[TRADUCTION]
Citation : MM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 205
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi
Décision
Partie appelante : | M. M. |
Partie intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Décision portée en appel : | Décision de révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (681504) datée du 20 septembre, 2024 (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | Catherine Shaw |
Mode d’audience : | En personne |
Date de l’audience : | Le 30 décembre 2024 |
Personne présente à l’audience : | Appelante |
Date de la décision : | Le 3 janvier, 2025 |
Numéro de dossier : | GE-24-3727 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est rejeté. La division générale n’est pas d’accord avec l’appelante.
[2] L’appelante n’a pas démontré qu’elle était fondée à quitter son emploi (c’est-à-dire qu’elle avait une raison acceptable selon la loi pour le faire) quand elle l’a fait. L’appelante n’était pas fondée à quitter son emploi parce que le départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Par conséquent, l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.
Aperçu
[3] L’appelante travaillait dans un dépanneur. Au cours de sa carrière à cet endroit, elle a eu l’impression que la propriétaire du magasin s’en prenait constamment à elle. La propriétaire lui reprochait souvent des erreurs, même lorsque ce n’était pas de sa faute. L’appelante a tenté d’en discuter avec l’employeuse, mais la situation ne s’est jamais améliorée. Elle a décidé de démissionner parce qu’être mal traitée était stressant et nuisait à sa santé.
[4] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a examiné les raisons de l’appelante pour quitter son emploi. Elle a décidé que cette dernière a quitté volontairement son emploi (c’est-à-dire qu’elle a choisi de quitter son emploi) sans justification. Par conséquent, la Commission ne pouvait pas lui verser de prestations.
[5] Je dois décider si l’appelante a prouvé que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.
[6] La Commission affirme qu’au lieu de quitter son emploi quand elle l’a fait, l’appelante aurait pu chercher un autre emploi ou consulter un médecin pour son stress.
[7] L’appelante n’est pas d’accord et affirme qu’elle ne pouvait pas continuer à travailler là-bas tout en cherchant un autre emploi ou en attendant un rendez-vous médical. Le stress et la pression liés à la façon dont son employeuse la traitait se sont accumulés au point où elle n’en pouvait plus.
Question que je dois examiner en premier
L’employeuse n’est pas une partie à l’appel
[8] Le Tribunal a désigné l’ancienne employeuse de l’appelante comme partie mise en cause potentielle à l’appel de l’appelante. Il a envoyé une lettre à l’employeuse pour lui demander si elle avait un intérêt direct dans l’appel et si elle voulait être mise en cause à l’appel. L’employeuse n’a pas répondu avant la date de cette décision. Puisqu’il n’y a rien dans le dossier qui montre que l’employeuse a un intérêt direct dans l’appel, j’ai décidé de ne pas l’ajouter comme partie à l’appel.
Question en litige
[9] L’appelante est-elle exclue du bénéfice des prestations pour avoir quitté volontairement son emploi sans justification?
[10] Pour répondre à cette question, je dois d’abord aborder la question du départ volontaire de l’appelante. Je dois ensuite décider si elle était fondée à quitter son emploi.
Analyse
Les parties sont d’accord sur le fait que l’appelante a quitté volontairement son emploi
[11] J’accepte le fait que l’appelante a quitté volontairement son emploi. L’appelante convient qu’elle a donné sa démission à la propriétaire le 19 mai 2024 et cessé de travailler le 25 mai 2024. Je n’ai aucune preuve du contraire.
Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelante était fondée à quitter volontairement son emploi
[12] Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelante était fondée à quitter volontairement son emploi quand elle l’a fait.
[13] La loi prévoit qu’une partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas page 1. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que le départ était fondé.
[14] La loi explique ce que veut dire « être fondée à ». Elle dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ est la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstancesNote de bas page 2.
[15] L’appelante est responsable de prouver que son départ était fondéNote de bas page 3. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnable.
[16] Pour trancher la question, je dois examiner toutes les circonstances présentes quand l’appelante a quitté son emploi. La loi énonce des circonstances que je dois prendre en considérationNote de bas page 4.
