[TRADUCTION]
Citation : TP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 1656
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi
Décision
Partie appelante : | T. P. |
Partie intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Décision portée en appel : | Décision de révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (671025) datée du 19 juillet 2024 (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | Elyse Rosen |
Mode d’audience : | Téléconférence |
Date de l’audience : | Le 11 septembre 2024 |
Personne présente à l’audience : | Appelante |
Date de la décision : | Le 12 septembre 2024 |
Numéro de dossier : | GE-24-2930 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est rejeté.
[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite (voir la définition ci-dessous).
[3] Par conséquent, l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.
Aperçu
[4] L’appelante travaillait comme gérante adjointe dans un magasin de détail.
[5] L’appelante avait l’habitude d’arriver en retard au travail. Le 15 février 2024, son employeur l’a avisée verbalement et par écrit que si elle continuait d’arriver en retard, elle risquait de perdre son emploi.
[6] L’appelante est arrivée en retard le 25 février 2024. Elle avait envoyé un texto à sa superviseure à minuit la nuit d’avant pour l’aviser qu’elle avait un rendez-vous chez l’esthéticienne le lendemain matin et qu’elle arriverait en retard au travail.
[7] Le lendemain matin, sa superviseure a répondu qu’on s’attendait à ce qu’elle arrive à temps au travail. L’appelante affirme avoir quitté l’esthéticienne dès qu’elle a reçu ce message et qu’elle avait seulement environ 30 minutes de retard.
[8] L’employeur l’a congédiée en raison de son retard. Ensuite, elle a demandé des prestations d’assurance-emploi.
[9] La Commission affirme qu’elle ne peut pas lui verser de prestations parce qu’elle a été congédiée en raison de son inconduite.
[10] L’appelante affirme que son employeur n’aurait pas dû la congédier. Elle affirme que les retards qui lui ont valu l’avertissement du 15 février échappaient à son contrôle et étaient d’ailleurs justifiés. Elle estime que son employeur n’aurait pas dû lui donner d’avertissement le 15 février.
[11] L’appelante affirme qu’elle croyait que son retard le 25 février 2024 serait toléré. Elle affirme que son employeur avait toléré de semblables retards par le passé.
[12] L’appelante soutient qu’elle était une excellente employée qui contribuait de façon importante au bon déroulement des opérations du magasin. Malgré les avertissements écrits et verbaux qu’elle avait reçus, elle ne pensait pas que son employeur la congédierait pour un simple retard.
[13] Elle soutient que la Commission n’a pas prouvé que sa conduite était délibérée ou qu’elle aurait dû savoir qu’il y avait une chance réelle qu’elle puisse être congédiée pour son retard.
Questions que je dois trancher en premier
Des documents supplémentaires ont été ajoutés au dossier
[14] À l’audience, l’appelante a indiqué qu’elle avait envoyé des documents au Tribunal la nuit précédente. Je n’avais toujours pas reçu ces documents.
[15] Le bureau du greffe a fait un suivi auprès de l’appelante et lui a demandé de renvoyer les documents. Ceux-ci font partie du document GD6 au dossier.
Une personne de soutien était présente à l’audience
[16] La mère de l’appelante était présente à l’audience. Elle a indiqué qu’elle participerait à l’audience à titre de personne de soutien.
[17] Elle n’a pas prêté serment comme témoin, car elle n’avait aucune connaissance directe des faits de cette affaire. Ses connaissances se limitaient à ce que l’appelante lui avait dit. Elle n’a donc pas été autorisée à témoigner. Cependant, j’ai accepté qu’elle incite l’appelante à inclure certains faits dans son témoignage.
Question en litige
[18] L’appelante a-t-elle été congédiée en raison de son inconduite?
Analyse
[19] Pour décider si l’appelante a été congédiée en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison l’appelante a été congédiée. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduiteNote de bas de page 2.
Pourquoi l’appelante a-t-elle été congédiée?
[20] Je conclus que l’appelante a perdu son emploi parce qu’elle est arrivée en retard au travail le 25 février 2024.
[21] C’est la raison de congédiement que l’employeur a donnée à la CommissionNote de bas de page 3.
[22] L’appelante ne conteste pas la raison de congédiement. Elle fait valoir que sa superviseure ne l’aimait pas et que d’autres superviseurs n’auraient pas géré l’incident de la même façon. Cependant, elle reconnaît avoir été congédiée parce qu’elle était en retard.
La raison de congédiement est-elle une inconduite au sens de la loi?
[23] Je conclus que le retard du 25 février 2024 constituait une inconduite au sens de la loi.
