[TRADUCTION]
Citation : CC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 1682
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi
Décision
Partie appelante : | C. C. |
Partie intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Décision portée en appel : | Décision de révision (650534) rendue le 9 mars 2024 par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | Raelene R. Thomas |
Mode d’audience : | Téléconférence |
Date de l’audience : | Le 7 mai 2024 |
Personne présente à l’audience : | Appelante |
Date de la décision : | Le 3 juin 2024 |
Numéro de dossier : | GE-24-1304 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est accueilli. Je suis d’accord avec l’appelanteNote de bas de page 1.
[2] Les commissions versées à l’appelante constituent une rémunération qu’il faut répartir. Cet argent provient des services qu’elle a fournis, soit la vente de marchandises à la clientèle. Il faut donc l’attribuer à la semaine où la vente des marchandises a eu lieu.
[3] Par conséquent, les commissions de l’appelante ne seront pas déduites de ses prestations d’assurance-emploi.
Aperçu
[4] L’appelante travaillait pour une chaîne nationale de magasins de vente au détail. Une partie de sa rémunération provenait de commissions versées à la livraison des marchandises qu’elle avait vendues à la clientèle.
[5] L’appelante a cessé de travailler le 12 octobre 2023. Son employeur lui a versé ses commissions pour les ventes réalisées avant son départ alors qu’elle recevait déjà des prestations de maternité et des prestations parentales de l’assurance-emploi.
[6] Selon la Commission, l’argent ainsi versé par l’employeur est une rémunération qu’il faut répartir sur la période de prestations de l’appelante (c’est-à-dire déduire de ses prestations d’assurance-emploi).
[7] L’appelante n’est pas d’accord. Elle soutient qu’elle a fait toutes les ventes dont résultent ses commissions pendant qu’elle travaillait. La seule raison pour laquelle les commissions sont versées plus tard, c’est que son employeur choisit de ne pas garder des stocks suffisants et que le calendrier de livraison est irrégulier. Même si la clientèle paie le coût total des marchandises au moment de la vente, la politique de l’employeur prévoit le versement des commissions seulement à la livraison des marchandises.
Question examinée en premier
[8] La Commission a rendu sa décision initiale le 19 janvier 2024. Elle mentionnait une somme de 1 106,33 $ versée comme commissions à l’appelante du 3 novembre 2023 au 1er décembre 2023. L’appelante a demandé la révision de cette décisionNote de bas de page 2. Le 9 mars 2024, la Commission a maintenu sa décision initiale au sujet de la rémunération de 1 106,33 $.
[9] Le dossier d’appel montre que l’appelante a aussi reçu d’autres commissions : un total de 282,08 $ versés du 15 décembre 2023 au 9 février 2024Note de bas de page 3. Le dossier d’appel ne contient aucune décision de la Commission à propos de cette somme additionnelle. Il ne contient pas non plus de demande de révision ni de décision de révision au sujet de la répartition de cette somme.
[10] J’ai expliqué à l’appelante que ma compétence, c’est-à-dire ma capacité de trancher un appel, prend forme seulement quand la Commission rend une décision de révision et que l’appelante choisit de la porter en appelNote de bas de page 4. Ma compétence se limite à l’examen des décisions de révision que la Commission a réellement rendues.
[11] Dans la présente affaire, la Commission a seulement révisé sa décision sur la répartition des 1 106,33 $ que l’appelante a reçus comme commissions du 3 novembre 2023 au 1er décembre 2023. C’est donc la seule question que je vais trancher.
[12] Je tiens à rappeler à la Commission qu’elle doit communiquer à l’appelante une décision initiale qui explique la répartition des autres commissions, soit la somme de 282,08 $ qu’elle a reçue du 15 décembre 2023 au 9 février 2024. L’avis de dette n’est pas la façon appropriée de communiquer sa décision sur la répartition.
[13] La présente décision n’empêche en rien l’appelante de demander la révision de la décision de la Commission sur les autres commissions. Si elle le souhaite, elle pourra aussi faire appel de l’éventuelle décision de révision au Tribunal.
Question en litige
[14] Voici les questions que je dois trancher :
- a) L’argent que l’appelante a reçu est-il une rémunération?
- b) Si oui, la Commission a-t-elle réparti la rémunération correctement?
Analyse
Les commissions de l’appelante sont-elles une rémunération?
[15] Oui, les commissions versées à l’appelante constituent une rémunération. Voici pourquoi je tire cette conclusion.
[16] Selon la loi, la rémunération est le revenu intégral (c’est-à-dire entier) que l’on reçoit pour tout emploiNote de bas de page 5. La loi définit les termes « revenu » et « emploi ».
