soutient également que la division générale a commis une autre erreur de droit et une autre erreur de fait. En effet, la division générale n’a pas examiné si la prestataire devait être déclarée inadmissible aux prestations pour la période de sa suspension, soit du 1er juin 2022 au 3 juillet 2022.                                                                                                                                                                                                             

[29] Premièrement, je conclus que la division générale a effectivement commis une erreur de droit et une erreur de fait en ne traitant pas de l’admissibilité de la prestataire aux prestations pour la période précise du 9 janvier 2022 au 31 mai 2022Note de bas de page 21.

[30] La division générale a conclu que la prestataire devait être exclue du bénéfice des prestations pour toute la période en cause du fait que la perte de son emploi était imputable à son inconduiteNote de bas de page 22. Ce faisant, elle n’a pas tenu compte de la période distincte pendant laquelle la prestataire bénéficiait d'une exemption pour motif religieux et d’une mesure d’adaptation approuvées par son employeur.

[31] Deuxièmement, je conclus que la division générale a commis une autre erreur de droit et une autre erreur de fait en omettant d’examiner si une inadmissibilité aux prestations devait être imposée pour la période allant du 1er juin 2022 au 3 juillet 2022. C’est la période où elle a constaté que la prestataire avait été suspendue pour ne pas s’être conformée à la politique de l’employeurNote de bas de page 23.

[32] Une disposition différente de la Loi sur l’assurance-emploi s’applique quand une personne est suspendue pour inconduite. Il est prévu qu’une suspension pour inconduite entraîne son inadmissibilité au bénéfice des prestations et non son exclusionNote de bas de page 24. La division générale a donc commis une erreur en concluant que la prestataire était exclue du bénéfice des prestations pour la période de sa suspension.

[33] Comme j’ai déjà conclu que deux erreurs susceptibles de révision ont été commises, je peux intervenir sur cette base, sans avoir à examiner d’autres erreurs présumées.

Comment corriger l’erreur

[34] Il y a deux options pour corriger une erreur de la division générale. Je peux renvoyer le dossier à la division générale pour réexamen, ou encore, rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 25. Je peux tirer toutes les conclusions de fait qui sont nécessaires à ma décision, si je substitue la mienne à la sienneNote de bas de page 26.

[35] Le principal facteur dont je dois tenir compte est de savoir si les parties ont eu une occasion pleine et équitable de présenter leurs éléments de preuve à la division générale sur toutes les questions pertinentes.

[36] Pour corriger l’erreur, la prestataire et la Commission conviennent que je dois remplacer la décision de la division générale par celle qu’elle aurait dû rendre. Toutefois, les parties ne sont pas d’accord sur le fond de cette nouvelle décision.

[37] Je suis convaincue que la prestataire a eu une occasion pleine et équitable de présenter sa preuve à la division générale sur toutes les questions pertinentes. Je vais donc substituer ma décision à la mienne.

[38] Je vais d’abord examiner la législation concernant l'inconduite et la jurisprudence pertinente aux fins des prestations d’assurance-emploi.

L’inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi et la jurisprudence pertinente

[39] La Loi sur l’assurance-emploi prévoit qu’une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle perd son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 27. Une personne qui est suspendue du travail pour inconduite est aussi inadmissible aux prestationsNote de bas de page 28.

[40] La Commission doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a été suspendue et a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 29.

[41] Le terme « inconduite » n’est pas défini dans la Loi sur l’assurance-emploi. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a décrit le critère juridique de l’inconduite. Pour être considérée comme une inconduite, la conduite doit être délibérée. Autrement dit, elle doit être consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 30. Cette notion inclut aussi toute conduite qui fait preuve d’une telle insouciance qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 31.

[42] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il y avait une réelle possibilité qu’elle entraîne son congédiementNote de bas de page 32.

[43] La prestataire n’a pas besoin d’avoir eu une intention coupable pour que son comportement soit considéré comme une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 33.

[44] La conduite de l’employeur n’est pas un facteur pertinent, comme on cherche à savoir si l’acte ou l’omission reproché à l’employée était effectivement constitutif d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 34.

