[TRADUCTION]
Citation : SS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 134
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision relative à une demande de
permission de faire appel
Partie demanderesse : | S. S. |
Partie défenderesse : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Décision portée en appel : | Décision de la division générale datée du 7 janvier 2025 (GE-24-4019) |
Membre du Tribunal : | Glenn Betteridge |
Date de la décision : | Le 18 février 2025 |
Numéro de dossier : | AD-25-69 |
Sur cette page
- Décision
- Aperçu
- Remarque préliminaire : l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale est incomplet, mais cela ne cause pas préjudice au prestataire
- Questions en litige
- Je ne donne pas au prestataire la permission de faire appel
- Conclusion
Décision
[1] La permission de faire appel est refusée. L’appel n’ira pas de l’avant.
Aperçu
[2] S. S. est le prestataire. Il a quitté son emploi d’ingénieur et a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.
[3] La Commission de l’assurance-emploi du Canada l’a exclu du bénéfice des prestations parce qu’il n’était pas fondé à quitter son emploiNote de bas de page 1. Le prestataire a demandé une révision, mais la Commission a maintenu sa décision initiale.
[4] La division générale a rejeté l’appel du prestataire. Elle a conclu que le prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi étant donné les circonstances qui existaient au moment de son départ (paragraphes 35 à 38). Il aurait pu signaler le problème de sécurité à une autorité externe. Il aurait également pu continuer à travailler pendant qu’il cherchait un autre emploi ou demander un congé à son employeur.
[5] Pour obtenir la permission de faire appel de la décision de la division générale, le prestataire doit démontrer que son appel a une chance raisonnable de succès. Malheureusement, il ne l’a pas fait.
Remarque préliminaire : l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale est incomplet, mais cela ne cause pas préjudice au prestataire
[6] Dans sa demande d’appel, le prestataire a soutenu que la division générale avait commis des erreurs de fait importantes. Il n’a pas fait référence à des éléments de preuve précis que la division générale aurait ignorés ou mal compris, comme des documents ou son témoignage à l’audience. Il s’appuie plutôt sur ses connaissances et son opinion sur la responsabilité juridique et les normes de santé et de sécurité au travail.
[7] Dans sa demande, il a écrit : [traduction] « on aurait dit que la dernière juge était à l’audience de quelqu’un d’autre et qu’elle ignorait ou ne comprenait pas grand-chose de ce que je disaisNote de bas de page 2 ». J’ai donc écouté l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale. Malheureusement, l’enregistrement se termine soudainement à 32 min 53 s, alors que l’audience n’était pas terminée.
[8] J’ai examiné si l’enregistrement incomplet de l’audience portait préjudice au prestataire dans le cadre de sa demande de permission de faire appel. J’ai gardé en tête que, selon la loi, je peux présumer que la division générale a examiné tous les éléments de preuve, sans qu’elle soit obligée de les mentionner un à unNote de bas de page 3.
[9] Je conclus que le prestataire ne subit aucun préjudice parce que je peux réparer tout préjudice potentiel en appliquant le critère de la « chance raisonnable de succès », et ce, de deux façons différentes :
- Premièrement, je vais examiner les arguments du prestataire en fonction du dossier de la division générale et de l’enregistrement partiel de l’audience. Je vais ensuite vérifier si la division générale a ignoré ou mal compris les éléments de preuve provenant de ces deux sources.
- Deuxièmement, je vais supposer que le prestataire a prouvé que la division générale a commis les deux erreurs de fait qu’il estime qu’elle a commises en ayant ignoré ou mal compris sa preuve. Je vais ensuite examiner si son appel a une chance raisonnable de succès.
[10] C’est donc ce que je vais faire afin que le prestataire ne subisse aucun préjudice ou aucune injustice.
Questions en litige
[11] Je dois trancher trois questions.
- Peut-on soutenir que la division générale a commis l’erreur de fait importante que le prestataire prétend qu’elle a commise?
- En supposant que la situation « compromettait la responsabilité » du prestataire et que ses fonctions d’agent de conformité en matière de sécurité concernaient exclusivement les camions, son appel a-t-il une chance raisonnable de succès?
- Peut-on soutenir que la division générale a commis l’un des autres types d’erreurs que la loi me permet d’examiner?
Je ne donne pas au prestataire la permission de faire appel
[12] J’ai lu la demande de permission de faire appel du prestataireNote de bas de page 4. J’ai lu la décision de la division générale et examiné les documents au dossierNote de bas de page 5. J’ai aussi écouté l’enregistrement partiel de l’audience.
