Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : CK c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 211

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : C. K.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentant : Kevin Goodwin

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 22 septembre 2023 (GE-23-1462)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 28 février 2025
Personnes présentes à l’audience  : Appelante
Représentant de l’intimée
Date de la décision : Le 10 mars 2025
Numéro de dossier : AD-23-979

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli en partie. L’appelante (prestataire) a été suspendue en raison de son inconduite à compter du 3 décembre 2021.

Aperçu

[2] La prestataire a été mise en congé. L’employeur a déclaré qu’elle avait été mise en congé parce qu’elle a refusé de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur. La prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[3] L’intimée (la Commission) a décidé que la prestataire avait été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite et qu’elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations. Après une révision défavorable, la prestataire a fait appel à la division générale du Tribunal.

[4] La division générale a conclu que la prestataire avait été mise en congé après avoir refusé de suivre la politique de l’employeur. On ne lui avait pas accordé d’exemption religieuse. La division générale a conclu que la prestataire savait que l’employeur était susceptible de la mettre en congé sans solde dans ces circonstances. Elle a donc estimé que la prestataire avait été mise en congé sans solde en raison de son inconduite.

[5] La division d’appel a accordé à la prestataire la permission de faire appel. La prestataire soutient que la division générale a rendu sa décision sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, et qu’elle a commis une erreur de droit lorsqu’elle a décidé que la prestataire avait été suspendue pour inconduite.

[6] Je dois décider si la division générale a rendu sa décision sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance et si elle a commis une erreur de droit en rendant sa décision.

[7] J’accueille l’appel de la prestataire en partie.

Question en litige

[8] La division générale a-t-elle rendu sa décision sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance et a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la prestataire avait été suspendue en raison d’une inconduite?

Questions préliminaires

[9] Il est bien établi que je dois trancher cet appel en me fondant sur la preuve présentée à la division générale. La division d’appel n’accepte pas de nouveaux éléments de preuve. Les pouvoirs de la division d’appel sont limitésNote de bas page 1.

[10] La prestataire a obtenu la permission de faire appel le 8 décembre 2023. Elle a demandé que son appel soit mis en suspens en attendant une décision de la Cour fédéraleNote de bas page 2. J’ai accueilli la demande de la prestataire. À la suite de la décision rendue par la Cour fédérale, la prestataire a exprimé le désir de poursuivre son appel. Une audience était prévue le 31 janvier 2025. Avant l’audience, la prestataire a demandé un ajournement à la suite d’une blessure. J’ai accordé l’ajournement. L’audience a été reportée au 28 février 2025. La prestataire a accepté de procéder par vidéoconférence.

[11] Le 25 février 2025, la prestataire a exprimé le désir de faire une demande d’accès à l’information. Elle souhaitait obtenir le dossier complet de la Commission. Au début de l’audience, j’ai offert à la prestataire la possibilité de demander un ajournement. La prestataire a choisi de poursuivre l’audience.

Analyse

La division générale a-t-elle rendu sa décision sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, et a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la prestataire avait été suspendue en raison d’une inconduite?

Position des parties

[12] La prestataire soutient que la division générale a rendu sa décision sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance. La prestataire soutient qu’elle s’est conformée à la politique de l’employeur et qu’on lui a refusé une exemption après qu’elle a été mise en congé sans solde. Elle soutient qu’elle a agi de bonne foi tout au long du processus, et qu’il lui était absolument impossible de savoir, ou même d’imaginer que, l’employeur la mettrait de force en congé non sollicité avant de décider de lui refuser des mesures d’adaptation religieuse. La prestataire soutient que la division générale a commis une erreur de droit en concluant qu’elle avait été suspendue en raison d’une inconduite.

[13] La Commission soutient que la prestataire a demandé l’exemption en dehors des heures normales de travail, à la date limite pour la suspension. L’employeur n’a donc pas eu l’occasion d’examiner cette demande avant le 31 octobre 2021, moment où la prestataire ne pouvait plus accéder à son lieu de travail. La Commission soutient que la prestataire a choisi de présenter sa demande alors que la suspension ne pouvait plus être évitée. Par conséquent, la demande d’exemption religieuse présentée après la date limite ne démontre pas que la prestataire respectait la politique de l’employeur, car la prestataire avait déjà été suspendue.

[14] La Commission soutient que la politique de vaccination souligne que l’employeur a besoin d’avoir [traduction] « assez de temps » pour effectuer les évaluations nécessaires avant les dates limites prescrites par le gouvernement, et que, par conséquent, tous les délais [traduction] « devraient être considérés comme fermes ». Étant donné que la demande d’exemption a été présentée après le début de la suspension, la division générale n’a pas commis d’erreur dans son évaluation de l’intention délibérée ni dans sa conclusion selon laquelle le refus de la prestataire de se conformer à la politique de l’employeur a entraîné sa suspension.

La décision de la division générale

[15] La division générale a conclu que l’employeur a avisé la prestataire le 25 août 2021, qu’elle devait être entièrement vaccinée contre la COVID-19. Elle devait se faire vacciner et déclarer son statut vaccinal au plus tard le 30 octobre 2021.