[45] Il existe une jurisprudence abondante et récente de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale pour confirmer le rôle précis et restreint du Tribunal. Dans ces causes, des prestations ont notamment été refusées à des employés qui avaient été suspendus ou congédiés pour ne pas avoir respecté les politiques de leur employeur en matière de vaccination contre la COVID-19 Note de bas de page 35.

[46] Le Tribunal ne devrait pas examiner la question de savoir si la politique d’un employeur est raisonnable ou valableNote de bas de page 36. Il n’a pas compétence à cet égard. Encore une fois, c’est la conduite de la personne qui demande des prestations qui doit être examinée – pas la politique de l’employeur, sa conformité à la Charte canadienne des droits et libertés, le droit applicable en matière de droits de la personne, les lois fédérales ou provinciales sur le travail ou la common law en matière de congédiement injustifiéNote de bas de page 37.

La période de prestations de la prestataire a commencé le 9 janvier 2022

[47] À l’audience de la division d’appel, la représentante de la prestataire a affirmé que celle-ci avait cessé de travailler en novembre 2021 et qu’elle n’était pas certaine si elle pouvait recevoir des prestations à compter de cette date.

[48] La prestataire a effectivement cessé de travailler en novembre 2021. Toutefois, elle a seulement demandé des prestations le 12 janvier 2022Note de bas de page 38. Sa période de prestations a donc commencé le 9 janvier 2022, soit le premier jour de la semaine où elle a présenté sa demande.

[49] Je n’ai pas compétence pour examiner la période précédant le 9 janvier 2022. La période pertinente commence le 9 janvier 2022, soit le jour où la période de prestations de la prestataire a commencé (et la date à laquelle la Commission a décidé qu’elle ne pouvait pas recevoir de prestations).

La période du 9 janvier 2022 au 31 mai 2022

La prestataire n’est ni inadmissible aux prestations ni exclue de leur bénéfice pour la période du 9 janvier 2022 au 31 mai 2022

[50] La prestataire travaillait dans un foyer de soins infirmiers. L’employeur a instauré une politique de vaccination le 13 septembre 2021, conformément au mandat imposé par les services de santé de l’AlbertaNote de bas de page 39.

[51]  La politique de l’employeur exigeait que tout le personnel soit pleinement vacciné contre la COVID-19 au plus tard le 31 octobre 2021. Il était précisé que le personnel ne respectant pas la politique serait mis en [traduction] « congé administratif sans solde » dès le 1er novembre 2021Note de bas de page 40.

[52] L’employeur a fini par prolonger le délai jusqu’au 30 novembre 2021 pour que son personnel se conforme à la politique. Le personnel a été averti que le non-respect de la politique entraînerait un congé sans solde, sauf si une mesure d’adaptation en milieu de travail avait été approuvée pour un employéNote de bas de page 41.

[53] La politique précisait aussi qu’un employé n’ayant pas l’intention de se faire pleinement vacciner se verrait congédié après le 10 janvier 2022Note de bas de page 42.

[54] La politique prévoyait la possibilité d’obtenir une exemption dans le cas d’employés ne pouvant pas se faire vacciner pour des raisons religieuses ou médicales, ou pour d’autres motifs protégés en vertu de la loi albertaine sur les droits de la personneNote de bas de page 43.

[55] Le 12 octobre 2021, la prestataire a demandé à son employeur une exemption pour motif religieux. Elle a expliqué que les vaccins avaient été mis au point à l’aide de lignées cellulaires fœtales, ce qui allait à l’encontre de ses croyances religieuses en tant que chrétienne luthérienneNote de bas de page 44.

[56] Le 26 novembre 2021, l’employeur a rencontré la prestataire et a approuvé sa demande d’exemption pour motif religieux. Il lui a écrit et lui offrait la mesure d’adaptation suivante à compter du 29 novembre 2021Note de bas de page 45.

  • Elle serait en congé sans solde à compter du 1er décembre 2021 et jusqu’au 28 février 2022.
  • Son congé sans solde serait réévalué pour décider si une telle mesure d’adaptation pouvait être poursuivie jusqu’au point de représenter une contrainte excessive.
  • Un relevé d’emploi indiquant qu’elle était en congé sans solde serait émis.
  • L’employeur se réservait le droit de réévaluer la nécessité d'une mesure d’adaptation jusqu’au 28 février 2022, advenant de nouvelles circonstances qui modifieraient les exigences de la politique, la disponibilité de nouveaux vaccins, ou différentes mesures d’adaptation que celles existant alors.