[17] Le revenu est tout ce qu’on a reçu ou recevra d’un employeur ou d’une autre personne. C’est souvent une somme d’argent, mais pas toujoursNote de bas de page 6.
[18] Un emploi est tout travail qu’on a fait ou fera dans le cadre d’un contrat de travail ou de servicesNote de bas de page 7.
[19] Durant son témoignage, l’appelante a dit qu’elle reçoit des commissions sur les marchandises qu’elle vend. La clientèle paie l’article au moment de la vente. Si une personne achète un article qu’elle peut emporter avec elle après la vente, l’appelante touchera la commission sur-le-champ. Si l’article est trop gros pour que la personne l’emporte en quittant le magasin, il sera livré peu de temps après la vente. Le délai dépend du calendrier de livraison et de l’espace qu’il reste dans le camion. Si l’article n’est pas en stock, la livraison aura lieu dès qu’il sera disponible. Dans les deux cas, la personne peut demander un remboursement avant la livraison, mais elle ne peut pas suspendre la livraison. L’appelante touche sa commission seulement après la livraison de l’article.
[20] Je conclus que les 1 106,33 $ que l’appelante a reçus comme commissions du 3 novembre 2023 au 1er décembre 2023 constituent une rémunération. Elle a reçu cet argent parce qu’elle a vendu des marchandises pour son employeur. L’argent provenait donc de son emploi. Ainsi, ses commissions constituent une rémunération au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.
La Commission a-t-elle réparti la rémunération correctement?
[21] Non, la Commission n’a pas réparti la rémunération comme il se doit. Voici pourquoi je tire cette conclusion.
[22] La Commission a écrit à l’appelante le 19 janvier 2024 pour l’informer qu’elle répartissait sur la période de prestations d’assurance-emploi les commissions que l’appelante avait reçues du 22 octobre 2023 au 25 novembre 2023.
[23] Le dossier d’appel montre que l’appelante a reçu les sommes suivantes :
Date du versement | Montant | Début de la semaine de prestationsNote de bas de page 8 |
---|---|---|
3 novembre 2023 | 677,66 $ | 29 octobre 2023 |
17 novembre 2023 | 228,39 $ | 12 novembre 2023 |
1er décembre 2023 | 677,66 $ | 26 novembre 2023 |
[24] Selon la Commission, dans le cas de l’appelante, son droit à la rémunération sous forme de commissions résulte de la conclusion d’une opération, soit la vente des marchandises. Elle affirme que le contrat de travail de l’appelante considère que l’opération est conclue quand les marchandises sont livrées à la clientèle. La Commission affirme que le droit de l’appelante à la rémunération sous forme de commissions ne s’applique pas avant la livraison des marchandises. Elle dit qu’il faut donc répartir les commissions aux termes de l’article 36(6.2) du Règlement sur l’assurance-emploi.
[25] Durant son témoignage, l’appelante a expliqué que sa rémunération repose entièrement sur ses commissions. Le personnel touche un salaire pour chaque heure travaillée. Si les commissions d’une personne n’atteignent pas la somme reçue comme salaire horaire, elle reçoit quand même le salaire, mais elle conserve un solde négatif pour la période de paie de deux semaines. Le solde négatif se résorbe quand, durant une période de paie future, ses commissions dépassent le salaire horaire qu’elle a touché pour ces deux semaines. Les commissions à verser pour toute période de paie future seront réduites pour compenser le solde négatif accumulé lors des périodes de paie précédentes.
[26] Selon l’appelante, il faut répartir les commissions sur la période où elle a fait le travail qui a généré les commissions, et non pas sur la période où les commissions sont versées. À son avis, elle fait le travail à l’origine de ses commissions quand elle vend des marchandises. De plus, selon elle, c’est sur cette période-là qu’il faut répartir la rémunération. Durant son témoignage, l’appelante a dit qu’elle reçoit ses commissions seulement quand les marchandises quittent le magasin au moment de la vente ou quand elles sont livrées à la clientèle. Elle souligne qu’elle n’a aucun contrôle sur les délais de livraison des marchandises.
[27] Le Règlement sur l’assurance-emploi contient quatre dispositions portant sur la répartition des commissions.
[28] L’article 36(6) prévoit que la rémunération qui provient de commissions ou de la participation des prestataires aux bénéfices est répartie sur les semaines où les services qui y ont donné lieu ont été fournis.
[29] L’article 36(6.1) prévoit deux autres façons de traiter la rémunération qui provient des commissions ou de la participation aux bénéfices et qui résulte d’une opération.
