Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 135

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. S.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision (697999) datée du 10 décembre 2024 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Anne S. Clark
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 27 décembre 2024
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 7 janvier 2025
Numéro de dossier : GE-24-4019

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. L’appelant n’a pas démontré qu’il était fondé à quitter son emploi.

[2] L’appelant n’a pas démontré qu’il était fondé à quitter son emploi (c’est-à-dire qu’il n’avait pas une raison acceptable selon la loi) quand il l’a fait. L’appelant n’était pas fondé à quitter son emploi parce que le départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Par conséquent, il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] L’appelant a quitté son emploi d’ingénieur en fabrication, d’ingénieur d’entretien et d’agent de conformité en matière de sécurité des camions le 16 août 2024, en raison de conditions de travail dangereuses. Il a ensuite demandé des prestations d’assurance-emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a examiné les raisons de l’appelant pour quitter son emploi. Elle a conclu que ce dernier a quitté volontairement son emploi (c’est-à-dire qu’il a choisi de quitter son emploi) sans justification prévue par la loi. Par conséquent, la Commission ne pouvait pas lui verser de prestations.

[4] Je dois décider si l’appelant a prouvé que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.

[5] La Commission affirme qu’au lieu de quitter son emploi quand il l’a fait, l’appelant aurait pu refuser d’effectuer tout travail dangereux. Il aurait également pu communiquer avec les organismes de réglementation pour leur faire part de ses préoccupations en matière de sécurité. La Commission affirme également que l’appelant n’était pas censé effectuer un travail dangereux. Il n’était pas opérateur et n’était donc pas tenu d’utiliser l’équipement qu’il jugeait dangereux. L’employeur n’a pas répondu aux appels téléphoniques de la Commission. Par conséquent, l’employeur n’a fourni aucun élément de preuve qui contredise la version de l’appelant sur les événements qui sont survenus avant qu’il ne quitte son emploi.

[6] L’appelant n’est pas d’accord avec la Commission. Il affirme qu’il était responsable des opérateurs qui utilisaient l’équipement et qu’il avait des inquiétudes au sujet de leur sécurité après que l’équipement de sécurité en place avait été retiré. Il pensait que si un opérateur se blessait en utilisant une machine sans équipement de sécurité, l’employeur l’accuserait. Il croyait également qu’il serait tenu légalement responsable de toute blessure. Cependant, il n’a pas expliqué pourquoi il croyait cela. L’appelant a également déclaré qu’il gérait le travail des opérateurs. Il a dit qu’il pouvait être amené à nettoyer les machines et à effectuer des tests. Il a expliqué qu’il était dangereux d’effectuer ces tâches sans que le rideau de sécurité approprié soit installé au préalable.

[7] L’appelant a également déclaré que l’employeur avait modifié la description de son poste ainsi que ses fonctions, ce qui l’a rendu responsable d’un travail pour lequel il n’était pas qualifié. Il a estimé que cela pouvait être dangereux.

Question en litige

[8] L’appelant est-il exclu du bénéfice des prestations pour avoir quitté volontairement son emploi sans justification?

[9] Pour répondre à cette question, je dois d’abord aborder la question du départ volontaire de l’appelant. Je dois ensuite décider s’il était fondé à quitter son emploi.

Analyse

Les parties conviennent que l’appelant a quitté volontairement son emploi

[10] J’accepte le fait que l’appelant a quitté volontairement son emploi. L’appelant reconnaît qu’il a quitté son emploi le 16 août 2024. Je n’ai aucune preuve du contraire.

Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi

[11] Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi quand il l’a fait.

Ce que la loi dit au sujet du départ volontaire et de la justification

[12] La loi prévoit qu’une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 1. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que le départ était fondé.

[13] La loi explique ce que veut dire « être fondé ». Elle dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ est la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstancesNote de bas de page 2.

[14] L’appelant est responsable de prouver que son départ était fondé. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnableNote de bas de page 3.

[15] Pour trancher la question, je dois examiner toutes les circonstances présentes quand l’appelant a quitté son emploi. La loi énonce des circonstances que je dois prendre en considérationNote de bas de page 4.

[16] Une fois que j’aurai déterminé les circonstances qui s’appliquent à l’appelant, celui-ci devra démontrer qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi à ce moment-làNote de bas de page 5.

Les circonstances présentes quand l’appelant a quitté son emploi

[17] L’appelant affirme que deux des circonstances énoncées dans la loi s’appliquent à son cas. Plus précisément, il y avait eu une modification importante de ses fonctions et ses conditions de travail étaient dangereuses pour sa santé et sa sécurité.

L’appelant n’a pas démontré qu’il y avait eu une modification importante de ses fonctions

[18] Je conclus qu’il n’y a pas eu de modification importante dans les fonctions de l’appelant qui lui donnerait un motif valable pour quitter son emploi quand il l’a fait. Les changements apportés aux fonctions et au titre de son poste ont eu lieu au moment de son embauche. En effet, l’appelant a déclaré avoir accepté l’emploi en décembre 2023 après que l’employeur a modifié le titre et les fonctions du poste. Cela signifie qu’il ne peut pas s’appuyer sur l’article 29(c)(ix) de la Loi sur l’assurance-emploi pour démontrer qu’il était fondé à quitter son emploi environ huit mois plus tard. Je vais expliquer mon raisonnement.