[57] L’employeur a modifié la mesure d’adaptation dont bénéficiait la prestataire quelque temps en février 2022. La prestataire était dès lors affectée à des tâches administratives qu’elle exécutait de la maison à raison de deux jours par semaineNote de bas de page 46.

[58] Les choses ont commencé à changer pour la prestataire en avril 2022. Le 20 avril 2022, l’employeur lui a envoyé une lettre l’avisant de la disponibilité d’un nouveau vaccin qui n’utilisait pas de lignées cellulaires fœtales, soit Novavax. Le 27 avril 2022, l’employeur a prévu une rencontre avec la prestataire pour discuter de la question de savoir si elle demeurait admissible à une mesure d’adaptationNote de bas de page 47.

[59] La prestataire n’était pas d’accord avec l’employeur et croyait que le vaccin Novavax était toujours lié aux lignées cellulaires fœtales. Elle lui a donc présenté une autre demande d’exemption pour motif religieux.

[60] Le 17 mai 2022, l’employeur a rejeté la demande d’exemption pour motif religieux présentée par la prestataire. L’employeur lui a écrit pour lui expliquer que sa mesure d’adaptation, soit du travail à domicile deux jours par semaine, prendrait officiellement fin le 31 mai 2022. La lettre de l’employeur précisait que [traduction] « rien ne justifiait qu’elle nécessite encore une mesure d’adaptation par rapport aux exigences de la politiqueNote de bas de page 48. »  Enfin, l’employeur avertissait la prestataire qu’elle serait mise en congé administratif sans solde pour lui donner le temps de se faire pleinement vacciner et qu’elle serait congédiée le 4 juillet 2022 si elle refusait de se conformer à la politique,

[61] La prestataire ne s’est pas conformée à la directive de l’employeur de se faire pleinement vacciner afin de respecter sa politique. La prestataire a donc été mise en congé administratif sans solde à compter du 1er juin 2022. Elle a ensuite été congédiée le 4 juillet 2022, toujours pour cette même raison.

[62] Aux fins des prestations d’assurance-emploi, je conclus que la prestataire n’a pas commis une inconduite délibérée pour la période du 9 janvier 2022 au 31 mai 2022. Elle n’est donc pas inadmissible aux prestations pour cette période.

[63] En effet, pour la période allant du 9 janvier 2022 au 31 mai 2022, la prestataire ne contrevenait pas à la politique, car celle-ci permettait des exemptions pour motif religieux. La prestataire a fait ce qu’elle devait faire. Elle a demandé à son employeur une exemption pour motif religieux et la preuve montre qu’elle a bénéficié d’une telle exemption jusqu’au 31 mai 2022. Sa conduite ne correspond pas à une inconduite délibérée pour la période où elle disposait d'une exemption approuvée pour motif religieux.

La période du 1er juin 2022 au 3 juillet 2022

La prestataire est inadmissible aux prestations du 1er juin 2022 au 3 juillet 2022

[64] La prestataire soutient qu’elle n’a pas été [traduction] « suspendue » pour inconduite, mais qu’il s’agissait d’un [traduction] « congé administratif sans solde » du 1er juin 2022 au 3 juillet 2022.

[65] La Commission soutient que la prestataire a été suspendue pour inconduite du 1er juin 2022 au 3 juillet 2022.

[66] Je ne suis pas d’accord avec la prestataire. Bien que l’employeur ait pu parler d’un congé administratif sans solde, je ne suis pas liée par cette caractérisation. Je dois examiner la preuve et en décider moi-même.

[67] Dans une lettre datée du 17 mai 2022, l’employeur a affirmé trois choses importantesNote de bas de page 49 :

  • D’abord, sa mesure d’adaptation et son exemption pour motif religieux prenaient fin le 31 mai 2022 et la prestataire serait en congé administratif sans solde à compter du 1er juin 2022 pour lui donner le temps de se faire vacciner.
  • Ensuite, il existait dorénavant un vaccin dont la fabrication, la mise au point et la mise à l’essai ne recouraient à aucun tissu ni lignée cellulaire dérivés de fœtus. On s’attendait donc à ce qu’elle se conforme désormais à la politique et soit pleinement vaccinée.
  • Enfin, si la prestataire n’avait aucune intention de se faire pleinement vacciner et ne prévoyait pas le faire, elle serait congédiée en date du 4 juillet 2022 pour non-respect de la politique.