[13] Je n’ai aucun doute que le prestataire était profondément préoccupé par la sécurité de ses collègues et par sa responsabilité juridique potentielle. Il est également clair qu’il n’est pas d’accord avec la décision de la division générale. Cependant, on ne peut pas soutenir que la division générale a commis une erreur qui pourrait changer l’issue de son appel. Autrement dit, son appel n’a aucune chance raisonnable de succès.
[14] Pour ces motifs et les motifs qui suivent, je refuse au prestataire la permission de faire appel.
Critère pour obtenir la permission de faire appel
[15] Pour obtenir la permission de faire appel, le prestataire doit montrer que son appel a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 6. Autrement dit, il doit démontrer qu’il existe un argument défendable selon lequel la division générale a commis l’une des erreurs que la loi me permet de prendre en considérationNote de bas de page 7 :
- elle a suivi un processus injuste ou a fait preuve de partialitéNote de bas de page 8;
- elle a mal exercé son pouvoir décisionnel (erreur de compétence);
- elle a commis une erreur de fait importante;
- elle a commis une erreur de droit.
[16] Je dois d’abord examiner les erreurs que le prestataire a présentées dans sa demandeNote de bas de page 9. Le prestataire n’est pas représenté. Par conséquent, je ne dois pas appliquer le critère de la permission de faire appel de façon mécaniqueNote de bas de page 10.
On ne peut pas soutenir que la division générale a commis une erreur de fait importante
Arguments du prestataire et droit applicable
[17] Le prestataire a coché la case qui indique que la division générale a commis une erreur de fait importanteNote de bas de page 11. Il a ensuite présenté trois arguments :
- La division générale n’a pas reconnu que sa responsabilité était compromise en raison du retrait illégal par son employeur d’un rideau lumineux de sécurité approuvé par la CSA pour une machine dont il était responsable en tant qu’ingénieur d’entretien.
- La division générale a mal compris qu’en tant qu’agent de en sécurité, il était responsable des machines. Il était plutôt responsable de la sécurité des camions.
- La division générale a ignoré ses éléments de preuve et ses arguments au sujet du changement unilatéral de sa description d’emploi.
[18] La division générale commet une erreur de fait importante si elle fonde sa décision sur une conclusion de fait qu’elle a tirée en ignorant ou en interprétant de façon erronée des éléments de preuve pertinentsNote de bas de page 12 (autrement dit, s’il y a des éléments de preuve qui contredisent carrément ou qui n’appuient pas une conclusion de fait que la division générale a tirée pour rendre sa décision).
[19] Il incombe à la division générale d’examiner et de soupeser la preuveNote de bas de page 13. Je ne peux pas réévaluer la preuve ni substituer mon opinion sur les faits à celle de la division générale. Je peux présumer que la division générale a examiné tous les éléments de preuve, sans qu’elle soit obligée de les mentionner un à unNote de bas de page 14.
[20] Je vais maintenant examiner chacun des trois arguments du prestataire.
La division générale n’a pas ignoré la preuve du prestataire au sujet de sa responsabilité potentielle
[21] Le prestataire a envoyé à la division d’appel de nouveaux éléments de preuve que la division générale n’avait pas. Cependant, je ne peux pas tenir compte de ses éléments de preuve sur les pénalités ou les amendes prévues par la loi provinciale sur la santé et la sécurité au travailNote de bas de page 15. En effet, ils ne correspondent à aucune des exceptions à la règle générale selon laquelle la division d’appel ne peut pas examiner de nouveaux éléments de preuveNote de bas de page 16.
[22] La division générale a examiné la preuve du prestataire (et les arguments des parties) concernant la responsabilité juridique potentielle de ce dernier (paragraphes 6, 24, 32 et 33). Elle a aussi examiné si le prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi en raison de sa responsabilité potentielle (paragraphe 37).
[23] La division générale n’avait pas à accepter l’opinion du prestataire sur sa propre responsabilité juridique telle qu’il l’interprétait d’après les lois qu’il a citées.. Elle n’avait pas non plus à accepter son argument selon lequel il était fondé à quitter son emploi. Elle n’avait pas non plus à accepter son argument selon lequel il était fondé à quitter son emploi, c’est-à-dire que la seule solution raisonnable était de démissionner, à la lumière de l’évaluation du prestataire sur sa propre responsabilité potentielle.
[24] Cela me montre que la division générale n’a pas ignoré sa preuve selon laquelle la situation, comme il le dit, compromettait sa responsabilité. De plus, elle n’a pas ignoré son argument selon lequel il devait démissionner puisque sa responsabilité était compromise.
