[TRADUCTION]
Citation : ZM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 1678
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi
Décision
Partie appelante : | Z. M. |
Représentant : | L. A. |
Partie intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Décision portée en appel : | Décision de révision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (665095) datée du 17 mai, 2024 (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | Elyse Rosen |
Mode d’audience : | Vidéoconférence |
Date de l’audience : | Le 4 juillet 2024 |
Personne présente à l’audience : | Appelante Représentant de l’appelante |
Date de la décision : | Le 5 juillet 2024 |
Numéro de dossier : | GE-24-2007 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est accueilli.
[2] L’appelante n’est pas une travailleuse indépendante. Elle n’exploite pas une entreprise et n’exerce pas un emploi dans lequel elle détermine elle-même ses heures de travail. On ne peut donc pas présumer qu’elle effectue des semaines entières de travail.
[3] De plus, même si j’avais conclu qu’elle est une travailleuse indépendante, j’aurais aussi conclu qu’elle exerce un emploi indépendant dans une mesure limitée.
[4] On ne peut donc pas refuser à l’appelante des prestations d’assurance-emploi au motif qu’elle n’est pas en chômage.
Aperçu
[5] L’appelante travaillait à contrat pour X. Son contrat a pris fin et elle a demandé des prestations d’assurance-emploi.
[6] En 2016, bien avant de demander des prestations d’assurance-emploi, l’appelante a fondé un organisme de bienfaisance.
[7] La Commission de l’assurance-emploi du Canada affirme qu’elle ne peut pas verser de prestations d’assurance-emploi à l’appelante à compter du 27 mars 2023. Elle dit que l’organisme de bienfaisance qu’elle dirige est une entreprise. La Commission ajoute que puisqu’elle exploite une entreprise, on peut présumer qu’elle effectue des semaines entières de travail et on ne peut pas la considérer comme étant en chômage.
[8] L’appelante affirme qu’elle est en chômage depuis la fin de son contrat à X malgré ses efforts pour se trouver un autre emploi. Elle dit qu’elle n’est pas payée pour le travail qu’elle effectue pour l’organisme de bienfaisance. Elle y travaille depuis 2016 tout en occupant simultanément d’autres emplois.
Questions en litige
[9] L’appelante est-elle une travailleuse indépendante?
[10] Si oui, exerce-elle son emploi indépendant dans une mesure limitée?
Analyse
L’appelante est-elle une travailleuse indépendante?
[11] Je conclus que l’appelante n’est pas une travailleuse indépendante et qu’on ne peut pas présumer qu’elle effectue des semaines entières de travail.
[12] La loi dit qu’une personne ne peut recevoir des prestations d’assurance-emploi que pendant les semaines où elle est en chômageNote de bas page 1. Une semaine de chômage est une semaine pendant laquelle une personne n’effectue pas une semaine entière de travailNote de bas page 2.
[13] On peut présumer qu’une personne qui exerce un emploi indépendant effectue des semaines entières de travail. La personne peut cependant réfuter cette présomption en prouvant que cet emploi indépendant n’est pas son principal moyen de subsistanceNote de bas page 3. Si elle peut le prouver, on considère qu’elle exerce un emploi indépendant dans une mesure limitée et on ne peut pas présumer qu’elle effectue des semaines entières de travail.
[14] La Commission a estimé que l’organisme de bienfaisance que l’appelante a fondé est une entreprise, que cela signifiait qu’elle est une travailleuse indépendante et qu’on pouvait présumer qu’elle effectue des semaines entières de travail. Je ne suis pas d’accord.
[15] Selon la loi, une personne exerce un emploi indépendant si elle exploite une entrepriseNote de bas page 4.
[16] La loi ne définit pas ce que signifie exploiter une entreprise, mais le terme « entreprise » est généralement compris comme désignant l’activité qui consiste en l’achat et en la vente de produits ou de services à des fins commerciales ou mercantilesNote de bas page 5.
[17] Je ne vois pas en quoi l’organisme de bienfaisance que l’appelante a fondé pourrait être considéré comme une entreprise. Il s’agit d’un organisme sans but lucratif et sans capital-actionsNote de bas page 6. Il a fonctionné à perte au cours de ses deux derniers exercices financiersNote de bas page 7. Il n’exerce aucune activité commerciale. Ses activités se limitent à lutter contre la pauvreté et à promouvoir l’éducation et la santéNote de bas page 8. L’appelante a déclaré qu’elle ne perçoit pas de salaire de l’organisme de bienfaisance. Son témoignage est corroboré par les états financiers de l’organisme, qui montrent qu’il ne verse qu’aucun salaire ni traitement et ne prélève aucuns frais de gestionNote de bas page 9.
[18] Par conséquent, je conclus que l’appelante n’exploite pas une entreprise.