[30] Si la rémunération dépasse le maximum de la rémunération hebdomadaire assurable, elle est répartie sur les semaines pendant lesquelles le travail qui a donné lieu à l’opération a été accompli ou, à défaut d’un tel travail, elle est attribuée à la semaine où l’opération a eu lieuNote de bas de page 9.
[31] Si la rémunération ne dépasse pas le maximum de la rémunération hebdomadaire assurable, elle est attribuée à la semaine où l’opération a eu lieu, mais si les prestataires peuvent démontrer que le travail qui a donné lieu à l’opération s’est déroulé sur plus d’une semaine, la rémunération est alors répartie sur les semaines où elle a été gagnéeNote de bas de page 10.
[32] Enfin, aux termes de l’article 36(6.2), la rémunération qui provient de commissions ou d’une participation aux bénéfices et qui n’est pas tirée de services fournis par les prestataires ou ne résulte pas d’une opération est répartie de manière égale sur toute semaine comprise dans la période pour laquelle la rémunération a été gagnée.
[33] La Commission affirme avoir choisi l’article 36(6.2) pour déterminer la répartition parce que l’opération était considérée comme conclue à la livraison des marchandises.
[34] Je ne pense pas que la répartition des commissions de l’appelante puisse se faire au titre de l’article 36(6.2). Je vois deux raisons. Premièrement, cet article de loi s’applique à la rémunération qui provient de commissions et qui n’est pas tirée des services fournis ou qui ne résulte pas d’une opération. Deuxièmement, à mon avis, l’« opération » mentionnée dans la loi est celle qui survient entre l’appelante et son employeur, et non entre l’employeur et sa clientèle.
[35] De plus, la Commission fonde sa méthode de répartition sur le moment où le droit de l’appelante à la rémunération sous forme de commissions devient applicable. Elle ajoute que l’application résulte uniquement de la livraison des marchandises à la clientèle. Je remarque que le droit à une rémunération n’est pas un élément à considérer pour savoir sur quelles semaines il faut répartir la rémunération. La loi cherche à savoir si la rémunération provient de la prestation de services ou d’une opération pour déterminer la semaine à laquelle il faut attribuer cette rémunération.
[36] La loi distingue clairement les sources de rémunération. La rémunération peut être tirée de la prestation de services ou elle peut résulter d’une opération. Elle ne peut pas provenir des deux.
[37] Je ne suis pas obligée de suivre les décisions du juge-arbitre du Canada sur les prestations (désignées par l’acronyme anglais CUB), mais je peux tout de même trouver le raisonnement adopté dans une telle décision convainquant si les circonstances sont semblables ou comparables à celles de l’affaire que je dois trancherNote de bas de page 11.
[38] La question du versement des commissions longtemps après la prestation de travail a été examinée dans la décision CUB 23067. Dans cet appel, la prestataire vendait de la publicité pour une revue. Elle recevait un salaire régulier et des commissions. Elle touchait ses commissions de façon irrégulière. Le 4 mars 1990, elle a commencé à recevoir des prestations d’assurance-emploi. Sa demande de prestations reposait sur un relevé d’emploi qui indiquait seulement son salaire régulier. Par la suite, l’employeur a produit un relevé d’emploi modifié pour déclarer deux versements de commissions. En février 1990, la prestataire a reçu une commission sur la publicité qu’elle a vendue en novembre et en décembre 1989 dans le numéro de janvier-février 1990 de la revue. En mars 1990, elle a reçu une commission pour les ventes qu’elle a réalisées en janvier et en février 1990 dans le numéro de mars-avril 1990.
[39] La question en litige devant le conseil arbitral était sur quelle année fallait-il répartir la rémunération provenant des commissions de la prestataire. Selon l’année où l’argent serait réparti, la rémunération assurable de la prestataire augmenterait tout comme la somme de prestations d’assurance-emploi qu’elle pourrait recevoir chaque semaine. La Commission avait décidé de répartir les commissions sur l’année de leur versement, c’est-à-dire seulement en 1990. Le conseil arbitral a plutôt décidé qu’il fallait attribuer les commissions à l’année au cours de laquelle les services ont été fournis, c’est-à-dire en 1989 et en 1990. La Commission a porté cette décision en appel devant le juge-arbitre.