La division générale n’a pas mal compris le rôle du prestataire comme agent de conformité en matière de sécurité des camions
[25] Le prestataire ne fait référence à aucun paragraphe de la décision lorsqu’il soutient que la division générale [traduction] « a compris à tort que, comme agent de conformité en matière de sécurité, je m’occupais des machinesNote de bas de page 17 ».
[26] La division générale a écrit « agent de conformité en matière de sécurité des camions » et « agent de la sécurité et de la conformité des camions » dans sa décision (paragraphes 3 et 21).
[27] La division générale semble comprendre la preuve du prestataire selon laquelle il avait des responsabilités en matière de sécurité des machines dans ses deux rôles d’ingénieur de fabrication et d’ingénieur d’entretien (paragraphes 6, 20, 23 à 27, 33 et 34).
[28] La division générale a fait référence au rôle d’agent de conformité en matière de sécurité lorsqu’elle a évalué les arguments de la Commission concernant les solutions raisonnables (paragraphe 34). La Commission a soutenu que le prestataire aurait pu communiquer avec les autorités réglementaires responsables de la sécurité au travail. Ensuite, la division générale a examiné la preuve du prestataire selon laquelle il n’a pensé à cette solution que des mois après avoir démissionné (paragraphe 28, point 4).
[29] La division générale a ensuite tiré une conclusion de fait sur la capacité du prestataire à s’informer au sujet des lois sur la santé et la sécurité au travail et à déposer une plainte au titre de ces lois. Elle a examiné les arguments des parties à la lumière de la preuve. Elle a ensuite conclu qu’en tant qu’agent de conformité en matière de sécurité, il était raisonnable de [traduction] « s’attendre à ce qu’il [le prestataire] puisse obtenir des renseignements sur les règles et les procédures de sécurité » (paragraphe 34).
[30] Je comprends que la division générale voulait dire que, comme le prestataire était agent de conformité en matière de sécurité des camions, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il soit en mesure de signaler un incident de santé et de sécurité au travail après avoir constaté le retrait du rideau lumineux de sécurité par son employeur.
[31] Lorsque la division générale évalue la preuve, elle peut tirer des conclusions, à condition que la preuve appuie ces conclusions de façon logique et raisonnable. Dans la présente affaire, la preuve appuie la conclusion de la division générale. Le prestataire n’a donc pas démontré que la division générale a mal compris sa preuve concernant son rôle d’agent de conformité en matière de sécurité des camions.
La division générale n’a pas ignoré la preuve du prestataire au sujet des changements unilatéraux qui ont été apportés à la description de son poste
[32] La division générale a examiné si l’employeur avait apporté des changements importants (unilatéraux) aux fonctions du prestataire (paragraphes 7 et 18 à 21). La division générale a soupesé la preuve et a conclu qu’il n’y avait pas eu de changements importants dans ses fonctions (paragraphe 18).
[33] La division générale n’a pas ignoré ou mal compris les éléments de preuve pertinents aux termes de la loi.
[34] En vertu de l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi, la division générale devait examiner si les changements importants étaient survenus au moment où le prestataire a démissionné. La division générale a conclu que le changement relatif aux fonctions d’ingénieur d’entretien n’était pas survenu à sa démission, mais plutôt lorsque le prestataire a été embauché. De plus, le prestataire avait accepté le changement à ce moment-là (paragraphes 18 et 19). La division générale a également tenu compte du fait que le prestataire avait seulement laissé entendre que les changements étaient survenus plus proche du moment où il a démissionné, mais qu’il n’avait pas fourni de preuve à cet égard (paragraphes 20 et 21).
[35] Cela me montre que la division générale n’a pas ignoré ou mal compris la preuve du prestataire concernant la façon dont le changement dans ses fonctions a mené à son départ.
[36] Je ne vais pas supposer que le prestataire a prouvé ce fait dans la section suivante de mon analyse, après le résumé. Je peux supposer que la division générale a examiné tous les éléments de preuve. Les motifs de la division générale sont également très précis : [traduction] « a laissé entendre, mais n’a pas fourni de preuves ». De plus, le fait que le prestataire a accepté les changements lorsqu’il a commencé à travailler signifie que ces changements ne peuvent pas être considérés comme une des circonstances prévues à l’article 29(c).
Résumé : selon les documents et l’enregistrement partiel de l’audience, on ne peut pas soutenir que la division générale a commis une erreur de fait importante
[37] Le prestataire n’a pas démontré que la division générale a ignoré ou mal compris des éléments de preuve pertinents.