[24] Le terme inconduite, tel qu’il est utilisé dans la Loi sur l’assurance-emploi, n’a pas le même sens que quand on l’utilise dans la langue courante. Il n’est pas nécessaire d’avoir eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’on ait voulu faire quelque chose de mal) pour que le comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 4.
[25] Il y a une inconduite quand les prestataires savaient ou auraient dû savoir que leur conduite pouvait les empêcher de remplir leurs obligations envers leur employeuse ou leur employeur et qu’elle pouvait entraîner leur congédiementNote de bas de page 5. Il faut que la conduite soit délibérée (c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelle)Note de bas de page 6 ou d’une telle insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 7.
[26] L’employeur a avisé l’appelante à plusieurs reprises que son habitude d’arriver au travail en retard posait problème. Elle a reçu des avertissements écrits le 30 novembre 2023 et le 15 février 2024. L’avertissement du 15 février indiquait que son prochain retard pourrait entraîner un congédiementNote de bas de page 8. En lui donnant cet avertissement écrit, sa superviseure lui a dit que si elle arrivait encore une fois en retard, ne serait-ce qu’un retard d’une minute, elle serait [traduction] « mise à la porteNote de bas de page 9 ».
[27] Malgré ces avertissements, l’appelante est arrivée en retard le 25 février 2024. Elle affirme qu’elle partait en vacances et qu’elle devait voir son esthéticienne avant de partir. À minuit la nuit précédente, elle a envoyé un texto à sa superviseure pour l’informer qu’elle arriverait en retard. Sa superviseure n’a pas accusé réception du texto et ne lui a pas donné la permission d’arriver en retard. Néanmoins, l’appelante a décidé d’aller voir son esthéticienne.
[28] Lors de son rendez-vous chez l’esthéticienne, l’appelante reçu une réponse de sa superviseure disant qu’on l’attendait et qu’on ne tolérerait pas son retard. L’appelante affirme qu’elle s’est rendue directement au travail après avoir reçu ce message. Elle dit qu’elle avait environ 30 minutes de retardNote de bas de page 10.
[29] L’appelante affirme qu’elle a présumé que sa superviseure accepterait son retard parce qu’un autre membre du personnel devait être au magasin au début de son quart de travail. Elle dit que d’autres superviseurs avaient accepté ce genre d’entente par le passé. De plus, sa superviseure avait déjà accepté que d’autres collègues arrivent en retard pour des raisons semblables. Néanmoins, elle avoue qu’en supposant cela, elle a fait une erreur de jugementNote de bas de page 11.
[30] L’appelante prétend qu’un de ses directeurs régionaux lui avait dit qu’il était normal d’avoir de 5 à 10 minutes de retard. Mais c’était avant qu’elle reçoive les avertissements écrits et verbaux du 15 février. Je suis d’avis qu’elle aurait dû comprendre – après avoir reçu ces avertissements – qu’un tel retard ne serait plus toléré dans son cas. Quoi qu’il en soit, elle avait plus de 10 minutes de retard.
[31] L’appelante soutient que la Commission ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve. Je ne suis pas d’accord. Je juge que la Commission a prouvé que l’appelante a été congédiée en raison de son inconduite.
[32] Il est évident que la conduite de l’appelante était délibérée. Elle a décidé d’aller voir son esthéticienne, sachant que cela la mettrait en retard. Sa conduite était consciente et délibérée. Le fait qu’elle ait présumé qu’il n’y aurait pas de conséquences ne change rien à cela.
[33] L’appelante affirme qu’elle devait aller voir son esthéticienne ce jour-là parce qu’elle partait en vacances le soir même. Ce n’est pas une raison urgente ou convaincante de ne pas se présenter au travail à l’heure prévue. Elle n’était pas obligée d’aller chez esthéticienne. Elle a choisi d’y aller. Son retard n’échappait pas à son contrôle.
[34] L’appelante affirme qu’elle a présumé que sa superviseure accepterait son retard. Selon elle, il n’était pas nécessaire que deux employés soient présents à 9 h parce que le magasin n’ouvrait ses portes qu’à 10 h. De plus, elle affirme que par le passé, les employés avaient le droit de s’absenter lorsqu’une autre personne était présente avant l’ouverture du magasin.
[35] Je ne vois pas pourquoi elle a présumé une telle chose. Son habitude d’arriver en retard lui avait déjà valu un avertissement écrit, lequel précisait que son prochain retard pourrait entraîner son congédiement. D’ailleurs, elle avait aussi reçu un avertissement verbal clair selon lequel une seule minute de retard pourrait entraîner son congédiement.