Les circonstances présentes quand l’appelante a quitté son emploi
[17] L’appelante travaillait dans un dépanneur. Elle a démissionné parce que la propriétaire la traitait mal, notamment :
- en lui parlant de manière irrespectueuse;
- en ne répondant pas à ses gestes amicaux ou en ne les appréciant pas;
- en lui reprochant des erreurs qui n’étaient pas de sa faute;
- en lui faisant faire des tâches qu’elle savait douloureuses pour l’appelante en raison de son arthrite.
[18] L’appelante a parlé ouvertement au Tribunal de son expérience de travail pour l’employeuse. Elle a dit que la propriétaire la harcelait continuellement. La propriétaire vivait au-dessus du magasin et surveillait l’appelante pendant qu’elle travaillait grâce aux caméras de surveillance du magasin. Elle descendait souvent pendant les quarts de travail de l’appelante et criait après elle pour diverses raisons.
[19] L’appelante a dit que la propriétaire lui reprochait tout. Par exemple, si les produits sur les étagères n’étaient pas orientés vers l’avant, la propriétaire l’accusait et lui ordonnait de les arranger immédiatement, même si ce n’était pas sa faute. Elle criait souvent après l’appelante devant la clientèle et le reste du personnel. L’appelante a pleuré au travail après ces incidents. Elle a dit qu’elle avait tenté d’en discuter avec la propriétaire, mais que celle-ci s’était simplement éloignée ou avait écarté ce qu’elle disait.
[20] L’appelante avait informé son employeuse dès son embauche qu’elle avait de l’arthrite et aurait de la difficulté à travailler sur les étagères inférieures. Malgré cela, elle a raconté un incident où l’employeuse lui a ordonné de s’agenouiller pour arranger des produits qui n’avaient pas été avancés sur leur étagère. Une fois que l’appelante a eu terminé et après qu’elle se soit relevée avec douleur, la propriétaire lui a demandé de se remettre au sol pour arranger d’autres articles.
[21] L’appelante a déclaré que le stress lié à la façon dont elle était traitée au travail a commencé à affecter sa santé. Elle était devenue irritable avec sa famille. Ses enfants lui ont dit qu’ils avaient remarqué ce changement et qu’elle devait quitter son emploi pour se libérer de ce traitement.
[22] L’appelante a déclaré qu’elle aimait son travail et ses collègues. Elle aimait vraiment voir la clientèle tous les jours. Cependant, elle a dû quitter son emploi parce que la propriétaire la harcelait continuellement.
[23] L’appelante affirme qu’elle était harcelée au travail. Il s’agit d’une des circonstances prévues par la loiNote de bas page 5. Il est possible qu’une autre circonstance prévue par la loi puisse également s’appliquer à la situation de l’appelante, même si elle ne l’a pas invoquée directement. Il s’agit de savoir si elle a vécu des relations conflictuelles avec une supérieure dont elle n’était pas la principale responsableNote de bas page 6.
[24] Après avoir déterminé les circonstances qui s’appliquent à l’appelante, elle doit ensuite prouver que son départ constituait la seule solution raisonnable à ce moment-làNote de bas page 7.
L’appelante était-elle harcelée au travail?
[25] Non. J’estime qu’il n’y a pas assez d’éléments de preuve pour démontrer que l’appelante a été harcelée au travail.
[26] Le harcèlement est souvent défini comme des gestes ou des commentaires verbaux qui pourraient blesser mentalement ou isoler une personne en milieu de travail. Il s’agit souvent d’incidents répétés ou d’un comportement visant à intimider, à offenser, à rabaisser ou à humilier une personneNote de bas page 8.
[27] L’appelante estimait que la propriétaire l’avait délibérément ciblée. Elle dit que la propriétaire passait devant le reste du personnel pour venir crier après elle au sujet d’un problème dans le magasin. Elle lui reprochait des erreurs, même lorsqu’elle ne travaillait pas. L’appelante affirme que la propriétaire ne traitait pas le reste du personnel de cette manière, bien qu’elle dise aussi que d’autres travailleuses et travailleurs ont démissionné en raison du mauvais traitement que leur infligeait la propriétaire.
