[TRADUCTION]
Citation : TS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 1675
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi
Décision
Partie appelant : | T. S. |
Partie intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Décision portée en appel : | Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (643034) datée du 14 février 2024 (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | John Rattray |
Mode d’audience : | Téléconférence |
Date de l’audience : | Le 19 avril 2024 |
Personne présente à l’audience : | Appelant |
Date de la décision : | Le 1er mai 2024 |
Numéro de dossier : | GE-24-1078 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est accueilli.
[2] Je juge que l’appelant a fait sa demande de révision en retard. Je conclus également que la Commission de l’assurance-emploi du Canada a rendu sa décision de manière inéquitable lorsqu’elle a refusé de réviser sa décision initiale du 16 mars 2023.
[3] Par conséquent, la Commission doit réviser sa décision initiale.
Aperçu
[4] L’appelant a demandé des prestations d’assurance-emploi le 13 octobre 2020.
[5] Le 4 novembre 2022, une demande de clarification de renseignements sur l’emploi a été envoyée à l’appelantNote de bas de page 1.
[6] Le 16 mars 2023, la Commission a rendu une décision ajustant la rémunération de l’appelant en fonction des renseignements fournis par l’employeur, ce qui a entraîné un trop-payéNote de bas de page 2.
[7] Le 2 avril 2023, l’appelant a déposé des renseignements qui pourraient modifier la décisionNote de bas de page 3. L’appelant a communiqué avec la Commission à plusieurs reprisesNote de bas de page 4. Lors d’un appel téléphonique, il a posé des questions sur l’état d’avancement de sa demande de révision et, trois mois plus tard, la Commission a répondu en lui conseillant de présenter un formulaire officiel de demande de révisionNote de bas de page 5.
[8] Normalement, une personne doit demander à la Commission de réviser une décision dans les 30 jours suivant la réception de celle-ci. L’appelant lui a demandé officiellement de réviser ses décisions plus de 277 jours après leur réceptionNote de bas de page 6.
[9] La Commission a décidé de ne pas donner plus de temps à l’appelant pour lui demander de réviser sa décision. Elle a décidé que les raisons qu’il a données pour justifier son retard ne répondaient pas aux exigences de la loiNote de bas de page 7.
[10] L’appelant n’est pas d’accord parce qu’il soutient qu’on lui a dit qu’il n’avait pas besoin d’envoyer dans [sic] sa réponse à la demande de précisions. Il ajoute avoir répondu à la décision du 16 mars 2023, comme l’avait demandé la Commission, en envoyant des documents et des renseignements qui n’avaient pas été soumis auparavant.
Questions que je dois examiner en premier
[11] À l’audience, l’appelant a dit qu’il demanderait des relevés téléphoniques pour montrer quand il a communiqué avec la Commission. J’ai décidé d’accepter ces éléments de preuve après l’audience s’ils m’étaient soumis en temps opportun.
[12] L’appelant a soumis des renseignements supplémentaires comme on le lui avait demandé et je les accepte. J’ai donné à la Commission l’occasion de présenter des observations supplémentaires, mais elle ne l’a pas fait.
Questions en litige
[13] Je dois décider si la Commission doit accepter la demande de révision de l’appelant. Pour rendre cette décision, je dois examiner plusieurs questions.
[14] D’abord, je dois décider si la demande de révision de l’appelant était en retard.
[15] Ensuite, je dois décider si la Commission a rendu sa décision de façon équitable lorsqu’elle a refusé d’accepter sa demande de révision.
[16] Si je conclus que la Commission n’a pas rendu sa décision de façon équitable, je peux examiner tous les facteurs décrits par la loi. Cela me permettra de décider moi-même si la Commission doit accepter la demande de révision de l’appelant.
Analyse
[17] Lorsque la Commission rend une décision par rapport à une demande de prestations d’assurance-emploi, la personne a 30 jours pour lui demander de réviser sa décision. C’est ce qu’on appelle une demande de révisionNote de bas de page 8.
[18] Si la personne attend plus de 30 jours pour demander une révision, sa demande est en retard. La Commission doit décider si elle acceptera la demande tardive de révision.