La prestataire a été suspendue du 1er juin 2022 au 3 juillet 2022

[68] Selon moi, la période de congé imposée par l’employeur le 1er juin 2022 était de nature disciplinaire et s’apparentait à une suspension pour inconduite aux fins des prestations d’assurance-emploi. La prestataire n’avait peut-être pas une intention coupable lorsqu’elle a décidé de ne pas se conformer à la politique, mais une telle intention n’est pas nécessaire pour que son comportement soit une inconduiteNote de bas de page 50.

[69] Pour décider qu’elle a été suspendue, j’ai tenu compte des facteurs suivants : l’employeur a eu l’idée d’imposer un congé à la prestataire et lui a imposé ce congé; ce congé n’était pas rémunéré; la prestataire n’avait pas le choix et ne pouvait pas retourner travailler au foyer de soins infirmiers; elle ne pouvait pas non plus continuer à travailler à temps partiel en faisant des tâches administratives à la maison; l’employeur a mis fin à sa mesure d’adaptation le 31 mai 2022; la prestataire ne bénéficiait plus d’une exemption pour motif religieux après le 31 mai 2022; elle n’avait aucune date de retour au travail et avait été avertie qu’elle serait congédiée le 4 juillet 2022 si elle ne se conformait toujours pas à la politique.

[70] Il est possible que l’employeur ait eu ses propres raisons d’utiliser le terme [traduction] « congé administratif sans solde » plutôt que de parler d’une suspension. Néanmoins, la preuve établit que la prestataire a été suspendue du travail en raison d’une inconduite parce qu’elle n’a pas respecté la politique lorsqu’on lui a ordonné de le faire. La période de suspension a été imposée essentiellement pour lui donner le temps de se faire pleinement vacciner et de se conformer à la politique avant son congédiement prévu pour le 4 juillet 2022.

[71] Je juge également que les faits de la présente affaire se distinguent des cas où un employé prend volontairement une période de congé et où une date de retour est convenueNote de bas de page 51. Je ne suis donc pas d’accord avec la prestataire lorsqu’elle dit que son congé administratif diffère d’une suspension pour inconduite.

[72] L’employeur a conservé (à tort ou à raison) le droit de décider quand la mesure d’adaptation offerte à la prestataire prendrait fin. Et il a décidé d’y mettre fin en date du 31 mai 2022. Même si l'employeur avait d’abord accordé à la prestataire une exemption pour motif religieux, il ressort clairement de ses lettres que cette mesure d’adaptation ne serait pas offerte de façon indéfinie et qu’il se conservait le droit de réévaluer le plan d’adaptation. L’employeur l’avait déjà réévalué une fois en février 2022, quand il a offert à la prestataire de travailler à temps partiel de la maison à raison de deux jours par semaine. Il l’a ensuite réévalué en avril 2022, quand il a appris qu’un vaccin sans lignée cellulaire fœtale était offert.

[73] La prestataire soutient que j’ai la compétence nécessaire pour décider que l’employeur a commis une « erreur » quand il a conclu que le vaccin Novavax n’avait pas été testé sur des lignées cellulaires fœtales. Elle a répété qu’on ne me demande pas si l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation, comme l’employeur avait déjà pris une décision en la matière.

[74] Je pense que la prestataire, en disant que je suis apte à décider que l’employeur a fait une « erreur », me demande de m’attarder à la conduite de l’employeur. Je ne suis pas une experte en vaccins, et je ne sais donc pas si le Novavax était lié ou non à des lignées cellulaires fœtales. Je ne sais pas si l’employeur a commis une erreur en concluant que le vaccin n’était pas lié aux cellules fœtales.

[75] Il semble que la prestataire me demande essentiellement de me pencher sur la décision de l’employeur de mettre fin à sa mesure d’adaptation le 31 mai 2022 et sur la logique qui sous-tend cette décision. Toutefois, comme l’ont clairement affirmé la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale, c’est au comportement de la prestataire qu’il faut s’attarder, et non à celle de l’employeurNote de bas de page 52. Je ne peux donc pas examiner la question de savoir si l’employeur a commis une erreur.