[28] La Commission a interrogé la propriétaire sur la façon dont elle avait traité l’appelante. La propriétaire a dit qu’elle ne s’en était pas prise à l’appelante, et qu’elle lui donnait simplement des directives sur ce qu’elle voulait que l’appelante fasse dans le magasin. Elle a ajouté que ses conversations avec l’appelante n’étaient pas différentes de celles qu’elle avait avec le reste du personnel.
[29] La crédibilité des déclarations de la propriétaire à la Commission est une question qui a été soulevéeNote de bas page 9. Plus précisément, la propriétaire a affirmé que l’appelante avait demandé à être mise à pied parce qu’elle devait s’occuper de son petit-enfant pendant que le père était parti pêcher.
[30] L’appelante nie avoir demandé une mise à pied et affirme qu’elle n’a pas de petits-enfants dont elle devrait s’occuper. Son fils fait de la pêche, tout comme son petit-fils, mais son plus jeune petit-enfant, qui aurait été le seul dont elle pourrait s’occuper, est déjà pris en charge à temps plein.
[31] Pour appuyer ses dires, l’appelante a fourni une copie de sa lettre de démission qu’elle a remise à la propriétaire le 19 mai 2024. Dans cette lettre, elle affirme qu’elle quitte son emploi pour des raisons de santé. La propriétaire n’aurait jamais pu comprendre qu’elle demandait une mise à pied pour des raisons familiales à partir de cette lettre.
[32] Lors de son témoignage, l’appelante s’est montrée ouverte et crédible sur les événements qui ont mené à sa démission. Je préfère m’appuyer sur sa version des faits lorsqu’elle contredit les déclarations de la propriétaire. En effet, son témoignage m’a été donné directement sous affirmation solennelle tandis que les propos de la propriétaire sont moins plausibles et fiables que le témoignage de l’appelante.
[33] Je crois que la propriétaire a traité l’appelante de manière peu aimable au travail. Il est plausible qu’elle ait crié après l’appelante devant la clientèle et le reste du personnel, ce qui a embarrassé et contrarié l’appelante. L’appelante a constamment affirmé que cela s’était produit et que cela l’avait fait pleurer au travail à plusieurs reprises. Il est également plausible que ce comportement se soit répété tout au long de son emploi. Cependant, je n’estime pas que l’appelante a prouvé que ces incidents avaient pour but de l’humilier, de l’intimider, de l’offenser ou de la rabaisser.
[34] La propriétaire a dit à la Commission qu’elle faisait seulement diriger l’appelante dans son travail. Cette explication n’est pas tout à fait crédible, car il n’est pas nécessaire de crier après une employée ou un employé pour lui donner des directives. Il est toutefois plausible que la propriétaire n’ait pas eu l’intention d’embarrasser ou de rabaisser l’appelante par son comportement. Les incidents décrits par l’appelante étaient tous liés à des tâches au travail, comme le fait d’avoir été chargée par la propriétaire de refaire le travail d’autres membres du personnel ou le fait d’avoir été critiquée sur la façon dont elle faisait certaines choses. Même s’il est plausible que la propriétaire n’ait pas traité l’appelante avec respect lors de ces échanges, les exemples et le témoignage de cette dernière ne suffissent pas à prouver que la propriétaire avait l’intention de lui nuire.
[35] Pour cette raison, je conclus que les preuves ne démontrent pas que l’appelante a subi du harcèlement au travail.
L’appelante avait-elle une relation conflictuelle avec une supérieure?
[36] Oui. J’estime que l’appelante a démontré qu’elle avait une relation conflictuelle avec une supérieure dont elle n’était pas la principale responsable.
[37] Une relation conflictuelle est une forme d’hostilité ou une attitude qui, dans la plupart des cas, ne peut pas être décelée à partir d’un seul incident ou d’une seule dispute. Lorsqu’une relation conflictuelle existe, il est fort probable qu’un comportement récurrent se manifestera au fil du temps, permettant ainsi de détecter l’existence de ce type de relationNote de bas page 10.