[16] La division générale a conclu que la prestataire savait qu’elle devait être vaccinée au plus tard le 30 octobre 2021 et qu’elle devait le déclarer, sinon elle serait placée en congé sans solde. Elle a conclu que la prestataire avait délibérément choisi de ne pas respecter la politique de vaccination obligatoire de son employeur. C’est pourquoi elle a été mise en congé sans solde.

[17] La division générale a conclu que la prestataire avait été mise en congé en raison d’une inconduite.

[18] La preuve de la prestataire montre qu’elle a demandé une exemption religieuse le 30 octobre 2021. La politique précise que, jusqu’à ce que l’employeur donne d’autres directives, les employés qui demandent des mesures d’adaptation n’ont pas besoin d’être vaccinés ni de déclarer leur statut vaccinal au moyen de l’outil de déclaration du statut vaccinal. L’employeur a rejeté la demande de la prestataire le 3 décembre 2021.

[19] Le rôle de la division générale est d’examiner les éléments de preuve que les deux parties lui ont présentés, d’établir les faits pertinents pour la question juridique dont elle est saisie et de rendre une décision écrite en toute indépendante sur celle-ci.

[20] La division générale doit justifier clairement les conclusions qu’elle tire. Lorsqu’elle est confrontée à des éléments de preuve contradictoires, elle ne peut pas les ignorer; elle doit les examiner. Si elle décide que la preuve doit être rejetée ou que l’on doit lui accorder peu d’importance ou pas d’importance du tout, elle doit justifier sa décision, faute de quoi sa décision risque d’être entachée d’une erreur de droit ou d’être qualifiée d’arbitraireNote de bas page 3.

[21] Après avoir lu la décision de la division générale, je suis d’avis qu’elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve contradictoires qui lui ont été présentés. La division générale n’en a pas tenu compte. Elle n’a pas expliqué pourquoi la preuve de la prestataire à l’appui de sa position selon laquelle elle s’est conformée à la politique de l’employeur devrait être rejetée ou n’avoir que peu ou pas d’importance du tout. Il s’agit d’une erreur de droit.

[22] Mon intervention est donc justifiée.

Il y a deux façons de corriger l’erreur de la division générale

[23] Lorsque la division générale fait une erreur, la division d’appel peut la corriger de l’une des deux façons suivantes :

  1. 1) elle peut renvoyer la décision à la division générale pour une nouvelle audience;
  2. 2) elle peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

Le dossier est complet et je peux rendre une décision sur le fond de l’affaire

[24] Je juge que le dossier est complet. Les parties ont eu l’occasion de présenter tous leurs arguments à la division générale. Je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

Inconduite

[25] Je dois décider si la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas page 4.

[26] Je dois appliquer le critère étroit d’inconduite prévu par la Loi sur l’assurance-emploi. Pour ce faire, je dois vérifier ce qui suit :

  • si la prestataire connaissait la politique de vaccination de son employeur;
  • si elle a délibérément ignoré la politique;
  • si elle connaissait ou aurait dû connaître les conséquences de ne pas respecter la politique.

[27] La notion d’inconduite n’implique pas que le comportement fautif résulte nécessairement d’une intention coupable. Il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour constituer une inconduite, les actes reprochés doivent avoir été délibérés. À tout le moins, ils doivent révéler une insouciance ou une négligence telle que on puisse dire que la personne a volontairement décidé d’ignorer les répercussions qu’ils auraient sur son rendement.

[28] Mon rôle n’est pas de juger de la sévérité de la sanction de l’employeur ni d’établir si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en suspendant la prestataire de telle sorte que sa suspension était injustifiée. Mon rôle est plutôt de décider si la prestataire a été suspendue de son emploi en raison de son inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[29] La preuve montre que la prestataire a été avisée le 25 août 2021 par son employeur qu’elle devait être entièrement vaccinée contre la COVID-19. Elle devait se faire vacciner et déclarer son statut vaccinal au plus tard le 30 octobre 2021. La prestataire a demandé une exemption religieuse le 30 octobre 2021.

[30] La politique précise clairement que jusqu’à ce que l’employeur [traduction] : « … donne d’autres directives, les employés qui demandent des mesures d’adaptation n’ont pas besoin d’être vaccinés ni d’enregistrer leur statut au moyen de notre outil de déclaration du statut vaccinal ».

[31] La Commission soutient que la prestataire a demandé l’exemption après les heures de travail normales, à la date limite pour la suspension. L’employeur n’a donc pas eu l’occasion d’examiner la demande avant le 31 octobre 2021, moment où la prestataire ne pouvait plus accéder à son lieu de travail. Elle était donc en retard et contrevenait à la politique de l’employeur.

[32] Avec tout le respect que je dois à la Commission, je ne peux pas suivre son raisonnement qui va au-delà des termes de la politique.

[33] Je comprends que la demande de la prestataire a été reçue par l’employeur le 30 octobre 2021 à 23 h 24. Toutefois, la politique n’indique pas de date limite précise pour demander des mesures d’adaptation, sauf le 30 octobre 2021. De plus, l’employeur n’a pas considéré la demande de la prestataire comme étant en retard parce qu’il a accusé réception de sa demande et a procédé à son traitement. L’employeur n’a pas non plus rejeté la demande de la prestataire pour cause de retard.

