[TRADUCTION]
Citation : JT c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 266
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision relative à une demande de
permission de faire appel
Partie demanderesse : | J. T. |
Partie défenderesse : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Décision portée en appel : | Décision de la division générale datée du 5 mars 2025 (GE-25-215) |
Membre du Tribunal : | Stephen Bergen |
Date de la décision : | Le 21 mars 2025 |
Numéro de dossier : | AD-25-167 |
Sur cette page
Décision
[1] Je refuse la permission de faire appel. Par conséquent, l’appel n’ira pas plus loin.
Aperçu
[2] J. T. est le demandeur dans cette affaire. Je l’appellerai « prestataire » parce que ma décision concerne sa demande de prestations d’assurance-emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada est la défenderesse dans cette affaire.
[3] Le prestataire a attendu près d’un an après son dernier jour de travail pour demander des prestations d’assurance-emploi. Comme il n’avait pas assez d’heures d’emploi assurable pour pouvoir recevoir des prestations, il souhaitait que sa demande soit antidatée.
[4] La Commission a refusé d’antidater sa demande. Par conséquent, le prestataire ne remplissait pas les conditions pour établir une période de prestations. La Commission a aussi décidé qu’il n’avait pas prouvé son admissibilité aux prestations parce qu’il n’était pas disponible pour travailler. Lorsque le prestataire a demandé une révision à la Commission, elle a maintenu ses décisions.
[5] Le prestataire a fait appel des deux décisions devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, qui a rejeté son appel. Il demande maintenant la permission de faire appel à la division d’appel.
[6] Je refuse la permission de faire appel. Le prestataire n’a pas démontré que l’on peut soutenir que la division générale a commis une erreur de fait importante.
Questions en litige
[7] Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur de fait importante parce qu’elle aurait ignoré ou mal interprété :
- a) le trouble d’apprentissage du prestataire?
- b) les actions ou le comportement de la Commission?
- c) le fait que le prestataire croyait que son emploi se poursuivait?
Je refuse la permission de faire appel
Principes généraux
[8] Pour qu’une demande de permission de faire appel soit accueillie, les motifs d’appel doivent correspondre aux « moyens d’appel » possibles. Les moyens d’appel sont les types d’erreurs dont je peux tenir compte.
[9] Je peux seulement tenir compte des erreurs suivantes :
- a) La procédure de la division générale était inéquitable d’une façon ou d’une autre.
- b) La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher ou elle a décidé d’une question sans avoir le pouvoir de le faire (erreur de compétence).
- c) La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
- d) La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droitNote de bas de page 1.
[10] Pour accueillir la demande de permission de faire appel et permettre au processus d’appel d’aller de l’avant, je dois conclure qu’au moins un des moyens d’appel a une chance raisonnable de succès. Les tribunaux ont assimilé une chance raisonnable de succès à une « cause défendable »Note de bas de page 2.
Analyse
Erreur de fait importante
[11] La division générale commet une erreur de fait importante si elle fonde sa décision sur une conclusion sans avoir tenu compte des éléments de preuve pertinents ou en les interprétant mal, ou sur une conclusion sans lien rationnel avec la preuveNote de bas de page 3.
Les troubles d’apprentissage du prestataire
Antidatation
[12] Le prestataire a affirmé que la division générale n’a pas tenu compte de son trouble d’apprentissage. Il semble faire référence à un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), car aucun autre trouble mental ou cognitif n’est mentionné dans le dossier.
[13] On ne peut pas soutenir que la division générale a commis une erreur de fait parce qu’elle aurait ignoré le TDAH du prestataire lorsqu’elle a examiné s’il pouvait faire antidater sa demande.
[14] Lorsque le prestataire a parlé de sa demande de révision de la décision sur l’antidatation le 22 janvier 2025, il a mentionné qu’il avait accepté l’avis de sa mère. Celle-ci croyait qu’il n’était pas admissible aux prestations d’assurance-emploi. Il a ajouté que son [traduction] « cerveau atteint d’un TDAH n’a pas pensé plus loin ». C’est la seule mention de son TDAH où le prestataire y attribue le retard de sa demande de prestations.
[15] La division générale n’a pas mentionné que le prestataire avait fait référence à son TDAH. Toutefois, le prestataire a répété qu’il n’avait pas présenté sa demande plus tôt parce qu’il était convaincu qu’il ne remplissait pas les conditions requises. Il a dit qu’il ne s’était pas penché sur la question parce qu’il s’était fié à l’avis de sa mère.
[16] Le prestataire a fait référence à son [traduction] « cerveau atteint d’un TDAH » à un moment donné, mais il n’a fourni aucune précision. Rien ne confirme son autodiagnostic de TDAH et rien ne montre comment ou pourquoi son TDAH aurait nui à sa recherche d’information sur son admissibilité aux prestations.
[17] Le prestataire ne s’est pas informé sur son admissibilité pendant près d’un an. Il n’a pas expliqué comment son TDAH l’aurait empêché, pendant près d’un an, de remettre en question l’avis de sa mère, de visiter ou d’appeler un bureau de Service Canada pour obtenir des conseils ou de faire des recherches en ligne sur son admissibilité.