[19] La Commission doit informer la personne de ce qu’elle décide au sujet de sa demande. Elle doit prouver que la personne a reçu cette informationNote de bas de page 9.
[20] La Commission peut décider de donner plus de temps à la personne pour lui demander de réviser sa décision. Lorsqu’elle examine une demande de révision tardive, la Commission doit poser deux questionsNote de bas de page 10 :
- Est-ce que la personne a une explication raisonnable pour son retard?
- A-t-elle démontré qu’elle a toujours eu l’intention de demander à la Commission de réviser sa décision?
[21] La Commission a le pouvoir discrétionnaire de donner plus de temps pour présenter une demandeNote de bas de page 11. Bien qu’elle ait ce pouvoir discrétionnaire, elle doit rendre sa décision équitablementNote de bas de page 12. La Commission doit examiner tous les renseignements lorsqu’elle rend une décision. Cela signifie qu’elle doit tenir compte de tous les renseignements pertinents sur les raisons du retard et ignorer les éléments qui ne sont pas pertinentsNote de bas de page 13.
[22] Je dois respecter la décision discrétionnaire de la Commission. Par conséquent, je ne peux pas modifier la décision de la Commission à moins que j’estime qu’elle n’a pas rendu sa décision de façon équitable. Si je pense que la Commission n’a pas rendu sa décision de façon équitable, je peux alors intervenir et rendre la décision de donner ou non plus de temps à la partie appelante pour lui demander de réviser sa décision.
La demande de révision de l’appelant était-elle en retard?
[23] Oui, la demande de révision de l’appelant était en retard.
[24] Je conclus que l’appelant a reçu la lettre de décision datée du 16 mars 2023 concernant le rajustement de la rémunération pour la période du 27 septembre 2020 au 4 avril 2021Note de bas de page 14. L’appelant a déclaré avoir reçu cette lettre de décision.
[25] Il a daté sa demande de révision du 12 janvier 2024. La Commission a reçu la demande de révision le 17 janvier 2024Note de bas de page 15. Je ne vois aucune preuve contredisant cela, alors j’accepte le fait qu’il a demandé à la Commission de réviser sa décision le 17 janvier 2024.
[26] Je conclus que la Commission a communiqué sa décision à l’appelant en mars 2023. L’appelant lui a demandé de réviser ses décisions le 17 janvier 2024. Il a envoyé sa demande de révision plus de 30 jours après avoir reçu les décisions. La demande de révision était en retard.
La Commission a-t-elle rendu sa décision équitablement?
[27] Non, la Commission n’a pas rendu sa décision équitablement.
[28] La Commission a écrit que les raisons du retard de l’appelant [traduction] « ne satisfont pas aux exigences du Règlement sur les demandes de révisionNote de bas de page 16 ».
[29] La Commission a décidé qu’il n’avait pas fourni d’explication raisonnable pour son retard. Son raisonnement et sa logique disent ce qui suitNote de bas de page 17 :
- Il a tardé à envoyer des renseignements à la Commission après avoir parlé à une agente ou un agent le 30 novembre 2022.
- Il n’a pas fourni de renseignements et l’affaire a été finalisée le 16 mars 2023.
- Ce n’est qu’après que l’affaire a été finalisée que l’appelant a répondu à la demande de précisions.
- La lettre de décision du 16 mars 2023 précise à l’appelant comment présenter une demande de révision s’il n’est pas d’accord.
[30] De plus, la Commission a décidé que l’appelant n’avait pas manifesté une intention constante pendant tout le retard. Elle affirme que rien ne prouvait qu’il avait eu l’intention continue de demander à la Commission de réviser la décision pour les raisons suivantesNote de bas de page 18 :
- On lui a conseillé d’envoyer une demande de révision dans la lettre de décision du 16 mars 2023, mais il ne l’a pas fait.
- Il a répondu à la demande de précisions après que la décision a été rendue.
- Il a déjà dit à l’enquêteur des Services d’intégrité qu’il transmettrait des renseignements, mais il a attendu jusqu’en avril 2023.
- Il n’a pas communiqué avec la Commission après avoir soumis les renseignements jusqu’à ce qu’il lui téléphone le 11 octobre 2023.
- L’appelant n’a pas communiqué avec elle entre le 11 octobre 2023 et la date du rappel du 9 janvier 2024.