[76] Si la prestataire a été lésée par son employeur du fait qu’il a rejeté son exemption pour motif religieux sur la base d’une croyance erronée quant au vaccin Novavax, ce tribunal n’est pas l’instance pouvant régler cette questionNote de bas de page 53.

[77] La question que je dois trancher ici est de savoir si la prestataire savait ou aurait dû savoir qu’elle pouvait être suspendue en décidant de ne pas se faire vacciner après le 31 mai 2022 (en l’absence d’une exemption et d’une mesure d’adaptation approuvées).  

[78] La réponse à cette question est oui. La prestataire savait ou aurait dû savoir que sa décision de ne pas se faire vacciner après le 31 mai 2022 entraînerait sa suspension du travail.

[79] Son exemption par rapport à la politique et la mesure d’adaptation dont elle bénéficiait ont pris fin le 31 mai 2022. Sa demande d’exemption pour motif religieux subséquente a été rejetée par l’employeur. Elle a été avisée du refus de l’employeur et s’est vu accorder un délai suffisant pour se conformer à la politique.

[80] Tout en étant consciente des conséquences, la prestataire a choisi de ne pas se conformer à la politique de l’employeur, ce qui a entraîné sa suspension du 1er juin 2022 au 3 juillet 2022.

La conduite de la prestataire était volontaire et constituait une inconduite délibérée aux fins des prestations

[81] La prestataire soutient qu’une inconduite doit être volontaire. Elle affirme que ses croyances et sa conduite religieuses sont chez elle des caractéristiques immuables intrinsèques qui ne cessent d’être immuables dans le contexte de l’assurance-emploi, de sorte qu’il ne peut s’agir d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 54.

[82] La prestataire affirme que la conduite doit nécessairement être délibérée pour justifier une conclusion d’inconduite. J’ai examiné ses arguments sur cette question.

[83] Je n’ai pas été convaincue par l’argument de la prestataire voulant que sa décision de ne pas se faire vacciner n’était pas volontaire. En effet, des éléments de preuve montrent que sa décision de ne pas se faire vacciner contre la COVID-19 était une décision qu’elle a volontairement prise, par opposition à une décision qui n’aurait pas été un [traduction] « vrai choix ».

[84] Dans la lettre qu’elle a adressée à son employeur pour demander une exemption pour motif religieux, la prestataire a notamment écrit qu’un [traduction] « consentement éclairé signifie que je suis libre de prendre une décision sans coercitionNote de bas de page 55… ». Une lettre de son pasteur se lit comme suit : [traduction] « Nous cautionnons la liberté de chaque personne à prendre sa propre décision, par la prière et l’étude de la parole de Dieu, quant à la question de se faire vacciner ou non. Chaque personne doit être guidée par sa conscience et la parole de Dieu lorsqu’elle prend sa décision personnelle concernant le vaccinNote de bas de page 56. » (C’est moi qui souligne.)

[85] Je conclus que la prestataire a pris la décision consciente, volontaire et délibérée de ne pas se conformer à la politique de l’employeur qui exigeait qu’elle soit vaccinée. Les extraits qui précèdent me montrent qu’elle était libre de faire un choix personnel et de décider si elle se faisait vacciner. Elle était libre de choisir d’être vaccinée ou non. Cela m’indique que sa décision de ne pas se conformer à la politique était volontaire.

[86] Dans Zagol v Canada (Procureur général), 2025 CAF 40 [en anglais seulement], une décision récemment rendue à la suite d’une audience de la division d’appel, la Cour d’appel fédérale confirme qu’une conclusion d’inconduite est un [traduction] « critère peu exigeant ». Il suffit que la conduite en question soit adoptée en sachant que le congédiement pourrait en résulter. Il est sans importance de savoir si la conduite était condamnable sur le plan moral. Il faut simplement savoir si la personne avait conscience de ses conséquences possiblesNote de bas de page 57.