[18] La division générale n’est pas tenue de mentionner chaque élément de preuve. On présume généralement qu’elle a pris en considération l’ensemble de la preuveNote de bas de page 4. L’unique mention du [traduction] « cerveau atteint d’un TDAH » n’aurait pas été une preuve très utile, alors il n’est pas si surprenant que la division générale ait omis de la mentionner. Cela ne veut pas dire que la division générale l’a ignorée.
Disponibilité
[19] Le prestataire a aussi mentionné qu’il avait un TDAH lors d’une discussion sur la « disponibilité pour le travail » à l’audience de la division générale. La membre lui a demandé s’il avait des limitations physiques qui auraient pu restreindre ses perspectives d’emploi. Le prestataire a répondu qu’il avait un TDAH et quelques autres ennuis de santé, mais qu’il essayait simplement de [traduction] « vivre avec ces problèmesNote de bas de page 5 ». Il a aussi mentionné son TDAH lorsqu’il a expliqué qu’il avait été [traduction] « hyperconcentré » sur son appel, ce qui avait freiné sa recherche d’emploiNote de bas de page 6.
[20] On ne peut pas soutenir que la division générale a commis une erreur de fait importante parce qu’elle aurait omis de mentionner le TDAH du prestataire lorsqu’elle a analysé sa disponibilité.
[21] Le prestataire a mentionné son TDAH presque par hasard. Il n’a pas expliqué comment son TDAH l’aurait vraiment empêché de faire une plus grande recherche d’emploi. Si l’on considère que son « appel » commence par le refus initial en décembre 2024 et se poursuit jusqu’à l’audience de la division générale en février 2025, le prestataire n’avait pas à faire grand-chose pendant la majeure partie de cette période. Jusqu’au 3 janvier 2025, date à laquelle il a déposé son avis d’appel, il devait seulement déposer le document de demande de révision et avoir quelques conversations téléphoniques avec le personnel de la Commission. Le prestataire n’a pas expliqué comment il a pu être si hyperconcentré (ou comment son TDAH pouvait le rendre si hyperconcentré) sur son appel, au point de réduire considérablement sa recherche d’emploi du 30 novembre 2023 au 12 novembre 2024, lorsqu’il a présenté sa demande de prestations.
[22] Lors d’une discussion avec la division générale, le prestataire s’est fait demander s’il y avait quelque chose d’autre (autre que l’avis de sa mère sur son admissibilité) qui avait eu une incidence sur sa capacité à gérer ses affairesNote de bas de page 7. Il n’a mentionné ni son TDAH, ni aucun autre trouble d’apprentissage, ni aucune déficience mentale.
[23] Je présume que la division générale a tenu compte de la preuve relative au TDAH. La division générale n’a pas mentionné cette preuve, mais de toute façon, elle aurait eu peu de valeur probante. Je peux tout de même présumer qu’elle en a tenu compte.
Les actions de la Commission
[24] Le prestataire a déclaré que la division générale n’avait pas mentionné la façon dont la Commission (ou Service Canada) avait traité l’enquête sur sa demande.
[25] On ne peut pas soutenir que la division générale a commis une erreur de fait parce qu’elle aurait omis de faire référence aux détails de l’enquête ou du processus décisionnel de la Commission.
[26] La division générale a mentionné les difficultés que le prestataire avait eues avec la Commission, sans entrer dans les détails. Toutefois, le comportement de la Commission n’était pas pertinent. Ni la division générale ni la division d’appel ne surveillent les processus de la Commission. Le prestataire peut croire qu’une personne de la Commission l’a mal compris, qu’elle a été impolie avec lui ou qu’elle a rendu une décision précipitée, mais la division générale n’était pas saisie de la question.
[27] Rien de ce que la Commission a dit ou fait n’aurait pu être pertinent en ce qui concerne l’antidatation, car le prestataire a parlé à la Commission seulement après avoir présenté sa demande de prestations.
[28] Pour ce qui est de la « disponibilité pour le travail », il n’est pas pertinent de savoir si la Commission a compris ce que le prestataire a dit au sujet de sa recherche d’emploi. Pour le prestataire, toute réparation passait par son appel à la division générale. Il n’a pas laissé entendre que la division générale avait mal compris sa preuve concernant ses démarches de recherche d’emploi.
Le moment où le prestataire a appris qu’il n’avait plus d’emploi
[29] Le prestataire a affirmé qu’il n’a pas retardé sa demande une fois qu’il a su qu’il était sans emploi. Il a dit qu’il ne savait pas qu’il ne faisait plus [traduction] « partie du personnel » avant de recevoir son relevé d’emploiNote de bas de page 8.
[30] On ne peut pas soutenir que la division générale a commis une erreur de fait concernant la date où le prestataire a appris qu’il n’avait plus d’emploi.