[19] Une personne exerce aussi un emploi indépendant si elle détermine dans un emploi elle-même ses heures de travailNote de bas page 10.
[20] Ce n’est pas la situation de l’appelante. Elle n’est pas employée par l’organisme de bienfaisance. Elle lui fournit des services en tant que bénévole. De plus, la jurisprudence confirme qu’une personne qui fournit des services à titre bénévole, sans espérer de rémunération ou d’autre avantage, n’est pas considérée comme une employée ou une travailleuse indépendanteNote de bas page 11.
[21] L’appelante a déclaré que rien ne lui ferait plus plaisir que l’organisme de bienfaisance amasse suffisamment d’argent pour pouvoir l’employer et la rémunérer pour ses services. Cependant, elle affirme que ce n’est pas la raison pour laquelle elle y fait du bénévolat et qu’il est très peu probable que cela puisse ne jamais arriver.
[22] Je crois l’appelante lorsqu’elle dit qu’elle ne fait pas de bénévolat pour l’organisme de bienfaisance dans l’espoir de recevoir quelque chose en retour. Son témoignage me convainc qu’elle fait ce travail par bonté de cœur. J’estime qu’elle consacre du temps à l’organisme sans s’attendre à être rémunérée ou à en titrer un quelconque avantage.
[23] Comme l’appelante n’exploite pas une entreprise, qu’elle n’est pas employée par l’organisme de bienfaisance et qu’elle ne s’attend pas à tirer un quelconque avantage de son bénévolat pour celui-ci, elle n’est pas considérée comme une travailleuse indépendante au sens de la loi.
[24] Je note que l’appelante a déclaré qu’elle était travailleuse indépendante lorsqu’elle a rempli sa demande de prestationsNote de bas page 12. Cependant, la question de savoir si elle est une travailleuse indépendante dépend de la loi. Il est clair que l’appelante ne la connaissait pas lorsqu’elle a déclaré être une travailleuse indépendante. Sa déclaration n’a aucun poids. La preuve est claire. Elle ne répond pas à la définition d’une travailleuse indépendante prévue par la loi.
[25] Comme l’appelante n’est pas une travailleuse indépendante, on ne peut pas présumer qu’elle effectue des semaines entières de travail. Je conclus qu’elle est en chômage.
[26] Cependant, même si j’avais conclu que l’appelante est une travailleuse indépendante, j’aurais conclu qu’elle exerce un emploi indépendant dans une mesure limitée.
Le niveau d’engagement de l’appelante dans l’organisme de bienfaisance est limité
[27] On considère qu’une personne exerce un emploi ou exploite une entreprise dans une mesure limitée si elle ne devrait normalement pas compter sur cet emploi ou cette activité comme principal moyen de subsistance.
[28] La loi prévoit que les facteurs suivants doivent être pris en compte pour déterminer si une personne exerce un emploi indépendant dans une mesure limitéeNote de bas page 13 :
- 1) le temps qu’elle y consacre;
- 2) la nature et le montant du capital et des autres ressources investis;
- 3) la réussite ou l’échec financiers de l’emploi indépendant;
- 4) le maintien de l’emploi indépendant;
- 5) la nature de l’emploi indépendant;
- 6) l’intention et la volonté de la personne de chercher et d’accepter sans tarder un autre emploi assurable.
[29] Selon la jurisprudence, pour évaluer ces facteurs, il convient d’accorder le plus de poids au temps que la personne consacre à son emploi indépendant et à son intention de trouver un autre emploi assurableNote de bas page 14.
[30] Il incombe à la personne de réfuter la présomption selon laquelle elle effectue des semaines entières de travail dans le cadre de son emploi indépendant. Pour ce faire, elle doit démontrer, en se fondant sur les facteurs susmentionnés, qu’elle exerce son emploi indépendant dans une mesure limitéeNote de bas page 15. Il s’agit d’une question de fait qui doit être tranchée au cas par cas.
Temps consacré à l’emploi indépendant
[31] L’appelante a déclaré qu’au moment où elle a fondé l’organisme de bienfaisance, elle le dirigeait seule. Elle y consacrait entre 20 et 24 heures par semaine, en plus du temps qu’elle passait à son travailNote de bas page 16.
[32] L’appelante dit que depuis quelques années, d’autres bénévoles ont rejoint l’organisme de bienfaisance et participent à ses activités. En conséquence, le temps qu’elle y consacre a diminué à environ 15 à 18 heures par semaineNote de bas page 17.
[33] L’appelante soutient qu’elle n’aurait aucun problème à maintenir ce niveau d’engagement dans son organisme de bienfaisance tout en travaillant à temps pleinNote de bas page 18.