[87] Je ne vois pas en quoi le cas de la prestataire est différent ou se distingue des autres décisions en assurance-emploi liées à la vaccination rendues par la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale (voir, à titre d’exemples, les décisions indiquées dans les notes de bas de page 35 à 37). Même si la prestataire a joui d’une exemption pour motif religieux pendant une brève période, la preuve montre clairement qu’elle n’avait plus une telle exemption à partir du 1er juin 2022. On lui avait dit de se conformer à la politique et elle connaissait les conséquences de son non-respect. Je ne peux pas ignorer ces faits. Je dois suivre les décisions contraignantes émanant de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale.

[88] Je conclus que la prestataire a été suspendue pour inconduite du 1er juin 2022 au 3 juillet 2022 pour non-respect de la politique de vaccination de l’employeur. Elle savait que ce non-respect mènerait à sa suspension le 1er juin 2022. Elle ne bénéficiait plus d’une exemption pour motif religieux et sa période d’adaptation avait pris fin le 31 mai 2022. Elle a malgré tout pris la décision volontaire, consciente et délibérée de ne pas se conformer à la politique. Le critère peu exigeant en matière d’inconduite a été satisfait dans la présente affaire.

[89] Par conséquent, la conduite de la prestataire constitue une inconduite délibérée aux fins des prestations d’assurance-emploi. Elle est donc inadmissible au bénéfice des prestations du 1er juin 2022 au 3 juillet 2022Note de bas de page 58.

L’argument du bénéfice du doute doit être refusé

[90] L’argument de la prestataire voulant qu’on doive lui accorder le « bénéfice du doute » doit également être rejeté. Dans un cas où une personne prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi ou y est inadmissible en raison d’une inconduite ou parce qu’elle a quitté volontairement son emploiNote de bas de page 59, la loi permet à la Commission de lui accorder le bénéfice du doute si les éléments de preuve présentés de part et d’autre à cet égard sont équivalents. La Cour a confirmé que cette disposition s’applique uniquement à la Commission, et non au TribunalNote de bas de page 60.

La période commençant le 4 juillet 2022

La prestataire est exclue du bénéfice des prestations à compter du 4 juillet 2022

[91] La prestataire a été congédiée le 4 juillet 2022. L’employeur l’avait prévenue que cela arriverait si elle ne se conformait pas sa politique de vaccination. L’employeur l’en avait informée dans une lettre datée du 17 mai 2022Note de bas de page 61.

[92] Dans la lettre de congédiement datée du 4 juillet 2022, il est précisé que l’employeur avait parlé à la prestataire et qu’elle avait confirmé ne pas avoir l’intention de se faire pleinement vacciner. En conséquence, la lettre disait que son [traduction] « emploi pren[ait] fin [le jour même] pour non-respect de la politiqueNote de bas de page 62. »

[93] Pour bon nombre des mêmes raisons que celles mentionnées dans les paragraphes précédents, je conclus que la prestataire a été congédiée pour une inconduite délibérée le 4 juillet 2022 parce qu’elle n’a pas respecté la politique de vaccination de l’employeur.

[94] La prestataire savait que le non-respect de la politique mènerait à son congédiement. Elle a été suspendue le 1er juin 2022 et savait qu’elle serait congédiée le 4 juillet 2022. Elle a pris la décision volontaire, consciente et délibérée de ne pas se conformer à la politique. Cette conduite a mené à son congédiement.

[95] Je conclus que la conduite de la prestataire constitue une inconduite délibérée aux fins des prestations d’assurance-emploi et qu’elle est donc exclue du bénéfice des prestations à compter du 4 juillet 2022Note de bas de page 63.

Conclusion

[96] L’appel de la prestataire est accueilli en partie. La division générale a commis des erreurs de droit et de fait dans sa décision.

[97] J’ai remplacé la décision de la division générale par ma propre décision. Il n’y a pas inconduite pour la période durant laquelle la prestataire bénéficiait d’une exemption pour motif religieux et d’une mesure d’adaptation approuvées par son employeur. Ainsi, la prestataire n’est pas inadmissible aux prestations du 10 janvier 2022 au 31 mai 2022.

[98] Toutefois, la prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations du 1er juin 2022 au 3 juillet 2022, comme elle était suspendue pour inconduite.

[99] La prestataire est également exclue du bénéfice des prestations à compter du 4 juillet 2022, comme elle a perdu son emploi pour inconduite.

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