[38] Je crois que l’appelante avait une relation conflictuelle avec la propriétaire. Son témoignage confirme que la propriétaire a crié après elle devant la clientèle et d’autres membres du personnel à plusieurs reprises. La propriétaire s’est également plainte de manière répétée du travail de l’appelante et a ignoré les préoccupations de celle-ci concernant le traitement qu’elle subissait.
[39] Bien qu’on s’attende à ce qu’une tête dirigeante puisse donner des directives à son personnel, toute personne salariée devrait pouvoir s’attendre à être traitée avec respect en milieu de travail. De toute évidence, l’employeuse n’a pas traité l’appelante avec respect en lui criant dessus en public et en la faisant pleurer à plusieurs reprises au travail.
Son environnement de travail a-t-il affecté sa santé?
[40] Oui. Je suis d’avis que l’appelante a démontré que son environnement de travail a eu une incidence négative sur sa santé.
[41] L’appelante a témoigné qu’elle avait remarqué que le stress lié à son emploi nuisait à sa santé. Elle était irritable avec sa famille, et était tendue et stressée sur le chemin du travail et tout au long de son quart de travail. Après avoir quitté son emploi, elle a consulté son médecin, qui lui a dit que sa tension artérielle avait augmenté et lui a recommandé de commencer à prendre des médicaments contre l’anxiété.
[42] Le témoignage non contesté de l’appelante appuie le fait que son environnement de travail a eu un effet négatif sur sa santé. Je considère donc que tel était le cas.
Avait-elle d’autres solutions raisonnables?
[43] Oui. J’estime que quitter son emploi au moment où elle l’a fait n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas.
[44] La Commission affirme que l’appelante n’était pas fondée à quitter son emploi parce que son départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Plus précisément, elle affirme que l’appelante aurait pu continuer à travailler tout en cherchant un autre emploi.
[45] La Commission souligne que l’appelante a travaillé dans les mêmes conditions pendant sept mois avant de démissionner. De plus, l’appelante a donné à l’employeuse un préavis d’une semaine avant son départ, ce qui, selon la Commission, prouve qu’elle n’avait pas un besoin urgent de partir.
[46] La Commission affirme également que l’appelante aurait pu consulter un médecin pour son stress, surtout si elle estimait que cela affectait sa santé.
[47] À l’audience, l’appelante a expliqué que ces options n’étaient pas raisonnables pour elle. Elle ne pouvait plus continuer à travailler en raison du traitement qu’elle subissait et elle ne pouvait pas se concentrer sur la recherche d’un emploi tant qu’elle n’avait pas quitté son poste. De plus, elle a perdu son médecin généraliste il y a plusieurs années, et prendre un rendez-vous médical dans une clinique locale prenait désormais des mois. Elle ne pouvait pas attendre aussi longtemps.
[48] Compte tenu de l’ensemble des circonstances, je conclus que le départ de l’appelant n’était pas la seule solution raisonnable.
[49] Les tribunaux ont déclaré que, dans la plupart des cas, il est raisonnable pour une partie prestataire de chercher un autre emploi avant de décider de démissionnerNote de bas page 11.
[50] Je reconnais que l’appelante avait une relation conflictuelle au travail et que cela a eu une incidence négative sur sa santé. Cependant, elle n’a fait aucune démarche pour trouver un autre emploi avant de démissionner, ni même pendant la semaine de préavis qu’elle a donné.
[51] Même si elle trouvait son milieu de travail stressant et désagréable, elle n’a pas démontré qu’elle avait un besoin urgent de quitter son emploi, au point de l’exempter de l’obligation raisonnable d’essayer de trouver un autre emploi avant de démissionner. En fait, la volonté de l’appelante de continuer à travailler pendant une semaine après la date de sa démission, tout en ayant l’intention d’être professionnelle, appuie le fait que son lieu de travail n’était pas à ce point intolérable qu’elle n’avait pas d’autres solutions raisonnables que de partir.
[52] Essayer de trouver un autre emploi avant de démissionner aurait été une solution raisonnable pour elle. Par conséquent, son départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas. Elle n’était donc pas fondée à quitter son emploi.
Conclusion
[53] Je conclus que l’appelante est exclue du bénéfice des prestations.
[54] Par conséquent, l’appel est rejeté.