[36] Je n’accepte pas non plus sa prétention selon laquelle il n’était pas nécessaire que deux employés soient au magasin à 9 h. S’il était prévu à l’horaire qu’elle soit au magasin avec une autre personne à cette heure-là, je juge que l’employeur estimait que sa présence était indispensable.
[37] De plus, l’appelante a seulement informé sa superviseure qu’elle serait en retard en lui envoyant un texto à minuit la veille, soit 9 heures avant le début de son quart de travail. Elle s’est rendue chez l’esthéticienne malgré le fait qu’elle n’avait pas encore eu de réponse de sa superviseure.
[38] Si l’appelante a présumé qu’elle recevrait la permission d’être en retard dans ces circonstances, je juge que sa conduite a été insouciante au point que je la considère comme étant délibérée.
[39] L’appelante affirme qu’elle ne savait pas que son retard du 25 février 2024 entraînerait son congédiement. Je ne vois pas comment elle pourrait dire cela. Étant donné les avertissements (écrit et verbal) clairs qu’elle a reçus le 15 février 2024 – seulement 10 jours plus tôt – l’appelante aurait certainement dû savoir qu’en arrivant en retard le 25 février 2024, elle courrait le risque d’être congédiée. À mon avis, si elle n’y a pas songé, c’est qu’elle s’illusionnait.
[40] L’appelante soutient que son employeur n’aurait jamais dû lui donner l’avertissement du 15 février. Elle dit que les incidents qui ont mené à cet avertissement échappaient à son contrôle : elle devait suivre un traitement contre les poux, sa mère suivait un traitement contre le cancer, elle avait été malade et ses chiens étaient morts. Elle dit qu’elle aurait dû contester l’avertissement, mais qu’elle ne savait pas qu’elle le pouvait.
[41] L’appelante estime qu’elle a été congédiée à tort et que son employeur aurait dû appliquer une sanction moins sévère.
[42] L’appelante fait valoir qu’elle est une employée de longue date qui a reçu des éloges de la part de toutes les autres personnes qui l’ont supervisée par le passéNote de bas de page 12. Ces dernières auraient accepté son retard du 25 février 2024. L’appelante affirme que sa superviseure à ce moment-là ne l’aimait pas beaucoup, qu’elle n’avait aucune compassion et qu’elle avait créé un milieu de travail hostile.
[43] La question de savoir si l’appelante a mérité ou non l’avertissement du 15 février, celle de savoir si d’autres superviseurs qu’elle a connus par le passé auraient accepté son retard, et celle de savoir si elle a été congédiée injustement ne sont pas pertinentes pour décider si sa conduite était une inconduite au sens de la loi.
[44] La jurisprudence établit clairement que je ne peux pas tenir compte de la conduite de l’employeur pour décider si une partie prestataire a été congédiée en raison de son inconduiteNote de bas de page 13.
[45] Donc, même si j’accepte que l’employeur a donné à tort l’avertissement du 15 février, qu’il aurait dû accepter son retard et qu’il l’a congédiée à tort, ce n’est pas à moi de trancher ces questions. Elles n’ont aucune incidence sur ma décision selon laquelle l’appelante a été congédiée en raison de son inconduite.
[46] L’appelante devait commencer à 9 h son quart de travail du 25 février 2024. Son employeur s’attendait à ce qu’elle soit au travail à cette heure-là. Au lieu, elle s’est rendue chez l’esthéticienne pour son rendez-vous de 9 h et est arrivée en retard au travail. Elle a manqué à son obligation envers son employeur d’être présente à l’heure prévue.
[47] L’appelante avait été clairement avisée que si elle arrivait encore en retard, ne serait-ce que d’une minute, elle serait congédiée. Elle n’avait pas reçu la permission d’arriver en retard, mais elle a quand même choisi de se rendre à son rendez-vous. L’appelante aurait certainement dû savoir qu’elle courait un risque. L’employeur avait clairement présenté ce risque le 15 février 2024. Elle aurait dû savoir qu’elle pourrait être congédiée si elle était de nouveau en retard après avoir reçu les avertissements verbaux et écrits du 15 février.
[48] J’estime que les arguments de l’appelante ne sont pas convaincants. Il ne fait aucun doute qu’elle a été congédiée en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.
Conclusion
[49] L’appel est rejeté.
[50] Je conclus que la Commission a prouvé que l’appelante a été congédiée en raison de son inconduite.
[51] Pour cette raison, elle est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.