- Il n’a pas donné suite au rappel.
- Il ne voulait pas donner son numéro d’assurance sociale au téléphone à l’agente ou l’agent.
- Après avoir parlé à la Commission le 9 janvier 2024, il n’a [traduction] « toujours » pas présenté de demande de révision et a de nouveau communiqué avec la Commission le 15 janvier 2024.
- Il a confirmé qu’il n’avait [traduction] « jamais » présenté de demande de révision et qu’on lui avait dit de le faire de nouveau.
- Il n’a pas été empêché de présenter une demande de révision dans un délai raisonnable.
[31] Je conclus que le dossier de décision de la Commission montre qu’elle a ignoré des facteurs pertinents et qu’elle a tenu compte de facteurs non pertinents lorsqu’elle a rendu sa décisionNote de bas de page 19.
Explication raisonnable du retard
[32] La Commission n’a pas tenu compte du fait que l’appelant a fait exactement ce que la lettre de décision du 16 mars 2023 lui a demandé de faire. Dès qu’il a reçu la décision, l’appelant a suivi les instructions qui disaient que s’il avait des documents ou des renseignements qui n’avaient pas encore été soumis et qui pourraient avoir une incidence sur les décisions, il devait les envoyer immédiatement à l’adresse qui figurait dans l’en-têteNote de bas de page 20. Sa réponse est datée du 2 avril 2023Note de bas de page 21.
[33] La Commission a mal compris l’instruction dans la lettre de décision, qui disait que si la personne n’était pas d’accord, elle devait présenter une demande officielle de révision. Je tire cette conclusion parce que sa lettre de décision demandait à l’appelant de présenter une demande de révision s’il avait [traduction] « déjà présenté tous les renseignements pertinentsNote de bas de page 22 », mais il ne l’avait pas fait.
[34] La Commission a tenu compte à tort du retard de l’appelant à répondre à la demande de précisions. Son retard à répondre à la demande de précisions de novembre 2022 n’est pas pertinent pour savoir s’il a une explication raisonnable justifiant son retard à présenter une demande de révision de la décision du 16 mars 2023.
Intention continue
[35] La Commission a ignoré les instructions écrites figurant dans la lettre de décision qu’elle a envoyée à l’appelant. Comme je l’ai mentionné plus haut, l’appelant a reçu l’instruction de fournir des renseignements supplémentaires s’il ne l’avait pas déjà fait, ce qu’il a fait. On ne lui a pas dit de présenter aussi une demande de révision.
[36] La Commission a ignoré qu’elle n’avait pas répondu aux renseignements fournis par l’appelant et qu’elle ne l’avait pas avisé qu’elle ne les examinerait pas ni son dossier sans avoir reçu une demande officielle de révision.
[37] La Commission a conclu à tort que l’appelant avait seulement communiqué avec elle le 11 octobre 2023Note de bas de page 23.
[38] La Commission n’a pas tenu compte de l’explication que l’appelant lui a donnée pour ne pas l’avoir appelée continuellement. Il a affirmé qu’on lui avait dit que la Commission manquait de personnel et que cela avait entraîné des retards dans le traitement des dossiers. Elle n’a pas tenu compte de l’expérience de l’appelant selon laquelle elle avait mis plus d’un an pour répondre à une question semblableNote de bas de page 24.
[39] La Commission a ignoré qu’en octobre 2023, l’appelant a compris qu’il attendait la décision de la Commission concernant son dossier. Le personnel de la Commission a dit que l’appelant voulait une mise à jour sur l’état de sa [traduction] « demande de révision » et qu’un suivi était requis [de la part de la CommissionNote de bas de page 25].
[40] La Commission a tenu compte de la réticence de l’appelant à fournir son numéro d’assurance sociale par téléphone. Ce facteur n’est pas pertinent.
[41] La Commission a considéré à tort que les trois jours que l’appelant a pris pour préparer une demande officielle de révision après avoir été avisée de le faire le 9 janvier 2024 démontraient l’absence d’une intention continue. Elle a décrit l’appelant comme n’ayant « toujours » pas présenté de demande de révisionNote de bas de page 26.