[19] L’appelant a déclaré avoir été embauché comme ingénieur en fabrication en décembre 2023. Le jour où il a commencé à travailler, l’employeur a modifié le titre de son poste pour y inclure les fonctions d’ingénieur d’entretien. L’appelant n’a pas dit qu’il était en désaccord avec le changement à ce moment-là. Il a plutôt accepté l’emploi et a commencé à travailler avec son nouveau titre. Il a occupé ce poste jusqu’en août 2024.

[20] L’appelant a déclaré que la modification de ses fonctions était considérable puisqu’il n’était pas certifié pour certaines des tâches qui lui incombaient. Il n’a fourni aucune preuve sur ces changements ni sur les mesures qu’il a prises pour y remédier. Il a déclaré que ses fonctions avaient changé après son embauche. Il a estimé qu’il pourrait y avoir des problèmes de sécurité si des incidents survenaient et qu’il n’était pas formé pour y faire face. Il a laissé entendre qu’il y avait eu des changements plus près du moment où il a démissionné, mais il n’a pas pu me dire en quoi ils consistaient ni me fournir de preuves à leur sujet.

[21] L’appelant a également déclaré qu’il était agent de la sécurité et de la conformité des camions pour l’entreprise. Il n’a fourni aucune preuve montrant quand ces fonctions ont été modifiées ou si elles l’ont été. Il n’a pas non plus fourni d’éléments de preuve suggérant que ces fonctions étaient dangereuses pour sa santé et sa sécurité.

L’appelant n’a pas démontré en quoi son emploi était dangereux pour sa santé et sa sécurité

[22] L’appelant a expliqué que l’employeur a installé une nouvelle machine, et que lors de l’installation, un « rideau » de sécurité a également été posé. Je comprends que le rideau empêche les opérateurs de mettre leurs mains dans la machine pendant qu’elle fonctionne. Cependant, l’employeur a trouvé que le rideau nuisait au fonctionnement de la machine et a décidé de l’enlever jusqu’à ce que le fournisseur le remplace.

[23] L’appelant savait que le rideau était essentiel à la sécurité des opérateurs. C’est pourquoi, lorsque l’employeur lui a demandé d’enlever le rideau, l’appelant a rencontré son superviseur et l’agent de santé et de sécurité au travail pour discuter de ses préoccupations. Il leur a dit que le rideau était nécessaire à la sécurité et qu’il refusait de l’enlever. L’appelant m’a dit que l’employeur avait demandé à quelqu’un d’autre d’enlever le rideau de sécurité.

[24] Au cours des deux jours suivants, l’employeur a demandé à l’appelant d’enlever le rideau. L’appelant a refusé et a quitté son emploi. Il croyait qu’il serait tenu responsable de toute blessure résultant de l’utilisation dangereuse de l’équipement.

[25] L’appelant a également informé les autres employés de leur droit de refuser d’effectuer un travail dangereux. Il a dit à certains employés qu’ils devraient aussi démissionnerNote de bas de page 6.

[26] L’appelant n’a pas fait valoir que sa santé et sa sécurité personnelles étaient en danger. Je lui ai demandé de décrire le risque pour lui. Il a répondu qu’il y aurait un risque s’il utilisait la machine avant que le rideau approprié ne soit installé. Autrement, il risquait d’être responsable si des opérateurs se blessaient.

[27] L’appelant a dit qu’il était bouleversé par ce qu’il considérait comme une grave infraction à la sécurité. Il aurait probablement dû faire quelque chose. Or, il n’a pas pensé à contacter un organisme de réglementation avant octobre ou novembre.

[28] Voici les circonstances qui existaient lorsque l’appelant a quitté son emploi :

  • Ses fonctions ont changé au moment de son embauche. Rien ne prouve qu’elles avaient changé de manière significative au moment où il a démissionné.
  • Il n’était pas opérateur. Cependant, il estime qu’il aurait pu être amené à utiliser l’équipement pour le tester ou le nettoyer dans le futur. Il n’a pas dit quand cela se produirait ni même si cela se produirait.
  • Il a parlé à son superviseur et à l’agent de santé et sécurité au travail en même temps. Il n’a cependant aucune preuve de la discussion ni de son issue. Il dit avoir parlé à l’un d’entre eux une deuxième fois avant de partir. Il a déclaré que [traduction] « leurs opinions sont restées les mêmes ».
  • Il n’a contacté un organisme de réglementation que des mois après avoir démissionné. De plus, il a envoyé un rapport d’incident en milieu de travail le 15 octobre 2024Note de bas de page 7. Et il a tout récemment contacté la commission du travail.