[31] La division générale a mentionné que le prestataire ne savait pas que l’employeur ne le considérait plus comme un employé juste avant de présenter sa demande de prestations. La division générale a fait référence à son témoignage selon lequel l’employeur n’avait pas communiqué avec lui ni répondu à ses appels pour lui dire qu’il n’était plus un employé. Elle a souligné que le prestataire n’avait pas reçu son relevé d’emploi et croyait qu’il faisait encore [traduction] « partie du personnel » même lorsqu’il cherchait un autre travailNote de bas de page 9. La division générale a compris qu’il avait parlé à une personne avec qui il travaillait auparavant, qui lui avait dit qu’il pouvait demander des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 10. Le prestataire a alors demandé des prestations dans les jours après avoir su qu’il pouvait le faire.
[32] Le prestataire n’a pas laissé entendre que la division générale avait mal interprété ces éléments de preuve ou qu’elle avait omis d’examiner d’autres éléments de preuve pertinents auxquels elle n’avait pas fait référence.
[33] Comme le prestataire croyait qu’il avait encore un emploi juste avant de présenter sa demande, il a fait valoir qu’il ne servait à rien de discuter de son antidatation. Le prestataire semble soutenir que la division générale n’a pas saisi l’importance de sa preuve, parce qu’elle n’a pas reconnu qu’il ne servait à rien de discuter de son antidatation.
[34] Le prestataire n’a pas avancé devant la division générale qu’il ne servait à rien de discuter de son antidatation. Un tel argument ne l’aurait pas aidé. La division générale devait examiner si le prestataire pouvait faire antidater sa demande. Le prestataire a fait appel pour que sa demande d’antidatation soit accueillie parce qu’autrement, ses heures d’emploi étaient insuffisantes.
[35] Le prestataire a fait valoir qu’il ne croyait pas être admissible aux prestations d’assurance-emploi parce qu’il travaillait à la commission. La division générale a affirmé qu’une personne raisonnable aurait vérifié si son employeur avait prélevé des cotisations à l’assurance-emploi sur ses chèques de paie.
[36] Le prestataire a dit qu’il ne savait pas qu’il était sans emploi. Pourtant, il n’avait pas de travail, ni de paie, ni de contact avec l’employeur depuis son dernier chèque de paie du 30 novembre 2023. La division générale a conclu que le prestataire n’avait pas fait ce qu’une personne raisonnable aurait fait pour s’informer sur ses droits et ses responsabilités.
[37] La division générale a considéré que le prestataire avait quitté son emploi après son dernier jour de travail ou après son dernier chèque de paie, peu importe la date où il a reçu son relevé d’emploi. C’est implicite dans sa décision. Le prestataire a affirmé qu’il croyait avoir un emploi jusqu’à ce qu’il ait son relevé d’emploi, mais la preuve n’appuie pas cette affirmation. Le prestataire avait admis à la Commission qu’il ne croyait plus être un employé en janvier ou en février (2024)Note de bas de page 11. Lorsque la membre de la division générale l’a interrogé à ce sujet, le prestataire n’a pas reconnu que c’était exact, mais il a quand même confirmé qu’il pensait à ce moment-là que l’employeur ne le rappellerait pasNote de bas de page 12.
[38] De plus, la grande période pendant laquelle le prestataire n’avait pas de travail, ni de paie, ni de contact avec l’employeur, en l’absence de toute autre explication, permet de déduire naturellement qu’il n’était plus un employé.
[39] Rien dans le dossier de la division générale ne donne à penser que celle-ci a mal compris ce que le prestataire croyait au sujet de sa situation d’emploi. La division générale a conclu que le prestataire n’avait pas agi de façon raisonnable. Rien ne donne à penser que cette conclusion n’a pas de lien rationnel avec la preuve.
Que signifie « raisonnable » dans les circonstances?
[40] La division générale a conclu que le prestataire n’avait pas de motif valable justifiant son retard parce qu’il n’avait pas agi comme une personne « raisonnable » ni vérifié « assez rapidement » ses droits et les obligations que lui imposait la Loi sur l’assurance-emploi. Le prestataire peut être en désaccord. Cependant, la division d’appel n’a pas le pouvoir de modifier cette conclusion.
[41] Lorsque la division générale a décidé que les actions du prestataire n’étaient pas « raisonnables » ou qu’il n’avait pas agi « assez rapidement », elle a simplement appliqué le droit établi aux faits. C’est ce qu’on appelle des « questions mixtes de fait et de droit ». La Cour d’appel fédérale a déclaré que la division d’appel n’a pas compétence pour examiner de telles questions mixtesNote de bas de page 13.
[42] L’appel du prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès.
[43] Je comprends que le prestataire sera déçu du résultat. Malheureusement, la Cour d’appel fédérale a déclaré que « [l]’obligation de présenter avec célérité sa demande de prestations est considérée comme étant très exigeante et très stricte. C’est la raison pour laquelle l’exception relative au “motif valable justifiant le retard” est appliquée parcimonieusementNote de bas de page 14. »
Conclusion
[44] Je refuse la permission de faire appel. Par conséquent, l’appel n’ira pas plus loin.