[42] La Commission a considéré un facteur non pertinent et a mal interprété le critère relatif à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire comme étant la question de savoir si l’appelant a « démontré qu’il n’a pas été en mesure de présenter une demande de révision dans un délai raisonnableNote de bas de page 27 ». Le critère est de savoir si l’appelant a une explication raisonnable pour le retard et s’il a manifesté une intention continueNote de bas de page 28.
[43] La Commission n’a pas examiné si la présentation en temps opportun de renseignements pertinents supplémentaires portant le titre « Avis d’appel » démontrait une intention continueNote de bas de page 29.
[44] Selon la preuve de la Commission et le témoignage de l’appelant, je conclus que la Commission a agi de façon injuste. Cela signifie que j’ai le pouvoir de réévaluer les faits et de tirer mes propres conclusions.
L’appelant devrait avoir plus de temps pour demander une révision
[45] Je juge que l’appelant a témoigné de façon crédible et cohérente à l’audience. Son explication de la raison de son retard concordait avec la preuve. Il a déclaré ce qui suit :
- Il a fait l’objet de vérifications à plusieurs reprises en raison d’une différence entre le calcul de la rémunération hebdomadaire de son employeur, qui va du jeudi au jeudi, et celui de la Commission, qui va du dimanche au samedi.
- Il a fourni les précisions demandées à plusieurs reprises et la question a toujours été résolue en sa faveur.
- Il sait comment présenter une demande de révision et aurait facilement pu la fournir.
- Il n’a pas envoyé la demande de révision parce qu’on lui a dit que cela n’était pas nécessaire vu qu’il avait déjà fourni assezde renseignements sur les différences dans le calcul de la rémunération.
- Il a été surpris de recevoir la décision datée du 16 mars 2023 parce qu’il croyait que la question avait été réglée.
- Dès qu’il a reçu la décision, il a envoyé les renseignements pertinents supplémentaires demandés avec le titre « Avis d’appel »Note de bas de page 30.
- Il a compris qu’il faudrait du temps à la Commission pour traiter son dossier et les renseignements supplémentaires qu’il a fournis parce que les agentes et agents lui ont dit que la Commission manquait de personnel.
- Il a constaté des retards importants de la part de la Commission dans le traitement des renseignements qui lui sont soumis.
- En juin 2023, plus d’un an après avoir fourni des renseignements pour une vérification semblable concernant sa rémunération pour la période du 10 novembre 2019 au 7 décembre 2019, la Commission a déclaré que sa demande était en règle.
[46] Je juge que l’explication de l’appelant concernant le retard à présenter sa demande de révision est raisonnable et qu’il a démontré qu’il avait l’intention continue de demander une révision. En effet, l’appelant a suivi les instructions données par la Commission. Elle lui a demandé de lui fournir des renseignements pertinents supplémentaires s’il ne l’avait pas déjà fait. Il a clairement indiqué son intention que ces renseignements soient utilisés pour modifier la décision du 16 mars 2023, en les soumettant avec le titre « Avis d’appel ».
[47] Même s’il était habitué à des retards importants dans la capacité de la Commission à traiter l’information, il a fait des suivis auprès de la Commission à plusieurs reprises. Le 11 octobre 2023, il a clairement dit à la Commission qu’il croyait qu’elle révisait sa décision antérieure étant donné qu’il lui avait fourni les renseignements pertinents supplémentaires demandés. Il a raisonnablement attendu que la Commission lui réponde.
[48] J’accepte la preuve de l’appelant selon laquelle il aurait présenté le formulaire officiel de demande de révision, mais qu’on lui avait dit que cela n’était pas nécessaire compte tenu des explications préalables sur la même question et des instructions écrites de la Commission.
Conclusion
[49] Je considère que la Commission a rendu sa décision de façon inéquitable lorsqu’elle a refusé de donner plus de temps à l’appelant pour lui demander de réviser sa décision. Cela signifie que je peux tirer ma propre conclusion sur la question de savoir s’il faut accorder à l’appelant plus de temps pour demander une révision.
[50] Je conclus que l’appelant a fourni une explication raisonnable pour avoir demandé un délai plus long pour présenter une demande de révision et qu’il a démontré une intention constante de demander une révision.
[51] L’appel est accueilli.