[38] J’ai examiné les documents au dossier de la division générale et écouté l’enregistrement partiel de l’audience. Mon examen me montre que la preuve pertinente appuie la décision de la division générale.
[39] Par conséquent, on ne peut pas soutenir que la division générale a commis une erreur de fait importante.
En supposant que la division générale a commis les deux erreurs de fait que le prestataire affirme qu’elle a commises, ce dernier avait-il une autre solution raisonnable que de quitter son emploi?
[40] L’appel du prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès, même si je suppose qu’il a prouvé les deux circonstances suivantes :
- La situation « compromettait » sa responsabilité. Autrement dit, s’il ne démissionnait pas, il aurait pu être tenu personnellement responsable si un accident survenait à la suite du retrait illégal du rideau de sécurité par son employeur.
- À titre d’agent de conformité en matière de sécurité, il était responsable des camions, et non des machines.
[41] Malgré ces circonstances, le prestataire avait au moins une autre solution raisonnable que de quitter son emploi. En effet, il aurait pu signaler l’infraction à un organisme de réglementation ayant le pouvoir de répondre à ses préoccupations (paragraphes 35 et 37).
[42] Cela signifie que même si l’on supposait que la division générale a commis les erreurs de fait que le prestataire affirme qu’elle a commises, ces erreurs n’auraient pas changé l’issue de son appel. En effet, le prestataire n’a pas prouvé au titre de l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi qu’il était fondé à quitter son emploi compte tenu des circonstances qui existaient au moment de son départ.
Il n’y a aucune autre raison pour laquelle je peux accorder au prestataire la permission de faire appel
[43] Le prestataire n’est pas représenté. J’ai donc examiné s’il y avait une cause défendable selon laquelle la division générale aurait utilisé un processus injuste ou commis une erreur de compétence ou une erreur de droit.
[44] Le prestataire n’a pas soutenu que l’audience ou le processus de la division générale était injuste, du moins pas précisément. J’ai examiné son argument selon lequel la membre [traduction] « était à l’audience de quelqu’un d’autre et qu’elle ignorait ou ne comprenait pas grand-chose », dans la section concernant les erreurs de fait importantes, ci-dessus.
[45] On ne peut pas soutenir que la division générale a commis une erreur de compétence. La division générale a correctement cerné la question qu’elle devait trancher et l’approche en deux étapes qu’elle devait adopter pour trancher cette question (paragraphes 8 et 9). Ensuite, elle a tranché seulement cette question, en utilisant la bonne approche.
[46] Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a commis une erreur de droit.
[47] Elle a établi le bon critère juridique pour décider si le départ du prestataire était fondé au titre de l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi (paragraphes 12 à 16). Elle a ensuite utilisé ce critère. Elle s’est penchée sur les arguments du prestataire au sujet de la justification et des circonstances de son départ. De plus, les motifs de la division générale sont suffisants et intelligibles compte tenu des faits et du droitNote de bas de page 18.
La décision de la division générale est conforme à l’objectif des prestations régulières d’assurance-emploi
[48] La décision de la division générale est conforme à l’objet de la Loi sur l’assurance-emploi et au critère juridique permettant de décider si le départ était fondé au titre de l’article 29(c).
[49] Le prestataire a soutenu qu’il avait une justification légale pour quitter son emploi parce que son employeur l’avait mis dans une situation impossible sur le plan juridique. Autrement dit, il a été forcé de démissionner en raison des actions de son employeur. Cet argument semble avancer qu’il a fait l’objet d’un congédiement déguisé au sens du droit du travail.
[50] Malheureusement pour le prestataire, le congédiement déguisé n’est pas le critère juridique permettant de prouver que son départ était fondé au sens de l’article de la Loi sur l’assurance-emploi sur le départ volontaireNote de bas de page 19. Le critère juridique permettant de prouver qu’un départ est fondé met plutôt l’accent sur des solutions concrètes et raisonnables. Il est établi ainsi afin de gérer un régime public d’assurance qui verse des prestations aux personnes qui sont involontairement au chômageNote de bas de page 20. Autrement dit, les personnes qui n’ont pas provoqué leur chômage.
[51] Les tribunaux ont déclaré que les personnes qui transforment un simple risque en une certitude de chômage ne doivent pas recevoir de prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 21. Malheureusement pour le prestataire, c’est ce qu’il a fait en quittant son emploi au lieu d’explorer les solutions raisonnables qui s’offraient à lui au moment de son départ.
Conclusion
[52] Le prestataire n’a pas démontré que son appel a une chance raisonnable de succès.
[53] Par conséquent, je ne peux pas lui accorder la permission de faire appel.