[34] L’appelante dit qu’elle a l’intention de consacrer 40 heures par semaine à un emploi dès qu’elle en trouvera un.
Capital et autres ressources investis
[35] L’appelante n’a rien investi d’autre que son temps dans l’organisme de bienfaisance. Les dépenses de l’organisme sont couvertes par des dons.
Réussite financière de l’emploi indépendant
[36] L’organisme de bienfaisance est sans but lucratif. Il fonctionne à perte.
Maintien de l’emploi indépendant
[37] L’organisme de bienfaisance est en activité depuis 2016.
[38] L’appelante affirme qu’elle a occupé un emploi à temps plein pendant la majeure partie des activités de l’organisme.
Nature de l’emploi indépendant
[39] La jurisprudence donne à entendre que lorsqu’une personne exerce un emploi salarié et un emploi indépendant dans le même domaine, cela peut indiquer que cet emploi salarié n’est qu’une étape en vue de son emploi indépendantNote de bas page 19.
[40] Ce principe ne s’applique pas dans la présente affaire. L’appelante a créé l’organisme de bienfaisance parce qu’elle a à cœur d’aider les pauvres. À l’époque, elle travaillait dans un autre domaine, comme aide-soignante.
[41] Son dernier emploi était chez X, où elle faisait de la saisie de données et un peu de counseling. Elle dit qu’il y a peu de chevauchement entre ce qu’elle faisait dans cet emploi et ce qu’elle fait pour l’organisme de bienfaisance.
Volonté de chercher et d’accepter un autre emploi assurable
[42] L’appelante insiste sur le fait qu’elle cherche activement un emploi, et ce, depuis avant la fin de son contrat avec X. Elle savait que son contrat allait prendre fin et a donc essayé de trouver un autre emploi avant. Malheureusement, elle n’y est pas parvenue et n’a toujours pas trouvé d’emploi malgré ses efforts.
[43] Je remarque que l’appelante a fourni un dossier de recherche d’emploi à la CommissionNote de bas page 20. Bien que ce dossier ne fasse pas partie de la preuve, je suppose que la Commission en était satisfaite parce qu’après l’avoir reçu, elle a approuvé la demande de l’appelanteNote de bas page 21.
[44] L’appelante affirme qu’elle veut trouver un emploi parce qu’elle en a besoin. Elle a été expulsée de son logement parce qu’elle ne pouvait pas payer son loyer. Elle a besoin de gagner sa vie et de payer ses factures. Elle dit qu’elle est prête à accepter n’importe quel travail. Elle affirme qu’elle a postulé à de nombreux emplois. Elle ajoute que bien qu’elle soit diplômée en développement de l’enfant et en résolution de conflits, elle serait prête à accepter des emplois peu qualifiés, comme celui de femme de ménage, et qu’elle a postulé à ce type emplois.
[45] Après avoir entendu son témoignage très sincère et crédible, je n’ai aucun doute que l’appelante souhaite trouver un emploi assurable et n’a pas l’intention de faire de l’organisme de bienfaisance son principal moyen de subsistanceNote de bas page 22.
Quelles conclusions peut-on donc tirer de ces facteurs?
[46] Comme je l’ai déjà conclu, l’organisme de bienfaisance que l’appelante a fondé n’est pas une entreprise et elle n’y est pas employée. Elle n’est donc pas une travailleuse indépendante. Cependant, si j’avais conclu le contraire, j’aurais conclu que son niveau d’engagement dans l’organisme est limité.
[47] Depuis que l’appelante a perdu son emploi à X, elle a consacré moins d’heures à l’organisme de bienfaisance, et non plus. Elle n’a pas investi dans l’organisme et n’en tire aucun revenu. Et elle a désespérément cherché un emploi assurable. Son travail pour l’organisme de bienfaisance n’est clairement pas son principal moyen de subsistance. Elle n’a clairement pas non plus l’intention qu’il le devienne, car il fonctionne à perte et n’a pas les ressources nécessaires pour lui verser un salaire.
[48] L’appelante a déclaré que son rêve serait de travailler à temps plein pour l’organisme de bienfaisance. Mais étant donné son incapacité à obtenir les fonds nécessaires pour que cela devienne réalité, elle reconnaît que c’est un rêve illusoire. Elle ne consacre pas son énergie à cela, mais plutôt à trouver l’emploi rémunéré dont elle a désespérément besoin.
[49] Pour toutes ces raisons, son niveau d’engagement dans l’organisme de bienfaisance est clairement limité.
Conclusion
[50] L’appel est accueilli.
[51] L’appelante n’est pas une travailleuse indépendante. On ne peut pas présumer qu’elle travaille des semaines entières.
[52] Par conséquent, on ne peut pas lui refuser des prestations d’assurance-emploi au motif qu’elle n’est pas en chômage.