[29] L’appelant a également soutenu que l’employeur avait enfreint le Code criminel canadien, la Loi sur la santé et la sécurité au travail et les lois provinciales du travail. Je lui ai expliqué que le Tribunal a été créé par voie législative et, à ce titre, n’a que les pouvoirs que lui confère la loi qui le régit. Par conséquent, mon pouvoir se limite à interpréter et à appliquer les dispositions telles qu’elles figurent dans la Loi sur l’assurance-emploi et ses règlements.

[30] S’il y a des éléments de preuve qui montrent que les actions d’un employeur étaient illégales, je peux examiner si cela a contribué à la décision de la partie prestataire de quitter un emploi. Cependant, je ne peux pas trancher les plaintes de l’appelant en vertu d’autres lois. L’appelant a présenté des photographies de la machine pour prouver qu’elle n’était pas sécuritaire. Je ne dispose d’aucun élément de preuve démontrant que les actions de l’employeur étaient illégales. L’appelant a déclaré qu’il pensait que l’employeur avait commis des gestes illégaux en enlevant le rideau de sécurité. J’ai tenu compte de la preuve de l’appelant et de sa conviction que les actions de l’employeur ont violé d’autres lois. Cependant, il devra faire valoir ses allégations selon lesquelles les actions de l’employeur étaient illégales auprès de l’organisme de réglementation compétent en vertu de ces lois.

L’appelant avait d’autres solutions raisonnables

[31] Je dois maintenant vérifier si le départ de l’appelant était la seule solution raisonnable dans son cas. L’appelant avait d’autres solutions raisonnables. Il n’a entrepris des démarches qu’après avoir démissionné.

[32] L’appelant affirme qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi parce qu’il a essayé de persuader son employeur de laisser l’équipement tel qu’il était installé. Comme il n’y est pas parvenu, il a estimé qu’il devait démissionner pour se protéger de toute responsabilité légale. Il ne voyait pas d’autre solution à l’époque.

[33] La Commission a soutenu que la préoccupation de l’appelant concernant la responsabilité légale ne démontrait pas que ses conditions de travail étaient dangereuses pour sa santé et sa sécurité. J’ai demandé à l’appelant d’expliquer ses préoccupations à la lumière des observations de la Commission. L’appelant a souligné qu’il n’était pas un opérateur, mais qu’il était responsable de leur sécurité. Pour lui, cela signifiait qu’il devait quitter son emploi pour éviter d’être tenu responsable.

[34] La Commission a également déclaré que l’appelant aurait pu communiquer avec les autorités réglementaires responsables de la sécurité au travail. Il est difficile d’accepter la position de l’appelant selon laquelle il n’a pensé à une autre solution que plusieurs mois après avoir démissionné. C’est d’autant plus difficile à comprendre, étant donné qu’il est agent de conformité en matière de sécurité. Il connaissait les règles de sécurité. Par conséquent, je m’attends à ce qu’il puisse obtenir des renseignements sur les règles et les processus de sécurité. Il a dit avoir informé les autres employés de leur droit de refuser d’effectuer un travail dangereux. Il a refusé d’enlever lui-même le rideau de sécurité. Cependant, il a dit que sa préoccupation principale était sa responsabilité potentielle. Selon son témoignage, il n’a envisagé de communiquer avec les autorités externes responsables de la sécurité que bien après avoir quitté son emploi.

[35] Je conclus que l’appelant a quitté volontairement son emploi. Lorsqu’il a quitté son emploi, il s’est efforcé de contacter son superviseur et l’agent de santé et sécurité au travail pour leur faire part de ses préoccupations. Il n’a fait des démarches pour signaler ce qu’il a décrit comme des infractions graves à la sécurité que deux mois ou plus après avoir quitté son emploi.

[36] L’appelant a mentionné qu’il y avait d’autres possibilités d’emplois pour lui. Cependant, il ne voulait pas rester au travail pendant qu’il cherchait un autre emploi. Il n’a pas expliqué pourquoi il estimait qu’il serait déraisonnable de chercher un autre emploi avant de démissionner. Il n’a pas envisagé de prendre un congé non plus au lieu de démissionner.

[37] L’appelant avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi quand il l’a fait. Comme il l’a dit à d’autres personnes, il aurait pu refuser de faire fonctionner la machine sans les dispositifs de sécurité. Il a également conseillé à d’autres personnes de refuser d’effectuer un travail dangereux. Il aurait pu faire part de ses plaintes à un organisme de réglementation ayant le pouvoir de répondre à ses préoccupations. Il aurait aussi pu explorer d’autres possibilités d’emploi ou demander un congé. Par conséquent, il n’a pas épuisé toutes les solutions raisonnables avant de démissionner.

[38] Compte tenu des circonstances qui existaient quand l’appelant a quitté son emploi, l’appelant avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi, pour les raisons mentionnées précédemment.

[39] Par conséquent, l’appelant n’était pas fondé à quitter son emploi.

Conclusion

[40] Je conclus que l’appelant est exclu du bénéfice des prestations.

[41] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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