[40] Le juge-arbitre a conclu qu’il fallait répartir les commissions de la prestataire sur l’année au cours de laquelle elle a fait le travail nécessaire pour gagner cet argent. Pour en arriver à cette conclusion, le juge-arbitre a invoqué l’article 58(6) du Règlement relatif à l’assurance-emploi, qui prévoyait que la « rémunération est […] d’un prestataire dont la rémunération est […] une commission, doit être répartie sur la semaine pendant laquelle sont fournis les services y ayant donné lieu […] ». Le juge-arbitre a conclu que même si la prestataire avait reçu les commissions seulement en février 1990, elle y avait droit en 1989 parce qu’elle avait effectué le travail dont découlaient ces commissions en novembre et en décembre 1989Note de bas de page 12. C’était la même chose pour les commissions tirées du travail effectué en janvier et en février 1990. Elles ont été versées en mars 1990 et ont donc été réparties sur l’année 1990.
[41] Je souligne que la situation de l’appelante est différente de celle d’une agente ou d’un agent immobilier, qui doit attendre la conclusion de la vente pour recevoir sa commission. Souvent, l’offre d’achat d’une maison, la prise de possession par la personne qui l’achète et le transfert de l’argent ont lieu à des moments différents. L’agente ou l’agent immobilier peut fournir certains services le jour où la personne qui achète la maison en prend possession. Mais la vente se conclut seulement au moment de la prise de possession par la personne qui achète la maison et du versement de l’argent à la personne qui la vend. C’est à ce moment-là que les fonds sont disponibles pour payer la commission de l’agente ou de l’agent. En revanche, dans le cas de l’appelante, les marchandises sont payées au moment de la vente et, dès ce moment-là, l’argent est disponible pour lui verser sa commission. De plus, l’appelante ne fournit aucun service le jour de la livraison des marchandises à la clientèle.
[42] Je crois que la situation de l’appelante ressemble à celle de la prestataire dans la décision CUB 23067. Je m’appuie donc sur cette décision pour tirer mes conclusions. Dans l’affaire CUB tout comme dans le présent appel, c’est l’employeur qui décide quand la commission est versée. Dans l’affaire CUB tout comme dans le présent appel, les commissions sont tirées des ventes réalisées et ces ventes ont lieu bien avant le versement des commissions.
[43] À mon avis, il faut attribuer les commissions de l’appelante à la semaine au cours de laquelle l’appelante a vendu la marchandise à la clientèle. Elle a gagné les commissions à la suite des services qu’elle a fournis au moment de la vente. La vente se conclut dans le magasin. L’argent de la commission est payé par la clientèle au moment de la vente. Et cette vente résulte du travail de l’appelante.
[44] La commission devient payable à l’appelante au moment de la vente. Dans les faits, elle est conservée en dépôt par l’employeur jusqu’à la livraison. L’employeur garde la commission parce que la personne qui achète la marchandise a le droit d’annuler la vente à tout moment avant la livraison. L’employeur fonctionne de cette façon. Je ne suis cependant pas obligée de respecter les pratiques de l’employeur. Il pourrait tout aussi bien verser la commission à l’appelante la semaine où survient la vente, puis récupérer la commission en cas d’annulation de la livraison, ce qui annulerait aussi la vente des marchandises. La conservation de la commission en attendant la livraison des marchandises ne veut pas dire qu’une opération s’effectue quand l’argent de la commission est finalement versé à l’appelante. C’est la raison du versement, et non le moment où il s’effectue, qui permet de trancher la question qui m’est soumise.
[45] Après avoir décidé que les commissions de l’appelante constituent une rémunération provenant de la prestation de services, je conclus qu’il faut attribuer l’argent à la semaine où ces services ont été fournisNote de bas de page 13. Dans le cas de l’appelante, c’est la semaine où elle a fait la vente et où la clientèle a payé les marchandises.
[46] Par conséquent, il ne faut pas déduire les commissions de l’appelante de ses prestations d’assurance-emploi.
Autres questions
[47] Comme dans la décision CUB 23067, ma décision aura pour probable conséquence d’augmenter la rémunération assurable de l’appelante. La question de savoir si une telle augmentation modifiera la somme des prestations d’assurance-emploi versée chaque semaine à l’appelante n’est pas de mon ressort. Une fois que la Commission aura reçu ma décision, je l’invite à trancher cette question le plus rapidement possible, puis à notifier l’appelante de sa décision.
Conclusion
[48] Les commissions que l’appelante a reçues constituent une rémunération qu’il faut répartir. Les commissions sont tirées des services fournis par l’appelante. Il faut donc attribuer cet argent à la semaine où elle a vendu les marchandises à la clientèle. En conséquence, l’appelante n’a pas à rembourser de prestations d’assurance-emploi.
[49] L’appel est accueilli.