[34] Ainsi, la demande d’exemption religieuse, présentée le 30 octobre 2021, montre que la prestataire respecte la politique de l’employeur. Par conséquent, la preuve ne permet pas de conclure qu’à ce moment-là, elle savait ou aurait dû savoir quelles seraient les conséquences si elle ne tenait pas compte de la politique de son employeur.

[35] Toutefois, le 3 décembre 2021, l’employeur a rejeté la demande de la prestataire.

[36] L’employeur a écrit :

[traduction]

« Votre demande a été examinée, ainsi que les documents justificatifs que vous avez fournis le 12 novembre 2021. Veuillez noter qu’après un examen des renseignements fournis, votre demande est respectueusement rejetée. Par conséquent, vous ne respectez pas la Politique de vaccination. Nous vous encourageons fortement à prendre des dispositions pour recevoir le vaccin… »

(Souligné par le soussigné)

[37] À compter du 3 décembre 2021, la prestataire savait ou aurait dû savoir qu’elle avait été suspendue par son employeur pour non-respect de la politique, après quoi leur relation d’emploi continue serait réévaluée.

[38] D’après cette preuve, j’estime que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploi à compter du 3 décembre 2021, parce qu’elle n’a pas respecté la politique de vaccination de l’employeur. Sa demande de mesures d’adaptation a été rejetée. À ce moment-là, elle avait été informée de la politique de l’employeur et avait eu le temps de s’y conformer. La prestataire savait ou aurait dû savoir qu’à compter du 3 décembre 2021, son refus de se conformer à la politique entraînerait sa suspensionNote de bas page 5. La prestataire a refusé intentionnellement de le faire. C’est la cause directe de sa suspension.

[39] Il est bien établi qu’une violation délibérée d’une politique d’un employeur est considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[40] Je dois répéter que je ne peux pas me pencher sur la relation d’emploi, la conduite de l’employeur et la sanction imposée par celui-ci. Je dois m’en tenir à la conduite de la prestataire.

[41] Pendant la durée de l’emploi, l’employeur peut tenter d’imposer des politiques qui empiètent sur les droits de son personnel. Les personnes qui estiment qu’une nouvelle politique est contraire à leur contrat de travail ou à leur convention collective peuvent poursuivre leur employeur pour congédiement injustifié ou déposer un grief. Si elles croient qu’une nouvelle politique viole leur intégrité physique ou leur liberté d’expression, elles peuvent traduire leur employeur en justice ou devant un tribunal des droits de la personne. Toutefois, le processus de demande d’assurance-emploi n’est pas la façon de régler de tels différends.

[42] La Cour fédérale a confirmé que même si les plaintes d’une personne contre son employeur sont légitimes, « il n’appartient pas aux contribuables canadiens de faire les frais de la conduite fautive de l’employeur par le biais des prestations d’assurance-emploi ».

[43] Les questions de savoir si l’employeur a enfreint la loi ou la convention collective ou si sa politique a porté atteinte aux droits fondamentaux et constitutionnels de la prestataire relèvent d’une autre instance. Le Tribunal n’est pas le bon endroit pour obtenir la réparation que la prestataire demande.

[44] Les cours fédérales ont rendu une série de décisions concernant la vaccination (Lance (CAF), Zagol (CAF), Dagget, Brown, Laurence, Kuk, Milovac, Francis, Matti, Davidson, Sullivan, Abdo, Spears, Wong, Boskovic, Hazaparu, Murphy et Cecchetto (CAF))Note de bas page 6. Ces décisions indiquent toutes qu’en faisant le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de vaccination de leur employeur, les prestataires ont manqué à leurs obligations envers celui-ci et ont perdu leur emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Les cours fédérales ont répété à plusieurs reprises que le Tribunal n’a pas le pouvoir d’évaluer le bien-fondé, la légitimité ou la légalité d’une politique de vaccination d’un employeur ni de se prononcer à ce sujet.

[45] La preuve prépondérante présentée à la division générale montre que la prestataire a fait le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur après que sa demande de mesures d’adaptation a été rejetée, ce qui a entraîné sa suspension, conformément à la politique.

[46] Je n’ai d’autre choix que de trancher la question de l’inconduite selon les paramètres établis par les cours fédérales, qui ont défini l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[47] Je remarque que l’employeur de la prestataire l’a finalement rappelée au travail. Ce fait ne change pas la nature de l’inconduite qui a d’abord mené à sa suspension.

[48] Je suis tout à fait conscient que la prestataire peut demander réparation devant une autre instance si une violation est établie. Cela ne change rien au fait qu’en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi, la Commission a prouvé selon la prépondérance des probabilités que la prestataire a été suspendue à compter du 3 décembre 2021 en raison d’une inconduite.

Conclusion

[49] L’appel est accueilli en partie. La prestataire a été suspendue de son emploi à compter du 3 décembre 2021 en raison de son inconduite.

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